Le 2 juin 2012

Ni le savoir, ni le voir

Je n’ai pas envie de connaître tous les détails de l’affaire Magnotta. Pas envie d’apprendre comment le « démembreur » a découpé sa victime. Ça m’écœure. Pas dans le sens de lever le cœur. Au contraire. Ça me le descend au plus bas, au plus sombre de l’âme humaine.

Le grand Deschamps disait : « On ne veut pas le sawouère, on veut le wouère ! » Moi, je ne veux pas le sawouère, et je ne veux surtout pas le wouère !

Je ne comprends pas les milliers de personnes qui se sont empressées d’aller regarder, sur le Net, la vidéo du sordide meurtre. Ce n’est pas un clip de Marilyn Manson, ce n’est pas Freddy 13e partie, c’est la mort d’un homme. Un vrai homme. Le plaisir du sadique, c’est justement que l’on regarde son film. C’est pour ça qu’il a commis cette ignoble chose. Peut-on se garder une petite gêne ? Peut-on faire plaisir à quelqu’un d’autre qui le mérite davantage ?

Je n’ai pas envie de connaître tous les détails de l’affaire Magnotta, mais je vais les connaître quand même. C’est impossible d’y échapper.

Avant, quand on ne voulait pas entendre parler d’un fait divers, on avait juste à ne pas écouter Claude Poirier ; 10-4, c’était réglé. Maintenant tout le monde couvre les chiens et les humains écrasés, c’est la priorité. Le démoniaque Luka Rocco Magnotta a même volé la vedette à l’ange Gabriel Nadeau-Dubois. C’était la manchette principale sur toutes les plates-formes, sur tous les sites d’information.

On ne nous épargne aucun détail. C’est tout juste si on n’invite pas le propriétaire d’Au pied de cochon pour faire une démonstration. Sur un petit veau, bien sûr.

Il y a des nouvelles dégueulasses, parfois, auxquelles il faut faire face : les guerres, les famines, les catastrophes naturelles. Ça nous perturbe. Mais ça éveille notre conscience. Ça nous pousse à changer, ça nous pousse à aider. Les comptes rendus des accidents d’autos nous incitent à être plus prudents. Mais la connaissance des horreurs de Magnotta ne nous rendra pas moins susceptibles de nous faire dépecer. Ça ne nous apprend rien, si ce n’est qu’il y a de dangereux maniaques sur cette planète, mais ça, ça fait 4 millions d’années qu’on le sait.

Admettons que c’est une nouvelle pertinente, parce que hors du commun. C’est faible comme argument, mais acceptons-le, pour l’exercice. Un coup qu’on la sait, est-ce qu’on peut passer à autre chose ? Le mort ne peut pas être plus mort. Pas besoin d’en faire un feuilleton. De nous présenter la filmographie complète de Rocco, sa liste des bonnes adresses et ses photos Facebook. Pas besoin, non plus, de nous faire l’inventaire de toutes les autres affaires similaires. Pourquoi vouloir nous faire peur à ce point ? Passons à autre chose.

Je sais bien que si on le fait, si on étire la sauce, c’est parce que, contrairement à moi, il y a plein de gens fascinés par ces histoires d’horreur. Le répugnant est un « gros vendeur ». Alors que faire pour protéger les cœurs sensibles comme le mien, sans frustrer les cœurs capables d’en prendre ?

Pourquoi ne pas parler des faits divers à la fin des bulletins ? Racontez-moi la politique, racontez-moi le monde, racontez-moi le temps, racontez-moi le sport, et terminez avec la section criminelle. Comme ça je pourrais changer de poste en sachant tout ce que je voulais savoir. Dans la presse écrite, c’est plus simple, quand on veut éviter un sujet, on n’a qu’à tourner la page. Sur le Net, on n’a qu’à cliquer ailleurs. Mais à la télé et à la radio, on n’a pas le choix, il faut suivre l’ordre du bulletin. Et on ne me fera pas croire que les perversions d’un dérangé sont prioritaires.

Comprenez-moi bien, il y a des faits divers qui deviennent des faits de société. L’affaire Guy Turcotte en est un malheureux exemple. Mais l’affaire Magnotta n’a pas cette portée. En tout cas, pas pour le moment. C’est une nouvelle spécialisée. C’est Allô-Police. Que ceux qui en sont curieux aient accès aux faits, mais que ceux qui ne veulent rien savoir puissent les éviter.

Parce que lorsque l’on traite les émules d’Hannibal Lecter comme s’ils étaient la personnalité la plus hot de l’heure, tous domaines confondus, on ne fait que jouer leur jeu. On leur donne l’importance qu’ils recherchent en commettant ces actes. C’est malsain.

Un peu moins de spectaculaire, un peu plus de pudeur s’imposent.

Je sais qu’on est tannés d’entendre parler du conflit étudiant, mais il y a sûrement d’autres sujets moins désespérants…

Qu’attend le Canadien pour nommer Patrick Roy ? Et que ma ville retrouve, enfin, son sourire.