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J'ai rencontré Vanvinburène au Pivik. God ! C'est fait exprès ! Je devrais l'accuser : « Il fait exprès ! » Sébastien m'a téléphoné ce soir. Comme il semble dépressif, il se rend compte que je l'aime moins de ce temps-ci. Ça m'a donné un choc, je crois que je l'aime. Je souhaite qu'il devienne un rien plus nostalgique et romantique, pour que je puisse revenir à lui plus facilement. Je suis déjà si loin. Mais chaque fois que je le reverrai, je me rapprocherai de lui. En attendant, je me demande si je vais poster la lettre suivante à Edward ?

 

Salut, ô Ed !

La vie est plate. Je suis dans le cours de M. Vanvinburène, ça dure trois heures et je lutte pour ne pas ronfler. Dans ces temps je ne fais que penser à toi. Dans tes lettres, parle-moi de ton passé. D'où viens-tu, qui es-tu, pourquoi toi et ta sœur étudiez à Oswego et non à New York ? Pourquoi étudies-tu la littérature française ? Pourquoi ne resterons-nous jamais dans la même ville, sinon Paris ? Tu dois trouver toi-même du travail en France. Mais pour être professeur, ce sera difficile. Peut-être tu peux t'inscrire à une université de Paris ? Quand donc te reverrai-je ? Tu m'as promis de faire l'amour pendant quatre heures, puis de prendre un bain avec moi, je ne peux penser à autre chose. Mais tu sais, je me contenterais de ta présence, ta senteur, de te prendre dans mes bras. Ah ! Si je pouvais ressentir la même chose avec Sébastien ! Quand donc vas-tu revenir ? Serons-nous seuls ? Sébastien se rendra-t-il compte de quelque chose ? La solution serait de laisser Sébastien, j'en serais incapable, sauf si je me rends compte que tu es mieux. Je dois te revoir pour cela, et je dois pouvoir te voir souvent, ce qui me semble impossible. Il nous faut nous contenter d'une relation d'amitié à distance et espérer se voir lorsque c'est possible. Si tu reviens, cela ne me surprendrait pas que Sébastien veuille que tu ailles chez lui. Ah ! Ed, tout nous sépare et j'ignore quels pourraient être mes sentiments envers toi.

Tu imagines, si nous étions tous les deux à Paris ? Ce serait merveilleux. Ô Ed, j'aime tout en toi. La vie est cruelle, je suis face à un avenir incertain, je ne sais plus quelle place occupera Sébastien, mais je sais que je veux être ton ami, mais pas un ami comme les autres. Jamais je ne voudrais que tu te forces à m'écrire ou m'appeler. Moi aussi j'ai en moi un endroit qui t'est réservé. Trouvons un terme approprié : nous sommes special friends, des amis spéciaux. So you're my special friend, ô Ed, pour longtemps, j'espère. Il est tellement rare de rencontrer la bonne personne. Moi aussi j'ai gardé ce souvenir lorsque je t'aidais en grammaire à Paris. Comme j'étais déçu lorsque tu m'as montré la photo de ta copine, en plus je la trouvais laide. Excuse-moi, c'est de la jalousie. Mais que vient faire la jalousie là-dedans ? Tu as droit à ta vie et moi la mienne, malheureusement. Il me faut te voir au plus vite, je veux te voir ! Reviens bientôt, invente-toi un prétexte, ou viens à l'insu de Sébastien. Je veux me retrouver avec toi, en caleçon et t-shirt, puis nus. Edward, je voudrais t'embrasser dans le cou, toucher ta peau, te gratter le menton, te regarder l'intérieur de la bouche, voir ma réflexion sur tes dents, puis le reste, je te laisse l'imaginer. Je t'aime (le gros mot) ô toi my special friend.

 

Comme cette lettre est puérile. C'est la première fois que j'utilise ce mot, mais aucun autre n'aurait ici sa place. On accuse souvent de puérilité, d'innocence, de naïveté, d'inexpérience. Mais lorsque nous en sommes conscients, les accusations tiennent-elles encore ? Conscient et ne rien changer à ses actions, qu'est-ce que cela signifie ? Vive la puérilité !

Je suis d'humeur massacrante. Jim m'a reproché des banalités, je lui ai presque sauté au cou (pour l'égorger). Ses banalités, qu'il les garde donc. Lui qui ne parle jamais, je le sais très bien que lorsqu'il parle, c'est que le problème est beaucoup plus généralisé, et surtout ailleurs. Le problème n'est pas dur à voir, il n'en veut plus de ses colocataires qui détruisent sa maison. Puis son copain Nick voudrait nous sortir de là. Il prendrait ma chambre ? C'est définitivement la fin de mon bail, à la fin de l'été, Paris ou non, I'm out of the house. Non pas que je ne veux plus affronter les problèmes, mais j'accepte que cela fait plus d'un an que Jim cherche à se débarrasser de sa visite et que c'est le temps que je le comprenne. Il n'a jamais osé faire l'amour avec Nick while we were home. They need everyone to be out. Is this because he is Italian? Catholic? Non, j'exagère, mais il est tout de même prude, le Jim, et c'est aussi la première fois que j'utilise ce mot. Mais vaut mieux être puéril et conscient que prude et inconscient ! Bon, les vacances sont finies.

Dur à croire ? Il me reste deux semaines de cours plus une demie. Les gens commencent à espérer la fin, moi je m'en fous. Je ne vois pas très bien comment je vais faire tout ce que j'ai à faire et je ne sais pas ce que je vais faire lorsque tout sera fini. On dirait que je ne puis attendre pour partir vers Paris, mais je dois avouer que je suis conscient que je serai déçu. Que je me réveille à Paris, à Ottawa ou à New York, n'est-ce pas la même chose ? Davantage de chances de réussir à Paris peut-être, même pas, et certainement bien des dépressions. Paris might not be that great, and that is what I am going to discover. I should not be that impatient to go there. Just live day by day. Cette nouvelle passivité sur ma vie, qui me permet d'arrêter de penser, de me lancer et subir l'environnement, en espérant qu'un jour cela va se terminer. I'm sick. Sick sick sick. Je n'ai pas même cette impression d'avoir terminé quelque chose avec mes études. Même si cette année ce serait le doctorat que l'on me donnerait, cela ne changerait rien. Quel est donc mon problème ? Je ne veux rien savoir de la société, je ne veux que m'isoler loin, très loin. Retour autour du Lac Saint-Jean peut-être, hors des villes et villages, ça c'est de l'isolement. J'en ai assez de tous ces gens que je rencontre chaque jour, auxquels je téléphone sans cesse. J'apprends peut-être des choses, je n'en vois pas le but. Le bien, le mal, fuck it. Vingt et un ans à essayer de faire le bien pour finalement aller tromper Sébastien. Que me voilà donc bien préparé pour ma vie de saint homme. « Mais la contradiction est saine pour celui qui essaye d'adapter l'Univers à ses principes. » Si je me tirais une balle ce soir ?

carole cadotte <138194788@archambault.ca>