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Je suis dans le Jardin du Luxembourg, je manque mon cours avec Maginel ce matin, il est tellement plate. J'ai été à seulement un ou deux de ses cours depuis un mois et demi. Je n'ai assisté à aucun cours de M. Radenac. Il fait trop froid pour écrire. Je vais aller à la biblio de la Sorbonne, un jour il me faudra bien la visiter. J'ai un de ces maux de tête, Paris suce mes dernières énergies. Je n'ai même pas encore commencé à étudier, à se demander si je vais commencer un jour. Réveille ! C'est le mois de décembre ! Selon Franklin, qui est à Rome en ce moment, il y a tout plein de gays dans le cours de M. Tapin. Malheureusement ils sont tous laids. Il y a tellement de sensibilisation sur le sida, pourtant les chiffres des statistiques ne cessent d'augmenter. Il y a cette folie de faire du sport chez les gays. Rares sont les gays qui ne s'entraînent pas. Pour rester beaux, je crois, car dans cet univers il faut être beau pour coucher avec quelqu'un. Je ne parle pas d'avoir une relation de fidélité, ça, je ne suis pas sûr que ça existe, et à Paris je sais que ça n'existe pas. Bref, il s'en passe des choses catholiques dans les centres de sport, du sexe, du pognassage, des transmissions de maladies. Mais ça c'est aussi chez les straights, ne vous illusionnez pas trop vite, chaque hôtel du monde entier possède son industrie de paradis aphrodisiaque.
Il y a une nouvelle génération de quêteux qui déferle sur Paris et surtout dans le métropolitain : « Bonjour, mesdames et messieurs. Excusez-moi de vous importuner, je sais que ce n'est pas la première fois aujourd'hui et j'espère que ce sera la dernière. » Tu parles d'une solidarité. Et là, c'est ici que l'histoire change un peu selon la personne : « Je n'ai pas mangé depuis deux jours. J'ai perdu mon emploi, ma femme et mes enfants. Je me suis retrouvé dans la rue. Si vous pouviez me dépanner de quelques francs ou même d'un ticket restaurant, ça pourrait me permettre de me loger, de me nourrir et de me laver ce soir. Je vous remercie, mesdames et messieurs, de votre générosité et j'espère que ça ne vous arrivera jamais. » Tu parles s'ils le souhaitent, et d'ailleurs ça risque de m'arriver bientôt. Parfois, on entend la même histoire racontée par deux personnes différentes, dans deux coins différents du métro. Peut-il vraiment y avoir deux hommes qui ont des femmes qui se font des tampax avec des kleenex et du scotch tape (des serviettes hygiéniques avec des mouchoirs de papier et du ruban adhésif) ? Ces mendiants qui me rendent coupable, moi qui ne pourrai même pas vivre au-delà du mois de novembre. Je donne sans cesse mes dernières pièces empruntées à ces femmes arabes qui ne bougent pas, assises sur des marches, tenant un enfant ou deux. Elles restent là pendant des heures, ça parce qu'ils sont probablement ici illégalement et que cela, ça ne pardonne pas. Ça ne m'en prendrait pas beaucoup pour être ici illégalement. Perdre un papier important ou me le faire voler, faire une erreur dans toute la paperasserie administrative ou de l'immigration, tout cela est fort possible. Ne plus avoir d'argent pour retourner au Canada, ou être incapable d'y retourner sous peine de perdre quelque chose ici, comme la carte de résident. Et puis je voudrais travailler mais c'est illégal.
Il y a aussi les musiciens. Sébastien n'aura pas de problème à en trouver, les métros en sont pleins. Souvent ils sont agressants, ils entrent juste avant que les portes ne ferment alors qu'il n'y a plus de place et que les gens sont crevés de leur journée. Ils commencent à se faire de la place et à jouer de l'accordéon alors qu'ils semblent ne savoir qu'un morceau ou deux. Est-ce que ça paye la mendicité ? J'ai l'impression que oui, sinon, que font tous ces gens, il faut bien qu'ils payent leur logement, la bouffe. Tout ça est hors de prix à Paris.
Où sont les beaux gars en France ? Le seul que j'ai vu et qui m'a vraiment frappé, c'était justement au BVG, l'auberge sur la rue des Bernardins. Un Américain, je pense, ô ironie. Pas que les gars soient laids, mais d'un genre différent qui ne m'excite pas. Ça, pour ressembler à des cartes de mode, ils l'ont très bien. Grand, mince, l'air motard un peu, fragile à la fois (sont pas des Hell's Angels), ce n'est pas pour moi. Non pas que les Américains soient tous beaux, même en général, mais au moins on en voit quelques-uns de temps à autre qui sont bien. Peut-on se conditionner à ce qui est beau comme on se conditionne au café ? Est-ce que je m'habituerai à leur idée de la beauté d'un homme en France ? On en reparlera lorsque je serai vraiment en manque de sexe, ce qui ne saurait tarder.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>