CHAPITRE VII

L’homme qui ne souriait jamais

Un jour de mi-janvier 1842, Virginia Poe chantait en s’accompagnant au piano, l’un de ses passe-temps préférés, lorsqu’elle s’interrompit brusquement et se mit à cracher du sang. Edgar crut à la rupture d’un vaisseau sanguin mais sans doute était-ce plutôt le signe que les poumons étaient atteints.

Dès lors, Virginia nécessita la plus stricte attention malgré des circonstances rien moins qu’idéales pour une invalide. Un voisin rapporta qu’elle était forcée de rester allongée sur un lit étroit dans une chambrette au plafond si bas qu’elle le touchait presque de la tête ; c’est là qu’elle dut endurer son mal, parvenant tout juste à respirer. Personne, toutefois, n’osa signaler à son époux combien ce contexte était préjudiciable à la santé de la patiente ; il était devenu « susceptible et irritable », « vif comme l’acier et le silex », dit quelqu’un qui le connut bien à cette époque. Graham se rappelait que Poe restait prostré au chevet de sa femme, à l’affût du moindre tressaillement, du moindre toussotement, avec « un frisson, un frisson du cœur qui était visible ». Il n’autorisait personne à évoquer le fait qu’elle pourrait mourir…, « la moindre allusion le mettait hors de lui. »

Ce qui ne l’empêcha pas d’écrire sans fin sur la mort. Le peintre de Vie dans la mort souhaite faire le portrait de sa jeune épouse, or, dans la tourelle où est installé son atelier, elle s’étiole et agonise. En la peignant, il la tue. La même année, Poe écrivit Le Masque de la mort rouge, une histoire de mort et de pestilence dans laquelle « le sang était son avatar et son sceau… le rouge et l’horreur du sang » ; Le Mystère de Marie Roget, où une jeune femme est assassinée par un ou des meurtriers anonymes ; Le Cœur révélateur, une nouvelle d’une intensité intolérable racontée par un dément (ce récit suffocant se termine par un cri d’horreur : « Là, là ! C’est le battement du cœur hideux ! ») ; enfin, toujours la même année, il rédigea Lenore, panégyrique d’une jeune femme, « chant funèbre pour celle qui mourut doublement parce qu’elle mourut si jeune ».

Au désespoir, Poe errait dans les rues pendant des heures jusqu’à ce que Mrs Clemm, s’inquiétant de son absence prolongée, parte à sa recherche. Il se remit à boire. Dans les périodes de détresse et d’angoisse, c’était devenu sa panacée. Rien n’aurait pu l’en empêcher. À propos de Virginia, il écrivit : « À chaque aggravation des troubles causés par la maladie, je l’aimais plus tendrement et m’accrochais à sa vie avec une ténacité plus désespérée encore. » Puis : « Je devins fou, une folie entrecoupée par de longs intermèdes d’une horrible lucidité. Au cours de ces crises de totale inconscience, je bus – Dieu seul sait avec quelle fréquence et en quelles quantités. » Edgar Poe attribuait son penchant pour la boisson à sa folie mais il est plus probable que ses crises de folie passagère aient été la conséquence et non la cause de la boisson. Sur sa nature particulièrement nerveuse, la moindre agression avait des conséquences fâcheuses.

Au printemps 1842, il démissionna de Graham’s, apparemment à cause de son « dégoût pour le caractère à l’eau de rose de la revue… Je fais allusion aux illustrations méprisables, aux gravures de mode, à la musique, aux contes populaires ». Mais les vraies raisons étaient plus profondes. Une fois de plus, il avait relâché son attention dans le travail. Il avait eu une violente altercation avec un collègue, sans doute un jour d’ivresse. Après une absence forcée de plusieurs jours, il ne rentra au bureau que pour trouver un remplaçant installé à sa place. Il n’eut d’autre choix que de partir. Il n’aurait pas renoncé de son plein gré à un salaire de huit cents dollars.

Il confia, dans une lettre à une connaissance, que, de toute façon, « l’état dans lequel se trouve mon esprit » l’avait contraint à ne s’imposer « aucun effort mental ». La maladie de sa femme, sa propre mauvaise santé et leur pauvreté « m’amènent au bord de la folie. Mon seul espoir réside dans la Loi sur la banqueroute… mais le combat pour me maintenir m’a, au bout du compte, entièrement détruit. » À la fin de sa lettre, il déclarait : « Mrs Poe est de nouveau très malade, elle souffre d’une hémorragie aux poumons. Ce serait folie qu’espérer. » Le monde semblait refermer son étau sur lui : à l’horizon, les ténèbres et rien d’autre. C’est alors qu’il écrivit Le Puits et le Pendule. Néanmoins, contre tout espoir, il espérait. Il espérait se faire employer à la douane de Philadelphie, encore une fois par l’intermédiaire de Thomas. Il espérait reprendre son projet de revue littéraire, le Penn Magazine.

Signalons un incident curieux, au début de l’été 1842 : il projette un éclairage différent sur ses ambitions. Il avait décidé de se rendre à New York, où il souhaitait trouver un travail dans un journal et rencontrer des éditeurs susceptibles de s’intéresser à la publication d’un nouveau recueil de ses contes. Or il s’enivra jusqu’à l’inconscience. Dans cet état, il se rendit chez une amie, une amie de cœur qu’il avait connue et fréquentée à Baltimore plus de dix ans avant : Mary Devereaux. Entre-temps, « Mary de Baltimore » comme il l’appelait en souvenir de temps meilleurs, était devenue Mrs Jennings. Elle habitait à Jersey City mais comme il avait oublié où exactement, il passa des heures sur le ferry, à faire l’aller-retour d’une rive à l’autre, accostant des inconnus pour leur demander son adresse. Par quelque miracle, il finit par l’obtenir. Il avait fui une épouse malade pour rejoindre une femme à laquelle il avait peut-être un jour été officieusement fiancé : en quête de réconfort, d’une récompense, en souvenir d’une affection antérieure.

Son arrivée impromptue causa un certain remue-ménage. Mary évoqua plus tard l’épisode : « Nous comprîmes qu’il était parti de chez lui depuis plusieurs jours pour l’une de ses folles virées. » En d’autres mots, sale, échevelé, il ne savait plus où il était. Il reprocha à son hôtesse de s’être mariée, affirmant qu’au fond d’elle-même, c’était lui qu’elle aimait. Étrange déclaration de la part d’un homme dont l’épouse agonisait. Tout en ordonnant à Mary de chanter et de jouer du piano, il continua de parler et de se laisser emporter par ses propos. Il se mit ensuite à hacher des radis avec une telle rage que des morceaux volèrent dans toute la pièce. Après avoir bu une tasse de thé, il prit enfin congé.

Quelques jours plus tard, Maria Clemm se présenta chez les Jennings, en quête de son « cher Eddie ». D’après Maria, « on lança des recherches et on finit par le retrouver dans les bois, à l’orée de Jersey City, errant tel un dément ». Peut-être a-t-elle forcé le trait mais l’esprit de l’histoire paraît authentique. Qui aurait inventé l’affaire des radis ?

 

Poe retourna de nouveau à New York, et de nouveau s’enivra. Dans une lettre d’excuses à un ami là-bas, il lui demande « d’avoir la gentillesse de donner la meilleure interprétation possible au comportement qui fut le mien à New York ». « Vous avez dû vous faire une idée bizarre de moi, mais la vérité simple est que Wallace [un poète] avait insisté pour que nous buvions plusieursjuleps” bourbon menthe, et je ne sus bientôt plus ce que je disais ou faisais. » Lorsqu’il s’enivrait, Edgar Poe en reportait volontiers la responsabilité sur autrui. Sans doute était-ce pour lui le seul moyen de justifier ses beuveries.

Dès l’année suivante, son alcoolisme alimenta les ragots dans la société de Philadelphie. Une relation de Baltimore, Lambert Wilmer, prévint un ami commun : « Il va tout droit à sa perte morale, physique et intellectuelle. » Poe se retrouva en effet dans une situation si difficile qu’il proposa à bas prix sa dernière nouvelle, Le Mystère de Marie Roget, à la fois au Notion de Boston et au Saturday Visiter de Baltimore. La perte d’un revenu régulier avait précipité la maisonnée Poe dans le gouffre. Le trio déménagea donc dans une maison plus modeste des faubourgs de Philadelphie, où Frederick Thomas leur rendit visite à l’automne 1842. Il remarqua que « tout là-bas suintait les difficultés pécuniaires » ; on prit fort tard un repas que, manifestement, il avait été difficile de concocter. Maria Clemm et Virginia confièrent à Thomas combien elles souhaitaient qu’Eddie retrouve un travail régulier, mais « il ne me fallut pas longtemps pour m’apercevoir, à regret, que Poe avait recommencé à boire ». Ils prirent pour le lendemain un rendez-vous auquel Poe ne vint pas : plus tard, il envoya une note, prétextant qu’il avait été malade. C’était son excuse habituelle.

Il continuait néanmoins de s’activer pour obtenir un poste aux douanes de Philadelphie. Il croyait que le poste lui serait attribué mais, comme souvent, ses espoirs « furent réduits à néant ». Telle est l’expression qu’il employa dans une lettre à Thomas : il y décrivait en détail l’insolence et la morgue du petit fonctionnaire en qui il avait placé toute sa confiance. Ses projets étaient condamnés à être perpétuellement contrecarrés. D’un autre côté, on ne peut pas dire qu’il ressentait un grand intérêt pour l’administration. Il désapprouvait la politique de son pays et posa un jour la question : « Est-ce ou n’est-ce pas un fait que l’air de la Démocratie s’accorde mieux du seul Talent que du Génie ? » Il défendait l’institution de l’esclavage et ce qu’il appelait les « castes ». N’ayant aucune foi dans le progrès ou dans la démocratie, il n’était pas en accord avec la vie américaine de l’époque – ou du moins avec la ligne prônée alors par les États du Nord.

N’empêche, il avait espéré obtenir ce poste, avec l’idée notamment qu’il lui permettrait de réaliser son rêve de fonder une revue littéraire. Confiant, il envisageait toujours la sortie du premier numéro début 1843 ; or, la déception fut au rendez-vous dans ce cas comme dans tant d’autres au cours de sa vie. Mais cette fois encore, quelqu’un apparut soudain pour le tirer d’affaire : le rédacteur du Saturday Museum de Philadelphie, Thomas C. Clarke, le parfait partenaire pour l’entreprise qu’il projetait. Edgar Poe avait décidé de changer le titre de son magazine de Penn en Stylus. Clarke accepta de financer le projet et accorda à son partenaire un intérêt de 50 %. Enfin, Poe avait atteint « mon objectif tant désiré : un partenaire à la fois doté d’un capital confortable et suffisamment dépourvu d’estime de soi pour me laisser le contrôle total de la gestion du magazine ». N’était-ce pas trop beau pour être vrai ?

Armé d’un contrat en bonne et due forme, Edgar Poe distribua un nouveau prospectus vantant les mérites de sa future revue, qui serait fondée sur les « plus pures règles de l’Art » et « surpasserait de beaucoup tous les magazines américains de sa catégorie ». Il espérait que ce serait « la revue littéraire de l’avenir ». Il entreprit en même temps une campagne d’autopromotion, s’arrangeant pour que soit publiée une brève biographie de lui-même dans le Saturday Museum. Ce n’était guère plus que de la publicité mensongère mais il pensait qu’il pourrait faciliter ainsi les fortunes de Stylus. Bien sûr, il procura la matière lui-même, sans trop sacrifier à la véracité. L’article révélait qu’Edgar Poe avait voyagé en Grèce, en Russie et qu’il était rentré au pays le jour de l’enterrement de Frances Allan ; que, « avec son mètre soixante-treize, il était plutôt élancé et bien découplé » ; il avait « le teint assez clair, les yeux gris, le regard mobile des natures inquiètes ; alors que la bouche dénote une grande force de caractère ».

Le Spirit of the Times, autre revue de Philadelphie, reprit la note biographique et abonda en faveur d’Edgar Poe, l’un « des écrivains les plus puissants, les plus purs et les plus érudits de notre époque ». En temps voulu, le Museum annonça que Poe allait devenir rédacteur adjoint et qu’« on ne pourrait plus alors douter de sa renommée ». Cette entreprise d’échange de faveurs flatta sans doute la vanité de Poe. Mais, en fait, il n’entra jamais au Museum. Ce n’avait été qu’une des multiples fictions bien pratiques dans lesquelles il avait choisi de vivre.

Cependant, plein d’espoir pour Stylus, il partit pour Washington à la recherche de souscripteurs. Il prévoyait aussi de renouveler sa quête sans fin d’un poste dans l’administration et s’imagina même qu’il pourrait rencontrer le président Tyler en personne afin de plaider sa cause. Ce voyage ne fut pas, hélas, des plus réussi. Il n’avait pas plus tôt pris une chambre au Fuller’s City Hotel qu’il se mit à boire. D’après un témoignage, le premier soir, il fut « persuadé de prendre du porto » et « s’excita quelque peu ». Le surlendemain, il rencontra dans la rue un collègue journaliste qui déclara l’avoir trouvé « vêtu de hardes minables et pathétiques ». Poe lui aurait réclamé cinquante cents, se plaignant de « ne pas avoir avalé la moindre bouchée depuis la veille ». Le lendemain, il écrivit à son nouveau partenaire, Thomas Clarke, pour lui annoncer : « Je crois que je fais sensation et que cela sera favorable au magazine. »

Il s’illusionnait totalement, même s’il est vrai qu’il faisait sensation mais, hélas, sur un tout autre plan. Une fois de plus, il buvait… trop. Le rédacteur de l’Index de Washington, Jesse Dow, l’avait rencontré quatre ans auparavant. Ils avaient travaillé ensemble au Burton’s de Philadelphie. Il lui incombait maintenant la tâche peu enviable d’escorter Edgar Poe dans la ville. Dow essaya de se défausser de cette responsabilité en écrivant une lettre solennelle à Clarke : « Je crois préférable que vous veniez et le rameniez vous-même chez lui. » Dow ajouta : « Mrs Poe est en fort mauvaise santé ; je vous charge donc, car il y a une âme à sauver, de ne pas lui souffler mot du comportement de son époux jusqu’à ce qu’il soit rentré. » Trois jours plus tard, Poe prenait place dans le train à destination de Philadelphie, où Maria Clemm, inquiète, l’attendait sur le quai de la gare. Le soir même, il rendit visite à Clarke, sans doute pour dissiper la mauvaise impression qu’aurait pu lui donner la lecture du courrier de Dow. « Il me reçut donc fort cordialement & fit peu de cas de l’affaire, écrivit-il à Thomas et à Dow simultanément. Je lui ai dit ce que nous avions décidé de dire… : à savoir que j’avais été un peu souffrant & que Dow, sachant que j’avais été, par le passé, enclin à bambocher, s’est alarmé à tort, etc. » Il s’était donc mis d’accord avec ses amis pour minimiser ses excès.

Il n’en reste pas moins qu’il se sentait une fois de plus mortifié par son propre comportement sous l’influence de l’alcool. À Dow il écrivit : « Merci mille fois pour votre gentillesse & grande indulgence & ne dites pas un mot sur le manteau enfilé à l’envers et autres peccadilles de cette nature. Veuillez de même exprimer à votre épouse mon profond regret concernant la colère que je dois lui avoir occasionnée. » Il demanda à Thomas d’adresser ses compliments « au Don, dont j’admire les moustaches tout de même […] Exprimez mes regrets auprès de Mr Fuller car je me suis rendu tellement ridicule sous son toit ». Il était sorti avec son manteau à l’envers, s’était moqué de la moustache d’un Espagnol, s’était mal conduit chez un hôte. Ce ne sont pas des fautes graves et cela fit même peut-être rire les personnes concernées. Mais il était extrêmement fier, et possédait un sens inné du décorum et du contrôle de soi. Lorsqu’il dérapait, il sombrait dans la maladie et l’abattement. Ses malaises étaient dus non à la négligence physique, mais à un sentiment de culpabilité et à l’autodestruction qui en découlait.

Le résultat du fiasco de Washington fut, bien sûr, qu’il n’obtint pas son rendez-vous avec le président Tyler et qu’il perdit tout espoir d’obtenir un jour un poste de fonctionnaire. Et, sans doute, ne réussit-il pas à convaincre de nombreux souscripteurs pour son magazine. Du reste, qu’importe : s’il y était parvenu, il aurait oublié leurs noms. « Avez-vous dit, Dow, écrivit-il à son ami, que le commodore Elliot désirait que j’inscrivisse son nom ? Est-ce le cas où l’ai-je rêvé ? » Edgar Poe était parfaitement inapte à la gestion économique ou financière de quelque entreprise que ce fût.

 

Peu après son retour de Washington, Poe, Virginia et Maria Clemm décampèrent. Leurs dettes les forçaient à se reléguer dans les faubourgs de Philadelphie, un quartier connu sous le nom de Spring Garden. Ils furent logés dans une bicoque mitoyenne en bois qui comprenait trois pièces. Du moins est-ce la description laissée par un voisin, le capitaine Wayne Reid, qui fit bientôt leur connaissance. Reid décrivit Maria Clemm comme « une femme d’âge mûr, hommasse ». Il s’étonnait qu’elle ait pu donner le jour à « une dame d’une beauté aussi angélique et non moins belle par l’esprit », Virginia.

Reid témoigna aussi du rôle de Maria Clemm dans la maisonnée : « Elle était, écrit-il, la gardienne à jamais vigilante du foyer, elle le préservait contre le flot continu de la nécessité… Elle était l’unique servante et veillait à la propreté immaculée des lieux ; unique messagère, elle se faisait coursier, effectuait les pèlerinages entre le poète et ses éditeurs… ; elle était aussi l’unique interlocutrice au marché, dont elle ne rapportait pas les “gourmandises de saison” mais seulement les produits de première nécessité réquises par les exigences de la faim. »

Malgré ces privations et la maladie de Virginia, aux yeux du monde la famille paraissait relativement satisfaite de son sort. Un autre voisin se rappellerait que, le matin, « d’ordinaire, Mrs Clemm et sa fille arrosaient les fleurs… Elles semblaient toujours gaies et heureuses ; j’entendais le rire de Mrs Poe avant de tourner le coin de la rue. Mrs Clemm était toujours occupée. Le matin, je la voyais souvent nettoyer le devant de la maison, faire les vitres et balayer le perron, et même blanchir à la chaux les barrières ». Tout le monde admira toujours la propreté, la netteté des diverses maisons qu’occupèrent les Poe. À Spring Garden aussi, Maria Clemm mit en location la grande pièce côté rue : moyen de soulager modestement la pauvreté à laquelle la famille était constamment acculée.

Quant à Edgar Poe lui-même, une voisine, Lydia Hart Garrigues, une jeune femme qui vivait dans la même rue, se rappellerait qu’il « portait un manteau espagnol ». Elle nota également : « Je fus toujours impressionnée par son expression grave et pensive […] Lui, sa femme et Mrs Clemm ne se mêlaient pas au voisinage. Ils avaient la réputation d’être réservés […] nous croyions que la raison en était qu’ils étaient pauvres et que lui souhaitait si ardemment réussir. » Miss Garrigues ajouta : « Nous dûmes attendre la publication du Corbeau pour apprendre que c’était un homme de lettres. » Il est intéressant de savoir qu’Edgar Poe avait déjà entamé la rédaction de son célèbre poème à Spring Garden. Le Corbeau connut une longue gestation, ponctuée, d’après son auteur lui-même, par toute une série de réflexions et d’expérimentations techniques qui auraient lassé Milton et Sophocle réunis. Il avait d’abord fait du volatile une chouette, puis il changea d’avis en cours de route. C’est donc à Philadelphie que naquit le corbeau.

À Philadelphie encore germa une nouvelle, couronnée par un prix. Le conte d’aventures Le Scarabée d’or remporta un prix de cent dollars, offert par le Dollar Newspaper. L’histoire, qui raconte la découverte d’un trésor, se déroule dans les environs de l’île de Sullivan, où le soldat Poe avait été cantonné quinze ans auparavant. Les plages tropicales, dont les « denses sous-bois de myrte suave […] embaument l’air de leurs effluves », procurent le décor d’une affaire d’encre invisible, de cryptographie, de codes énigmatiques et d’indications secrètes. Aujourd’hui, Le Scarabée d’or intéresse peut-être moins le public, mais ses lecteurs d’alors y virent « une production d’un infini mérite », où la vraisemblance était maintenue dans le contexte d’une quête de l’or fabuleux. On pouvait à juste titre parler de Poe comme d’un nouveau Defoe, dont il avait vanté le Robinson Crusoé pour son respect infaillible de la vraisemblance. Le Saturday Museum, important soutien d’Edgar Poe, vit dans cette nouvelle « le plus remarquable texte de fiction américaine publié ces quinze dernières années ». L’édition du Dollar Newspaper qui contenait la première partie fut vite épuisée.

Toutefois, un lecteur d’avis contraire qualifia le texte de « cloaque sans fond » et d’« escroquerie », laquelle consistait précisément pour lui dans cet air de vraisemblance affublant une série d’événements extraordinaires. L’auteur de cette attaque, F. H. Duffee, prétendit qu’Edgar Poe n’avait en fait reçu que dix ou quinze dollars au lieu des cent annoncés. Poe le traîna en justice pour diffamation, arguant que l’« intégrité de sa personne » était atteinte. Il engagea un avocat et signa un affidavit au tribunal d’instance. D’aucuns se moquèrent de sa susceptibilité, notant qu’il avait lui-même par le passé publié un nombre important de « critiques sévères et cinglantes ». Le procès ne déboucha d’ailleurs sur rien. Une semaine après la déposition du plaignant au tribunal, il rencontra Duffee ; les deux hommes s’expliquèrent et signèrent un compromis.

En apprenant que son cousin avait reçu le prix du Dollar Newspaper, William Poe lui adressa une lettre de félicitations où il exprimait son espoir que l’argent lui permettrait d’alléger « le mal & l’abattement qui t’accablaient lorsque nous nous sommes vus la dernière fois ». Preuve qu’Edgar avait fait part de sa situation aux membres de sa famille. William avait souhaité prévenir son cousin contre « ce qui a toujours été le grand ennemi de notre famille ». À savoir, bien sûr, « un usage trop libre de la Bouteille ». La « Bouteille » était le démon des Poe. À l’été 1843 parut une satire d’Edgar Poe en ivrogne. Un roman de Thomas Dunn English, Le Destin de l’ivrogne, le représente comme « l’incarnation même de la traîtrise et de la fausseté ». Ce fut la première fois, mais assurément pas la dernière, qu’Edgar Poe apparaissait dans une œuvre de fiction.

Son allure suscitait aussi commentaires et interrogations. Comme nous l’avons vu, il mesurait 1,73 mètre et se tenait droit, adoptant invariablement un maintien quasi militaire ; il était toujours vêtu de noir, d’une redingote et d’une cravate noires, comme s’il avait été constamment en deuil. Il était svelte, voire maigre ; il avait des cheveux bruns, légèrement bouclés, et des yeux gris – de « grands yeux mouillés » ; de son regard, on disait qu’il était « anxieux ». On remarquait aussi son large front, qui présentait selon la phrénologie (à laquelle il croyait), la « bosse de l’idéalisme ». Ses lèvres fines conféraient à sa bouche, trouvait-on, un air dédaigneux ou perpétuellement mécontent ; parfois, on y décelait même un sourire narquois. Il avait le teint pâle, les traits réguliers. En 1845, il se laissa pousser la moustache, longue plus qu’épaisse. Ses manières trahissaient à la fois une certaine emphase et une grande inquiétude ; son visage témoignait souvent de ce qu’un contemporain appela « l’expression inquiète si caractéristique de Poe », teintée de tristesse, de mélancolie ; on lui trouvait l’air sombre, grave, rêveur. Un judicieux mélange de tous ces éléments aboutit sans doute à un portrait proche de la vérité. Mais n’oublions pas un détail important : dans les photographies de lui qui nous sont parvenues, on note un contraste marquant entre le côté gauche et le côté droit de son visage, des différences discrètes mais visibles entre les deux yeux, les deux côtés de la bouche, du front, du menton. Un côté était plus faible que l’autre.

 

À l’automne 1843, Edgar Poe avoua à un collègue écrivain que « sa femme et Mrs Clemm mouraient de faim ». On réunit promptement quinze dollars auprès de journalistes et d’autres bonnes âmes ; une heure après qu’on eut donné l’argent à Poe, « on le retrouva pris d’ivresse dans Decatur Street », où se tenait la Decatur Coffee House, qui vantait ses juleps (cocktails bourbon menthe), cobblers (rhum, whisky, fruits), egg noggs (brandy, lait et jaune d’œuf), etc.

Il avait été déçu par les ventes de la nouvelle édition de ses contes. Le frère de Graham avait accepté de publier une Uniform Serial Edition of The Prose Romances of Edgar A. Poe. L’édition devait comprendre une série de fascicules de qualité modeste, vendus au prix de 12,5 cents. La première livraison incluait Double assassinat dans la rue Morgue et L’Homme qui était refait. Deux ou trois revues locales signalèrent sa sortie, mais l’interruption de la parution montre que l’entreprise ne fut pas couronnée de succès. Edgar Poe avait écrit plusieurs nouvelles qui ne furent pas publiées alors, dont L’Enterrement prématuré, La Lettre volée et C’est toi l’homme ! On peut affirmer avec quelque certitude que le véritable génie d’Edgar Poe ne fut pas reconnu de son vivant.

Projets littéraires en suspens, carrière journalistique en berne, Stylus repoussé indéfiniment… Poe se lança dans une série de conférences. Le 21 novembre 1843, il parla de « poésie américaine » au public de Philadelphie ; d’après l’United States Gazette, « des centaines de personnes […] ne purent pénétrer » dans l’église de Julianna Street où se tenait la conférence. L’expérience connut un succès suffisant, en tout cas, pour être répétée au Temperance Hall de Wilmington, à l’Académie de Newark dans le Delaware, au Mechanics Institute de Reading et à la Lecture Room du musée de Philadelphie. Ensuite, Edgar Poe se produisit à l’Odd Fellows’ Hall de Baltimore.

Tranchant, il dénonça le « battage publicitaire » alors fréquent dans la presse américaine, dénonça aussi la pratique frauduleuse qui consistait pour les auteurs à rédiger eux-mêmes la critique de leurs ouvrages ou à faire l’éloge de ceux de leurs amis. (Poe n’était pas lui-même tout à fait innocent dans le domaine.) Puis il examina les mérites des poètes américains, se concentrant en grande partie sur les « recueils » d’anthologie très en vogue à l’époque. Il distingua Les Poètes et la Poésie en Amérique de Rufus Griswold, dont il affirma que c’était la meilleure compilation disponible pour l’heure, mais il condamna « les exécrables jugements du maître d’œuvre (Griswold), qui a choisi les mauvais extraits et réservé trop d’espace à ses amis ».

Edgar Poe avait rencontré Griswold deux ans plus tôt. Ils s’étaient flairés, se soupçonnant mutuellement tout en feignant une admiration réciproque. Successeur d’Edgar Poe au Graham’s Magazine, Griswold s’y était fait une réputation de chicaneur littéraire. Mais la publication de son anthologie en 1842 lui avait conféré une certaine renommée. L’accueil de Poe fut ambivalent : à un correspondant il décrivit l’ouvrage comme « une escroquerie des plus scandaleuse » alors qu’il l’encensa par voie de presse : « C’est la contribution la plus importante dont notre littérature nationale bénéficie depuis longtemps. » Ses dénégations ne suffirent pas. Lorsqu’une recension sarcastique et négative de bout en bout de l’anthologie parut dans le Saturday Museum, Griswold crut (à tort, se trouva-t-il) qu’Edgar Poe en était l’auteur. Puis vinrent les critiques virulentes de Poe lors de ses conférences. Griswold se vengea des années plus tard. À la mort de son détracteur, il se livra à la mise en pièces la plus meurtrière de toute l’histoire de la littérature américaine.

 

En avril 1844, les Poe et Maria Clemm durent déménager pour la centième fois, ce coup-là pour New York. Poe ne se laissa pas dissuader par ses expériences presque toutes mauvaises qu’il avait vécues dans cette ville. Que pouvaient-ils leur arriver de pire que végéter dans la pauvreté à Philadelphie ?

Edgar et Virginia Poe partirent d’abord, par train et vapeur. Le matin de leur arrivée, Edgar envoya une longue lettre à Maria Clemm. « Lorsque nous accostâmes, écrit-il, il pleuvait à verse. Après avoir entreposé les malles dans la cabine des dames, je laissai [Virginia] sur le vapeur, et partis en quête d’un parapluie ; j’en achetai un pour 62 cents. » (Il avait d’abord écrit « 56 », puis ratura ce chiffre et inscrivit « 62 » à la place. La différence devait compter pour une ménagère comme Maria Clemm.)

Poe se rendit à Greenwich Street et découvrit bientôt une pension qui dépassait tous ses espoirs. « Hier soir, au dîner, nous avons bu le meilleur thé que nous ayons jamais goûté… » Il discourt ensuite sur les viandes, les fromages et les pains placés sur la table. Virginia (« Sis ») « n’a presque pas toussé et n’a pas eu de suées pendant la nuit. Elle est en train de repriser mon pantalon, que j’ai déchiré en l’accrochant à un clou ». Par sa spontanéité, cette lettre est exceptionnelle dans la correspondance de son auteur. Ajoutant avec désinvolture (signe que c’était devenu pour lui une habitude) qu’il sortait emprunter de l’argent, il précise : « Je suis d’excellente humeur & n’ai pas bu une goutte… de sorte que j’espère me garder des ennuis. » Ce qui confirme clairement que Poe était un buveur patenté et que Maria Clemm le savait. Avec elle, nul besoin de dissimuler ou de chercher des excuses. S’il évitait de boire, il éviterait aussi les conséquences : un mal-être généralisé et, en particulier, l’incapacité de travailler.

Pour une fois, il tint parole. Moins d’une semaine après son arrivée, il vendait déjà au New York Sun une histoire à sensation. Le 13 avril, ledit journal titrait : ÉPOUSTOUFLANTE NOUVELLE TRANSMISE PAR EXPRESS PRIVÉ DE CHARLESTON VIA NORFOLK ! L’OCÉAN ATLANTIQUE FRANCHI EN TROIS JOURS ! ARRIVÉE SUR L’ÎLE DE SULLIVAN D’UN BALLON DIRIGEABLE INVENTÉ PAR MR MONCK MASON ! Ce fut l’un des canulars les plus réussis d’Edgar Poe qui, avec son penchant pour le calcul et le burlesque, se délectait de ce genre de plaisanterie. Une édition spéciale parue dans l’après-midi fut bientôt épuisée : « Je n’avais jamais vu plus grande excitation, un tel désir de se procurer un exemplaire d’un journal ! » Les marchands les vendirent à des prix astronomiques et Poe lui-même ne put s’en procurer un numéro ce jour-là. Le surlendemain, lorsque retentit un concert de soupçons et de désapprobation, le Sun retira son scoop. Mais le pouvoir de la plume d’Edgar Poe avait été prouvé – sans conteste.

Le Canard au ballon est l’une de ses nouvelles les plus connues, notamment parce qu’elle ouvrit la voie à de futurs auteurs de science-fiction comme Jules Verne et H. G. Wells. Certains considèrent même qu’Edgar Poe serait le précurseur de toute la science-fiction des XIXe et XXe siècles. Si l’on ajoute à cette consécration la paternité revendiquée du roman policier, alors Poe nous a laissé un legs considérable. Le Canard au ballon prétend être le journal de Mr Monck Mason, un véritable aéronaute qui avait effectivement parcouru en ballon la distance entre les jardins de Vauxhall, à Londres, et Weilberg, en Allemagne. Poe utilise son patronyme et invente un exploit irréalisable à l’époque : par le biais d’un ingénieux système de valves dans lesquelles passe de l’air, Monck Mason serait parvenu à piloter son ballon au-dessus de l’Atlantique. Edgar Poe avait un siècle d’avance sur les faits et rien, dans son récit, n’est tiré par les cheveux. La tentative qu’il décrit est parfaitement pragmatique, narrée dans le style direct du reportage journalistique. Edgar Poe avait déjà lancé un canular similaire neuf ans plus tôt dans Les Aventures d’un certain Hans Phaal. Une expédition en ballon à destination de la lune y est décrite en détail ; il avait vingt-six ans au moment de Hans Phaal et goûtait ce genre de plaisanteries depuis toujours. Si elles étaient dirigées contre les engouements de l’époque, on peut aussi y déceler un sens plus profond : le besoin de relever un défi, d’inventer un faisceau de circonstances adéquates et parfaitement plausibles, grâce à quoi l’impossible devient possible, dans la plus grande vraisemblance.

 

Au printemps 1844, Maria Clemm, avec son chat noir Catterina, rejoignit sa fille à Greenwich Street, tandis qu’Edgar prenait pour un temps une chambre dans un foyer de célibataires. Début juin, tous trois s’installèrent dans une ferme à huit kilomètres de New York, en pleine campagne, à l’emplacement de ce qui est aujourd’hui l’intersection entre la 84e Rue et Broadway. Selon les termes d’un contemporain, ce lieu éloigné était « un désert de roches, de buissons, de chardons avec, de-ci de-là, une ferme ». Mais les fenêtres donnaient sur la vallée de l’Hudson et sur un ample méandre du fleuve. Décrivant l’endroit plus tard, Edgar Poe en ferait un « parfait petit paradis » ; dans ce cadre idyllique, il pouvait espérer que ses terreurs nerveuses s’atténuent et que la santé de Virginia s’améliore. Le fils du propriétaire, Tom Brennan, se rappelait que, le matin, son locataire partait se promener dans la campagne ou sur les berges du fleuve ; il revenait l’après-midi afin de « travailler sans cesse avec plume et papier jusqu’à ce que tombent les ombres du soir ». La sœur de Tom, Martha Brennan, avait noté combien Virginia était faible, parfois au point que son mari devait la porter jusqu’à la table du dîner. Point important : la propriétaire, Mrs Brennan, militait pour le mouvement antialcoolique – peut-être Edgar Poe se retint-il donc de boire pendant son séjour à la ferme.

L’argent, comme toujours, manquait. Poe réussissait à payer Mrs Brennan mais il lui arrivait de ne pas avoir de quoi retirer son courrier au bureau de poste. À cette époque, en effet, c’était le destinataire, pas l’expéditeur, qui payait les frais de port. Edgar Poe goûtait tant la vie à la campagne qu’il ne souhaitait pas retourner vivre en ville y chercher du travail. Comme d’habitude, Maria Clemm prit les choses en main. Fin septembre, elle se rendit en ville, ainsi qu’elle le faisait de temps en temps, et rencontra un certain Nathaniel P. Willis, rédacteur d’un nouveau quotidien, l’Evening Mirror : elle lui demanda, le supplia plutôt, d’attribuer un poste à son gendre. Willis, un journaliste de revue déjà connu, fournissait un flot incessant d’articles spirituels et fantaisistes à un public de plus en plus réceptif, ce qui ne l’empêchait pas de reconnaître le talent d’Edgar Poe, qu’il défendit d’ailleurs de son vivant comme après sa mort. Selon Willis, Maria Clemm « lui demanda d’excuser sa démarche mais Poe était malade et sa fille invalide : en bref, les circonstances étaient telles qu’elle avait dû intervenir elle-même ».

Edgar Poe fut engagé comme « paragraphiste mécanique », ce qui n’était pas un poste élevé dans une profession où il avait déjà occupé celui de rédacteur. Il s’agissait principalement de condenser des articles parus dans d’autres publications, de réduire des articles de la presse française qui pouvaient convenir au lectorat américain : en gros, il fallait fournir des articles « divertissants ». Tous les jours, pour se rendre au Mirror, Poe avait à parcourir en tout seize kilomètres. Un ticket d’autobus coûtant un shilling, il ne pouvait pas se le permettre. À l’hiver 1844, la petite famille retourna donc vivre en ville et prit de nouveau une location dans Greenwich Street. Ainsi Edgar Poe habiterait près de son lieu de travail.

Willis raconterait plus tard à un collègue que Poe était « absolument et cordialement ouvert à toute suggestion, ponctuel, industrieux et fiable […] joyeux et très impliqué dans son travail alors qu’il aurait été tout excusé d’être apathique et distrait ». Il faut placer ce portrait en regard du tableau spectaculaire et épouvantable de ses beuveries. Dans de bonnes circonstances, malgré la maladie interminable de sa jeune épouse, il demeurait courtois et industrieux. Il devait affronter les obstacles de la pauvreté, la malédiction de l’insuccès ; pourtant, ses contemporains le virent endurer son sort avec une infinie patience. Le stoïcisme n’était pas la moindre de ses qualités. Willis nota aussi « la présence et le magnétisme d’un homme de génie » et « la mystérieuse électricité de son esprit ». Mais « cet homme ne souriait jamais »…

Encore chez les Brennan, Edgar Poe avait une fois de plus envisagé de créer une revue littéraire. Pour discuter des mérites de son projet, il correspondait avec des hommes de lettres tels que Charles Anthon, professeur de grec et de latin à l’université de Columbia. Il fit également part à Anthon de son souhait de faire publier ses contes en cinq volumes. Il lui confia avoir « atteint un moment de crise dans ma vie : j’ai effroyablement besoin d’aide ». Il se plaignit de son « long combat désespéré contre les maux propres au statut d’orphelin, l’absence totale de parents, etc. ». À ce nadir de son expérience, tous ses vieux démons lui revenaient. En fait, ils ne l’avaient jamais lâché. Peut-être paraissait-il jovial et vaillant à ses collègues journalistes, mais, en son for intérieur, il demeurait morbide, enclin à la mélancolie. Néanmoins, alors qu’il se plaignait de cette nouvelle « crise », le succès, aussi soudain que tonitruant, frappa à sa porte.