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Je repense à une de mes amies qui m'a dit dernièrement que pendant les six années de son mariage, elle et son mari n'ont jamais fait l'amour. Ça lui a pris six ans pour se réveiller. Moi, trois jours sans rien faire et c'est : Sébastien, Sébastien, ça fait trois jours ! Elle est victime d'abus sexuels, un oncle, mais ça je ne suis pas supposé le savoir ni le dire à personne. Elle est si belle en plus. Je pense qu'elle a dû avoir le sexe en horreur à cause de son oncle. Son mari devait être gay ou impuissant ou pas déniaisé. C'est drôle que ça ne me touche pas, c'est-à-dire que je le dis, j'y pense, mais je suis incapable d'imaginer ce qu'elle a vécu, ce qui peut devenir si lourd et bloquer tous ses sentiments, toute sa vie. Ça lui donne l'impression d'être une moins que rien. Non seulement elle souffre et y pense sans cesse, mais on le voit qu'elle est marquée à vie. Tu te demandes ce qu'elle apprend là-dedans, si elle peut apprendre quoi que ce soit à part que l'homme est une vraie saloperie. Une famille de religieux en plus. Lorsqu'elle voulait la séparation, son frère lui a fait tout un discours comme quoi elle devait demeurer avec son mari et tenter de résoudre les problèmes, communiquer, patati et patata. Il est arrivé avec la chanson The One de U2, c'est à cause de cette chanson que je sais son histoire. Mais j'ai l'impression que le frère se goure, la chanson parle d'unité, mais pas que Bono va crever avec l'autre, au contraire, il va le laisser son copain (ou sa copine). Mon amie voyait ça dans le même sens. Enfin, bon, il faudrait que je retrouve le numéro de téléphone de Bono dans mon carnet et que je l'appelle pour savoir c'est quoi le fond de l'histoire de sa chanson. Lui demander en même temps s'il veut venir prendre une bière à Paris avec moi, mais que c'est lui qui paye parce que moi ce n'est pas réaliste que je paye une bière à quelqu'un. La pauvre, le pauvre, et puis moi ? Moi, moi, moi ! Moi aussi je veux faire pitié, je veux pouvoir dire que j'ai été violé, que je me suis marié vainement comme tout le monde qui m'entoure et qui sont tous divorcés ou séparés. Il y en a qui ont de la chance et qui ne s'en rendent même pas compte.
Je m'aligne pour couler mon année scolaire. C'est sûr, confirmé, écrit dans le ciel. Le latin, c'est du vrai chinois et j'ai pris conscience hier que ce serait plus difficile de passer à travers ça que la grammaire. La prof écrit ses grands tableaux de signes incompréhensibles et je suis incapable de les noter parce qu'elle écrit trop mal et que c'est impossible de figurer ses petits dessins. Elle passe le cours à nous parler dans un vocabulaire latin et français, deux langues incompréhensibles. Ablatif, datif nominatif de troisième degré de déclinaison e degré zéro adjectival de deuxième classe. Mais bonyienne, qu'est-ce qu'a radote, dans quelle langue qu'a chie ? Il n'y a pas un mot de latin dans ce que je viens dire. Homo omnis lupus. Ça veut dire : « Les tapettes règnent sur le monde », et je suis convaincu que peu de gens pourront dire que j'ai tort. Le latin est une langue morte, mais personne n'a pensé à le dire aux profs de la Sorbonne qui vivent tellement dans leur bulle qu'ils ne l'ont jamais su. A moins que ce soit encore une histoire de bureaucratie. Ça fait peut-être des siècles qu'une mention a été déposée pour que l'on supprime ces cours, depuis ça tourne dans la machine et dans une couple de millénaires on va enfin réussir à éliminer ces infects cours obligatoires. « Ce n'est pas ma faute. » M. Radenac a passé une heure à faire l'apologie de cette phrase de Valmont des Liaisons dangereuses ce mercredi. Jamais j'aurais cru que l'on puisse être plus passionné que moi encore sur la violence et la cruauté de Valmont. Plus c'est dégoûtant, plus il en raffole. Quand je vous dis que le peuple a besoin de sang, de chair fraîche et de cruauté, même les profs de la Sorbonne, qui semblent n'avoir aucune vie sexuelle, en jouissent lorsque cette violence sexuelle est là dans un livre qu'ils ont mythifié, cristallisé sur les murs des amphithéâtres. M. Dalloz est en crise existentielle permanente, peu importe le livre qu'il décortique, Céline en ce moment, il voit de la crise existentielle partout. M. Tapin, lui, je lui arracherais sa chemise jaune serin (parfois rose flamboyante) qui m'empêche de suivre son cours, et j'avalerais son nœud papillon rouge vif avec les petits carrés bleus pâles dessus. Ils feront donc n'importe quoi pour nous déconcentrer de leur matière désuète et plate à mourir ? M. Abarnou, lui, achève de mourir dans l'œuvre de Racine. Il peut citer n'importe quel passage par cœur de n'importe quelle pièce. Toute la littérature mène à Phèdre ! Il y a de quoi se tirer une balle. Moi, ma crise sexuelle je ne la transpose pas, je la vis pleinement. Et si les profs de la Sorbonne en faisaient autant, les cours provoqueraient déjà moins de suicides.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>