Voici de quoi faire peur aux parents: la plupart des adolescents entre 11 et 15 ans commencent à essayer de diverses façons la cigarette, l’alcool, les autres drogues et les relations sexuelles. Ils s’y adonnent en grande partie en réponse aux pressions de leurs camarades, mais aussi parce que ces expériences font partie du rite de passage vers l’âge adulte. Que vous le vouliez ou non, ils seront exposés à de nombreuses tentations et auront alors besoin de conseils — pas de menaces — pour franchir cette étape.
On aimerait mieux croire que nos enfants peuvent résister à ces pressions et faire de bons choix, mais notre expérience de la vie et les statistiques nous indiquent plutôt qu’ils ont besoin d’aide. Chaque adolescent devra décider d’essayer ou non ces activités dangereuses. Certains seront influencés par leurs camarades de tenter l’expérience. D’autres se contenteront de regarder et d’autres encore deviendront des « conseillers d’urgence » encourageant leurs amis à faire des choix sécuritaires et à leur offrir leur soutien en cas de problèmes.
Dans le cadre de nos recherches auprès des adolescents, nous avons posé à plus de 1 400 élèves de 10 écoles secondaires du sud-ouest de l’Ontario des questions sur leur consommation d’alcool et d’autres drogues, sur leurs activités sexuelles et sur les mauvais traitements par un partenaire intime. Dans les figures 2 à 5, vous pourrez voir clairement une tendance se dessiner à l’égard des comportements dangereux. On
constate une augmentation constante des excès d’alcool, de la consommation de marijuana, des relations sexuelles et de la violence dans les fréquentations entre la 7e et
la 10e année, et elle atteint son sommet entre la 9e et la 10e année.
Dès la 10e année, environ 40 p. 100 des filles et des garçons signalent avoir fait des excès d’alcool au cours du mois précédent (par excès d’alcool, on entend boire cinq consommations ou plus d’alcool en une occasion); 30 p. 100 des filles et 40 p. 100 des garçons disent avoir fumé récemment de la marijuana; 25 p. 100 auraient eu des relations sexuelles et environ 30 p. 100 auraient été victimes de violence dans leurs fréquentations au cours du mois précédent.
Ces résultats sont comparables à ceux d’autres études menées en Amérique du Nord, et toutes concluent que l’expérimentation de ces substances et des relations sexuelles, tout comme l’expérience de la violence par un partenaire intime sont malheureusement choses courantes.
Très jeune, votre enfant a vite compris les différences entre les hommes et les femmes et les garçons et les filles. La classification du monde en catégories simples facilite l’apprentissage des jeunes enfants, ce qui est très bien. Cette vision simpliste et très biaisée du monde qui les entoure s’estompe vers le milieu de l’enfance alors que les enfants se sentent plus à l’aise d’interagir avec les enfants de leur sexe comme du sexe opposé.
Au début de l’adolescence cependant, d’autres pressions font surface, et les enfants doivent saisir d’autres concepts. Pour la plupart des garçons et des filles ces pressions se traduisent par un besoin de se conformer, d’être acceptés. Ils en viennent alors à vouloir les mêmes vêtements que leurs camarades, à se comporter de la même manière et à leur ressembler. Même si la majorité des adolescents ne veulent pas l’admettre, ils sont portés à afficher des signes extérieurs (par exemple leurs chaussures, coiffure, jeans et goûts musicaux) qui indiquent clairement qu’ils sont ou bien un garçon ou bien une fille, et qu’ils en sont conscients.
Les garçons, par exemple, sentent qu’ils doivent être des durs et sont récompensés pour leur excellence dans des activités traditionnellement masculines (p. ex. athlétisme, chef de groupe). Le « sportif » est encore aujourd’hui le type de garçon le plus populaire et respecté dans la plupart des campus du secondaire. Les filles, cependant, sont récompensées pour leur gentillesse, et leur popularité s’accroît lorsqu’elles réussissent dans des secteurs traditionnellement féminins (p. ex. l’apparence physique et la popularité sociale — autant auprès des filles que des garçons).
En raison des fortes attentes culturelles et des préjugés, ces expressions sur la féminité et la masculinité sont assez normales. Néanmoins, l’un des nombreux pièges de cette « rectitude sexuelle », c’est que les adolescents se sentent obligés d’abandonner des activités où ils excellent, car elles ne sont plus considérées comme acceptables. Comme les talents athlétiques sont souvent recherchés chez les garçons, ils perdent alors implicitement de leur importance chez les filles. En fait, entre l’âge de 12 et de 15 ans, les filles abandonnent les activités sportives à un rythme alarmant, sans égard à leur aptitude antérieure.
Parallèlement, les attributs considérés comme attrayants chez les filles, comme l’intimité et l’émotivité seront dorénavant évités par les garçons qui cherchent à être acceptés par leurs pairs masculins qui sont à l’affût des signes d’homosexualité (voir la section Pressions à dénigrer les autres). Les garçons qui s’intéressent à la musique ou aux arts plastiques par exemple, peuvent se sentir pressés de prouver leur masculinité en adoptant un comportement agressif et hyper masculin dans d’autres activités. De la même façon, les filles qui s’intéressent aux sports peuvent tenter d’exagérer leur féminité dans d’autres secteurs d’activités afin d’éviter les moqueries de leurs camarades.
À l’autre extrême, certains garçons ou filles choisissent plutôt de rejeter complètement le courant populaire et de former leur propre groupe de personnes aux intérêts communs et qui se distingue alors par une coiffure, des vêtements ou des goûts musicaux particuliers. Même si l’appartenance à une sous-culture procure un sentiment d’identité et des intérêts communs à ses membres, ces personnes subiront quand même les mêmes pressions néfastes que l’on retrouve dans la culture dominante de l’école.
Les garçons croient que pour être acceptés par leurs pairs, ils doivent se distinguer le plus possible des filles. Les filles, de leur côté voudront aussi se différencier des garçons, mais à un degré moindre. Pour être acceptés par leurs pairs, les garçons devront afficher les caractéristiques masculines les plus apparentes et éviter d’être victimes de violence verbale ou physique.
En tant que parent, vous savez sans doute que la pression la plus forte — et souvent invisible — à laquelle les adolescents font face est de se conformer à ce que les autres adolescents jugent acceptable. C’est la raison pour laquelle les adolescents veulent tant porter les bons vêtements, écouter la bonne musique et participer aux bonnes activités scolaires et parascolaires. Cette vigilance est bien normale et fait partie de cette période de développement. Les adolescents sont passés maîtres dans l’art de reconnaître ce qui est « cool » et « quétaine » et ils se surveillent pour s’assurer qu’ils ne sortent pas du rang.
Même si tout le monde y fait face un jour ou l’autre, ces pressions ne sont pas inoffensives. Certains adolescents craignent chaque jour d’être humiliés, tourmentés, menacés ou blessés à l’école, et même parfois par les personnes qu’ils considéraient quelques jours auparavant comme leurs amis. Quelque chose va de travers — elle a porté les mauvais souliers, dit la mauvaise chose ou sorti avec le mauvais garçon — et son monde bascule presque du jour au lendemain. Pour faire face à la pression d’être considérés comme une personne gentille ou un dur, les adolescents sentent qu’ils doivent afficher leur loyauté, même s’ils doivent pour cela se montrer méchants envers d’autres personnes.
Il n’est pas facile de se conformer à la culture de l’école, et cela entraîne parfois de la frustration, de la colère, de la dépression et du désespoir. Cela peut même se manifester de façon aiguë chez les adolescents qui cherchent à se démarquer davantage, qui ont des intérêts non traditionnels, qui viennent d’un pays étranger ou d’une culture différente, qui ont une orientation sexuelle différente, ou qui se démarquent d’une façon ou d’une autre du courant dominant. Ces adolescents représentent une minorité assez importante dans chaque école, et pourtant ils sont les cibles courantes des méchancetés, de l’intimidation ou du harcèlement par leurs pairs du même sexe ou du sexe opposé.
L’insulte la plus courante dans les écoles de nos jours est de se faire traiter de « gay », davantage même que les remarques racistes et sexistes qui sont devenues interdites. Comme les adultes (nous tous: parents, enseignants, membres du clergé, et autres personnes influentes dans nos collectivités) n’ont pas dénoncé ouvertement les insultes homophobes, elles sont devenues de fait acceptées et courantes. L’homo-sexualité est si stigmatisée dans notre société que la pire insulte que l’on puisse lancer à quelqu’un est de le traiter de gay, qu’il le soit ou non. De telles insultes indiquent visiblement comment les jeunes surveillent leurs frontières afin de se conformer à leur sexe ou à d’autres attentes. En tant que parents, nous devons dire à nos adolescents qu’il est inacceptable d’injurier les autres ou d’avoir à cacher leur propre identité.
Les insultes homophobes et le langage abusif envers les gens qui semblent différents (« C’est tellement tapette! » et « Il est bizarre! ») prennent leur envol dans les premières années de l’adolescence, et cette tendance va en s’aggravant. En fait, le fait d’être traité de gay ou de lesbienne est manifestement le plus grand changement dans le type de harcèlement vécu par les adolescents au cours des dix dernières années. Les garçons, surtout, se sentent obligés de se surveiller afin de se protéger contre cette humiliation ou de ne pas être considérés comme assez masculins. À l’instar des insultes racistes et sexistes, les insultes homophobes sont issues de l’ignorance et créent une atmosphère de soupçons, de craintes et d’intolérance.
Les injures « gay » ou « bizarre » n’ont comme seul objectif pour l’offenseur que d’être mieux considéré par ses pairs en prouvant qu’il a lui ce qu’il faut. Pas étonnant que les garçons considèrent les insultes homophobes comme insignifiantes (répliquant que ce ne sont que des blagues), tout comme les commentaires négatifs qu’ils expriment envers les filles et les femmes. Bien entendu, ces attitudes et ces pressions justifient le langage abusif des garçons (et dans une certaine mesure celui des filles) et leurs gestes envers autrui, surtout envers ceux qui ne se conforment pas aux stéréotypes masculins.
Les devoirs et la réussite scolaire sont probablement les formes les plus courantes de stress que vivent les adolescents. La charge des travaux au fil des années d’études s’accroît, et nombre d’élèves se sentent débordés et craignent de ne pas tenir le coup. Outre le nombre et la difficulté accrus des travaux, les jeunes sentent une plus grande pression à réussir — de la part de leurs enseignants, de leurs parents et même de leurs camarades. Fait intéressant, les garçons disent se sentir ainsi en 6e année et les filles en 10e année.
Le rendement et la réussite scolaires sont positivement liés au soutien parental, mais négativement liés à la pression des parents pour décrocher de bonnes notes. En fait, au lieu de motiver les élèves à réussir, cette pression peut avoir l’effet contraire, entraînant ainsi un désintérêt envers les études.
L’importance du sentiment d’appartenance à l’école, sans pression indue, a été soulignée dans l’étude menée auprès de plus de 7 000 jeunes Canadiens (âgés entre 10 et 16 ans). 1 Le bien-être général des élèves était grandement lié à leur bien-être à l’école. D’ailleurs, les élèves qui se sentaient moins poussés par leurs parents à bien réussir à l’école signalaient la plus grande satisfaction et la plus grande réussite perçues! Ces élèves voyaient leurs rapports avec leurs enseignants et leurs parents sous un œil plus positif et avaient une meilleure estime de soi que les élèves qui se sentaient obligés de décrocher de bonnes notes.
La figure 6 met en lumière une réalité qui n’est pas toujours évidente: les comportements à risque, comme la consommation d’alcool et d’autres drogues, la violence par les camarades ou les partenaires intimes et les comportements sexuels précoces, surviennent dans le cadre des relations. Les adolescents s’adonnent à ces activités pour être
acceptés, se sentir adultes et tenter de nouvelles expériences. Les relations peuvent mettre plus de pression et accroître les risques, tout comme elles peuvent aussi servir à protéger le jeune.
Le contexte des relations varie selon le stade de développement, comme la résolution de conflit avec les parents ou les amis, la recherche d’un nouveau statut ou de l’acceptation, ou encore la quête de nouveaux plaisirs. Le niveau de risque est alors déterminé par l’habileté individuelle à composer avec les problèmes relationnels, surtout avec les parents, les camarades et les partenaires intimes.
Outre ce contexte relationnel, certaines activités vont souvent de pair; les adolescents qui disent faire des excès d’alcool déclarent aussi prendre de la marijuana, avoir des rapports sexuels ou vivre de la violence dans leurs fréquentations. Nous appelons cette situation le triangle des comportements à risque (voir figure 6), car ces comportements sont associés à des causes, situations et désirs communs. Cela nous signale aussi que si un adolescent pratique l’une de ces activités, il sera probablement porté à essayer les autres. Les études révèlent par exemple que la consommation d’alcool est le dénominateur commun des activités non sécuritaires comme le tabagisme, l’activité sexuelle, l’alcool au volant et la violence.
Les parents doivent reconnaître que l’expérimentation dans une certaine mesure est normale et peut être formatrice. Que vous le vouliez ou non, l’interdiction d’expérimenter ou la punition pour l’avoir fait peuvent vous aliéner votre adolescent. Nous devrions plutôt transmettre à notre jeune qu’on s’intéresse à lui et mettre l’accent sur
la sécurité personnelle, les choix et les responsabilités. Ce message doit aussi souligner les conséquences du non-respect des limites établies.
Nous devons aussi aider nos enfants à réussir en les motivant et en les encourageant. Il faut toutefois avoir des attentes réalistes et éviter d’ajouter aux pressions que vivent déjà nos adolescents.
Que devons-nous faire alors? Comme l’adolescence est la période transitoire qui prépare les jeunes à l’âge adulte et aux privilèges, il est donc normal qu’ils tentent des expériences. La question est alors de savoir quand et comment les adolescents feront leurs expériences et quelle en sera la nature, et quel rôle les adultes devront jouer pour veiller à ce que leurs jeunes fassent des choix sécuritaires et responsables. Nous devons accepter la réalité de ces comportements et atteindre un équilibre entre la sensibilité et la fermeté.
En bref, les parents doivent offrir à leur jeune le plus d’encouragement et de soutien possible et se montrer véritablement intéressés à leur vie sociale et scolaire. S’il est important de surveiller les devoirs de votre adolescent et ses résultats scolaires, ayez des attentes réalistes, sans les lier à la culpabilité ni à la peur. Comme un jeune de 15 ans l’a déjà expliqué à ses parents: « C’est à moi de réussir, mais ce dont j’aurais bien besoin, c’est de votre soutien. »