Le 26 août 2007

Un ami en Afghanistan

Fin juillet, Adrien est venu manger à la maison, quelques jours avant son départ pour l’Afghanistan. Adrien est un ami de ma blonde. Ils se sont connus à l’armée, au temps où Marie-Pier faisait partie du Régiment de Maisonneuve.

On a soupé sur la terrasse. On a essayé de parler de tout et de rien. Mais on a surtout parlé de la guerre. Adrien a dit qu’il n’avait pas peur. Même qu’il avait hâte d’être là-bas. Il n’était pas obligé d’aller en Afghanistan. Il fait partie de la milice. Il s’est porté volontaire. Il voulait de l’action. Il va en avoir. Il croit bien sûr que le Canada a raison d’envoyer des soldats en Afghanistan. Que c’est une mission d’aide. Qu’il s’en va là pour aider.

Je suis contre la guerre. Je suis un pacifiste dans l’âme. Je suis contre les fusils, alors imaginez ce que je pense des mitraillettes et des bombes. Mais surtout, au-delà de tous les beaux principes de paix et d’amour des antiguerres et de tous les beaux principes de justice et d’entraide des proguerres, je crois qu’il y a un argument massue en faveur du retrait de nos troupes : le Canada ne doit pas faire la guerre en Afghanistan parce qu’il ne peut pas la gagner. Tout simplement. Pas plus que les Américains ne peuvent gagner en Irak.

C’est Bush père qui avait raison. Lors de la première guerre du Golfe, l’armée américaine a bombardé l’Irak durant quelques semaines et a sacré son camp. Les soldats sont revenus en gagnants. Il y avait plein de rubans jaunes autour des arbres. Cette guerre n’a peut-être rien donné, mais elle n’a rien enlevé non plus. Tandis que celle de Bush fils fait des orphelins par centaines.

Détruire des cibles, c’est être en position de commande. S’installer dans le pays, c’est devenir la cible.

Voilà, c’est ma petite opinion.

Je n’ai pas dit tout ça à Adrien. J’en ai dit juste assez pour qu’il comprenne que j’avais d’autres idées que les siennes. Ce n’était pas le moment d’aller plus loin. J’ai trop de respect pour lui. Pour sa vie. Ce soir-là, l’important n’était pas de savoir qui avait raison. Comment savoir qui a raison ? L’important, c’était de s’écouter. Et surtout de l’écouter, lui. Parce qu’il vivait quelque chose de tellement immense.

C’est facile les grandes idées et les grandes théories pacifistes quand on débat de ça, entre chums, avec un verre de vin, après avoir parlé de Daniel Brière et du Canadien. Mais là, on avait devant nous quelqu’un qui allait vivre ça pour vrai. Il était trop tard pour le convertir. Il était trop tard pour faire de lui un hippie.

Si Adrien est dans l’armée, c’est parce qu’il croit que c’est sa place. Et pour lui, l’Afghanistan, c’est une chance de se dépasser. De prouver qu’il peut faire de grandes choses. D’être plus qu’un simple soldat. D’avoir une mission. Une raison.

« Ma famille m’appuie là-dedans. Mon père et ma mère sont derrière moi. Même que, le jour du départ, ils vont tous venir me reconduire à l’aéroport. J’en reviens pas ! »

Les parents d’Adrien sont cultivateurs. Ils ne prennent jamais congé. Mais là, c’est spécial. Et Adrien est ému d’être spécial pour eux. Ça lui fait du bien.

Chaque fois qu’on essayait de parler d’autre chose, de l’été un peu gris, des rénovations de la maison ou de la saison des Alouettes, on en revenait toujours à parler de l’Afghanistan. C’est comme une peine d’amour ou la naissance d’un enfant. Il y a des réalités qui prennent toute la place. Qui sont trop fortes. Trop big. Et qui font paraître tous les autres sujets futiles. Tellement futiles.

C’est une chose de lire dans les journaux que Harper envoie des troupes en Afghanistan, de voir à la télé qu’un contingent de Valcartier part pour Kaboul. C’est autre chose d’avoir devant soi un être humain qui y va. Et qui ne peut pas savoir comment il en reviendra.

Souvent, durant le souper, Adrien a répété qu’il n’avait pas peur. Il était prêt. Pour lui, le plus grand malheur qu’il pouvait lui arriver, c’était qu’on lui annonce qu’il ne partirait pas. C’est Marie-Pier qui a craqué. On était en train de parler fromage quand elle s’est mise à pleurer. On savait tous pourquoi elle pleurait. Mais on ne l’a pas dit. Était-ce la dernière fois qu’elle voyait son ami ? La question était dans ses larmes.

Depuis, chaque fois que les médias annoncent la mort de soldats québécois, notre cœur s’arrête de battre jusqu’au moment où ils annoncent le nom des disparus. Alors on est rassurés, mais si peu. Et on n’est surtout pas contents. Ce n’est pas notre ami, mais c’est l’ami d’autres gens qui ont soupé avec lui avant son départ. Et qui ont trinqué avec lui pour que tout aille bien.

Adrien est là-bas pour un bout. J’espère qu’il est toujours aussi content d’y être.

Quand il se passe des drames comme cette semaine, je me dis que peut-être on n’aurait pas dû le respecter autant dans ses opinions et dans ses choix. Peut-être qu’on aurait dû lui dire : « Vas-y pas, maudit fou ! » Et l’attacher à la terrasse jusqu’à ce que la guerre finisse.

Je sais, c’est sa job de soldat, aller là-bas sauver des vies. Mais c’est la job de qui, sauver la vie des soldats ?