Le 20 juillet 2013
Étendu sur le lit, mon doigt glisse sur l’iPad. Mon chat Bécaud est couché en boule à mes pieds. Je m’informe, il dort. Chacun de nous exécute son occupation préférée. Soudain, je suis outré. Je lis la dernière déclaration du maire Gendron.
(Petite parenthèse en passant : c’est fascinant de constater combien les maires sont omniprésents dans l’actualité québécoise. Pendant des années, on n’entendait jamais parler d’eux. C’était comme des notaires ou des zouaves. On savait qu’ils existaient, mais on s’en fichait éperdument. C’était des notables d’une autre époque. Des figurants. Maintenant, peu importe la catégorie de nouvelles que l’on rapporte, il est toujours question d’un maire. Corruption : maire Tremblay, maire Vaillancourt, maire Applebaum. Scandale sexuel : maire Duplessis. Drogue : maire Ford. Sport : maire Labeaume. Catastrophe et courage : mairesse Roy-Laroche. Chiens écrasés ou plutôt chats écrasés : maire Gendron. Y manquerait juste que Jacques Lemaire redevienne coach du Canadien et ce mot aurait le monopole de toutes les unes. Fin de la parenthèse.)
Bécaud, écoute ça ! Le maire Gendron a déclaré que lorsqu’il voit un chat traverser la rue, il accélère. Il a déjà reculé sur un chaton avec sa camionnette et il est certain que l’animal n’a rien senti. Qu’est-ce que tu penses de ça, mon chat ? Bécaud remue la queue. Comme pour chasser un moustique fatigant. Deux coups, c’est tout.
Bécaud, tu pourrais te forcer un peu ! C’est ta gang que l’on attaque, réagis !
Je ne m’attends pas à ce qu’il réplique avec la verve d’Esther Bégin, mais j’aurais espéré qu’il sorte au moins les griffes. Surtout lui, qui s’est déjà fait frapper par une automobile. Il a failli y laisser sa peau et son poil. Il devrait se sentir visé. Il devrait grimper dans les rideaux. Être échaudé et craindre l’eau froide. Défendre sa race. La cruauté animale est inadmissible et dénote chez ceux qui la pratiquent un profond mépris de tous les êtres vivants, humains compris. Le maire Gendron a bien fait de s’excuser. La faute était grave. Même si mon chat semble s’en balancer.
Habituellement quand je m’adresse à lui, le propos est beaucoup moins complexe. Allô mon Bécaud ! Comment ça va, Bécaud ? À qui ce beau minou-là ? Si c’est pas un beau ti-chat ! Il me répond toujours de la même façon : en ronronnant.
Cette fois, il ne ronronne pas. Mais il ne grogne pas non plus. Il affiche la cool indifférence féline. C’est la grande sagesse des chats : leur flegme. Leur classe. Tous les chats sont nobles. Même les chats de gouttière ont une attitude racée.
Quand un chat se sert de sa langue, c’est pour se laver, pas pour salir les autres. Il y a bien des grandes gueules à deux pattes qui devraient suivre cet exemple.
Pourquoi toujours vouloir choquer ? Chercher l’effet ? Provoquer les sensibilités ? Et surtout, pourquoi s’en prendre aux chats ? Cette petite présence paisible et inoffensive. Qu’est-ce que ça fait de mal un chat ? Rien. Ça dort. Des fois, ça marche un peu, mais c’est juste pour changer de place pour aller dormir ailleurs. Que peut-on reprocher au chaton qui dort ?
Si les humains dormaient autant que les chats, ça irait bien mieux sur la planète. Quand on dort, on ne se tape pas dessus. Finies les guerres. Quand on dort, on ne pollue pas. Fini le péril environnemental. Quand on dort, on ne dépense pas. Finie la crise économique. Quand on dort, on ne dit pas de bêtises. Finies les excuses.
Ce n’est pas pour rien que le lion est le roi de la Création, il dort 20 heures par jour. C’est le meilleur programme politique. La meilleure façon de laisser les autres en paix. On rit bien des sénateurs, mais ce sont eux qui avaient raison. Dans le temps qu’ils dormaient au Sénat, il n’y avait pas de scandale. Depuis qu’ils se forcent pour rester éveillés, ils font des choses croches. L’éveil est le plus grand problème de l’homme.
Peut-être que Bécaud a mal compris les propos du maire de Huntingdon. Ça expliquerait son impassibilité. Je les lui répète plus lentement et plus fort. Il s’étire, saute en bas du lit et s’en va. Quand un chat est agacé, il s’en va, tout simplement. Il n’a peut-être pas saisi chaque mot, mais il n’aime pas le bruit. Il a donc compris l’essentiel du propos : tout ça n’est que du bruit. Du tirage d’attention. Bécaud s’en va se coucher au sous-sol. Je ne l’appelle pas, de toute façon, il ne reviendrait pas. Un chat n’est pas un chien. Un chat n’a pas de maître. Un chat est un bouddha. Rien d’ici-bas ne l’atteint. Surtout pas les frasques des humains. Un chat est libre. C’est peut-être pour ça qu’il en énerve certains.
L’indifférence est toujours la meilleure façon de mettre fin à la provocation. À l’écoute des déclarations incendiaires, si nous réagissions tous comme des chats, les polémistes cesseraient leur cirque. Par manque d’effet.
Le maire Gendron a beau être un redoutable orateur, face à Garfield, il serait obligé de donner sa langue au chat.