Chantal Thomass, Ensemble.
Collection Automne / Hiver 2001- 2002.
Effectivement, le port du corset est perçu comme éminemment moral, c’est une nécessité pour toute femme qui souhaite être décemment vêtue. La raideur des baleines et le port droit du buste est censé illustrer les manières irréprochables de celle dont il souligne les courbes. Au contraire, on considère qu’une femme qui sort sans corset, en particulier au temps de l’Angleterre victorienne, arbore une tenue indécente ou manque carrément de « tenue ». Valérie Steele dans Fashion and Eroticism (1985)[75], souligne parfaitement cette contradiction du corset porteur à la fois d’une valeur morale et d’un idéal sexuel féminin. On a longtemps accusé les femmes de la bourgeoisie du XIXe siècle, que ce soit dans l’Angleterre victorienne ou dans la France du Second Empire, de pruderie voire de pudibonderie excessive. Or, en cette seconde moitié du XIXe siècle, l’usage de dessous érotiques et de corseterie lors des relations amoureuses se développe énormément. Les auteurs soulignent l’importance du corset dans la vie conjugale ; Gustave Droz, par exemple, dans Monsieur, Madame et bébé, affirme que le bonheur sexuel est un élément essentiel au mariage et il préconise aux maris de déshabiller leur épouse après le bal ou de les habiller avant. Lacer le corset de sa femme paraît procurer d’infinies émotions à l’époux qui remarque la taille se contracter et la silhouette prendre forme sous ses propres mains. Le corset permet ainsi à l’homme de modeler la femme à sa guise. Du côté féminin, comme le souligne Valérie Steele, l’emprise du corset éveille la femme à la conscience de son corps, ce dernier lui étant alors encore plus présent et plus défini. Ainsi, porter un corset signifie être une femme adulte qui a un rôle sexuel à jouer dans le mariage. Certains vont même jusqu’à dire que le corset procure une extrême sensation de plaisir à celle qui le porte et serait donc pour la femme, en ce sens, également sensuel.
Tous ces facteurs, auxquels on peut ajouter les débats sur les bienfaits et les méfaits de cet accessoire, entretiennent son attractivité. Le corset d’ailleurs, s’il a plutôt disparu des vitrines de lingerie prêt-à-porter, est toujours resté présent dans le domaine des dessous érotiques. En 1930, par exemple, la maison Diana Slip provoque un réel engouement pour les dessous victoriens et fait appel à des professionnels de la corseterie afin de réaliser des modèles pour une clientèle nostalgique. Il en résulte des dessous gainés d’armatures, noirs et festonnés, proches de ceux des prostituées d’alors et des danseuses de Montmartre. Ce culte pour une mode désuète, mais à forte teneur érotique, a marqué les années 1927-1939, phénomène compréhensible lorsqu’on constate la simplicité des formes et des coloris des tenues de cette époque. Cet intérêt pour une corseterie sophistiquée vient faire contrepoids à la sobriété ambiante.