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Il était hors de question que Stefan avoue à sa mère qu’il aimait Nimway. Pourtant, il ne pouvait pas ne rien dire.

— J’ai appris qu’il faut retirer Tyson de ses réseaux sociaux.

— Pourquoi ? Qu’a-t-il fait ?

— La vraie question est : que n’a-t-il pas fait ? Tyson s’est montré indiscret.

Il aurait jeté son frère sous le bus plutôt que d’admettre qu’il s’était contenté de parler de nourriture avec Nimway. Et d’écouter ses remarques ironiques et concises à propos des gens présents à la fête, qu’elle connaissait tous.

La plus grande famille qu’il aurait jamais pu imaginer. D’aussi loin qu’il se le rappelait, il n’avait jamais eu que les enfants et maman. Ni tantes, ni oncles, ni grands-parents ou cousins. Personne d’autre qu’eux. La meute n’était peut-être pas liée par le sang, pourtant, ses membres avaient choisi de rester soudés pour une autre raison. À l’instar de la famille Hubbard.

— Tu crois vraiment que toutes les personnes que nous avons croisées hier soir peuvent se transformer ?

Verbe qui semblait moins extraterrestre que « se métamorphoser ». D’ailleurs, tout était mieux que huanimorphe, un mot idiot inventé par Johan Philips, le frère de maman, leur créateur, pour désigner la transformation d’un humain en animal. Il aurait d’abord dû le soumettre à un service des relations publiques.

— Je pense que suffisamment d’entre eux en sont capables pour que créer des liens avec eux soit bénéfique pour notre famille. Après tout, ne serait-ce pas agréable de sortir avec quelqu’un qui connaît ton secret ? suggéra sournoisement maman.

C’était légèrement tentant de s’imaginer sans aucune peur d’être découvert. Était-ce pour cela qu’il n’avait jamais connu aucune intimité depuis tout ce temps ? La peur panique que quelqu’un découvre son secret et le divulgue ? D’être rejeté, une fois de plus, comme le petit garçon qui avait été mis au rebut parce qu’il n’était pas assez bien ?

Peu importe s’il avait eu une meilleure vie avec maman, se savoir défectueux est douloureux.

— En admettant qu’ils acceptent de sortir avec nous. Nous sommes différents, rappela-t-il à sa mère.

— Vous vous transformez tous les deux.

Elle réduisait cela à un dénominateur très général.

— Même si nous ignorons tout sur les espèces différentes, tu oublies que tandis que nous avons été créés, les membres de cette meute sont nés de manière naturelle.

— Et il en sera de même pour tes enfants.

Cette seule idée lui glaça le sang.

— Je ne veux pas d’enfants.

Il était hors de question qu’il transmette cette étrange malédiction.

— Tu dis ça aujourd’hui, mais le jour où tu rencontreras la personne idéale, tu changeras d’avis.

Ses pensées allèrent vers Nimway et n’en bougèrent plus.

— Non. Je ne serai jamais prêt pour ce niveau d’engagement. Bon sang, pourquoi crois-tu que j’aie résisté à l’idée de prendre un animal de compagnie ?

Même s’il fallait admettre qu’il aimait caresser Nim.

— Tu es tellement mignon quand tu as tort ! Un jour, tu te rappelleras avoir dit ça et tu en riras.

— Je ne me marierai jamais, maman.

— Si tu le dis, chantonna maman.

Il détestait quand elle faisait ça.

— Tu as fini de gâcher ma matinée ? Parce que je pense avoir besoin d’un petit déjeuner riche en graisse et en glucides, que je vais prendre dans un snack-bar.

Au lieu de se plaindre de ses choix alimentaires, sa mère se tut avant de dire :

— Profite de ton petit déjeuner. Je vais appeler tes frères pour leur apprendre la nouvelle.

— Quelle nouvelle ?

— L’autre raison pour laquelle Gwayne a appelé. Valley Pack nous accepte dans leur groupe.

— Vraiment ? dit-il avant d’ajouter d’un air suspicieux. Qu’exigent-ils en échange ?

— Un serment d’allégeance.

Il ricana.

— Je ne m’agenouillerai pas simplement parce qu’une boule de poils a fait irruption dans notre vie en s’imaginant diriger la ville.

— Ce n’est pas une illusion. Tu as vu tous ces gens à la fête. Nous sommes dérisoires comparé à eux.

Il fronça les sourcils en y repensant. La meute était plus nombreuse que sa famille, alors s’il elle décidait de les jeter… il y aurait des blessés. Parmi les gens qu’il aimait.

— Je ne comprends pas pourquoi ils ne peuvent pas simplement nous laisser vivre tranquillement.

— Tu sais bien pourquoi. Parce que nous avons été imprudents. Il est temps d’admettre que nous ne savons pas ce que nous faisons, Stefan. Nous y sommes jusqu’au cou.

Le ton de la voix de maman s’adoucit lorsqu’elle ajouta :

— On ne peut pas se permettre d’agir à la hâte et de rejeter catégoriquement ce qu’ils nous proposent. Garde à l’esprit que ce n’est pas pour les plus âgés que nous devons nous inquiéter. Que va-t-il arriver à Tyson et à Daphné ?

— Je m’occuperai d’eux, promit-il.

— Jamais nous n’avons ne serait-ce que suspecté que nous étions espionnés.

Cela raviva son échec.

— Je reviendrai à la maison.

— Ça ne résoudra rien. Tu sais qu’il nous faut plus que ça.

Il le savait, et cela l’énervait.

— Et qu’est-ce qui te fait croire que serrer des pattes va nous protéger ?

— Rien, mais je suis à court d’idées. Et toi ?

Il détestait l’admettre.

— Pareil.

— Daphné est trop jeune pour se défendre toute seule s’ils s’en prennent à elle.

Ils n’avaient pas de nom. Ils, c’étaient les médecins sans visage et leurs sbires qui s’étaient permis de les garder en détention dans des geôles sans fenêtres.

— Il vaut mieux qu’ils n’osent pas, grogna Stefan.

— Si ce sont eux qui nous surveillent, nous sommes vraiment en danger. Ces gens ont osé ordonner votre mort.

— Je le sais.

Depuis que Stefan en avait entendu parler, il faisait des cauchemars à chaque fois qu’il fermait les yeux. Mémoire ou imagination ? Il n’en savait rien lorsqu’il se réveillait le cœur battant.

— Comme tu sais également que nous ne pouvons pas nous permettre de dire non aux seules personnes qui veulent nous aider.

— Vouer allégeance, ça implique quoi ? Une cérémonie à la pleine lune ? demanda-t-il en plaisantant à moitié.

— En fait, Gwayne suggérait un mariage.

Cela lui fit l’effet d’une bombe. Il lui fallut une seconde de choc pour répondre.

— Hors de question ! s’exclama Stefan.

Il ne demanda même pas qui ils voulaient sacrifier. Personne de sa famille ne serait vendu comme une vulgaire marchandise.

— Je n’arrive pas à croire qu’il l’ait seulement suggéré. Je vais dire à ce connard ce que j’en pense.

— Stefan, peut-être que tu devrais y réfléchir.

— Réfléchir à quoi ? Au fait qu’il veuille forcer Ray ou Jessie ? Bordel, et si c’est Maeve ? Elle est trop jeune. Nous savons tous les deux que Pammy n’est pas branchée mariage avec un gars. Ce sont des conneries.

— Vraiment ? Personnellement, je pense qu’il est sérieux. Il a offert de donner la main de sa sœur.

L’espace d’un instant, il s’imagina en jeune marié, pour très vite se rappeler qu’à cause de son problème, il avait prévu de ne jamais se marier. Il ne restait donc plus que Raymond ou Daeve. Mais aucun d’eux n’était un choix acceptable. Stefan se sentit soudain submergé de haine.

— Je dois y aller, maman.

— Attends, Stefan, il y a autre chose.

— Je ne veux pas le savoir, lâcha-t-il en raccrochant.

L’heure était venue de dire à ce loup alpha où il pouvait se mettre son serment d’allégeance.