Chantal Thomass, Défilé 2004.
Imposé par l’hygiène et la pudeur, le linge de corps devient, à partir du XVIe siècle, un élément raffiné de la parure, tout au moins dans ses parties visibles. Au XVIIIe siècle, le linge de corps est simple, servant principalement comme support aux dentelles amovibles que l’on coud dessus pour pouvoir les enlever afin de nettoyer les deux éléments séparément. La pièce principale, comme aux siècles précédents, reste la chemise, toujours blanche, longue et ample, en fine batiste pour les élégants, dans une toile très épaisse pour les gens du peuple. Autrefois, le linge étant conçu pour durer toute une vie, l’entretien de celui-ci tient une place importante. Le linge était lavé seulement une ou deux fois par an, ce qui explique le nombre considérable de pièces dans un trousseau. Ainsi, au XVIIIe siècle, un beau trousseau ne contient pas moins de soixante-douze chemises. Au XIXe siècle les journaux et revues de mode prodiguent des conseils pratiques à la ménagère, et les réclames foisonnent pour savons et autres produits d’entretien.
Dans nos campagnes et villages français, il existe encore parfois des vestiges des anciens lavoirs, lieux de rassemblement féminin, témoins des mille et unes prouesses exercées pour obtenir un linge parfaitement blanc et éclatant avec comme seuls outils, la planche striée, le savon, l’eau qui coule et le dur labeur. La nostalgie de ce temps révolu, chassé par la propagation des blanchisseries et autres techniques mécaniques de nettoyage comme la vapeur, se trouve dans ces quelques lignes tirées de Guy de Maupassant : « Et il revit soudain sa mère, autrefois, dans son enfance à lui, courbée à genoux devant leur porte, là-bas, en Picardie, et lavant au mince cours d’eau qui traversait le jardin le linge en tas à côté d’elle. Il entendait son battoir dans le silence tranquille de la campagne, sa voix qui criait : « Alfred, apporte-moi du savon. » Et il sentait cette même odeur d’eau qui coule, cette même brume envolée des terres ruisselantes, cette buée marécageuse dont la saveur était restée en lui, inoubliable, et qu’il retrouvait justement ce soir-là même où sa mère venait de mourir.[43] »
Dans son livre retraçant l’épopée du trousseau, Olga Veschoor évoque ces modalités d’entretien du linge au XIXe siècle. Le lessivage concerne l’ensemble des personnes féminines de la maison, des domestiques à la maîtresse de maison, et ceci pendant plusieurs jours. En attendant le grand jour, le linge sale est placé dans de grands sacs avec de la cendre qui absorbe l’humidité et ainsi empêche le linge de moisir. Les garnitures, plus fragiles, sont enlevées du vêtement pour être nettoyées à part. Le journal Le Miroir des Modes de 1903 propose à ses lectrices un patron de jupon qui « … se distingue des autres en ce que le volant peut être boutonné à la jupe, (ce qui permet) qu’on enlève le volant pour le faire blanchir »[44].
Ce linge est savonné et mis à tremper avec des produits d’entretien d’abord confectionnés par la maisonnée, puis vendues tout prêts dans les drogueries. On met le linge à bouillir dans des lessiveuses qui sont d’abord en bois, ensuite en fer. Au XIXe siècle, on remplace ces deux étapes par une seule et unique qui consiste à placer le linge dans un cuvier en fer à la vapeur. Au lavoir, la lavandière s’agenouillait dans une cassette ou « carrosse » pour frotter le linge sur une planche striée, le battait et le rinçait à grande eau. Enfin, le linge était étendu ou suspendu pour être séché. Les familles aisées pouvaient faire appel aux services des lavandières-blanchisseuses avant la création des premières enseignes de blanchisserie au XIXe siècle.
Une fois nettoyé et séché, le linge était repassé sur des grandes tables avec des fers pleins ou creux, en fonte ou en fer. Olga Veschoor énumère les différents types de fers utilisés en fonction de la pièce à repasser : « fers à ballonner (une boule de fonte au bout d’un manche), à tuyauter (une tige de fer), des fers à glacer qui polissent les vêtements par des semelles à boules ou striées. Pour gaufrer les coiffes ou les dentelles, on utilisait des tiges de paille, de bois ou de métal … entre lesquelles on pinçait l’étoffe avant de repasser »[45].
D’autres pièces avaient besoin d’être légèrement rigidifiées par l’amidon. C’était le cas de coiffes, bonnets, plastrons, cols et manchettes, robes de baptême ou de communion et jupons. L’amidonnage avait la propriété de conserver les vêtements propres plus longtemps. On entretenait le linge jusqu’à l’usure complète, d’où l’importance de savoir bien repriser les petits accrocs et accidents.