Le 25 janvier 2014
Soudainement, jeudi, le sort des gens âgés est devenu le sujet de toutes les tribunes. Devant la Charte, la commission Charbonneau et P. K. Subban. Les reporters se sont précipités dans les centres d’accueil donner la parole aux résidants. Soudainement, nos aïeux reçoivent de l’attention. Soudainement, nos aïeux passent à la télévision. Ça fait des années qu’on les cache. Qu’on les oublie bien avant qu’ils nous oublient.
Que s’est-il passé ? Une tragédie. Ça prend une tragédie pour les ramener dans la lumière. Ça prend une tragédie pour qu’on leur fasse une place. Pour réaliser qu’ils font partie de notre monde, et pas déjà de l’autre.
Pas plus tard qu’au début du mois, il y a eu un grand débat parce que l’hôtel Concorde de Québec serait transformé en Résidence-Soleil. Les commerçants étaient contre. Les vieux, c’est pas bon pour le tourisme. Ça va faire fuir les gens sur la Grande-Allée. Imaginez, si n’importe quel autre groupe de notre société avait reçu ce genre de commentaires. Pas de Noirs, près de la Grande-Allée, pas de gais, près de la Grande-Allée, on serait montés au créneau. Avec raison. Mais pour des vieux, on ne se révolte pas. On trouve de vides excuses. C’est trop bruyant, ce coin de la ville. On ne les veut pas là, mais pour leur bien à eux. Me semble…
Il aura fallu un drame pour qu’on se sente tous coupables. La Résidence du Havre de L’Isle-Verte a été dévastée par les flammes, puis figée par la glace. Le décompte des victimes ne cesse d’augmenter. La scène frappe l’imaginaire. Alors les chaînes de nouvelles en continu ne cessent de nous la montrer. Il n’y a pas grand-chose à dire, à part que c’est épouvantable. Pourtant, ça fait deux jours qu’on ne parle que de ça. Les cheveux blancs sont ratings. Alors on beurre épais.
Parmi tout ce qui se dit sur ce feu de peine, les propos les plus sensés sont ceux qui tentent d’en tirer des leçons. Le gouvernement promet d’examiner la possibilité de forcer toutes les résidences de personnes âgées à installer des gicleurs. Comment ça, examiner la possibilité ? C’est une honte que ce ne soit pas déjà fait. Il y a des gicleurs dans les coffres forts des banques, mais il n’y en a pas là où ceux qui nous ont donné la vie terminent la leur.
Que vendent les résidences pour personnes âgées à leur clientèle ? La sécurité. Vivre dans votre logis est trop dangereux, venez dans nos appartements, on va prendre soin de vous. On va veiller sur vous. Ben faites-le ! Pas besoin d’attendre le rapport d’enquête sur la tragédie de L’Isle-Verte pour procéder. Est-ce que l’installation de gicleurs augmente les chances qu’un début d’incendie soit plus facilement circonscrit ? La réponse est oui. Est-ce que des gens à mobilité réduite sont plus vulnérables en cas de sinistres ? La réponse est encore oui. Est-ce que les établissements qui les hébergent devraient prendre tous les moyens possibles pour les protéger de la menace des flammes ? Un autre oui. Il n’y a aucune raison de tergiverser, surtout pour des gens dont le sablier du temps se vide beaucoup trop rapidement.
Il faut profiter de notre soudain éveil aux destins des retraités pour agir. Pour faire avancer les choses. Pour les respecter davantage. Parce que ça ne durera pas. Les médias ne se préoccupent des aïeux qu’une ou deux fois par année. Dans le temps des Fêtes, on fait un reportage sur le Noël des petits frères des pauvres. Puis lorsqu’il y a des cas scabreux de maltraitance. Sinon, les gens âgés sont invisibles. La télé les ignore, car c’est un public captif. Ils sont devant leur télé de toute façon. Pas besoin de s’intéresser à eux, pas besoin de s’adresser à eux, ils sont là quand même. Alors on fait tout pour attirer les jeunes. Et on croit que la meilleure façon de le faire, c’est de ne pas montrer de vieux.
Pourquoi faut-il toujours perdre quelqu’un pour réaliser qu’on aurait aimé le garder ? La tragédie de L’Isle-Verte a rendu tout le Québec orphelin de ses patriarches. L’horreur de leurs morts nous fait faire des cauchemars. Nous compatissons avec cette communauté terriblement éprouvée. Mais dans un mois, dans six mois, dans un an, pendant qu’ils seront toujours affligés, nous serons ailleurs. Avec d’autres pensées dans le cœur. Voilà pourquoi, il faut faire, sur-le-champ, un examen de conscience.
Écouter les gens âgés, pas seulement quand il y a un feu. Mais en tout temps. Cessez de faire de l’âgisme. L’âge n’est que la mesure du présent. Il y en a pour qui le présent dure depuis 10 ans, d’autres depuis 80 ans, mais nous faisons tous partie du même moment. Celui-ci.
J’offre mes condoléances à tous ceux qui ont perdu un parent ou un ami dans cette épouvantable tragédie.
Nous avons tous vieilli de 100 ans durant les derniers jours. Puisse cela nous aider à comprendre que nous venons tous de la terre de nos aïeux, et que nous nous dirigeons tous, autant que nous sommes, vers le ciel de nos aïeux.