Le 17 août 2013

Le bonheur joue au tennis

Le stationnement aux abords du stade Uniprix est en garnotte. Il flotte un air de campagne. On traverse le parc Jarry. Des gens jouent au ballon, pique-niquent ou dorment au soleil. S’il y a une justice en ce bas monde, c’est être dehors, un jour de beau temps. Aucune villa de riches, aucun château, aucun penthouse ne peut rivaliser avec un endroit en plein air. L’extérieur, c’est le bonheur. Arrivé dans l’enceinte, pas de musique d’arcade agressante, pas de vroum-vroum de moteurs, pas de bruit, presque le calme. De tous les sports, celui qui est le plus appréciable sur place est le tennis. D’abord, on voit tout. Deux joueurs, parfois quatre, une balle, suffit d’avoir l’œil vif et rien ne nous échappe.

Raonic et Nadal font leur entrée. Pas de boucane, pas de laser, pas de U2, pas d’entourage. Seulement deux gars qui s’en viennent jouer au tennis. Ils traînent eux-mêmes leurs sacs, comme tous les joueurs de tennis de la planète, qu’ils soient à Wimbledon ou au parc Joyce.

Le Canadien et l’Espagnol échangent des balles. Ils s’échauffent ensemble dans une belle camaraderie. Imaginez deux boxeurs, lors d’un championnat du monde, qui pratiqueraient leurs jabs ensemble ! Ça finirait mal.

Au tennis, on a remplacé la dose d’animosité incluse dans toutes les rivalités sportives par un gros paquet de respect. On n’est pas ici pour écraser son adversaire, on est ici pour taper sur la balle. Pour être celui qui saura toujours la retourner dans les limites de celui qui nous fait face. Le tennis n’est pas un combat. Le tennis est un échange.

Je n’ai jamais vu de bataille entre deux joueurs de tennis. Certains ont le sang chaud. John McEnroe brisait sa raquette, engueulait l’arbitre, kickait la balle, faisait la baboune, mais jamais il ne bûchait son adversaire. Ce n’est pas dans la culture de ce sport. Un match de tennis, c’est avant tout un match contre soi-même. Tout est dans le contrôle de ses actes. Le talent de son rival ne fait que mettre en évidence ses propres limites.

Et puis, les joueurs sont vêtus d’un polo et d’une culotte courte ; on ne pogne pas les nerfs quand on est en culotte courte. Imaginez, gagner sa vie les jambes à l’air, en costume de détente, quel beau métier !

L’arbitre annonce le début du match. Juché sur sa chaise haute, l’officiel semble provenir d’une autre époque. Avec son petit parasol pour le protéger du soleil, on se croirait dans un camp de vacances. Dans tous les autres sports, l’arbitre est au niveau du jeu ; lui, il le domine, il le regarde de haut. On dirait le sauveteur d’une piscine sans eau.

Les petits pages qui courent les balles ajoutent à l’ambiance. Tout ça a l’air d’une belle activité scolaire. Les jeunes s’exécutent avec discipline. Leur ballet est réglé au quart de tour comme dans un spectacle de fin d’année.

Le match est commencé. Ce ne sera pas un long duel. Milos n’a que son service pour se défendre. Rafael a la vitesse, la force, le savoir. Le rêve canadien ne se couchera pas tard. La veille, les confrontations étaient beaucoup plus relevées. Djokovic contre Nadal, Raonic contre Pospisil, du bonbon. De l’équilibre des forces naît la grandeur.

Cet après-midi, le perdant a déjà gagné. Personne ne voyait Roanic en finale. Faut pas en demander plus. Les scénarios d’Hollywood, c’est à la lutte, pas au tennis.

De toute façon, Nadal, on l’aime. Surtout les dames. Si je me pognais autant le fond de culotte que Nadal, ma blonde me renierait. Mais quand c’est Nadal qui, avant chaque coup, se tire la craque, se gratte la poche, se touche l’oreille, se frotte le nez, se re-tire la craque, se re-gratte la poche, se re-touche l’oreille, se re-frotte le nez, elle trouve ça mignon. Tout doit être dans le design de la craque.

Nadal est en train de servir une leçon de tennis au Canadien et le public sourit. Au tennis, le public sait vivre. Il y a bien quelques électrons libres de temps en temps pour crier quelques âneries, mais la foule, dans son ensemble, se comporte dignement. On hue peu. On ne ridiculise pas. Pas de « na-na-hey-hey-goodbye ». On a l’esprit sportif.

Parfois, on a des absences. Le public de la Coupe Rogers s’est fait reprocher par un joueur letton d’avoir applaudi une double faute qui avantageait le joueur canadien. Le Letton avait raison. Ça ne se fait pas. Pardon mon oncle, on ne recommencera plus. Vivement un sport où le public est bien élevé. Quand une balle de tennis va dans les gradins, le spectateur ne la met pas dans ses poches, le spectateur la remet sur le terrain. Au tennis, le spectateur fait partie du jeu.

Nadal vient de gagner. Il pourrait se sauver avec son gros chèque d’un demi-million en courant jusqu’au guichet. Pas du tout. Les cérémonies officielles sont terminées, il est encore là. Il signe des autographes pour les fans. Le stade se vide, Nadal continue de serrer des mains. Les joueurs de tennis savent vivre. Ils ont tous remercié en français la foule montréalaise. Une leçon pour tous les hockeyeurs obtus. Aimer le monde qui vous aime, c’est si naturel.

Le tennis est un sport de proximité. Le tennis est un sport à l’échelle humaine.

J’ai pris du temps à devenir un habitué de la Coupe Rogers. C’est grâce à mon amie Flavie que j’y suis allé pour la première fois, il y a sept ans. Je n’ai plus manqué un seul rendez-vous depuis.

Je ne vous recommande pas d’y aller l’an prochain, j’insiste ! Je vous achale, je vous harcèle ! Vous devez y aller ! C’est un must. Vous allez me remercier. Vous ne vous doutez pas à quel point c’est agréable. C’est bon, c’est simple, c’est l’été. Regarder une balle se promener de gauche à droite est un pur moment d’enfance retrouvée. Avantage tennis.