Editions Ostra, vers 1930. Carte postale dos vierge,
9 x 14 cm. Collection privée, Paris.
Dans un article intitulé « Le Pantalon féminin », paru dans Ramage n°13, Lydia Kamitsis analyse l’influence qu’exerce la pratique des sports sur le vêtement féminin. Si l’art équestre peut s’accommoder d’une monte en amazone, c’est-à-dire où la femme place les deux jambes d’un même côté, pouvant ainsi porter la jupe longue, ce n’est pas le cas du vélo. En effet, les jupes amples peuvent s’accrocher aux roues, à la chaîne ou aux pédales, puis les hasards climatiques (coup de vent) ou de route (chute, collision) peuvent soulever les jupes. L’invention et la pratique toujours grandissante du vélo amènent à proposer un nouveau type de vêtement. C’est le pantalon de zouave, uniforme militaire d’origine orientale, qui sera élu dans un premier temps. Ce dernier, de forme très ample, couvre largement la partie inférieure du corps de la même manière qu’une jupe, mais possède deux jambes pour assurer l’aisance et le mouvement nécessaire pour le pédalage. Avec ce pantalon, désormais vêtement de dessus, on porte une chemise à plastron et cravate, et canotier ou chapeau de feutre, empreintes de la garde-robe masculine. Plutôt décrié par les journaux de mode qui protestent contre son manque d’élégance, le pantalon de zouave sera concurrencé par d’autres propositions : la jupe fendue, appelée plus tard la jupe-culotte ou la jupe longue, qui dissimule entièrement le pantalon porté en dessous. D’autres tentatives seront lancées, mais sans lendemain.[66]
L’adoption du pantalon s’est déjà fait pour d’autres sports, tels les bains de mer ou la gymnastique. Mais à la différence de ces derniers, pratiqués dans des lieux géographiques circonscrits, le vélo, comme le sport équestre, se pratique dans des aires publiques généralement accessibles à tous (parcs, boulevards, chemins…). La différence est de taille : là où le pantalon, largement visible sous la tunique de la baigneuse, ne choque pas la bienséance car cette tenue reste contenue à la plage, l’amazone ou la cycliste, une fois descendue de l’animal ou de la machine, devient une simple promeneuse parmi d’autres et se doit d’être habillée conformément, donc sans pantalon visible. Les journaux de l’époque, tout en reconnaissant la nécessité de porter un vêtement mieux adapté à l’activité sportive, restent frileux dans leurs propositions : « La culotte, très pratique cela est certain, allait mal à certaines personnes et avait en plus un cachet particulier que beaucoup de femmes ne voulaient pas admettre. La jupe, convenable pendant la marche, rendait l’exercice de la bicyclette moins facile, et un peu dangereux ; elle ne convenait nullement aussitôt qu’il s’agissait d’excursions un peu longues. Aujourd’hui, les tailleurs ne sont plus en peine ; ils ont inventé beaucoup de modèles différents qui tous ont pour but de réaliser ce programme : le pantalon pratique sur la machine, prenant l’aspect correct de la jupe lorsque la femme marche.[67] »
Ainsi, le pantalon cycliste n’est guère plus que « toléré » comme vêtement de dessus. Bouffant et vaste, sans épouser aucune forme, on l’appelle « la blouse à jambes », « la robe-pantalon », « la séparatiste », « la jambe à part », « la robe androgyne », ou encore la « robe-monsieur ». Bien qu’il soit taillé dans une grosse toile, il faisait surtout l’effet d’un pantalon de dessous que les femmes auraient consenti à montrer. Du coup, l’époque régurgite de caricatures et chansons leses mettant en scène le pantalon cycliste. D’où les nombreuses tentatives de dissimuler ou de masquer le pantalon du cycliste, qui aboutira finalement au triomphe de la jupe-culotte, analogue en forme de la tenue féminine du jour.