AVERTISSEMENT

On se demandera peut-être à la lecture, pourquoi une disposition des poèmes en tercets ? Le senryû, étant de fait un haiku, c’est-à-dire un très bref poème possédant un sens complet à lui seul, en a la même forme : il est composé de trois « mesures » (on ne peut parler de « vers » en ce cas) respectivement constituées de 5, 7 et 5 temps. Pour donner un exemple valable en n’importe quelle autre citation, le premier poème de la section des « dames du palais » se lit dans l’original japonais :

 

shitaku nai

shi-ta-ku-na-i

(soit 5 temps vocaliques)

kao wo shite iru

ka-o-wo-shi-te-i-ru

(soit 7 temps vocaliques)

okujochû

o-ku-jo-chu-u

(soit 5 temps vocaliques)

 

On a ainsi tenté de rendre ce rythme en traduction française, par le nombre des syllabes ; soit, pour ce poème :

 

Les dames du palais

(5 syllabes)

vous ont la mine de ne pas

(7 syllabes)

en avoir envie

(5 syllabes)

 

Cela n’a pas toujours été possible : la syntaxe japonaise, qui est si souvent à l’inverse de celle des langues occidentales, ne permet qu’assez rarement de conserver l’ordre des termes dans la traduction, et les auteurs de senryû ne se gênaient jamais pour dépasser le nombre de temps autorisés (5 + 7 + 5 = 17) dans un poème, ou, dans quelques cas plus rares, composer en dessous ; les grands maîtres du haiku eux-mêmes leur en ont d’ailleurs donné l’exemple. On lira donc assez souvent dans ce livre des traductions françaises en « défaut » (15 ou 16) ou « excès » (18, 19…) de syllabes. Ces défauts et excès dans la plupart des cas sont dans l’original japonais.

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Les poèmes choisis sont tirés de divers recueils ou études publiés au Japon.

Les deux principaux sont :

– Le Tonneau de saule (en japonais : Yanagidaru, abrégé en Y. dans ce livre), recueil de senryû allant de 1765 à 1838, en cent soixante-sept volumes. Le titre vient d’une coutume lors des mariages : on offrait au nouveau couple un cadeau d’excellent saké, dans un tonnelet en bois de saule (considéré comme le meilleur bois pour garder son goût à la boisson). Le « tonneau de saule » est donc la promesse que le recueil contient d’excellentes compositions.

– La Fleur du bout (en japonais : Suetsumuhana, abrégé en S. dans ce volume), recueil de senryû érotiques publié en quatre volumes entre 1776 et 1801. Le titre indique que l’ouvrage a rassemblé la « fleur » (le meilleur) des poèmes de la catégorie érotique du « bout » (voir l’Introduction).

Viennent ensuite, pour complément :

– Le Commentaire de la Fleur du bout (en japonais : Suetsumuhana Yôshaku, abrégé en SY.), de Okada Hajime, en deux volumes, éditions Yûkôshobô, 1956.

– Le Bout des feuilles de saule (en japonais : Yanagi no Hasue, abrégé en YH.) autre recueil de poèmes érotiques publié dans les années 1830-1843, qui se propose de compléter ce que la Fleur du bout avait laissé échapper.

– Les Mankuawase (titre abrégé en M.), « Recueils complets » des senryû publiés à Edo entre 1765 et 1838 et dont le Tonneau de saule est un compendium. Ces recueils ne sont disponibles que dans les publications originales, dont la Bibliothèque de la Diète à Tôkyô possède un grand nombre.

– Le Dictionnaire des mœurs dans le senryû (en japonais : Senryû Fûzoku jiten, abrété en SF.), de Tanabe Teinosuke (éditions Seiabô, Tôkyô, 1962, 507 pages) qui traite de tous les aspects de la vie aux XVIIIe et XIXe siècles tels qu’ils apparaissent dans le senryû, mais ce volume ne cite pas les sources des poèmes mentionnés.

Cela étant, comment lire les références indiquées après chaque poème ?

– Pour le Tonneau de saule (Y.) et la Fleur du bout (S.), on trouvera deux mentions chiffrées. Par exemple : Y. 38, 9 ou S. 3, 20, indiquant respectivement que le poème cité se trouvera dans l’original japonais au neuvième feuillet du trente-huitième volume du Tonneau de saule (Y. = Yanagidaru), ou bien au vingtième feuillet du troisième volume de la Fleur du bout (S. = Suetsumuhana). Toutes les éditions modernes japonaises sont fondées sur ce système de références.

– Pour les Mankuawase (M.), qui ne sont pas répertoriés, on ne peut citer que l’année. Ainsi la mention M. 1766 après un poème signifie qu’il date de l’année indiquée après la lettre : recueil des Mankuawase de 1766.

– Pour le Bout des feuilles de saule (YH.), l’indication est celle du folio : YH. 19 reporte au dix-neuvième folio de l’ouvrage.

Enfin, pour le Dictionnaire des mœurs (SF.) et le Commentaire (SY.), l’indication est celle de la page du volume.

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Le Tonneau de saule et les Recueils complets sont une immense somme – un inextricable fouillis – où vingt à trente sujets différents sont traités à chaque page. La Fleur du bout est un premier essai de classement, dans le genre érotique, mais il s’arrête à l’an 1801. On a ainsi tenté dans cet ouvrage de poursuivre un tant soit peu la mise en ordre, en distinguant des thèmes –moines, dames du palais, vie conjugale, domestiques, veuves et courtisanes –, soit l’essentiel de ce qui intéresse le poète amateur japonais en ces siècles, si l’on met à part son autre grande préoccupation – les questions d’argent, de dettes et d’huissiers – où l’on chercherait en vain la moindre allusion érotique. La proportion consacrée à chaque thème est ainsi celle que l’on retrouve peu ou prou dans les recueils : des moines et surtout des dames du palais, les poètes du peuple ne connaissaient guère qui leur fût de science certaine, et les situations qu’ils imaginent tombent vite dans le recuit et la redite. Des courtisanes, ils avaient en revanche une stupéfiante érudition, mais – on l’a déjà observé dans l’Introduction – il faudrait une longue étude pour en rendre un compte partiel. Demeure la vie conjugale où pullulent les aventures toujours différentes par quelque détail ou curieuse observation.

Nous avons présenté ces haiku en les faisant précéder ou suivre d’un commentaire : ainsi se raconte une histoire… Pour éviter la répétition fastidieuse de notes, nous avons pris le parti de fournir au lecteur, dans un Répertoire, les renseignements nécessaires à l’intelligence d’un passage. Le mot qui fait l’objet d’une rubrique dans ce Répertoire est signalé – à sa première occurrence seulement dans chacune des sections – par un astérisque. Enfin, trois cartes – du Japon, de la ville d’Edo et des environs de Yoshiwara – permettent de retrouver les lieux érotiques – tout à la fois réels et imaginaires – que ces poèmes évoquent.*

Un dernier mot – d’avertissement – peut-être. Les Japonais du milieu du XVIIIe siècle savaient qu’une religion étrangère d’origine européenne tentait de s’implanter dans leur pays. Ils savaient aussi que son curieux et à cet égard fétide enseignement prêchait l’« impureté » du corps et le « péché » de sa plus noble fonction. Ils ont heureusement su en rire. Dans le senryû. Puisse le lecteur parcourir ces quelques poèmes dans le même esprit.

J. C.