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Quelle vie ! J'ai fait une gaffe terrible tout à l'heure. Le père de Sébastien est tombé de l'échelle, Sébastien est allé à l'hôpital avec son père, ils lui ont dit de retourner à la maison, qu'il n'y avait pas de problème. Le problème, c'est qu'en arrivant à la maison le père de Sébastien a perdu connaissance, ses yeux sont devenus blancs et lui tout raide, Sébastien était sûr qu'il était mort. Il est retourné à l'hôpital à une vitesse folle, brûlant tous les feux rouges, klaxonnant aux carrefours. Son père a repris connaissance, il disait qu'il entendait Sébastien crier. Je n'ai pas su voir la gravité de la situation et j'ai dit comme ça qu'ils allaient maintenant obliger Sébastien à finir le toit de la serre tout seul. Sébastien m'a dit que c'était très égoïste ce que je disais là, qu'il n'était pas du tout question de ça à l'heure actuelle où son père était à l'hôpital et qu'on s'inquiétait. C'est vrai. Maintenant que je retéléphone pour m'excuser et lui dire que je n'avais pas compris la gravité de la situation, ils sont partis. Sébastien m'a presque raccroché au nez. Des plans pour qu'il me laisse. Qu'il s'imagine que je n'ai pas de cœur. En tout cas, une chose est certaine, Sébastien va maintenant être un fils docile. Je suis convaincu maintenant, mais alors là, vraiment convaincu qu'il n'est plus question de partir. Les parents de Sébastien sont trop vieux, il faut les soutenir, et blablabla. Christ ! Quand on sait ce que ces parents font pour leurs enfants ! Il n'a jamais été question d'aider Sébastien financièrement, peu importe les durs moments de son existence. Surtout pas lorsqu'ils l'ont mis dehors.
Je viens de parler avec Sébastien, ça sent le salon mortuaire chez lui. Je me suis excusé pour tout à l'heure, il ne pouvait pas me parler. Il va me rappeler dans dix à quinze minutes. Bon dieu, qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qu'il me cache ? Il ne se rend pas compte que ça me rend malade cette maladie de ne pouvoir me parler. Je parie que dans dix à quinze minutes il ne m'en dira pas davantage. Rien ne se passe, l'hôpital est incapable de dire pourquoi il a perdu connaissance. Ils pensent que c'est la crise cardiaque, le père lui-même est incapable de répondre, lui qui a déjà fait une crise cardiaque.
Effectivement, il ne m'a rien dit. En fait, pendant vingt minutes on est demeuré silencieux au téléphone. Semblerait que le gros problème, c'est que Sébastien soit demeuré traumatisé d'avoir cru pendant vingt minutes que son père était mort à côté de lui. Je peux comprendre ça, moi je me traumatise pour bien moins. Les silences de Sébastien entre autres.
carole cadotte <138194788@archambault.ca>