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L’Europe

Les Templiers en Occident

À l’époque de leur chute, en 1307, les Templiers avaient bâti un réseau d’au moins 870 châteaux et commanderies dans presque tous les pays d’Europe de confession catholique romaine. Mais leurs principales propriétés se trouvaient en très grande majorité en France, et, à une moindre échelle, dans la péninsule Ibérique (Espagne et Portugal) et en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, la situation est inversée, puisque les édifices ayant survécu se trouvent en Grande-Bretagne, en Espagne et au Portugal. En raison de la destruction de l’ordre du Temple par Philippe le Bel, il ne reste pratiquement plus rien dans l’Hexagone.

Il est néanmoins toujours possible de suivre le théâtre des événements en France. Il suffit de flâner dans le quartier du Temple à Paris, où les chefs templiers furent arrêtés à l’aube, et de se rendre le long de la Seine, là où le dernier maître, Jacques de Molay, fut attaché au bûcher et périt brûlé. Votre imagination se mettra alors en marche et vous permettra de faire revivre les moments décisifs de l’Ordre. En Espagne et au Portugal, pays libérés de l’occupation musulmane grâce au concours des Templiers, l’Ordre fut protégé et continua d’exister sous d’autres formes. C’est pour cette raison que plusieurs châteaux des Templiers et églises magnifiques ont survécu et sont restés plus ou moins intacts. La Grande-Bretagne regorge de sites à visiter car les Templiers y furent traités avec plus de délicatesse et leurs propriétés revinrent aux familles de la noblesse qui les avaient cédées à l’Ordre.

France

Aucun pays occidental n’est peut-être plus associé aux Templiers que la France. Leur ascension et leur chute spectaculaires se sont déroulées dans des endroits tels que Troyes, Paris et Chinon. Mais l’attaque lancée par la couronne française contre l’ordre du Temple était si vicieuse et totale que très peu de pièces restent visibles. Les fantômes des Templiers errent cependant encore dans certains quartiers de Paris et vous pouvez marcher sur leurs traces.

Paris : le quartier et la Maison du Temple

Le quartier du Temple de Paris se trouvait dans le quartier du Marais actuel, lequel est situé sur la rive droite, à l’ouest de la Bastille. Le Marais est l’un des quartiers de Paris qui évoque le plus le passé. Il a été très peu remanié par le baron Haussmann, urbaniste du xixe siècle dont l’amour des lignes droites et des espaces ouverts le conduisit à démolir des pans entiers de la vieille ville. Il créa ensuite de longs boulevards bien larges bordés par des immeubles de 6 à 7 étages aux façades grises uniformes et aux toits mansardés qui sont la marque architecturale du Paris d’aujourd’hui. Le Marais est plutôt un labyrinthe de ravissantes ruelles qui préservent les magnifiques hôtels particuliers de la Renaissance construits autour de cours intimes. On y trouve également des rues des xviie et xviiie siècles plus humbles, mais non moins séduisantes, avec des façades en stuc et des persiennes. Cependant, cette zone n’était qu’un marais le long du fleuve jusqu’à ce que les chevaliers templiers assèchent les terres dans les années 1140 et construisent leur quartier général dans la partie nord, située à l’époque en dehors des murs de la ville, dans ce que l’on appelle aujourd’hui le quartier du Temple.

Il ne reste rien du quartier du Temple de Paris, à l’exception du nom proprement dit. Mais les rues du Temple, de Bretagne, de Picardie et Béranger délimitent plus ou moins l’espace occupé par le quartier général français des Templiers, qui était une imposante enceinte fortifiée avec des murailles et des tours auxquelles a été ajouté, à la fin du xiiie siècle, un solide donjon presque deux fois plus haut que la Tour Blanche de la Tour de Londres. À Paris, le donjon des Templiers était la principale chambre forte de la banque de l’ordre du Temple, laquelle constituait la trésorerie des rois de France.

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Le quartier du Temple de Paris a survécu plusieurs siècles après la disparition de l’Ordre, comme le prouve ce plan de 1734. Pendant la Révolution française, Louis XVI et Marie-Antoinette furent emprisonnés dans le donjon des Templiers.

Le lien étroit entre la couronne française et l’ordre du Temple explique probablement pourquoi les représentants du roi Philippe le Bel furent capables de pénétrer dans le Temple à l’aube du vendredi 13 octobre 1307. Ils menèrent une action soudaine et l’effet de surprise fut tel que les occupants ne résistèrent pas. Le donjon, qui avait été la forteresse des Templiers, devint immédiatement leur prison. C’est là que les 2 000 Templiers arrêtés simultanément dans toute la France furent acheminés pour y être incarcérés, interrogés et torturés.

Après l’abolition de l’Ordre, la Maison du Temple de Paris devint la demeure d’artisans et débiteurs désireux d’éviter les règlements officiels en résidant en dehors de la ville. Mais la construction d’une nouvelle muraille engloba la Maison du Temple à l’intérieur de cette ville en plein essor, pour quatre siècles et demi supplémentaires. Pendant la Révolution française, le roi Louis XVI fut emprisonné dans le donjon des Templiers et c’est de cette prison qu’en janvier 1793 il fut amené sur l’échafaud, installé sur ce qui est désormais la place de la Concorde. En 1808, le donjon fut démoli par un Napoléon souhaitant ardemment éliminer tout ce qui pouvait être source de compassion pour la famille royale.

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Illustration de la fin du xive siècle montrant Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay sur le bûcher installé sur l’Île des Javiaux, sur la Seine.

L’Île des Javiaux, où furent brûlés les derniers Templiers

Dans la soirée du 18 mars 1314, Jacques de Molay, maître de l’ordre du Temple, et Geoffroy de Charnay, maître de Normandie, périrent sur le bûcher installé sur l’Île des Javiaux, sur la Seine. Alors qu’on l’attachait au bûcher, Jacques de Molay aurait demandé à pouvoir faire face à la cathédrale Notre-Dame. On peut se représenter la scène, mais le fleuve a changé depuis l’époque. Les cartes de Paris datant du Moyen Âge indiquent quatre îles sur la Seine. La plus à l’ouest est l’île de la Cité avec la cathédrale Notre-Dame. Les deux suivantes à l’est n’étaient pas habitées. Depuis, elles se sont rejointes pour former l’île Saint-Louis. La plus à l’est des quatre, également non habitée à l’époque, est l’île des Javiaux. Aujourd’hui, cette île n’existe plus car cette zone est rattachée à la rive nord de la Seine. Ce qui était autrefois le canal du fleuve allant vers le nord est aujourd’hui le boulevard Morland. Le long du quai Henri IV, dont le tracé représente la partie sud de l’île des Javiaux de l’époque, se trouve une plaque disant ceci : « À cet endroit Jacques de Molay dernier grand maître de l’ordre du Temple, a été brûlé le 18 mars 1314. » La cathédrale Notre-Dame fait toujours partie de la vue.

 

Espagne

En Espagne, comme nous l’avons vu plus haut, l’ordre des Templiers était protégé par le roi Jacques II d’Aragon et devint l’ordre de Montesa, gardant ainsi la majeure partie de ses anciennes propriétés et jouant le rôle de défenseur de la frontière contre les royaumes musulmans d’Andalousie encore en place.

Il demeure donc en Espagne un grand nombre de sites des Templiers bien préservés, dont les châteaux de Peñiscola, près de Valence, et de Miravet, en Catalogne. C’est cependant l’église des Templiers de Ségovie et leur château de Ponferrada qui illustrent peut-être le mieux la présence et l’architecture de l’Ordre sur le sol espagnol.

Ségovie : l’église de Vera Cruz

Ségovie, à environ 80 kilomètres au nord de Madrid, est une petite ville médiévale construite sur une crête rocheuse. La ville est célèbre pour son aqueduc romain, sa cathédrale de la fin de la période gothique et l’Alcazar, palais fortifié des rois espagnols qui fut bâti sur les vestiges d’une ancienne forteresse arabe. La plus belle église ancienne de Ségovie est l’église Vera Cruz (église de la Vraie Croix). Dans le style de la rotonde de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem, elle a été construite par les Templiers au début du xiiie siècle et demeure impressionnante malgré les modifications, et notamment l’ajout d’une tour, après la construction initiale. L’extérieur de l’église présente douze côtés, mais la nef est circulaire et son centre est constitué d’une chambre de deux étages renfermant une chapelle au dernier étage. Dans cette chapelle se trouve une partie de la Vraie Croix (laquelle est désormais placée dans l’église du village voisin de Zamarramala).

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L’église ronde templière de la Vraie Croix, située dans la périphérie de Ségovie.

Ponferrada : le château des Templiers

Au xiie siècle, les souverains chrétiens des différents royaumes espagnols firent des dons extrêmement généreux aux ordres militaires. Les Templiers et les Hospitaliers reçurent ainsi des domaines dans le nord et des châteaux dans le centre de l’Espagne, l’intention étant de défendre les routes par l’intermédiaire desquelles les armées musulmanes pouvaient déferler. L’un de ces royaumes était León, divisé par la suite en deux, une partie revenant à la Castille et l’autre au Portugal. Dans le cadre de cette politique d’octroi de terres aux ordres militaires, Ferdinand II de León offrit Ponferrada aux Templiers afin qu’ils puissent protéger la route des pèlerinages empruntant le nord de l’Espagne jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle.

La cathédrale de Compostelle aurait renfermé les restes du cousin de Jésus, l’apôtre saint Jacques. Cette croyance naquit peu de temps après que l’on eut affirmé que la Grande Mosquée de Cordoue, dans le sud de l’Espagne, abritait un os du corps du prophète Mahomet. Très vite, saint Jacques fut associé à la Reconquista et on le vit combattre aux côtés des chrétiens dans quarante batailles contre l’occupant arabe. Le pèlerinage pour voir les reliques du saint à Compostelle conquit l’Europe chrétienne et, au zénith de sa popularité, aux xie et xiie siècles, la ville accueillait plus d’un demi-million de pèlerins par an. Après Jérusalem et Rome, Compostelle était considérée comme le troisième lieu saint de la chrétienté. Aller voir les reliques garantissait la rémission de la moitié du séjour au Purgatoire.

Le Castillo de los Templarios est l’une des plus belles pièces de l’architecture militaire d’Espagne. Structure romane faite de boue et de cailloux, les Templiers l’avaient transformée en énorme château érigé sur un plan carré irrégulier, avec de solides murs de pierre et des remparts crénelés reliant douze grandes tours. En garantissant la sécurité des pèlerins contre les brigands locaux et les incursions musulmanes, les Templiers s’assurèrent que Ponferrada et la région tirent profit du commerce de passage pour développer le leur et voir leur population croître. Le château s’élève au-dessus du fleuve Sil et domine le quartier historique de la ville. On y accède par un pont-levis enjambant des douves qui donne ensuite sur un double arc flanqué de deux tours. Vient ensuite une vaste cour autour de laquelle se trouvent diverses chambres, dont un arsenal et des écuries. À l’autre bout, un énorme donjon abritait les quartiers du maître de Castille. Récemment restauré, ce château a été classé au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Portugal

Le Portugal vit le jour comme royaume séparé lors des siècles de résistance chrétienne contre les forces musulmanes d’occupation de la péninsule Ibérique. Et les Templiers jouèrent un rôle crucial dans cette résistance. Comme en Espagne, la monarchie portugaise refusa de se retourner contre les Templiers lorsque le roi Philippe le Bel trouva politiquement et financièrement commode de les détruire et c’est là que fut créé l’ordre du Christ. Les plus beaux monuments des Templiers sont dans le centre du Portugal, proches les uns des autres, à Tomar et Almourol. Il y a en outre de superbes monuments de l’ordre du Christ à Sagres, où s’implanta Henri le Navigateur, et à Belém, en périphérie de Lisbonne.

Tomar

Après la reconquête chrétienne du centre du Portugal détenu par les musulmans, une grande partie de la région frontalière fut octroyée aux chevaliers templiers par le roi portugais. Tomar, située au nord-est de la ville actuelle de Lisbonne, fut fondée en 1160 sur le site d’une cité romaine antique, lorsque le maître templier du Portugal, Gualdim Pais, posa la première pierre du château et du monastère qui allaient devenir le quartier général de l’Ordre dans le pays. La présence templière à Tomar protégeait les colons chrétiens du nord contre les incursions arabes. En 1190, ils sauvèrent tout le pays de l’invasion d’Abu Yusef al-Mansur, calife almohade du Maroc. Al-Mansur avait déjà ravagé le sud du Portugal lorsqu’il assiégea Tomar. Il tomba sur une garnison de Templiers en très large infériorité numérique qui parvint tout de même à repousser son attaque et à le renvoyer au Maroc.

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Une statue d’un chevalier du Christ avec son bouclier de templier, au Convento do Cristo de Tomar.

Très reconnaissants aux Templiers de l’avoir aidé à établir et défendre le nouveau royaume du Portugal, le roi Denis Ier ne céda pas à la pression française et papale de supprimer l’Ordre et de remettre ses biens à l’Église. En 1319, il transféra les biens et le personnel des Templiers à l’ordre du Christ nouvellement créé. Ce dernier fut basé pendant quelque temps à Castro Marim dans l’Algarve, mais revint à Tomar après 1356. Le prince Henri le Navigateur, fait grand maître de l’ordre du Christ en 1418, rénova et agrandit le Convento do Cristo (nom du château des Templiers et de son église ronde) et conçut l’agencement des rues de Tomar tel qu’on le voit aujourd’hui, même s’il se servait des ressources des Templiers pour envoyer ses navires sur l’Atlantique pour descendre le long des côtes africaines, ses caravelles propulsées grâce à des voiles arborant la croix des Templiers.

Le Convento do Cristo

Bâti comme une forteresse des Templiers en 1160, le Convento do Cristo trône majestueusement sur une colline surplombant le fleuve Nabão et la ville. Le château possède une muraille extérieure et une citadelle dotée d’un donjon. Ce donjon est l’un des plus vieux du Portugal. L’idée fut importée dans le pays par les Templiers, tout comme l’utilisation de tours rondes sur les murailles extérieures, moins vulnérables au travail de sape que les tours carrées et permettant d’améliorer les lignes de feu défensives. À la création de Tomar, la plupart de ses habitants vivaient dans des maisons situées à l’intérieur des murailles extérieures de protection du château. En tant que grand maître de l’ordre du Christ, le prince Henri le Navigateur y avait son palais. Ses vestiges sont encore visibles tout de suite à droite lorsque l’on franchit l’entrée du château.

La célèbre église ronde à l’intérieur du château fut construite dans la seconde moitié du xiie siècle et, à l’instar de nombreuses autres églises des Templiers en Europe, elle s’inspirait de la rotonde de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem. De l’extérieur, il s’agit d’une structure à seize côtés, avec de solides contreforts, des fenêtres rondes et un clocher. L’intérieur est circulaire et dispose d’une structure centrale octogonale, reliée par des arcs à un déambulatoire périphérique. Une fois le prince Henri le Navigateur devenu grand maître de l’ordre du Christ, il fit ajouter une nef gothique, afin que la rotonde devienne l’abside de l’édifice agrandi. Le couvent du Christ de Tomar est l’un des monuments historiques et artistiques les plus importants du Portugal. Il est en outre classé au Patrimoine mondial de l’Unesco.

L’église Santa Maria do Olival

Sur la partie orientale de Tomar se trouve l’église des Templiers Santa Maria do Olival. 22 maîtres templiers portugais ont été enterrés dans cette église, parmi lesquels Gualdim Pais, maître de 1157 à 1195 et fondateur du château et de la ville de Tomar. Il devint célèvre à l’occasion de la conquête de Santarem en 1147, puis de Lisbonne en 1149, avant de prendre la direction de l’Outremer, où il participa au siège de Gaza en 1153. Sur le mur, la plaque d’origine recouvre toujours la niche dans laquelle se trouvent les cendres de Pais. Le courage qu’il a montré pendant son inlassable lutte contre l’envahisseur musulman fit de lui l’exemple même du chevalier templier. On continue d’ailleurs d’honorer sa mémoire au Portugal.

L’église est passée entre les mains de l’ordre du Christ, successeur des Templiers, et, à l’époque des explorations, quand le Portugal se bâtissait un immense empire à l’étranger, Santa Maria do Olival était la mère de toutes les églises d’Afrique, d’Asie et d’Amérique. L’intérieur de l’église est très simple. Ses trois nefs sont coiffées d’un toit en bois soutenu par des arcs pointus qui partent de colonnes sans chapiteau. La principale chapelle de l’abside possède une voûte gothique nervurée. Au-dessus de l’entrée de l’église se trouve une fenêtre en forme de rose ouverte, tandis qu’une fenêtre située au-dessus de l’abside a la forme du Signum Salomonis, le Sceau de Salomon.

Almourol

À une vingtaine de kilomètres au sud de Tomar se trouve le remarquable château d’Almourol, qui se dresse sur une petite île rocailleuse du Tage. Il y avait sur ce site un vieux château lorsque la région passa sous contrôle des chevaliers templiers, au cours de la Reconquista. Mais, en 1171, ils avaient rebâti les structures d’origine, introduisant les innovations que leur avait apportées l’expérience glanée en Outremer, parmi lesquelles les dix tours rondes disposées le long des murailles extérieures et le donjon de trois étages, comme à Tomar.

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Le château des Templiers d’Almourol domine le Tage.

Ce château sur son île a un côté féerique, comme si un magicien du Moyen Âge l’avait fait subitement apparaître. En arrivant sur l’île par bateau, on peut grimper à travers les arbres jusqu’au château et au donjon, bien préservés.

Grande-Bretagne

L’Angleterre et l’Écosse regorgent de noms de lieux tels que Temple, Temple Hirst, Temple Bruer, Temple Balsall, Templecombe, Temple Ewell et Strood Temple, témoignages de l’imbrication de l’histoire des Templiers dans le tissu social britannique. Sans parler des nombreux autres lieux ne comprenant pas le terme temple dans leur nom mais pourtant étroitement associés aux Templiers.

Par exemple, l’église All Hallows by the Tower, juste à côté de la Tour de Londres, possède dans sa crypte un autel que les Templiers auraient rapporté de leur dernier séjour en Terre sainte, à Athlit, au sud de Haïfa. Sainte-Marie, à Shipley, dans le West Sussex, est l’église paroissiale du village, mais sa conception romane, la nef et le chœur très spacieux ainsi que la tour centrale imposante en font un édifice des Templiers. Le domaine seigneurial et la terre figurèrent parmi les premiers biens de l’Ordre et l’église fut construite peu de temps après, vers 1140. Les Templiers sont également présents sur le tombeau de saint Thomas Cantilupe, dans la cathédrale de Hereford. Saint Thomas, dernier Anglais à avoir été canonisé avant la Réforme, est mort en 1282. Il était évêque de Hereford mais aussi maître des chevaliers templiers. 14 Templiers sont sculptés sur le socle de sa tombe. L’Old Temple Kirk, dans le village écossais de Temple, dans le Midlothian, est de style gothique et est peut-être une œuvre des Templiers de la fin du xiie siècle, bien qu’il s’agisse plus probablement d’une construction postérieure des Hospitaliers. Néanmoins, le village de Temple, non loin d’Édimbourg, était certainement le quartier général écossais des chevaliers templiers. En fait, il ne reste rien de tangible de leur époque, l’endroit ne pouvant donner lieu qu’à des recoupements historiques légitimes. En revanche, la chapelle de Rosslyn, située à quelques kilomètres, donne lieu pour sa part à des spéculations. C’est l’un des sites les plus visités d’Écosse depuis son apparition dans le roman Da Vinci Code de Dan Brown.

Vous en saurez plus sur la chapelle de Rosslyn dans les pages suivantes, mais en matière d’intérêt historique, rien ne dépasse l’église du Temple de Londres et le Cressing Temple, dans le comté d’Essex.

Londres : l’église du Temple

L’église du Temple est le plus vieil édifice des Inns of Court39, coin tranquille de Londres, au sud de Fleet Street, à moins que vous ne baigniez dans l’univers juridique britannique, dont c’est la principale ruche. Comme les universités d’Oxford et de Cambridge, les Inns sont divisés en institutions : Inner Temple, Middle Temple, Lincoln’s Inn et Gray’s Inn. Les deux premières tirent leur nom des chevaliers templiers, dont le quartier général se trouvait à l’endroit où elles sont implantées.

Hugues de Payns, premier maître des Templiers, ouvrit la première maison des Templiers de Londres en 1128, sur le site de l’actuelle Southampton House40, dans Holborn. Elle fut baptisée Old Temple lorsque les Templiers déménagèrent pour un site plus vaste au sud, entre Fleet Street et la Tamise. À l’origine, le nouveau site englobait une grande partie de l’actuelle Lincoln’s Inn et les chevaliers créèrent probablement New Street (actuellement Chancery Lane), qui permettait d’aller d’Holborn à leur nouveau quartier général.

Suivant leur coutume, les Templiers bâtirent une église ronde sur le modèle de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Une inscription sur la rotonde rappelait qu’elle avait été consacrée par Héraclius, patriarche de Jérusalem, le 10 février 1185, en l’honneur de la Vierge Marie. On pense que le roi Henri II était également présent ce jour-là, pour inaugurer une longue association entre les rois d’Angleterre et le Temple.

Parmi les autres bâtiments érigés par les Templiers figuraient des dortoirs, des chambres, des entrepôts, des écuries et deux salles à manger, dont une dans la partie centrale consacrée, reliée à l’église par un cloître. Jean d’Angleterre fut l’un des nombreux rois à y séjourner et, lors de sa visite en 1215, il reçut une délégation de barons réclamant l’instauration d’une charte des libertés. Le maître du Temple fut l’un des témoins de la signature de cette Grande Charte plus tard dans l’année. Tirant parti de leurs privilèges spéciaux, les Templiers entreposèrent leur trésor dans ce sanctuaire. Et, pendant le xiiie siècle, le Nouveau Temple devint un centre financier animé. Les premiers avocats vinrent vivre dans le Temple, en tant que conseillers juridiques des chevaliers templiers, lesquels formaient l’une des organisations internationales de tout premier plan à l’époque. Les Templiers prospérèrent, dotant leur église ronde d’une belle nef, consacrée en présence du roi Henry III en 1240.

Après la dissolution de l’ordre du Temple, le pape attribua leurs biens immobiliers aux chevaliers hospitaliers, mais le roi Édouard II d’Angleterre saisit le Nouveau Temple. La partie consacrée fut néanmoins cédée aux Hospitaliers et le reste leur fut vendu par la suite. Mais les Hospitaliers ne semblent pas avoir occupé eux-mêmes le Temple. Il fut loué pour constituer une source de revenu et, dans les années 1340, des avocats en étaient les locataires. Ces derniers montèrent deux sociétés, l’une occupant la salle attenante aux cloîtres (l’Inner Inn) et l’autre employant les bâtiments non consacrés entre la zone intérieure et l’Outer Temple. L’église du Temple devint la chapelle de ces deux sociétés. En 1540, le roi Henry VIII abolit l’ordre des Hospitaliers en Angleterre et confisqua leurs propriétés, que la Couronne continue de louer à l’Inner Temple et au Middle Temple. De même, il incombe au souverain de fournir un prêtre à l’église, lequel porte aujourd’hui le titre de maître du Temple.

Le symbolisme de la rotonde était crucial. Jérusalem se trouve au centre de toutes les cartes médiévales et constituait la pierre angulaire de l’univers des croisés. L’endroit le plus sacré de cette ville sainte par excellence était l’église du Saint-Sépulcre, avec sa rotonde bâtie à l’endroit où Jésus-Christ aurait été enterré. L’église du Saint-Sépulcre était la destination de prédilection de tous les pèlerins, lesquels étaient protégés par les Templiers, comme l’église proprement dite qui, à l’instar de toutes les constructions sur terre, devait être défendue contre les assauts de ses ennemis. En construisant des églises rondes à travers l’Europe, les Templiers recréèrent le caractère sacré de ce lieu saint. On souhaitait plus que tout être enterré dans la rotonde car cela revenait à reposer à Jérusalem. Parmi les chevaliers enterrés dans la rotonde figure l’homme le plus puissant de sa génération : Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, conseiller du roi Jean d’Angleterre, régent d’Henry III et l’un des instigateurs de la Grande Charte de 1215. Son effigie est entourée de celle de ses fils.

On compte en tout neuf effigies en marbre, ainsi qu’un cercueil de pierre dans le sol. Guillaume le Maréchal prit la croix et partit en croisade en Terre sainte de 1183 à 1186, où il s’engagea à rejoindre les Templiers, serment qu’il respecta sur son lit de mort en 1219. Mais ses fils, qui ne prirent jamais la croix, sont représentés les yeux écarquillés, en train de sortir leur épée de leur fourreau, à l’âge de 30  ans environ, l’âge auquel Jésus est mort et auquel les morts ressusciteront à son retour.

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Les effigies des chevaliers templiers sont ancrées dans le sol en pierre de l’église du Temple circulaire de Londres.

Les effigies ne sont pas des mémoriaux du passé, mais évoquent l’avenir. Les Templiers portaient des tuniques blanches ornées d’une croix rouge et, dans le Livre de l’Apocalypse (ou Révélation) 7:14, les martyrs du Christ, vêtus de robes blanches lavées dans le sang de l’agneau, sont ceux qui seront conduits aux fontaines des eaux de la vie lors de la « première résurrection ». Ils régneront avec le Christ pendant un millénaire, à la fin duquel Satan conduira toutes les nations de la terre contre « la cité bien-aimée » (Apocalypse 20:9), Jérusalem, site de la bataille finale. Ces chevaliers ont donc de bonnes raisons de sortir leur épée, car, en étant enterrés dans la rotonde, ils sont déjà enterrés « à Jérusalem » et à Jérusalem ils ressusciteront. À l’église du Temple, dans cette réplique de l’église du Saint-Sépulcre, les chevaliers attendent leur appel à la vie, à prendre les armes et à défendre une dernière fois le lieu le plus sacré sur terre.

La Seconde Guerre mondiale a causé des dégâts considérables dans le quartier du Temple. En 1941, au plus fort du Blitz, l’église du Temple fut frappée par les bombes allemandes. La guerre et le temps expliquent l’apparence actuelle de l’église, une grande partie ayant été reconstruite, mais sans les décorations d’origine. Les murs de la rotonde avaient autrefois des losanges, des bandes de couleur, ainsi que des têtes grotesques peintes. Les célèbres chevaliers de pierre furent également endommagés par les bombardements, mais demeurent toujours aussi sinistres.

Cressing Temple, Essex

Cressing Temple est la plus vieille propriété des Templiers en dehors de Londres et la plus importante du comté d’Essex. Elle est située le long de la route reliant Londres à Colchester et fut cédée aux Templiers en 1137 par la reine Mathilde de Boulogne, épouse du roi Étienne d’Angleterre et nièce de Baudouin Ier, premier roi de Jérusalem. Contrairement aux autres sites des Templiers, construits en pierre, les monuments de Cressing Temple sont deux vastes granges en bois, structures magnifiques qui dominent le paysage. Les intérieurs en bois ont la dimension d’une cathédrale. La grange de blé et la grange d’orge, construites entre 1206 et 1256, sont les deux plus belles granges d’Europe bâties par les Templiers, la grange d’orge étant pour sa part la plus vieille grange en bois du monde.

La commanderie de Cressing Temple, qui s’étendait à l’origine sur plus de 5 500 hectares, occupait un site fertile doté de bonnes liaisons par voies routières et fluviales. En y établissant un marché, les Templiers développèrent une entreprise agricole d’envergure comprenant plus de 160 métayers, les surplus formant un bénéfice qui permettait de financer les activités de l’Ordre en Outremer. La propriété aurait été dirigée par un percepteur accompagné de deux ou trois chevaliers ou sergents, un chapelain, un intendant et de nombreux serviteurs. En 1309, le domaine était constitué d’un manoir et de dépendances comprenant une boulangerie, une brasserie, une laiterie, un grenier et une forge, ainsi que des jardins, un pigeonnier, une chapelle, un cimetière, un moulin à eau et un moulin à vent. Après la disparition de l’Ordre en 1312, Cressing Temple fut cédé aux chevaliers hospitaliers.

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La grange d’orge de Cressing Temple est la plus vieille grange en bois du monde.

La chapelle de Rosslyn, Écosse

La chapelle de Rosslyn, située à Roslin, à 11 kilomètres au sud d’Édimbourg, figure dans tous les épisodes de « l’histoire alternative » de la Grande-Bretagne et est à ce titre associée au Saint-Graal, aux Templiers et aux francs-maçons.

Portant à l’origine le nom de collégiale de Saint-Matthieu, la chapelle de Rosslyn a été dessinée par William St Clair (ou Sinclair), premier comte de Caithness, dont les ancêtres étaient des nobles normands. La construction de la chapelle, s’inspirant du chœur de la cathédrale de Glasgow, débuta en 1456. Le but était au départ qu’elle fasse partie d’une plus grande église car, en Écosse, la mode était d’ériger d’ambitieuses églises privées capables d’accueillir à demeure une communauté cléricale. Mais le projet grandiose ne parvint jamais à son terme et, après la mort de William St Clair vers 1491, c’est à son fils qu’incomba de recouvrir d’un toit la chapelle et de terminer les sculptures et décorations intérieures.

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Le pilier de l’Apprenti de la chapelle de Rosslyn.

Le roman Da Vinci Code, de Dan Brown, synthétise une grande partie de ce qui a été écrit sur la chapelle de Rosslyn dans les histoires alternatives. L’auteur affirme par exemple que Rosslyn a été construite sur le site d’un temple mithriaque et que c’est un « une réplique du Temple de Salomon de Jérusalem », et ce malgré le fait que la chapelle s’inspire du chœur de la cathédrale de Glasgow. Il dit également qu’elle se trouve sur un méridien nord-sud passant par Glastonbury, sur la Rose-Ligne (Rose Line, en anglais) dont elle tire son nom. En fait, la longitude de la chapelle de Rosslyn est 3° 8’ 41» Ouest, tandis que celle de Glastonbury est 2° 42’ 52» Ouest, centrée sur l’abbaye, ou 2° 41’ 41» Ouest, centrée sur l’ancienne butte rocheuse. Et, à l’instar de toute église presbytérienne d’Écosse qui se respecte, le nom de Rosslyn fait référence à son emplacement, « ross » signifiant promontoire ou cap, et « lyn », bassin ou ruisseau.

Brown tente également de relier la chapelle aux Templiers. Bien que Rosslyn ne soit qu’à 6 kilomètres au nord-ouest de Temple, le quartier général écossais des chevaliers templiers, la chapelle fut construite un bon siècle après la dissolution de l’ordre du Temple. Concernant un éventuel lien entre les Sinclair et l’Ordre, tout ce que l’on peut dire avec certitude, c’est qu’un descendant de William Sinclair témoigna contre les Templiers à leur procès, au palais de Holyrood d’Édimbourg, en 1309.

La chapelle de Rosslyn n’en demeure pas moins un lieu extraordinaire à visiter. L’extérieur est relevé par des contreforts, arcs, fleurons et baldaquins exagérément décorés et la maçonnerie intérieure est encore plus exotique, chaque surface étant recouverte d’une sculpture très allégorique inspirée du symbolisme chrétien biblique et médiéval (les sept péchés capitaux, la danse de la mort, etc.), des travaux naturalistes figuratifs et des images mythologiques païennes (voir les nombreux hommes verts).

La plus remarquable des milliers de pièces de maçonnerie d’exception est le pilier de l’Apprenti torsadé qui se trouve dans un coin de la chapelle de la Vierge, à droite du principal autel, avec des dragons entrelacés à la base. Une légende locale raconte que cette colonne fut bâtie par un apprenti assassiné plus tard par son maître pris d’une crise de jalousie. La thèse de Dan Brown selon laquelle un second pilier situé en face est « identique » à Boaz, le pilier que la Bible situe à gauche de l’entrée du Temple de Salomon, est une pure invention. Il y a bien une deuxième colonne dans la chapelle de Rosslyn, le pilier de l’Artisan, mais il tire son nom d’une légende locale sur la sculpture des pierres qui n’a absolument rien à voir avec les francs-maçons. Il n’existe pas non plus de « chambre souterraine massive » cachée sous la chapelle, comme le dit Dan Brown, même si toute la haute technologie est mobilisée en permanence pour en trouver une.

En 2005, un descendant de la famille Sinclair, le Dr Andrew Sinclair, a critiqué le Da Vinci Code. « Ce livre est grotesque, a-t-il dit, son message pernicieux, son histoire un ratage confus. Ce qu’il dit sur le Graal et Rosslyn est une invention absolue. » Pas étonnant, comme le sait tout conspirationniste digne de ce nom.