Le 15 janvier 2012
Handicapé. C’est un mot que je n’ai jamais accepté. C’est un mot qui m’a toujours fait mal, qui m’a toujours fermé. Pourtant, quand les gens me croisent dans la rue, c’est sûrement le premier mot qui leur vient en tête. Sans méchanceté. Tout simplement parce que, pour eux, c’est ce que je suis. Une personne qui a de la misère à marcher. Une personne en fauteuil roulant. Une personne handicapée. Je m’en fous. J’ai toujours refusé de me nommer ainsi. Pourquoi réduire une personne à ce qu’elle ne peut accomplir, alors qu’il y a tant de choses qu’elle peut faire ?
Le corps humain est bien fait. Nos yeux sont tournés vers les autres, pas vers nous. Si bien que mon handicap, je suis la personne qui le voit le moins. Bien sûr, parfois il m’arrête, il me bloque. Et ce n’est que dans ces moments que je me sens limité. Le reste du temps, je me prends pour Superman, comme vous tous.
Je hais tellement le mot handicapé que, sur ma voiture, il n’y a pas de vignette de handicapé. Et je paie l’amende quand je me gare dans les endroits réservés.
Petit, j’ai décidé que je n’allais pas laisser ce mot m’isoler, m’embarrer. Ma mère a convaincu la directrice de m’accepter à l’école des enfants normaux. Et j’ai fait ma place, avec les autres, comme les autres. Évidemment, j’étais le plus poche au ballon chasseur mais, au moins, j’étais. Et quand les enfants me demandaient ce que j’avais aux jambes, je répondais : des pantalons.
Je ne parlais jamais de mon handicap. Ni à ma famille, ni à mes amis, ni à mes blondes. À personne. Était-ce du déni ? Peut-être, il y avait de ça. Pour moi, c’était la meilleure façon d’imposer tout ce que j’étais d’autre que cette erreur de la nature. C’était la meilleure façon de ne pas me laisser réduire à ça.
Savez-vous à qui j’ai parlé de mon handicap pour la première fois ? C’est à vous, chers lecteurs. Parce que lorsqu’on a le privilège de chroniquer dans un journal, il faut écrire franc, il faut écrire net. Quand on a la prétention de révéler des vérités, il faut d’abord révéler la sienne. Même la partie qui ne nous plaît pas. J’ai brisé mon tabou comme on brise le silence. Pour me rapprocher de vous. Avec ma façon particulière d’avancer.
Je vous en remercie. Je crois qu’en me rapprochant de vous, je me suis rapproché de moi aussi.
Bien que j’aie traité de mon infirmité à quelques reprises dans ces pages, je n’en ai jamais parlé ailleurs, sauf à de très rares occasions. Seule l’écriture permet les nuances et les délicatesses nécessaires aux révélations de l’intime. Dans la vraie vie, je changeais de sujet parce que le mot handicapé sonnait toujours aussi dur à mon cœur. Et surtout, parce que je n’en avais pas besoin. Tout simplement.
Récemment, j’ai compris que les autres en avaient peut-être besoin. Je suis un magané chanceux. Je suis sorti pas si poqué que ça de mon accouchement difficile. J’ai eu des parents qui m’ont donné confiance en moi. Et j’ai rencontré des gens, tout au long de ma vie, qui m’ont permis de faire ce que j’aime. Toutes les personnes différentes ne sont pas aussi gâtées que moi.
Voilà pourquoi, avant Noël, lorsque l’Office des personnes handicapées m’a demandé de devenir porte-parole de la remise des prix À part entière, j’ai dit oui. Toute ma vie, j’ai fui le mot handicapé, et voilà que je vais devoir l’assumer. Ça vaut la peine. La cause est beaucoup plus importante que mon orgueil.
Le prix À part entière récompense les individus, les entreprises et les organismes qui font des gestes significatifs pour faire progresser la participation sociale des personnes handicapées. Parce que le miracle, il est là. Le principal handicap d’une personne handicapée, ce n’est pas de ne pas marcher, de ne pas voir, de ne pas entendre ou de ne pas parler, c’est de ne pas compter. Le besoin vital de tout être humain, c’est de donner un sens à son existence. Les personnes handicapées sont trop souvent laissées de côté. On oublie de les intégrer. Il ne faut pas seulement les aider, il faut leur permettre de nous aider. Car nous avons besoin d’elles. Car vous avez besoin de nous.
Plein de gens au Québec ont le souci de donner aux personnes handicapées la place qui leur revient. Il faut souligner leur effort en espérant que leur exemple en inspirera d’autres.
Handicapés ou pas, tous les êtres humains sont limités, mais ils doivent tous avoir la chance d’aller au bout de leurs limites.
Devenir porte-parole des prix À part entière me permet d’aller au bout d’une de mes limites. Celle que le mot handicapé dressait devant moi depuis toujours. Cette crainte d’être exclu par lui, d’être réduit par lui, en l’assumant, je l’ai vaincue.
Handicapé ou pas, on ne se sent vraiment bien que lorsqu’on aide les autres.
Merci à l’OPHQ de me permettre de me sentir comme ça.
Je vais essayer de bien faire ma job de porte-parole…
Vous avez jusqu’au 10 février pour vous inscrire pour le prix À part entière. Il y a 17 prix régionaux et un prix national. Un total de 27 000 $ sera distribué en bourses aux lauréats. Le formulaire d’inscription se trouve sur le site de l’OPHQ : www.ophq.gouv.qc.ca