Et si Scherbius avait vu juste ?

Il y a quinze ans, Scherbius se disait atteint d’une forme singulière de pseudologia fantastica, qui voyait son imagination puiser à la source des grandes œuvres du patrimoine. Avec le recul, je n’ai peut-être pas accordé à cette théorie, en apparence saugrenue, l’attention qu’elle méritait. De nombreux lecteurs m’ont en effet signalé de nouvelles résurgences de la fiction dans les éditions suivantes.

Les sociétés-écrans qui financent le train de vie de Scherbius tirent ainsi leurs noms de nouvelles de Borges. Montferrand, le pseudonyme sous lequel notre homme se présente au comte de Boëldieu, est le supérieur de l’espion Langelot dans la série pour adolescents éponyme ; Mistigri, l’aspirante gironde qui poursuit le même Langelot de ses assiduités. Le détenu 813 – hommage à Maurice Leblanc – occupe en prison des fonctions étonnamment similaires à celles du personnage d’Andy Dufresne dans un récent film de Frank Darabont. Plus tiré par les cheveux, le comte de Boëldieu, rançonné à hauteur de trente millions de francs, est, d’une certaine façon, L’homme qui valait trois milliards (de centimes), une allusion oblique à la série télévisée des années 80. Et je ne parle pas des références à Monte-Cristo ou de l’évasion de Saint-Martin-de-Ré sur un scénario d’Arsène Lupin.

La contagion ne s’arrête pas là. M. Taillefer et Mme Fontaine, deux lecteurs que je cite en préambule de la cinquième édition, ont d’illustres homonymes au sein de La Comédie humaine de Balzac. De là à penser que Scherbius est l’auteur d’une partie des lettres que je reçois chaque jour, il y a un pas que je ne me suis pas encore résolu à franchir.

Plus étonnant encore, Pierre Marescot, alias Pierrot la Carambouille, est le nom du héros de La main passe, un roman de Boileau-Narcejac paru en 1991, cinq ans après l’escroquerie dont je fus victime à Roissy. Boileau-Narcejac se sont-ils inspirés de mon tourmenteur pour bâtir leur personnage d’avocat kleptomane ou Scherbius a-t-il réussi, avec le truculent Marescot, à créer un de ces archétypes aussi définitifs que l’huissier de Marcel Aymé ? L’avenir nous le dira.

Alors, pseudologia fantastica ou malice de potache ? Peu importe au fond. Ce qui est sûr, c’est que Scherbius possède ses classiques et qu’il se délecte à en farcir le réel. Faut-il y voir un talent ? Une forme de subversion ? Une addiction regrettable ? Je laisse mes lecteurs en décider.