Publié le 16 janvier à 15 h 53
Humeur : Dévastée

> J’ai mal

Quelle journée de schnoute.

Une des pires de ma vie.

Le jour de mon 15e anniversaire, je vais m’en souvenir longtemps.

Ce matin, quand j’ai officialisé ma séparation avec Mathieu en passant par Valentine (je vais tout expliquer plus tard), je me suis surprise à bien réagir.

Genre trop bien.

Peut-être parce que je venais de dire à Valentine tout ce que j’avais sur le coeur ?

Cette légèreté de l’être, gracieuseté du jet de frustrations que j’ai déversé brutalement sur elle, n’a pas duré longtemps.

Moi, faire comme s’il ne se passait rien, je ne suis pas capable.

Je connais quelques filles qui peuvent sourire à des personnes qu’elles poignardent dans le dos, mais je ne suis pas de cette race d’hypocrites dont Valentine fait bien sûr partie.

Parce que, lorsqu’elle m’a aperçue, elle m’a adressé le plus mielleux des sourires.

– Naaam ! Comment se sont passées tes vacances ?

Ma réponse : une gifle, un coup de genou dans le ventre et ahhh ya!, un coup de karaté tellement fulgurant qu’il a séparé sa tête du reste de son corps.

Oh oui, je suis puissante à ce point.

J’ai caché son cadavre dans deux casiers parce que juste un, ses jambes dépassaient.

Mouahahahah !

Mais nooon.

Je ne suis pas violente, même lorsque certaines personnes méritent des baffes.

Voici donc le résumé de ma charmante conversation avec Valentine :

Moi : Comment peux-tu me sourire après tout ce que tu m’as fait ?

Elle : Quoi ?

Moi (l’imitant avec un air de dédain) : « Quoi ? » Je sais qu’il se passe quelque chose entre toi et Mathieu. Comme je n’arrive pas à le joindre, tu lui feras le message que c’est fini entre lui et moi.

Elle (étonnée [pfff !]) : Fini ? Pourquoi ?

Moi : Parce qu’il me trompe avec toi. De plus, je suis au courant de ton projet de créer un journal étudiant. Pour aller avec ton obsession des chats, j’ai trouvé le nom parfait : La litière. Et en passant, il ne se passe rien entre Monsieur Patrick et moi. C’est un secret que je t’ai révélé. Merci de l’avoir répété à Anne, la fille la plus discrète du pays. Je te jure que si tu n’arrêtes pas de raconter n’importe quoi sur moi, tu vas me retrouver sur ton chemin. Et je ne serai pas un brigadier grincheux qui fait traverser des enfants, non, je vais être une licorne, mais à la place de la corne, ça va être un sabre laser.

Bouche bée,Valentine ne s’attendait vraiment pas à ce que je sois honnête (et brutale) avec elle.

C’est peut-être aussi le fait de me comparer à un brigadier bougon ou à une licorne Jedi qui l’a déboussolée, je ne sais pas. droppedImage-22.png

Mais l’important est que j’aie réussi à la décontenancer.

J’ai été fière de moi pendant quelques minutes.

Puis, je me suis souvenue :

- Que Valentine m’a volé mon chum;

- Que Valentine se propose de démarrer un projet de journal étudiant concurrent à L’ÉDÉD, lequel devra redoubler d’efforts pour se démarquer ;

- Que Valentine a dévoilé aux Terriens et aux Terriennes, ainsi qu’aux Martiens et aux Martiennes, que Monsieur Patrick ne me laisse pas indifférente, ce qui est full gênant. C’était supposé être une information confidentielle, me semble que c’était clair, je me déteste TELLEMENT de lui avoir dit ça, je suis conne. droppedImage-23.png Si je ne me retenais pas (et si c’était physiquement possible), je me mordrais une fesse.

Valentine m’a incitée à lui parler de moi, je trouvais ça formidable, une fille qui écoute vraiment, qui n’attend pas juste son tour pour parler d’elle.

Ça me faisait tellement de bien de partager mon jardin secret, je ne me suis pas doutée un instant qu’elle allait s’en servir pour me nuire.

Mon jardin secret... Je me sens comme si elle était entrée dedans, avait mordu dans toutes les tomates, avait déterré toutes les carottes et avait arrosé mes fleurs avec de l’essence avant de craquer une allumette pour les faire flamber et pour danser autour.

Bref, j’ai été ownée d’aplomb par Valentine.

Et quand je m’en suis rendu compte, il était trop tard pour réagir.

Puis, afin de rendre le jour de mon anniversaire encore plus magique qu’il ne l’était déjà, pendant l’heure du dîner, j’ai parlé à Mathieu.

Comment ça s’est passé ?

Y a-t-il un mot qui se situe entre horrible et catastrophique ?

(...)

Ça a mal: dans les mains, il avait un présent pour moi.

J’aurais dû le refuser, vu les circonstances, mais parce que je suis accro aux cadeaux – je diffuserais sur le Net des photos de Youki nu, mon p’tit chien d’amouuur, s’il le fallait pour en obtenir, oui, je n’ai pas de morale quand il est question de cadeaux –, je n’ai pas trouvé la force de le rejeter.

Sans mot dire, avec un sourire gêné, il m’a tendu une boîte et m’a souhaité un joyeux anniversaire.

C’était une boîte rectangulaire recouverte de feuilles lignées mobiles scotchées ensemble.

– Désolé, c’est la seule chose que j’avais sous la main.

Le goujat, il a osé être mignon ! Il n’a rien fait pour que je le déteste.

J’ai retiré les feuilles lignées et j’ai découvert un plat en plastique bleu avec le couvercle blanc.

J’ai trouvé la force de faire une blague suspecte.

– Wow, super, je vais pouvoir conserver plus long-temps mes restants de table. Je suis sûre que, prévoyant comme tu es, tu t’es assuré qu’il allait au lave-vaisselle et dans le four micro-ondes.

– Arrête, nounoune, ouvre-le.

J’ai soulevé le couvercle. C’était des cupcakes.

Sept.

Sur chacun d’eux, une lettre.

Mais ils formaient un mot dont j’ignorais la signification.

– Amantés ? Ça veut dire quoi ?

Mathieu a jeté un oeil dans la boîte, s’est excusé et a remis en ordre les petits gâteaux.

– Voilà, il a dit quand il a eu terminé.

Les sept petits gâteaux formaient N-A-M-A-S-T-É.

Je ne savais juste pas quoi dire.

– Ce sont des gâteaux à la vanille parce que je sais que le chocolat, tu n’aimes pas.

Ç’a été plus fort que moi, je me suis mise à pleurer. droppedImage-24.png

Je ne voulais pas, mais j’ai craqué comme la coquille d’un oeuf qu’on lance de toutes ses forces sur un plancher de béton.

J’ai pris mon sac à dos et je suis sortie de la bibliothèque avant que Madame Shhh !, avec ses bruits de bouche, me fasse signe de me taire.

Je me suis faufilée dans un corridor où, entre deux rangées de casiers, à l’abri des regards indiscrets, je me suis laissée aller à ma peine.

Quelques instants plus tard, Mathieu est apparu.

– Écoute, Nam, je voulais pas que ça se passe comme ça.

J’ai essuyé les larmes sur mes joues.

– T’allais me le dire quand pour Valentine ?

– Bientôt. Ce n’est pas simple. Je ne voulais pas te faire mal, avec tout ce que tu vis.

– Eh bien, t’as raté ton coup, Mathieu.

– Je sais. Je ne voulais pas te faire mal. T’es tellement fine.

– « Fine » ? Idiote,plutôt.

– Non, non. Pas idiote. Pas toi.T’es parfaite, vraiment.

– Tellement parfaite que tu m’as trompée avec une autre.

– T’étais en vacances, et ça s’est passé vite. Je trouvais juste pas le bon moment.

– Et il a fallu que ce soit avec Valentine. C’est une vraie garce.

– Je comprends que tu sois fâchée contre elle. Mais tout est de ma faute. Elle n’a rien fait.

– Vraiment ? Me voler mes journalistes ? Me bitcher dans le dos ? Te coller comme une sangsue ? Quand je t’ai demandé s’il se passait quelque chose entre elle et toi, tu m’as répondu que j’hallucinais. Et moi, la nouille, j’y ai cru.

– À l’époque, il ne se passait rien.

– Me semble. Comme par magie, en une demi-seconde, t’es tombé amoureux d’elle.

– Je n’ai pas fait exprès. C’est comme ça. Ça ne s’explique pas, ça se vit.

– Lâche-moi avec tes phrases creuses qui veulent tout dire et rien en même temps.

– C’est comme toi avec Monsieur Patrick...

Évidemment,Valentine lui en avait parlé. Je l’imagine très bien lui dire, au détour d’une conversation qui portait sur moi, que je lui avais avoué être secrètement amoureuse de mon prof de français, juste pour lui prouver que je ne suis pas une blonde aussi parfaite.

– Quoi, Monsieur Patrick ?

– Eh bien, t’es amoureuse de lui. Est-ce que tu peux y faire quelque chose ? Est-ce que t’as le contrôle sur ça ?

– Tu n’es pas supposé savoir ça. Ce sont des affaires super privées. C’est pas pareil.

– C’est pas pareil ? Mettons que Monsieur Patrick aurait 16 ou 17 ans et pas 35, tu te serais retenue de lui avouer ton amour même si tu sortais avec moi ?

– Oui, parce que je suis fidèle.

– Je ne te crois pas, Nam.T’es une fille trop passion-née pour t’en empêcher.

– De toute façon, ça n’arrive pas. C’est juste un fantasme, Monsieur Patrick. Même s’il ne se passera jamais rien, ça me fait juste du bien d’y penser. Tout est tellement simple avec lui.Tout est limpide. On a le même sens de l’humour, les mêmes champs d’intérêts, les mêmes goûts pour le ciné ma et la musique. Mais quand je sors de mes rêveries, je sais que ça n’ira jamais plus loin qu’une amitié.

– Ce que tu viens de décrire, c’est exactement ce que je vis avec Valentine. Sauf que moi, je peux vivre mon amour. Pourquoi je m’en priverais ?

Je suis pour l’honnêteté, oui, mais des fois, me semble que j’arrondirais ses coins. droppedImage-25.png

Avant de me quitter (au propre comme au figuré), Mathieu a largué LA phrase que je ne voulais pas entendre:

– J’aimerais ça qu’on reste amis.

Comme si j’étais un personnage dans un film d’horreur et que je parvenais à fuir en tenant dans ma main le bras que le méchant m’a arraché et que je l’entendais soudain me crier : « J’aimerais bien qu’on se revoie, Nam, question que je puisse te faire souffrir encore un peu ! »

Et moi de rebrousser chemin et avec mon bras arraché, je lui donnerais une claque au visage.

Non, merci.

(...)

Je dois aller souper.

Mom a préparé un repas spécial pour que ça ait l’air que j’ai aujourd’hui 15 ans et que j’ai le droit d’être la reine de la journée.

Je n’ai pas faim.

Moins parce que je suis déprimée que parce que j’ai mangé, en rentrant de l’école, les sept cupcakes que Mathieu m’a faits, tout ça en pleurant et en écrivant ce billet.

Je suis un être multitâche.

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Rassure-toi, tu n’es pas seule : des millions d’êtres humains souffrent de cette maladie qu’est la dépendance aux cupcakes (aussi appelés petits gâteaux ou muffins efféminés). Notre ligne de soutien, ouverte 6 heures par jour, 104 jours par année, te permettra de discuter de ce mal qui te ronge de l’intérieur et qui t’éloigne de tes proches à mesure que le taux de sucre augmente dans ton sang. Agis avant de sombrer dans un coma diabétique et que ton animal de compagnie préféré, alors que tu gis sur le sol, inanimée, n’en profite pour lécher tes lèvres délicieusement barbouillées de glaçage.

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