36

 

Ma vie n'est qu'un échec constant. Comme disait Nathalie, les gens sont incapables d'apprécier une marche dans les bois, et comme dirait Artaud, les gens sont pressés et marchent dans toutes les directions, on croirait qu'ils sont prêts à construire un nouvel univers, mais non : « Je suis foutu, com-plè-te-ment fou-tu... Regardez-moi ces gens. Qu'est-ce que c'est que ça ? A quoi sert-il qu'il y ait tant d'hommes sur la terre ? Vous les voyez se démener, se précipiter. On croirait qu'ils vont faire quelque chose d'intéressant. Mais pensez-vous. Ils ne pensent qu'à gagner de l'argent, à bouffer, à baiser, c'est tout. A quoi sert-elle leur vie ? » Avec un tel rejet des valeurs sociétaires, on comprend qu'à vouloir se démarquer de la masse on l'ait enfermé. Etait-il homosexuel ? Après toutes mes lectures à son sujet, ça me donne l'impression que l'homme n'avait pas de sexualité. Ou poussé à la limite de l'idiome, il aurait utilisé toute son énergie sexuelle à tenter de sortir de son moi intérieur. Il tente de démystifier et démythifier la chrétienté, ou du moins la religion, ainsi que le système du savoir. C'est drôle que ce soit un fou qui arrive à nous faire comprendre que le savoir n'est qu'une convention qu'on peut rejeter, puis du même coup, se faire enfermer pour un tel rejet. L'homme est devenu acteur omniscient permanent.

Dans le cours de M. Dubois, les premières fois que j'avais remarqué Nathalie, elle me faisait rêver. J'avais écrit : « La fille du cours d'Anne Hébert, elle sort d'on ne sait où, son accent d'un autre matin, comme elle s'habille, elle projette admiration. Elle voyage beaucoup. Jeune la fille, voix sensuelle et romantique, mature pour son âge. Serais-je que j'appartiens maintenant au monde des adultes, je suis déjà trop vieux pour avoir un petit cousin là où je vais. Moi qui veux peut-être vivre pour tant de jeunesse, qui m'oblige à m'étouffer. Je tuerais mon ami barbare que j'aime alors que je veux mourir avec, là le paradoxe et le dilemme. Que faire ? Il me faut connaître tout le monde afin de me convaincre que rien ne m'intéresse, ou oublier tout le monde pour me consacrer à mon barbare ami. Il me faudrait coucher avec Nathalie sans conséquences. Mais c'est trop dangereux car on ne peut faire confiance à personne et on ne peut faire confiance à sa conscience. Je recherche ma liberté, mais elle me coûte trop cher. »

Ainsi je pensais coucher avec Nathalie. Je le lui avais même dit, après lui avoir avoué que j'étais gay. Elle n'a pas répondu, je n'ai pas poussé plus loin. Elle aussi était en relation à distance, avec un gars des Pays-Bas. De toute façon je n'aurais pas voulu tromper Sébastien, même si je l'ai fait avec Edward. En passant, Sébastien est venu ce soir, on a fait l'amour comme des malades, je l'aime vraiment. Il me serait très difficile de le laisser pour Paris. Si je pouvais, je l'épouserais, je le lui ai dit ce soir. Mais cela ne garantirait en rien une fidélité mutuelle. Et la seule pensée qu'il me tromperait m'empêche de vouloir continuer. Cela évidemment parce que moi-même je veux être fidèle. Autrement je m'en foutrais un peu. Est-ce bien vrai ? Du moins, j'endurerais qu'il me trompe. Mais je ne veux pas de ce genre de relation. Je voudrais une maison en France, avec lui, loin de toute tapette éventuelle.

carole cadotte <138194788@archambault.ca>