NEUVIÈME SÉRIE

DU 20 AVRIL AU 29 MAI 1871

 

Préparatifs de fuite

Fuite et séjour à Moret

 

20 avril

 

Emprunté au Mont-de-piété dix-huit francs sur objets de toilette.

Dès le 20 avril, je vis bien qu’il ne me serait pas possible de rester longtemps encore à Paris, sans être obligé de marcher avec les fédérés de la 5e du 21e. Mais craignant, d’après certaines menaces, qu’on ne mît le feu à la librairie Delalain, située en face de ma maison, je voulus, avant de partir, prendre quelques précautions ; j’allai donc porter à ma tante (celle de la rue du Paradis au Marais), des objets de toilette, auxquels ma femme tenait beaucoup, notamment un éventail, rapporté de Cochinchine.

« Votre domicile ? » me demanda l’employé.

« — Rue de la Sorbonne, no 2. »

En entendant ce nom de rue du Quartier latin, le vieux polisson d’employé, se figurant que, dans un moment de détresse, j’apportais en gage la défroque de mon étudiante, me dit en clignant malicieusement de l’œil : « Ça ne va donc pas au Quartier latin ? »

En tout autre moment, j’eusse été flatté d’être pris pour un étudiant, même de dixième année, mais en ce moment de chasse à l’homme jeune, la plaisanterie du bonhomme Jadis me fit courir un frisson dans le dos.

21 avril

 

Reporté au Mont-de-piété un huilier, un moutardier, deux salières en argent ; prêt 50 fr., mais sur l’huilier seulement.

On ne donnait pas plus de 50 fr. à chaque personne, et on me força de reprendre mon moutardier et mes salières.

Samedi 22 avril

 

Prêt de 50 fr. sur mon moutardier et mes salières.

J’apportais ce que j’avais de plus beau au Mont-de-piété ; j’étais persuadé, en effet, que la Commune ne toucherait pas à la banque du peuple. Elle n’y toucha pas, en effet ; l’administration du Mont-de-piété fut seulement forcée de remettre, sans remboursement, certains objets de grande nécessité, tels que les matelas, puis de suspendre la vente, faute de remboursement des objets donnés en gage.

Même jour, 22 avril

 

* M’en retournant chez moi, j’aperçois devant le bureau des emprunts une brave femme, quelque boutiquière sans doute, modestement vêtue, ayant au bras un panier d’osier, couvert d’une serviette blanche ; l’inquiétude se lit dans ses yeux.

« Mais, ma brave femme, lui dis-je, vous étiez déjà là hier, avec votre panier ; qu’est-ce que vous y faites donc ; avez-vous besoin de renseignements ? »

Après m’avoir bien reluqué, persuadée enfin qu’elle avait affaire à un bon bourgeois, elle me répondit à voix basse :

« Ah ! mon bon monsieur, je ne sais quoi faire ; j’ai dans ce panier mon argent en pièces de cent sous ; je n’ose pas la laisser chez moi ; on me la prendrait ; je l’ai apportée hier au Mont-de-piété pour l’y déposer ; je l’ai remportée et je la rapporte ! mais si on allait tout piller au Mont-de-piété, quoi faire, mon Dieu ! quoi faire ? »

Je lui conseillai de déposer son magot sans crainte, parce que la Commune défendrait certainement le Mont-de-piété ; elle se décida enfin à faire son dépôt.

Je rappelle ce souvenir, car il montre les terreurs que la Commune ou du moins ses suppôts, ses amis et féaux inspiraient aux ouvriers économes, ouvriers en passe de devenir bourgeois.

Même jour, 22 avril

 

* Les professeurs à l’École de médecine ayant décidé de ne plus faire leurs cours, la Commune leur infligea un blâme dans son Officiel du 18 avril ; en même temps elle convoqua les étudiants pour aujourd’hui, dans le grand amphithéâtre de l’École, afin d’avoir leur avis sur la réorganisation de l’enseignement médical ; ils accoururent tous, mais repoussèrent l’appel de la Commune aux cris de : Vive la République !

Le Siècle, qui n’était pas encore supprimé, rapporta l’incident et finit courageusement son article par la remarque suivante : « Dès les premiers jours, la jeunesse des écoles refusait son approbation à l’insurrection1. Le vote des étudiants en médecine est la défaite morale la plus cruelle que la Commune ait pu essuyer. »

25 avril

 

V... s’est laissé nommer président du tribunal de la Seine ! Après tant de jours sans travail, peut-être était-il dans la détresse ! Comme X..., mon ancien camarade de collège, hommes (sic) d’affaires, probe, très probe et très digne, qui, à bout de ressources, a consenti, dit-on, moyennant 500 fr. à accepter une situation de maire.

 

28 avril

 

* Au Luxembourg, j’aperçois un dominicain qui traverse le jardin en se dirigeant vers la grande allée de l’Observatoire, pour retourner, sans doute, au collège d’Arcueil. Je cours vers lui, l’arrête et lui dis : « Mon père, comment osez-vous sortir avec votre habit religieux ? » Il me paraît fort étonné de mon observation.

 

29 avril

 

Je viens d’assister au plus curieux des spectacles, à la plus fantastique des processions. Monté sur le haut d’une barricade, qui défend l’Hôtel de Ville, presqu’en face l’entrée de la rue du Temple, j’ai vu aujourd’hui la franc-maçonnerie venant, avec ses innombrables et bizarres bannières, manifester son adhésion à la Commune. Depuis les processions de la Ligue, il n’y en a pas eu, je crois, de plus extraordinaires. Une bannière m’a particulièrement étonné, celle des bienfaiteurs de l’humanité.

Saint Vincent ou plutôt Vincent de Paul, Montyon et je ne sais quel autre bienfaiteur y étaient portraiturés. Beaucoup d’autres bannières étaient des plus ahurissantes et des plus réjouissantes. C’était parfois une vraie mascarade, et cependant l’ensemble ne manquait pas d’une certaine grandeur !

Mon ahurissement admiratif fut coupé en deux par une dégringolade en règle. La barricade, chargée de monde, s’éboula. Tous nous tombâmes les uns sur les autres, moi par-dessus, heureusement pour mon bras, insuffisamment guéri. Après m’être ramassé et m’être retrouvé au complet, je courus sur le trottoir de la rue de Rivoli, en face la Tour Saint-Jacques-la-Boucherie, pour voir repasser les bannières. Un individu m’interpella à ce moment et me dit : « C’est une plaisanterie que cette franc-maçonnerie ; pour 100 fr., si vous voulez, vous pouvez être dignitaire. »

Je ne répondis rien et pour cause, ce pouvait être un agent provocateur.

Dimanche 30 avril

 

Boulevard Bonne-Nouvelle, je vois flamboyer, sur un urinoir, une grande affiche rouge où se trouve une longue objurgation du vieux citoyen Beslay, membre de la Commune, à l’adresse du vieux Monsieur Thiers ; mais le petit foutriquet n’en aura cure.

C’était Vermersch, qui dans son Père Duchêne, appelait ainsi M. Thiers ; il ne faisait, du reste, que reproduire ou plutôt reprendre le mot du maréchal Bugeaud.

Le citoyen Beslay avait déjà orné les urinoirs de deux objurgations, dans lesquelles il intimait, pour ainsi dire, à M. Thiers l’ordre de donner sa démission. La première commençait ainsi : « Beslay à Thiers, pendant que vous tenez en mains le drapeau de la République in partibus infidelium, moi je siège sur les bancs de la Commune de Paris, pour la défense de cette grande république encore méconnue. »

Chose singulière, quelques jours après son affichage, le citoyen Beslay donnait sa démission de membre de la Commune, à cause du vote sur la démolition de la maison de M. Thiers ; la Commune n’accepta pas cette démission et Beslay consentit à la reprendre, probablement parce qu’étant délégué à la Banque, il crut comme tel, pouvoir en empêcher le pillage. Il y réussit du reste ; mais il réussit en même temps à passer pour un vieux gêneur et à s’entendre appeler : le mauvais génie de la Commune. (Mémoires du général Cluseret, t. II, p. 206, Paris, 1887, Jules Levy, éditeur.)

Même jour, 30 avril

 

Beaucoup de boutiques fermées. Denrées hors de prix ; on ne trouve presque rien au marché. Ma cuisinière, qui n’a pas connu les prix exorbitants du siège, tombe en pâmoison devant un embryon de lapin, mis en vente à 5 francs ; en temps ordinaire il eût valu 2 francs.

 

Nuit du 30 avril au 1er mai

 

Recouvrement de mes valeurs, grâce à Marguerite ; la secourir si elle tombe jamais dans le besoin !

Depuis quelques jours le bruit courait que si les Versaillais entraient dans Paris, le feu serait mis à la poudrière du Luxembourg, qui se trouvait dans les terrains de l’ancienne pépinière ; on disait : la commotion sera terrible ; les maisons environnant le jardin tomberont dans les catacombes ; je fus saisi d’effroi, car mon beau-père avait, par crainte des Prussiens extra et intra muros, caché ses valeurs et les miennes dans la cave de sa maison, rue de Vaugirard, no 7 ; il avait repris les siennes avant de quitter Paris. Mais les miennes étaient restées dans une cachette admirablement dissimulée, que lui-même avait creusée en terre, sans recourir à un ouvrier. La crainte de perdre mon pécule au milieu des catacombes, si la poudrière du Luxembourg venait à sauter, me décida seule à les enlever pendant la nuit.

Quelles affres, quelles frayeurs pendant cette nuit ! je ne pouvais creuser la terre à cause de mon bras, encore faible. Marguerite, la cuisinière de mon beau-père, donnait des coups de pioche, afin de faire apparaître la cassette ; quand les coups résonnaient un peu fort, elle s’arrêtait épouvantée ; moi j’étais haletant. Elle et moi redoutions, et à juste titre, que le bruit, dans le calme de la nuit, n’arrivât jusqu’aux oreilles des trente-cinq locataires de la maison, dont quelques-uns étaient animés d’un fort mauvais esprit.

Enfin la bienheureuse cassette apparut.

À propos du dévouement de cette brave Marguerite, c’est le moment de rappeler que, pendant les deux sièges de Paris, beaucoup de domestiques rivalisèrent avec elle, sous le rapport du dévouement et de la fidélité. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les écrits publiés en 1871 et 1872 ; après les avoir lus, on ne pourra oublier Julie, la fidèle femme de chambre de Mme Adam, Henri, le valet de chambre si dévoué de notre cher bâtonnier Edmond Rousse ; l’inénarrable Picarde de Mme Edgard Quinet ; Pélagie, la cuisinière de M. E. de Goncourt, Pélagie, traversant les barricades, fin mai 1871, pour aller porter à son maître des roses de son jardin d’Auteuil.

1er mai, matin2

 

La mère Plancher, femme de charge de mon beau-père, part pour Moret en se faisant une crinoline avec mes valeurs.

Pour calmer les inquiétudes de ma femme, je me décide à quitter Paris, armé d’un billet de M. Dhardeviller, maire de Moret ; mais les fédérés, ne me trouvant pas la mine assez campagnarde et se moquant pas mal de l’autorité de M. le maire, n’ont pas voulu me laisser passer ; à la gare de Lyon un garde national me dit même certaines paroles peu rassurantes ; je filai en allongeant les jambes prestement.

M. Dhardeviller avait donné à ma femme un billet constatant que certaines affaires exigeaient ma présence à Moret. Ce billet fut remis à une personne venant à Paris. Celle-ci en trafiqua, car jamais je ne vis ni la personne, ni la lettre. Ma femme, désolée, supplia M. Dhardeviller de lui redonner un second laissez-passer. Il se fit tirer l’oreille, mais en fin de compte il ne sut résister à ses supplications. La seconde lettre fut confiée à un employé du chemin de fer de Lyon, qui me l’apporta triomphant ; mais, comme on vient de le voir, elle ne me servit à rien. Le moyen était déjà usé.

Même jour, 1er mai

 

Démarches inutiles, d’abord à la préfecture de police3, où la foule s’écrase pour avoir, comme moi, des permis de sortie4, puis à l’état-major de la rue d’Aligre où je vois une belle collection de guerriers à mine patibulaire. Impossible de me tirer du guêpier parisien.

À la préfecture de police on m’avait dit : « Nous ne pouvons vous donner de permis de sortie, parce que vous voulez partir par la gare de Lyon ; or, cette gare est sous la surveillance de l’état-major de la rue d’Aligre. »

Mais rue d’Aligre on ne voulut pas non plus me donner de permis de sortie. Parmi les guerriers à mine patibulaire qui étaient là, il y en avait un plus effrayant que les autres, petit louchon à barbe rousse, qui me dit avec beaucoup d’amabilité : « Comme ravitailleur vous devez vous adresser au bureau des subsistances de la gare de Lyon.

« — Merci du renseignement, mon capitaine ! »

Afin de me donner vraiment l’air d’un ravitailleur, je courus chez M. Hugonnet, commissionnaire en marchandises aux Halles. C’était le correspondant de mon ami Jean-Baptiste Duriez, cultivateur en grand de carottes et d’asperges aux Sablons, près Moret, je lui dis : « Je pars pour Moret et je vais voir votre correspondant M. Duriez ; voulez-vous bien me donner pour lui, et sur une lettre, le prix des carottes et des asperges ? » Il me fournit sans hésiter ces renseignements sur une lettre avec en-tête.

 

2 mai

 

Armé de la lettre de M. Hugonnet, je retourne au chemin de fer de Lyon, en me faisant passer pour un ravitailleur de Paris ; je promets des carottes au commissariat de la gare de Lyon. Le citoyen commissaire ne se doute pas que je lui en tire une de carotte ; il me donne un cachet de sortie de premier numéro5.

Je monte en wagon. Sauvé, ô mon Dieu ! pas encore. Nous arrivons aux fortifications ; les wagons sont visités par un bataillon de la garde nationale ; il faut exhiber ses papiers ; des militaires, sortant des ambulances, présentent timidement les leurs ; le bataillon, pas trop méchant, nous trouve en règle. Nous allons donc partir... Un garde national qui n’avait pas encore quitté le marche-pied de mon wagon, s’écrie tout à coup : « Ah ! voilà le délégué de la Commune. » Un homme, roulant de gros yeux, arrive comme un coup de vent ; il épilogue mes paperasses de telle sorte que la sueur me montait à la plante des cheveux et me descendait à celle des pieds ; enfin, mon laissez-passer est trouvé régulier. Mes compagnons militaires, grelottant de fièvre, sont forcés de descendre : « Oui, oui, leur crie le délégué, vous allez rejoindre les assassins de Versailles et vous reviendrez nous fiche des coups de fusil. » L’un des militaires me dit douloureusement en descendant : « Voilà trois fois que je suis ainsi renvoyé. »

À Villeneuve-Saint-Georges, autre aventure : je suis visité par les délégués du gouvernement de Versailles. Ils manquent de me faire coffrer, parce que mes papiers sont trop bien en règle au point de vue communard. En tant que ravitailleur, on m’avait donné tout ce qu’il y avait de mieux comme billet de sortie.

À Brunoy, des soldats prussiens, groupés devant la gare, imitent le cri du rat, pour se moquer de nous voyageurs arrivant de Paris, où nous avons mangé du rat ; quelle finesse dans l’esprit6 !

Enfin, je suis arrivé à Moret.

 

Mercredi 3 mai.

 

Enfin me voilà à Moret !

Il est bien urgent que Versailles triomphe ; une certaine sympathie pour la Commune règne dans le pays.

Les villes environnantes, Souppes, Nemours, Montereau sont agitées.

Il en est peut-être ainsi dans beaucoup de pays, en France.

 

6 mai

 

Je reçois des nouvelles de mon quartier ; il était temps de filer. Le lendemain même du jour où je suis parti, un fédéré est venu chercher mon fusil ; j’étais évidemment surveillé.

La nouvelle 5e du nouveau 21e m’avait compris dans ses rangs ; mais, à cause de mon heureux rhumatisme, je ne faisais pas effectivement partie de son effectif ; je ne hurlais point avec les loups, mais je me dispensais de hurler contre eux ; d’autres bons bourgeois, anciens camarades, faisaient comme moi, en usant de stratagème ; S..., professeur à Louis-le-Grand, quoique traqué, réussit à rester dans le quartier et à faire régulièrement sa classe. Plusieurs fois on vint pour l’attraper, mais il se tirait toujours d’affaire et se sauvait par l’escalier de service. Léon G... marchait et montait la garde bien malgré lui, jusqu’au jour où, dans une garde à l’Élysée, il s’évanouit comme une ombre, sans dire bonsoir aux amis ; Pierre G..., le teinturier, à la même époque, s’étendit tout du long dans son lit avec une fluxion de poitrine d’occasion. D’autres camarades dédaignèrent de ruser ; Gr..., qui ne décolérait pas contre Trochu, et qui, par haine contre le gouvernement de la paralysie nationale (style club de l’École de médecine), s’était d’abord mis dans le mouvement, s’en retira bientôt quand il vit dans quel milieu il se trouvait ; au fédéré qui vint pour lui retirer son fusil il dit : « Je garde mon fusil et j’ai tant de cartouches à loger dans le ventre de ceux qui viendront pour me le prendre de force. » On le laissa tranquille.

Lundi 8 mai

 

Muni d’un permis de circuler, que me donne le maire de Moret, je vais à Versailles pour acquitter un solde d’emprunt ; tout Paris s’y trouve. À la poste de la rue des Réservoirs, je rencontre un grand nombre de confrères, de magistrats, d’amis. La ville de Louis XIV renaît à la vie. La place d’armes est pleine de canons. Les militaires revenus de Prusse sont réhabillés à neuf. Les officiers paraissent calmes et sérieux ; ils ont profité de la leçon. M. Lelarge, bourgeois versaillais, chez qui je suis descendu, m’apprend qu’un libraire de ses amis a vendu, en un mois, aux officiers plus de cartes et de livres qu’il ne leur en vendait autrefois en dix ans.

 

9 mai

 

Je vais acquitter mon solde d’emprunt au palais même, dans la galerie des Tombeaux.

Pour retourner de Versailles à Moret, il m’a fallu passer par Melun, Corbeil, Longjumeau, au milieu des Allemands qui occupent encore la rive droite de la Seine.

J’avais le cœur navré de contempler tant d’Allemands ; cependant au sortir de Versailles, j’avais eu une grande joie ; croyant voir au loin des collines couvertes de coquelicots rouges, je m’en étonnai ; « Mais, me dit un voyageur placé à côté de moi dans l’antique guimbarde, ce ne sont pas des coquelicots, ce sont nos pantalons rouges » ; j’eus l’ineffable vision d’une grande armée française revenue à la vie.

10 mai

Je me rappelle avoir fait, ce jour-là, une promenade à Fontainebleau ; j’y rencontrai mon ancien confrère de la R..., substitut dans cette ville. Il me dit en me montrant l’immense palais complètement vide : « Pourquoi ne pas le joncher de paille ? Pourquoi n’y pas admettre les gardes nationaux fédérés ? Combien se sauveraient de Paris, s’ils avaient un gîte au dehors. » J’approuvai chaleureusement cette idée. De nombreux gardes nationaux s’enfuirent ; mais je suis persuadé que les deux tiers des troupes de la Commune auraient fondu en quelques jours, si les fédérés avaient pu compter sur un gîte au-dehors de Paris. Mais sans ce gîte assuré, comment s’enfuir ? pour errer dans le vide, pour mourir de faim ! Jamais l’hospitalité ne fut plus chère que pendant les tristes jours de la Commune. Dans toute la banlieue se trouvant en dehors des opérations militaires, la moindre chambre se louait au prix de l’or. À Fontainebleau, les riches seuls pouvaient se loger ; les hôtels prenaient des prix fantastiques.

Beaucoup de juifs retinrent des chambres dans les maisons particulières et les relouèrent avec un grand bénéfice.

11 mai

Ce jour-là, ainsi qu’il me fut raconté plus tard lors de mon retour à Paris, ma chère église de Saint-Séverin fut admise aux honneurs révolutionnaires ; un club y fut inauguré et la chaire y retentit des mâles accents du friturier Martin.

En l’absence de M. Mauléon, retenu comme otage, le premier vicaire, l’abbé Castelnau, remplissait les fonctions de curé ; on était venu lui demander l’église pour y installer un club ; après avoir refusé, il courut à la mairie et supplia Régère d’empêcher la profanation ; celui-ci lui fit remarquer que la meilleure manière de préserver Saint-Séverin était d’accepter le club ; il lui promit qu’aucun dégât n’y serait commis ; l’abbé fit contre fortune bon cœur. En conséquence, Saint-Séverin donna pendant la journée asile au bon Dieu, et le soir à la sainte Commune7 ; un grand rideau était drapé devant l’autel.

Il se débita de fortes insanités dans l’ex-chaire de Vérité, mais pas toujours sans protestation ; car les matrones du quartier, assises dans le chœur, conspuaient l’orateur ou l’oratrice, qui expectoraient de trop grosses énormités8.

15 mai

Ce jour-là, ainsi qu’il m’a été raconté plus tard, Gaston Régère, qui pendant un certain temps avait suivi le catéchisme à Saint-Étienne-du-Mont, fit sa première communion dans la chapelle des catéchismes. M. Gaultier de Claubry donna la communion à ce fort aimable enfant ainsi qu’à sa mère. Le citoyen Régére père et le frère aîné, en costume de capitaine fédéré du 148e, assistaient debout à la cérémonie intime.

D’après une légende du quartier, plusieurs membres de la Commune, amis de Régère, auraient assisté à cette cérémonie avec leurs insignes : grand ruban rouge à glands d’or, en sautoir, rosette rouge à la boutonnière, côté gauche.

C’est une fable ; aucun membre de la Commune n’accompagnait Régère ; ce dernier, loin de se parer de ses insignes, avait eu soin d’enlever son ruban rouge et de le placer dans son chapeau.

Tout se passa de la façon la plus convenable et Régère donna même une gratification pour l’église ou plutôt, je crois, pour l’habillement des enfants pauvres de la première communion ; quelque temps auparavant on lui avait demandé de vouloir bien, suivant un usage immémorial, permettre au Bureau de bienfaisance de consacrer une certaine somme à l’habillement des enfants ; mais Régère ne voulut point suivre cet usage comme étant contraire au principe de la séparation de l’Église et de l’État, principe adopté par la Commune. Régère n’était pas méchant et, malgré son grand sabre, il ne parvenait pas à le paraître ; mais ses théories révolutionnaires étaient nettes, tranchantes ; un habitant du quartier qui l’a entendu les développer me disait : son programme était celui qui, depuis quelques années, a passé petit à petit dans nos lois.

18 mai

 

Nouvelle promenade à Fontainebleau, pour y chercher des nouvelles ; partout sur la place des groupes pleins d’anxiété. J’apprends la démolition de la colonne Vendôme et l’arrestation de mon camarade de rempart, Beaussire, professeur de philosophie. La Commune s’en prend aux hommes les plus considérables.

M. Beaussire, à la vérité, n’avait pas volé son arrestation. Dans une revue historique publiée dans La Revue des Deux Mondes, il avait audacieusement témoigné son mépris à la Commune. Le Times ayant reproduit une page de cette étude, la Commune fut prise de fureur, car elle tenait beaucoup à la considération de l’Europe. Ces messieurs de l’Hôtel de Ville déclarèrent qu’ils ne pouvaient pas se laisser traiter comme un tas de fripouilles et décrétèrent d’accusation le citoyen Beaussire (Émile Beaussire, La Guerre étrangère et la guerre civile, p. 22). Heureusement pour la philosophie et les lettres, E. Beaussire fut relâché, peu de temps après son arrestation, grâce aux démarches incessantes de sa chère et noble femme.

Après la Commune, M. Beaussire fut nommé député par le département de la Vendée. Il est mort le 8 mai 1889. M. Ducrocq, professeur à la faculté de droit à Paris, a publié dans Le Droit une fort belle étude sur la vie et l’œuvre de ce grand citoyen.

19 mai

 

Ma nièce, Louise D..., me fait savoir que le couvent où elle a été élevée a été envahi et que les religieuses, ses maîtresses, se sont sauvées de tous les côtés ; de plus elle me fait également savoir que son oncle Antoine D... a été condamné à mort comme chef de bataillon d’un bataillon de la garde nationale, réfractaire à la Commune.

M. A. D... n’avait pas été chef de bataillon, mais pendant le siège il en avait, au 20e, rempli les fonctions par intérim, après la mort de M. Cottu. Sa personnalité avait été mise en vue et en sa qualité d’ancien militaire il était désiré par la Commune ; mais il était sourd à ses sollicitations ; je me rappelais que l’évasion de M. D... présentait d’assez curieux détails, et comme ils ne m’étaient pas suffisamment présents à l’esprit je pris le parti de lui écrire.

Voilà ce qu’il m’a répondu ; je transcris la lettre entière, d’abord parce qu’elle indique une des cent manières dont se servirent les Parisiens pour brûler la politesse à la Commune, et ensuite parce qu’elle donne des détails intéressants sur l’histoire du Quartier latin en 1871. Le commencement de la rue Saint-André-des-Arts où demeurait M. A. D..., avec ses tables d’hôte, ses bouis-bouis, est tout au moins une annexe du Quartier latin. « Cher Monsieur,

« Je m’empresse de vous envoyer les renseignements demandés sur ma condamnation à mort de mai 1871.

« Je dois commencer par vous dire que j’ignorais complètement cette condamnation, que bien entendu je ne demande pas à purger, mais il se peut tout de même qu’elle ait été prononcée... par contumace.

« Voici ce qui s’est passé à cette époque déjà lointaine et qui a pu donner lieu alors au dire de Louise.

« Le 14 ou 15 mai 1871, j’étais encore à Paris ; je reçus la visite du receveur de l’enregistrement, nommé par la Commune.

« Ce receveur était l’ancien commis de bureau ; il avait été nommé en remplacement du titulaire, parti en province ; avant d’accepter ce poste, il s’était rendu à Versailles et là on lui avait conseillé de ne pas refuser sa nomination, de manière à pouvoir veiller à la conservation des registres ; en réalité il ne remplissait donc que l’intérim, aussi ne fut-il en aucune façon inquiété lors de la rentrée du gouvernement régulier. La visite de ce jeune homme avait pour but de me prévenir qu’en ma qualité d’officier dans le 20e bataillon, réfractaire à la Commune, je devais être arrêté le lendemain, au saut du lit, ainsi du reste que plusieurs de mes collègues du même bataillon.

« Venant de l’apprendre à la mairie, il était accouru m’en donner avis, et me conseillait de disparaître au plus vite. Je lui répondis : “Il est bien tard pour quitter Paris ; j’obtiendrai très difficilement un sauf-conduit.”

« Après avoir réfléchi, il me dit : “Attendez-moi, d’ici à deux heures, j’aurai ce qu’il vous faut.” En effet, dans l’après-midi, il revint me trouver avec un laissez-passer à son nom, l’autorisant à se rendre à Vincennes, pour affaires de famille. Par ce papier il était donné ordre aux autorités civiles et militaires de la Commune de laisser passer le porteur et de lui prêter, au besoin, aide, protection et main forte.

« Il me remit ce laissez-passer en me recommandant de partir immédiatement et de le lui renvoyer sans retard, afin qu’il pût le rendre le lendemain.

« Muni de ce papier, j’allai prendre le chemin de fer de la Bastille pour Vincennes. Arrivé à la gare un officier des fédérés me cria : “Citoyen, où vas-tu ?” Je lui fis voir mon laissez-passer, portant vers le haut, en lettres d’au moins vingt centimètres de hauteur, les mots COMMUNE DE PARIS.

« Il le prit et me le rendit après l’avoir lu, ou fait semblant de le lire, car il m’a bien semblé qu’il avait tenu le papier à l’envers, mais les gros mots Commune de Paris lui avaient sans doute fait reconnaître d’où il provenait.

« Me croyant un gros bonnet de la Commune, il ôta son képi et avec force salutations me conduisit au train en partance ; il voulait absolument me faire monter en 1re classe, mais je lui dis : “Non, citoyen, les premières sont pour les aristos, moi, je vais avec le peuple et je monte en secondes parce qu’il n’y a pas de troisièmes.” Il parut enchanté de ma réponse et me prit certainement pour un pur. Je dois dire qu’il me fit l’effet d’avoir vidé pas mal de canons en l’honneur du Comité central ; quant à lui, son centre de gravité était bien compromis. Il y a 22 ans de cela et je vois encore mon homme.

« Arrivé à Vincennes je remis le laissez-passer à ma domestique, qui avait pris le train en même temps que moi, mais sans avoir l’air de me connaître ; elle revint à Paris. Quant à moi, me gardant bien de descendre à Vincennes, je continuai ma route jusqu’à Saint-Maur où j’allai demander l’hospitalité à un de mes voisins de Paris, qui l’avait quitté peu de temps après le 18 mars. J’avais bien fait de filer si vite, car le lendemain de mon départ, de très bon matin, des gardes, venus pour m’arrêter, bouleversèrent tout à la maison, et questionnèrent ma bonne pour savoir où j’étais ; ils ne voulaient pas croire à mon départ, m’ayant vu la veille. Enfin ils s’en allèrent en disant : “C’est heureux pour lui, il a été plus malin que nous.” »

Dimanche 21 mai

 

Hier, ainsi qu’il vient de m’être raconté, le quartier Saint-Séverin fut le théâtre d’une touchante manifestation.

Au commencement d’avril, après l’arrestation de l’abbé Moléon, curé de Saint-Séverin, les vieilles femmes de la Sainte Famille étaient allées à l’Hôtel de Ville, avec un drapeau rouge, pour réclamer leur curé ; elles croyaient réussir parce que les dames de la Halle avaient pu ravoir le leur, l’abbé Simon, curé de Saint-Eustache ; mais une vieille femme n’obtient pas ce que Mme Angot, forte en gueule et les poings sur les hanches, arrache par son importunité9 ; l’abbé Moléon resta à Mazas.

Des dames bien posées de la paroisse, fort inquiètes pour sa vie et probablement honteuses de ne pas tenter ce que les vieilles femmes avaient osé solliciter, se décidèrent, hier dans la matinée, à présenter une pétition à l’Hôtel de Ville afin d’obtenir l’élargissement du bon et charitable prêtre ; mais elles ne réussirent pas mieux que les pauvresses10.

 

Même jour, dimanche 21 mai

 

La femme de charge de mon beau-père nous arrive à Moret, épouvantée de ce qui se passe à Paris et surtout de ce qui va s’y passer.

Ce jour du 21 mai fut en effet assez agité dans le quartier des Écoles. Le vent communard soufflait en tempête, surtout contre les ecclésiastiques. L’abbé Castelnau, premier vicaire de Saint-Séverin, fut emmené comme un malfaiteur à la mairie du Panthéon. Dans la foule, qui le suivait, une femme se faisait remarquer par son exaltation et son acharnement contre le prisonnier, et cependant ce dernier avait été, disait-on, bien compatissant envers elle, lors de la mort de son mari.

Régère était heureusement à la mairie ; l’abbé fut immédiatement relâché en vertu d’un ordre conçu à peu près en ces termes : « Nous, membre de la Commune, délégué à la mairie du 5e arrondissement, en vertu des pleins pouvoirs qui nous sont confiés, ordonnons la mise en liberté immédiate du citoyen Castelnau, au nom de la liberté de conscience. »

Mardi 23 mai

 

On se bat à Paris ; quand je mets l’oreille près de la terre, il me semble percevoir des bruits de canon ; quelle anxiété ! Sur tous les fronts se lit une grande inquiétude ; quand finira donc cette lutte horrible !

J’entendais ou croyais entendre le canon de Paris ; mais ce que j’entendais trop bien hélas ! c’étaient vers le soir les lugubres modulations de la trompette allemande. Les Allemands étaient en effet campés sur la rive droite de la Seine, à l’endroit où le Loing s’y jette.

Mercredi 24 mai

 

J’ai quarante ans aujourd’hui ; quand j’étais dans le guêpier parisien, j’ai désiré mes quarante ans, comme on désire ses vingt ans.

Si j’ai tant désiré mes quarante ans, c’est que le général Cluseret, délégué à la guerre, avait à la date du 7 avril 1871 déclaré obligatoire le service dans les compagnies de guerre, pour tous les gardes nationaux de dix-neuf à quarante ans mariés ou non.

Les fastes révolutionnaires n’avaient jamais, je crois, enregistré pareille atteinte à la liberté humaine ; sur les barricades de 1848, aucun citoyen n’avait été forcé de combattre. La conviction seule mit les armes à la main des émeutiers, dont la raison était égarée, mais le cœur loyal.

Même jour, 24 mai

 

Des personnes revenant de Villeneuve-Saint-Georges nous disent : « On y voit tout Paris en feu » ; les Allemands, assis sur les hauteurs, dominant le bourg, comme sur les gradins d’un théâtre antique, contemplent avec joie cet horrible spectacle.

Ces affreuses nouvelles nous serrent le cœur, à nous tous Parisiens réfugiés à Moret ; nous sommes anéantis de douleur, en songeant non pas à nos intérêts compromis, mais à la perte de la grande cité.

Ah ! certes ! je pouvais bien avoir le cœur serré le 24 mai 1871, car en ce jour, ainsi qu’il me fut raconté lors de mon retour à Paris11, mon pauvre quartier vit entre l’armée de l’ordre et celle du désordre les combats les plus horribles.

Le Panthéon était plein de poudre ; il fallait à tout prix s’en emparer avant que le feu n’y fût mis, pour éviter ainsi la plus épouvantable des catastrophes.

Mais quelle difficulté pour le conquérir ! À toutes les rues y aboutissant, s’élèvent de formidables obstacles !

Rien cependant n’arrête nos soldats ; sous un ciel tantôt sinistrement obscurci par des nuages de suie et de fumée, montant de la vallée en flammes, tantôt rapidement rougi par les éclairs d’un ouragan de mitraille, ils se précipitent, les vaillants, à l’assaut des barricades. Tout à coup, un globe immense de feu s’élève avec la rapidité de l’éclair, trois fois plus haut que le dôme de l’église patronale, une effroyable détonation suit immédiatement l’éclair ; la terre tremble sous le pas des assaillants ; il semble que le Génie sinistre de la Commune leur défend de toucher aux terribles avancées de la citadelle du Panthéon ; c’est la poudrière creusée dans le sol de l’ancienne pépinière du Luxembourg qui vient d’éclater12. Face à face, les combattants, frères ennemis, s’immobilisent épouvantés13. La bataille est en ce moment suspendue pour reprendre, un instant après, plus acharnée, plus effroyable. Ici c’est X..., ancien camarade du 21e, qui tombe sur la barricade de la rue Serpente, frappé par une balle plus humaine que la lente phtisie qui ne l’aurait pas épargné ; là, tout droit sur une barricade de la rue des Écoles, où on l’a contraint de monter, un ancien sous-officier également du 21e, meurt le drapeau rouge à la main.

Les intrépides démons succombent en grand nombre ; un amoncellement de corps morts s’accote au théâtre de Cluny. Tous les défenseurs de la barricade rue Cujas, au coin du boulevard Saint-Michel, tous sans exception la couvrent de leurs cadavres. Enfin les abords du Panthéon sont enlevés non sans de grandes pertes pour l’armée régulière14. Mais avant de s’engager sur la place, les chefs y font tomber une pluie torrentielle de balles ; celles-ci, tressautant sur les pavés, vont tomber et s’amasser dans leurs interstices, si bien que les grès, au soleil brillant du printemps, paraissent encastrés par des lamelles scintillantes de plomb, comme les losanges d’un vitrail d’église.

L’armée des rebelles commence à s’ébranler pour la fuite ; à ce moment les chasseurs à pied, les lignards arrivent de tous les côtés à la fois sur le sommet de la montagne sacrée, en haut par les rues d’Ulm et Clovis, en bas par les rues Cujas, Soufflot et Malebranche ; le Panthéon est en leur pouvoir ; un pied de soldat écrase précipitamment la longue mèche qui, sortant du chevet de la basilique et brûlant lentement mais sûrement, devait bientôt enflammer les poudres ; au même moment un officier coupe au plus vite un fil métallique qui sortait d’une fenêtre et se reliait à l’appareil électrique de la mairie15.

Tout danger d’explosion disparaît ; en même temps les fédérés s’échappent pour aller rageusement combattre à la Butte-aux-cailles ; d’autres ne fuient pas assez vite, ils sont atteints par les balles ; et de près et de loin ils tombent, les infortunés, autour de la basilique de Sainte-Geneviève, qu’ils entourent d’une sanglante ceinture de cadavres ; leurs corps s’échelonnent sur ce chemin qu’ils ont parcouru deux mois auparavant, leur grand drapeau rouge en tête ; ils sont étendus inertes sur cette place que le 31 mars ils ont remplie de leurs cris joyeux et gouailleurs, quand la grande croix du dôme résistait aux coups de hache.

De tous ces corps foudroyés s’élève une âcre odeur de sang16.

Vieux Quartier latin, ordinaire séjour des jeux et des ris, par quelles épreuves terribles n’as-tu point passé ; il faudra bien des générations de tes gais étudiants pour les faire oublier.

Ma chère maison de la rue de la Sorbonne ne put échapper aux scènes d’épouvantement. Marie, ma cuisinière, était le matin descendue dans le vestibule. On se battait déjà partout dans le quartier ; elle était là curieuse, mais tremblante, quand sous ses jupons se précipite un jeune combattant de quatorze à quinze ans, poursuivi par la troupe. Il venait de tirer sur un capitaine, qui, cependant, lui avait sauvé la vie en l’arrachant aux mains de ses soldats, après la prise de la barricade de la rue Saint-Jacques, coin de la rue des Écoles.

Affolée, Marie secoue ses jupes pour faire sortir le gamin ; le garçonnet saisi est entraîné et fusillé devant la porte du musée de Cluny !

« C’était affreux cette mort d’enfant, a dit un témoin, et cependant il avait mérité son sort17. »

Le soir du 24 mai vit la délivrance complète du quartier. Combien ineffables furent les premières heures de cette délivrance ; l’horrible angoisse qui avait étreint tous les cœurs en cette fatale journée du 24 mai était donc disparue ; la joie de la libération ne fut nulle part plus grande, parce que nulle part la perplexité n’avait été plus poignante.

Une heure avant que l’armée ne se fût emparée du Panthéon, un fédéré fut envoyé (je ne sais par qui, peut-être par Régère) dans toutes les maisons environnantes pour prévenir qu’une heure après l’énorme monument sauterait, entraînant tout dans sa ruine : « fuyez, fuyez au plus vite », disait le messager. Vieux pères, mères, enfants abandonnaient leurs demeures et fuyaient affolés, escaladant tous les amoncellements de matériaux et de grès et ne s’arrêtant que bien loin, bien loin au milieu de la campagne.

Cependant rue Clovis, une mère répondit au messager : « Fuir ! où fuir ? la mitraille pleut de tous côtés ; fuir, c’est encore le plus sûr moyen de courir à la mort » ; puis attirant dans ses bras ses deux jeunes garçons, elle leur dit : « Tout au moins nous mourrons ensemble ; à la grâce de Dieu, que sainte Geneviève nous protège en protégeant sa sainte montagne. »

Aussi quelles actions de grâce s’élevèrent du cœur de cette mère quand, avant l’heure écoulée, à travers la gaze de ses rideaux, sur le vert talus du vieux mur de Philippe-Auguste, elle vit le pantalon rouge d’un soldat de Versailles ou plutôt de France.

Elle ne fut pas seule à le voir, un cri s’éleva de la maison, un cri s’éleva de la rue : « Voilà les pantalons rouges. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant toute la nuit du 24 au 25 mai, le Palais de Justice brûla ; les flammes qui le dévoraient illuminaient la Seine et la changeaient pour ainsi dire en un fleuve de feu ; sur le boulevard Saint-Michel, éclairé par l’incendie, se tenait une foule anxieuse, les yeux fixés sur la Sainte-Chapelle qu’à chaque instant elle croyait voir s’abîmer dans la fournaise ; heureusement ce n’était qu’illusion des yeux et la Sainte-Chapelle sortit victorieuse de l’épreuve.

Jeudi 25 mai

Cette journée du 25 mai fut bien émouvante et bien funèbre. Dans le jardin du Luxembourg s’exécutaient les terribles sentences d’une cour martiale siégeant au Palais même18. Toute la matinée de ce jour 25 mai, par les fenêtres sans carreaux de la maison de mon beau-père, arrivaient les crépitements des fusillades. Blottie dans sa cuisine, la pauvre cuisinière Marguerite, seule avec son enfant, tremblait d’effroi à chaque détonation, et dans sa terreur ne pouvait prendre aucune nourriture.

Le bruit de la fusillade était perçu par elle dans toute son horreur, car les condamnés étaient passés par les armes non loin de là, au pied du mur des terrasses enveloppant le grand bassin. Marguerite n’entendit que pendant la matinée du 25, mais les exécutions continuèrent, moins nombreuses peut-être, pendant toute la journée et même pendant la nuit19.

Ce n’est pas seulement la punition légitime, mais inexorable, des révoltés qui fit de cette journée du 25 mai une journée funèbre dans le quartier des Écoles ; ce fut encore le lugubre enlèvement des morts étendus depuis deux jours sans sépulture. La foule se pressait autour de Raoul Rigault, fusillé rue Gay-Lussac et couché près d’un mur au coin de la rue Royer-Collard, vis-à-vis de ce boulevard Saint-Michel qu’il avait rempli de sa personnalité encombrante, ahuri de ses théories extra-révolutionnaires et égayé parfois de ses quolibets ou de ses plaisanteries bizarres.

Non loin de chaque barricade, sur le trottoir des rues, étaient rangés de pauvres tués avec leur carte d’identité sur le ventre ou sur le dos, presque tous sans souliers, car les soldats mal chaussés leur avaient enlevé leurs chaussures, chétives dépouilles opimes20.

Or donc, de grands fourgons jonchés de paille arrivent ; les soldats tombés dans la lutte y sont tout d’abord placés ; d’autres voitures suivent les premières, voitures de toutes formes, de toutes provenances ; viennent aussi des tombereaux qui descendent lentement le boulevard Saint-Michel.

Ils s’arrêtent à chaque barricade ; près de chacune d’elles, en effet, la triste moisson est copieuse.

Seule, la grande barricade, qui obstruait le boulevard à la hauteur de la rue Saint-Séverin, était presque sans cadavres ; ses défenseurs ne s’étaient pourtant point enfuis ; tous au contraire ils avaient glissé sanglants dans l’énorme fossé pratiqué à la base. Mais la piété compatissante d’une bonne et sainte femme les en avait fait retirer ; ils étaient tous les pensionnaires d’un humble hôtel, qu’elle possédait rue Zacharie. Obligés pour vivre de faire partie d’un bataillon de fédérés, ces ouvriers sans ouvrage allaient chaque jour à la caserne chercher leur trente sous. Le 24 mai elle leur dit : « Mes enfants, je vous en supplie, ne sortez pas, il vous arrivera malheur ; j’ai tant vu de révolutions ; oh ! je m’y connais ; aujourd’hui Versailles va prendre le quartier. » Mais eux : « Il nous faut bien manger ; nous allons chercher notre solde ; puis ensuite à la barricade ; hélas ! qu’y faire21. » Les voyant partis elle dit à sa bru : « J’ai un pressentiment, je n’en reverrai pas un. »

Au bout d’un certain temps la bru traverse rapidement le boulevard Saint-Michel, morne et silencieux et frappe aux volets fermés d’une boutique de boulanger. Par la porte timidement entr’ouverte, un pain est passé et pris par elle.

À son retour elle marche le long de la barricade au pied de laquelle était ménagé le grand fossé ; y apercevant les pensionnaires de l’hôtel, elle dit à l’un d’eux : « Je vous en supplie, revenez donc rue Zacharie ! » « C’est impossible », répond-il ; puis, fixant tristement ses yeux sur elle, il ajoute : « Vers le soir, je serai dans ce fossé étendu sans vie. »

Bientôt la troupe arrive ; la barricade, soutenue par le feu de la batterie du Pont Saint-Michel, résiste énergiquement.

Mais enfin les soldats triomphent.

Le boulevard est délivré ; la population sort de ses maisons ; la vieille accourt du côté de la barricade ; tous ses pensionnaires gisent dans le fossé et au-dessus de tous celui qui, le matin, avait si tristement prédit son sort.

Elle les fit prendre les uns après les autres et les mit reposer sur leurs couchettes de fer, avec des cierges bénits tout autour !

Voilà pourquoi le tombereau, en passant, ne les trouva plus dans le fossé. Le charretier prévenu alla les chercher dans la misérable ruelle. La vieille dit aux croque-morts : « Je vous en prie, serrez-les bien les uns contre les autres, afin qu’ils soient emportés et enterrés tous en même temps, ils étaient amis. » Et ils dorment en paix les malheureux garçons, à côté les uns des autres dans la fosse commune, pauvres victimes de fous, d’idéologues, qu’ils ont suivis, parce qu’ils avaient faim.

Vendredi 26 mai

 

Me voici encore à Fontainebleau où circulent les plus épouvantables rumeurs. La colonie parisienne se masse sur la place, le long de l’église, effarée, atterrée.

J’y apprends le massacre de l’archevêque, de l’abbé Deguerry, du directeur de l’école d’Arcueil, le père Captier.

Tout brûle à Paris ; il n’est pourtant pas coupable comme Sodome ! Les pompiers de Fontainebleau sont partis au secours de la malheureuse cité22.

 

Samedi 27 mai

 

Je retourne encore à Fontainebleau, tout le monde est terrifié des désastres de la capitale ; mais on est plus sûr maintenant du triomphe de Versailles.

Amélie me fait remarquer que le 24 mai, fête de Notre-Dame-Auxiliatrice23, l’armée régulière s’est emparée véritablement de Paris, en enlevant Montmartre, le Panthéon, l’Hôtel de Ville et le Louvre.

Ce samedi 27 mai, malgré le dévouement des pompiers, accourus de tous les points de la France, Paris continuait à brûler. Sans une intervention providentielle, il eût brûlé bien longtemps encore et enfin aurait pu s’accomplir le vœu impie de mauvais Français disant : « Qu’il brûle cet horrible Paris ; que ses fondations soient dispersées ; qu’à la façon antique, du sel, symbole de stérilité, soit semé sur la place où il aura vécu. » Mais Dieu, regardant en pitié la ville infortunée, n’y aperçut pas seulement dix justes, mais dix mille, dix fois dix mille et beaucoup plus encore ; il ouvrit les cataractes des cieux ; la pluie tomba alors puissante, énergiquement continue et abattit les vents. Les flammes disparurent de beaucoup de brasiers ardents ; sur d’autres elles s’élevèrent comme des suppliantes, droites vers le ciel, sans propager l’incendie. Le fléau disparut lentement, peu à peu.

Lundi 29 mai

 

On respire ; Mac-Mahon a définitivement vaincu l’émeute le 28 mai, jour de la Pentecôte, alors que dans toutes les églises de France des prières étaient dites pour implorer de Dieu la fin de la terrible épreuve.


1.  Voir plus haut mes réflexions sur la note du 2 avril 1871.

2 Cette note et les suivantes ont été écrites à Moret après ma fuite de Paris.

3 Dans ses Souvenirs d’un otage, Ferdinand Évrard raconte ainsi son arrivée à la préfecture de police : « Enfin, nous voilà à la place Dauphine, qui est hérissée de canons ; nous entrons à la préfecture, encombrée de gardes nationaux à mines de forçats, couverts d’oripeaux de toute nature, fumant et buvant à discrétion. »

4 C’était bien imprudent d’aller demander des permis de sortie à la Préfecture ; beaucoup de personnes n’obtenaient que des laissez-passer pour Mazas, notamment M. Richardet, rédacteur au National, le séminariste Seigneuret, mis à mort à la Roquette, et combien d’autres !

5 J’ai écrit ces lignes à Moret, mais en face du citoyen commissaire je ne faisais pas tant le malin. J’avais très sérieusement, et sans chercher à rire, fait mettre sur la lettre le prix des carottes, parce que Paris en manquait complètement. À ce propos, Rochefort venait de faire, dans Le Mot d’ordre, une sortie contre la Commune qui, selon lui, ne s’occupait pas assez de la question des subsistances : « Les carottes il y a quelques jours valaient 18 sous la botte, elles valent maintenant 36 sous », s’écriait-il sévèrement !!

6 Les soldats allemands avaient été vraiment ahuris de la façon dont les Parisiens s’étaient nourris pendant le siège. Leurs chants de guerre de 1870-1871 parlent souvent des rats auxquels, bien malgré nous, nous faisions les honneurs de notre estomac. À propos de mon passage à Corbie après l’armistice, j’ai déjà parlé de la chanson du Coq gaulois traduite en bouts rimés par V. Charlot ; l’un des couplets est relatif aux rats :

 

Kokoriko, kokoriki,

Eh bien, Paris,

Qu’est-ce que t’en dis !

Rats et souris

C’est pas fortifiant

Pour tes danseurs de cancans.

 

Dans son gracieux opuscule : La Musique pendant le siège de Paris (Lachaud, éditeur), feu Albert de Lasalle nous fait connaître ce couplet d’une autre chanson, composée lors du rejet d’armistice d’octobre 1870 :

 

Las enfin de leur sacrifice,

Ils demandent un armistice ;

Mais comme nos conditions

Ne flattaient pas leurs prétentions,

À leurs festins ils retournèrent,

De chats, de rats se régalèrent.

7 À ce moment, un caricaturiste facétieux, par mesure de conciliation, proposa aux curés laïcisés de dire à leurs paroissiens : citoyens, et aux orateurs communards d’appeler leurs auditeurs : mes frères.

8 L’état d’âme de ces femmes était vraiment curieux. Ludovic Halévy, dans ses Notes de 1871, raconte l’indignation de l’une d’entre elles, qui, allant au club et ne trouvant pas d’eau bénite dans le bénitier à l’entrée de l’église, s’écria courroucée : « Pas d’eau bénite ! c’est donc une barraque que c’ t’église-là ! »

Il fallait payer cinq centimes pour entrer au club, ce qui excitait la rage de certains citoyens : « Mais c’est toujours la même chose, disaient-ils, c’est toujours comme du temps des curés. »

9 L’abbé Vidieu, dans son Histoire de la Commune, page 204, rapporte une aimable réponse faite à Raoul Rigault qui avait eu l’imprudence de dire à la députation des Halles : « Et si je vous refusais votre calotin ?

« — Alors on te viderait à la première occasion sur une dalle du marché aux poissons, comme un joli merlan que tu es. »

10 Dans ses Tablettes d’une femme pendant la Commune, Mme Blanchecotte, femme de lettres fort distinguée, rappelle pages 209 et suivantes, qu’après l’insuccès de cette manifestation, elle fut sollicitée de demander la liberté de l’abbé Moléon à un membre de la Commune, Arthur Arnould, qui, un mois avant, lui avait fait avoir celle de l’aumônier de la Clinique. Quoique malade, elle voulut bien y consentir. Il y a des pages très curieuses, très belles sur ses démarches, d’abord auprès d’Arnould, trop modéré pour être encore puissant le 20 mai, presqu’à la fin du drame, puis auprès du Comité de salut public, qui menace de la faire coffrer et aussi auprès de Delescluze, qui promet sa protection pour la sécurité de l’abbé, protection bien illusoire, puisque quelques jours après il tombait sur une barricade

11 Ce récit de la semaine de mai dans le Quartier latin n’est pas mon œuvre personnelle, mais plutôt celle de tous mes amis, habitant ce quartier ; j’ai traduit aussi fidèlement que possible leurs sentiments d’admiration pour les soldats libérateurs et de compassion pour tant de malheureux entraînés, moins par la conviction que par la cruelle nécessité.

12 Récit du père Hello, aumônier du patronage de Nazareth, qui a bien voulu me raconter ses impressions pendant la dernière semaine de la Commune et me communiquer Le Moniteur des jeunes ouvriers, feuille hebdomadaire, aujourd’hui introuvable, dans laquelle il a publié le Journal d’un aumônier de patronage.

13 Ce curieux détail ne m’a pas été donné, comme presque tous les autres, par un habitant de mon quartier ; je l’ai trouvé dans Lissagaray (Les Huit journées de mai derrière les barricades).

14 La prise de la barricade de la rue Cujas coûta beaucoup de monde. Il en fut de même de celle qui reliait le boulevard Saint-Michel à la rue des Écoles, car un fédéré caché derrière le kiosque du boulevard, en face le numéro 21, tua un grand nombre de militaires à mesure qu’ils débouchaient des rues Racine et de l’École de médecine.

C’est peut-être ce fédéré qui, alors qu’ils se tenaient audacieux sur la chaussée du boulevard, blessa grièvement et le colonel Biadelli, du 138e de marche, et le général Paturel ; ce dernier souffrait encore de la blessure par lui reçue le 18 mars, sur la butte Montmartre, non loin de l’endroit où les deux généraux étaient assassinés.

15 Vers quatre heures, au moment où on venait de le couper, un morceau de ce fil électrique fut donné au docteur Coffin, qui avait une grande ambulance au no 3 de la rue Soufflot ; je rappelle ce détail, parce que l’existence de ce fil a été contestée.

16 Extrait de la lettre d’un officier envoyée au journal Le Soir et reproduite par Ernest Daudet dans son livre L’Agonie de la Commune : « Vous ne pouvez vous figurer l’élan de nos troupes et aussi leur colère. Ces incendies, ces destructions insensées, dont chaque rue porte les traces, les ont rendues féroces ; aussi quel affreux carnage ! la place du Panthéon est jonchée de morts et les portes des maisons en sont encombrées. »

La porte la plus encombrée était celle du no 3, rue Soufflot ; elle regorgeait de ces morts depuis le sol jusqu’à la voûte de l’énorme allée qui reliait la porte sur la rue à celle sur le jardin ; ils y étaient étagés en rangs pressés comme en un vaste columbarium ; seul un passage était ménagé de la porte de la rue à celle de l’escalier. Quand les soldats arrivèrent devant ce troisième numéro de la rue Soufflot, cet amoncellement funèbre existait déjà. Là, avaient été réunis les combattants décédés dans l’ambulance du bon docteur Coffin ou ceux qu’il n’avait pu recevoir parce que la mort avait déjà accompli son œuvre.

De midi à trois heures et demie environ, ils avaient lutté bravement et montré qu’ils étaient dignes de mourir pour une meilleure cause. Contrairement à ce qui a été écrit partout, le sanctuaire de l’église Sainte-Geneviève ne fut pas souillé de sang ; les marches seules furent le lendemain rougies par celui de Millière, passé par les armes.

17 Dans le quartier des Écoles les enfants prirent une grande part à la lutte. Mme Blanchecotte a écrit sur ses Tablettes que la barricade de la rue Cujas avait été élevée en grande partie par les enfants. En la construisant ils chantaient La Marseillaise.

À la page 416 de son livre : La Troisième Défaite du prolétariat français, Malon, ancien membre de la Commune, dit que la forteresse formée par les barricades de la rue Gay-Lussac et des deux tronçons de la rue Royer-Collard était audacieusement défendue par une multitude de femmes et d’enfants.

Le malheureux gamin dont j’ai raconté la mort avait été endoctriné par son père, un forcené émeutier, habitant près de Saint-Étienne-du-Mont ; après la bataille, une multitude de gamins s’échappèrent de leurs demeures où ils avaient été longtemps enfermés et vinrent visiter en curieux le champ désolé de la guerre civile ; ils virent le cadavre ; « c’est un tel », disaient-ils en se retirant consternés.

18 Si j’en crois un témoin oculaire, sérieux et réfléchi, dans cette cour martiale se trouvaient deux colonels de gendarmerie, qui paraissaient très tourmentés de leur responsabilité morale. L’un des deux, craignant s’être trompé à l’égard d’un condamné, quitta, effaré, la salle d’audience, où le public était admis, et se précipita dans le jardin en criant d’une voix altérée au peloton d’exécution : « Arrêtez, arrêtez », le condamné fut ramené et probablement acquitté.

M. l’abbé Riche, vicaire à Saint-Sulpice, l’abbé Hello, dont j’ai parlé plus haut, et deux autres prêtres assistaient les condamnés jusqu’au lieu de l’exécution. Beaucoup d’infortunés acceptèrent leurs consolations avec la plus grande reconnaissance ; mais d’autres refusèrent opiniâtrement d’embrasser le crucifix ou de dire la plus petite prière.

Dans sa Semaine de mai, C. Pelletan reproche au prêtre, qu’il appelle l’aumônier des fusillés, d’avoir fait son métier en traînant un pan de sa soutane dans le sang du massacre. Il a écrit ces lignes cruelles parce qu’il ne le connaissait pas, ou plutôt ne les connaissait pas, ces aumôniers des fusillés ; l’abbé Hello avait déjà consacré sa vie à la jeunesse ouvrière et il a continué depuis ; l’abbé Riche, homme d’une infinie bonté, très impressionnable, a plus que tout autre été ému de sa terrible mission ; sa santé en fut grandement ébranlée.

19 Les exécutions de nuit étaient éclairées d’un côté par la lune à son premier quartier, de l’autre par l’incendie ; elles étaient accompagnées du bruit des combats dans le lointain et du long mugissement des grands monuments qui s’écroulaient. C’était un horrible spectacle... (Journal d’un aumônier de patronage, par l’abbé L. O..., publié dans Le Moniteur des jeunes ouvriers, pièce aujourd’hui complètement introuvable.)

20 Souvent aussi au milieu du silence effrayant, qui suivait la prise des barricades, les fédérés, traqués et pourchassés, enlevaient leurs souliers afin de ne pas se trahir par le bruit de leurs pas.

21 Dans une brochure intitulée : Un chapitre de l’histoire de la Commune au quartier Saint-Marcel, M. de Bonneuil, président d’une conférence de Saint-Vincent-de-Paul dans ce quartier, a écrit ceci : « ... voilà du reste ce qu’était une grande partie des troupes de la Commune, de pauvres gens et de bons pères de famille, qui se battaient moitié par force, moitié par entraînement, et surtout pour gagner de quoi vivre ».

22 Dans ses Notes journalières sur l’état de Paris pendant la Commune, Barral de Montaut a écrit ceci : « Les pompiers de Fontainebleau ont contribué à préserver les galeries du Palais-Royal ; à Fontainebleau une somme importante a été réunie, parmi les réfugiés, pour la création d’une caisse de secours en faveur des pompiers de cette ville. »

23 Cette fête fut instituée pour perpétuer le souvenir de la fameuse bataille de Lépante qui arrêta les envahissements des Turcs et sauva l’Europe de leur domination. La domination de la Commune victorieuse n’eût pas mieux valu.