(Monatshefte f. Dermatologie und syphilis, 1887, n.10 et 11)*
IV – Autant que l'auter peut s'en rendre compte, on trouve la lèpre dans toute l'étendue du Brésil; d'après Hirsch, elle paraTt être plus rare dans le Maranhão et le Rio-Grande. Dans unjournal politique du chef-lieu de la première de ces provinces, on donne 14 cas de mort pour une année, ce qui, avec la faible mortalité de la lèpre, indique une extension assez considérable, alors même que ces chiffres correspondraient à d'autres districts; pour le Rio-Grande, on ne sait pas si c'est la partie septentrionale ou méridionale de cette province, c'est probablement la dernière qui, malgré son éloignement, est représentée à l'hôpital des léreux de Rio-de-Janeiro et c'est également celle sur laquelle s'étend le domaine de la lèprejusque sur les rives de la Plata et même au delà. Toutefois la lèpre paraTt exister dans tous les grands districts du Brésil et être assez uniformément répartie; cependant, dans quelques régions circonscrites, on observe une augmentation assez notable du chiffre moyen. Dans la région od réside l'auteur, à Limeira, ce dernier estime que sur 10.000 habitants il y a 10 à 15 cas de lèpre, tandis que dans la capitale que l'on peut considérer comme représentant la moyenne pour les régions peu infectées, la proportion est, suivant Azevedo Lima, de 5 sur 10.000. D'après le dernier recensement, il y aurait au Brésil 5.000 lépreux sur une population évaluée à dix millions d'origine très variée; cependant Lutz croit que le chiffre total serait de près de 10.000, si même il n'est pas plus élevé.
D'après Wucherer (cité dans l'ouvrage de Hirsch), les renseignements que l'on possède sur la lèpre au Brésil ne remontent pas au-delà de l'année 1755; mais comme on ne signale cette maladie comme fréquente à Rio de Janeiro que peu d'années après, elle existait certainement déjà bien avant dans ces deux localités. A Bahia, ainsi que dans la province de Paraná, en outre dans la Guyane, les Indes orientales et l'Uruguay, il faut faire remonter la maladie à importation d'esclaves noirs. Il semble en tout cas que, dans une partie des régions fournissant des esclaves, la lèpre était endémique; mais d'autre part il y a un fait très frappant, c'est que les mêmes États à esclaves, qui ont étè cultivés par des individus venant de pays lépreux, ont produit beaucoup plus de lépreux que d'autres, par exemple les États-Unis. Il est à peine permis de supposer que parmi les millions de Portugais immigrants soit de la mère patrie, soit des Tîes et des autres colonies, un petit nombre ait étè infecté de lèpre; l'auteur avait même parmi ses malades numériquement peu nombreux un cas importé – il venait des colonies espagnoles.
Si parmi les nègres d'Afrique, dont il y a aujourd'hui encore un nombre assez considérable au Brésil, on a rencontré quelquefois la lèpre, ils avaient vécu en général longtemps au Brésil avant l'apparition des symptômes; l'auteur ne connaTt pas d'exemple oü un d'entre eux ait apporté directement la lèpre. Par contre, il connaTt plusieurs cas dans lequels des étrangers, venant de pays indemnes de lépre, la contractèrent ici au bout de peu de temps. ll croit donc que l'on ne doit accuser ni exclusivement, ni sans réserve l'importation des esclaves. Par contre, il est assez fréquent que des nègres lépreux, en cachant leur maladie, changent de maître, ou passent d'une province dans une autre; l'auteur a vu parmi les esclaves de sa région quelques cas qui venaient de la province de Bahia.
ll est difficile d'établir si la lèpre est plus fréquente aujourd'hui qu'autrefois, même dans la capitale. On rencontre toujours dans les rues une ou deux douzaines de mendiants atteints de lésions lèpreuses graves, et un observateur superficiel pourrait croire que cette région est très infectée, bien que peut-être ces malades se répartissent sur plusieurs années et que la plupart soient venus de loin dans la capitale. Si la mendicité est interdite et si les malades sont transportés dans un asile, l'épidémie disparaTt comme par enchantement et on n'entend que très rarement parler de nouveaux cas, sans que la fréquence se soit réellement abaissée. Ceci est vrai pour les grandes villes; à l'intérieur, on trouve de nombreuses localités oü il y a une augmentation lente, le plus souvent proportionnelle à l'accroissement de la population. ll est actuellement impossible de préciser ces rapporst, la lèpre étant souvent confondue avec d'autres maladies.
ll n'y a pas au Brésil, parmi les différentes populations qui l'habitent, de prédisposition de race à contracter la lèpre, toutes peuvent en être également atteintes. Dans la province de São Paulo, on trouve beaucoup de nègres lépreux, mais c'est là aussi oü le travail des noirs est le plus actif et par conséquent aussi oü les nègres sont le plus nombreux; d'autre part il en vient beaucoup du nord, qui dissimulent leur maladie, et, enfin, chez eux, par exemple, la forme anesthésique se révèle par suite des mutilations qui sont plus frèquentes dans cette variété. Les étrangers deviennent lépreux dans la même proportion que les indigènes; parmi les Allemands qui résident au Brésil, l'auteur connaTt une demi-douzaine de lépreux. En général, la population agricole est plus fortement atteinte que celle des villes; mais, chez la première, les riches comme les pauvres sont également malades. Comme dans les autres maladies infectieuses, un sexe n'est pas plus infecté que l'autre.
En ce qui concerne l'âge, il n'y a aucune remarque particulière à faire. Avec l'âge, la fréquence de la lèpre augmentejusqu'à ce que l'âge lui-même vienne y mettre un terme. On trouve peu d'enfants et de vieillards lépreux. On ne peut pas apprécier ces rapports dans les hôpitaux; c'est ainsi que l'asile de Rio renferme un nombre très considérable de jeunes malades, tandis que dans la clientèle privée ou parmi les mendiants on en rencontre très rarement.
L'auteur donne quelques détails sur les léproseries du Brésil et sur les matériaux qu'il a utilisés pour ses observations. Viennent ensuite les renseignements recueillis par le Dr. Lutz sur l'extension de la maladie au Brésil.
L'auteur s'occupe d'abord de la question de l'hérédité et de la contagion. Les cas multiples observés dans une même famille peuvent s'expliquer de deux manières, par transmission héréditaire et par infection. Il n'admet le premier mode de transmission que pour les cas od un symptôme spécifique, quelque léger qu'il soit, est constaté dans les premières semaines de la vie de l'enfant. Pour les cas plus tardifs, ou du moins pour la plupart d'entre eux, il croit pouvoir repousser l'hérédité par suite des conditions éminemment favorables à l'infection qui résultent des soins donnés à l'enfant.
D'après les observations de Lutz, la lèpre est moins contagieuse que la tuberculose, et l'isolement des lépreux est non seulement inhumain, mais inconséquent, car la lèpre n'est pas plus dangereuse ni moins curable que la tuberculose.
Si l'on ne peut nier la transmissibilité de la lèpre, les conditions de cette transmissibilité sont d'une nature si spéciale et si compliquée qu'elles ne se rencontrent que rarement dans le voisinage immédiat des lépreux et que le séjour dans un pays oü existe la lèpre est à peu près aussi dangereux que la fréquentation intime d'un lépreux.
Lutz a observé trois cas seulement dans lesquels l'hérédité ou l'infection dans la famille ont pujouer un rôle. Dans 17 autres cas, malgré des rapports de famille très étroits, il n'y a pas eu contagion.
En résume, l'auteur regarde la lèpre comme une affection difficilement transmissible; la contagion directe n'est observée que très rarement, et par suite l'infection même dans la famille nejoue qu'un rôle insignifiant. Éviter le contact direct avec les lépreux n'est pas une garantie contre la maladie. ll est à peu près certain que la contagion ne peut pas avoir lieu par l'épiderme intact du malade. La transmission héréditaire nejoue qu'un rôle insignifiant dans la persistance de la maladie. Celle-ci ne se maintient que par la production de nouveaux cas sporadiques dans des famillesjusque-là indemnes.
Lutz donne ensuite quelques renseignements sur les croyances populaires au Brésil relativement aux lépreux, sur leur sort misérable et sur l'insuffisance des léproseries.
ll s'occupe ensuite des divers types de lèpre et de leur fréquence relative. ll admet une lèpre tubéreuse, une lèpre des nerfs et une lèpre maculeuse; puis des formes mixtes réunissant les caractères de deux ou des trois variétés ci-dessus, mais seulement après une certaine durée de la maladie. Au Brésil, la lèpre des nerfs serait la plus fréquent, puis la forme maculeuse, la lèpre tubéreuse serait la plus rare.
Lèpre tubéreuse – L'auteur n'a pas eu l'occasion d'observer les débuts de cette variété de lèpre sur l'homme sain, mais il a vu les éruptions consécutives, et une fois les premières manifestations de cette forme chez un malade atteint déjà de lèpre des nerfs. L'éruption des nodosités est précédée de mouvements fébriles plus ou moins prolongés, offrant dans plusieurs cas le type continu, avec température d'environ 40°. La forme la plus fréquente de l'affection consécutive est celle de l'érythème noueux. L'érythème noueux de la lèpre se distingue des formes observées généralement par l'absence d'une décoloration consécutive, par l'absence de desquamation et par la transformation habituelle d'une partie des nodosités en nodosités persistantes. Un de ses malades atteint, depuis environ deux ans, de lèpre des nerfs et en outre, depuis peu de temps, de périchondrite laryngée, de perforation de la cloison, mais sans lésions cutanées, fut pris de phénomènes fébriles avec plaques infiltrées de la peau qui rappelaient l'érythème noueux et n'avaient par contre aucune ressemblance avec les taches ordinaires de la lèpre maculeuse. L'examen microscopique d'une de ces nodosités démontra qu'elle était presque exclusivement composée de tissu conjonctif ædématié; le pannicule adipeux était fondu en une masse d'apparence gélatineuse.
Le salicylate de soude à haute dose fit disparaTtre en quelquesjours tous ces infiltrats durs et la plaie guérit par première intention.
Cette disparition rapide des nodosités récentes de la lèpre observée fréquemment par l'auteur l'a conduit à penser qu'il ne s'agissait pas dans ces cas, comme dans les lépromes, d'une tumeur cellulaire. En effet, l'examen microscopique ne démontra dans l'infiltrat ci-dessus qu'un petit nombre de cellules de granulation le long des petites artères et des capillaires. En quelques points, la paroi vasculaire était méconnaissable par suite de la formation d'amas fusiformes de cellules de granulation qui manifestement paraissaient en provenir; en d'autres points, on la reconnaissait encore nettement. Dans l'axe des amas de cellules fusiformes, et dans la coupe des vaisseaux, quand ceux-ci étaient reconnaissables, on trouvait des amas caractéristiques d'organismes semblables à des bacilles. En outre, en quelques points, il y avait des traTnées étroites de corpuscules blancs du sang dont les noyaux se coloraient plus fortement que ceux des cellules de granulation. Çà et là, on voyait, en dehors des amas de bacilles, les petites granulations, arrondies, analogues à des cocci que l'auteur a le premier signalés comme faisant normalement partie des microbes de la lèpre. Seulement, en quelques points voisins de la peau, on rencontrait des traTnées cellulaires plus larges qui présentaient la structure du léprome, les masses de cellules et de zooglées s'entrecroisaient d'une manière irrégulière; mais la plus grande partie du tissu cutané et sous-cutané, même à l'intérieur de la nodosité, ne montrait aucune prolifération, l'infiltrat était visiblement séreux et non cellulaire.
Unna avait déjà signalé la situation des microbes de la lèpre dans les vaisseaux. Mais jusqu'à présent on n'avait que rarement observé cette disposition des microbes et on regardait les vaisseaux et les espaces lymphatiques comme leur siège principal; dans le cas oü l'auteur a eu l'occasion d'assister aux premières phases du processus, les amas de zooglées se trouvaient dans le calibre des vaisseaux.
Ce fait confirmerait l'hypothèse déjà émise que l'érythème noueux serait ici dü à une embolie mycosique des vaisseaux de la peau. Les microorganismes se multiplient sans doute rapidement dans les vaisseaux et les obstruent en partie. La stase veineuse amènerait une issue du sérum contenant les petites granulations anlogues aux cocci; ceux-ci s'accumuleraient d'abord dans le voisinage des vaisseaux, puis dans les espaces lymphatiques, se transformeraient ensuite en bacilles en même temps que se formeraient des cellules de granulation. C'est ainsi que l'auteur explique la formation du léprome. Dans d'autres cas, la colonie avorte, le sérum est résorbé et il ne se produit pas de nodosités, ou on sent tout au plus à un examen attentif quelques épaississements filiformes qui probablement correspondent aux proliférations périvasculaires.
La présence des microbes dans la circulation est sans doute la cause de la fièvre.
Rarement les nodosités restent limitées au tissu sous-cutané. Quand elles sont isolées et en très petit nombre, la fièvre peut faire défaut. Le développement des nodosités est parfois accompagné de prurit.
Lutz distingue deux formes de lépromes. La première est de beaucoup la plus fréquente sur le tronc et sur les membres; elle est constituée par des nodosités arrondies ou ovales,jaunâtres ou rouge brun, du volume d'une lentille à celle d'une pièce d'un franc. Elles peuvent être plates ou légèrement arrondies, d'ordinaire saillantes, parfois pédiculées, fibromateuses. Leur consistance est toujours assez ferme. Cette forme s'observe aussi à la face, soit isolée, soit combinée avec l'autre, elle donne alors un aspect repoussant.
La deuxième forme est rare en dehors de la face et des oreilles et limitée ordinairement à la face dorsale des doigts et des orteils, ou bien se manifeste à l'état de gonflement diffus, de la consistance des engelures.
Sur la face oü cette variété se rencontre souvent seule ou prédominante, elle se traduit par une infiltration plate de quelques parties de la peau; les plis cutanés normaux sont hypertrophiés, mais il n'y a pas de nodosités proprement dites. La consistance est moins ferme par suite du manque de tension, elle rappelle celle d'un léprome ou d'un fibrome mou et il est difficile d'apprécier au toucher les limites du néoplasme. Dans cette variété, le lobule de l'oreille est souvent très déformé et la face prend en général une expression comique.
Assez souvent les deux formes se combinent, des nodosités surviennent sur les lépromes diffus. Dans toutes les deux, la chute partielle ou complète des cils est fréquente.
Les lépromes une fois bien formés persistent très longtemps. Généralement ceux recouverts d'une couche cornée ne subissent pas la fonte purulente, mais le moindre traumatisme qui altère la couche cornée amène la suppuration. On trouve dans l'exsudat des staphylococci et d'autres microbes pour lesquels le granulome de la lèpre constitue un excellent terrain de nutrition.
ll en est autrement pour les nodosités des muqueuses. Ici l'ulcération est la règle et cela souvent de très bonne heure. La cloison du nez est souvent perforée dès le début. L'auteur attribue cette décomposition rapide aux nombreux microbes qui pénètrent du dehors dans les cavités muqueuses.
Quand les nodosités cutanées sont résorbées spontanément ou à la suite du traitement, la couche épidermique devenue trop large forme des plis qui persistent longtemps. Dans la résorption des lépromes anciens, il se produit facilement de nouvelles embolies.
Les formes tubéreuses avec ulcération des muqueuses seraient, d'après Lutz, les plus dangereuses au point de vue de la contagion.
La prétendue influence favorable d'un changement de climat, aussi bien pour la lèpre tubéreuse que pour les autres variètés, paraTt très problématique à l'auteur. ll ne connaTt pas des cas de guérison spontanée de lèpre tubéreuse ni en Europe, ni au Brésil. Le diagnostic présente peu de difficultés, en tout cas le microscope exclut toute erreur.
A. Doyon
Études sur la lèpre au Brésil*
(Monatshefte f. Dermatologie und syphilis, 1887, n.10 et 11) (Suite et fin)
VII – Lèpre des nerfs – La lèpre des nerfs présente un plus grand intérêt que la forme tubéreuse, non seulement au point de vue de la marche et des symptômes, mais aussi pour le diagnostic.
La forme la plus simple et la plus favorable est celle dans laquelle les symptômes sont limités à une région circonscrite, par exemple à l'extrémité périphérique d'un membre, au moins pendant des années. En pareil cas il se produit d'abord en un point limité, par exemple sur la face dorsale du pied, des picotements, des fourmillements ou une sensation analogue à celle qui résulte du contact d'une toile d'araignée ou des barbes d'une plume, avec prurit tout special. Sur les parties malades on constate ensuite de l'analgésie, mais les malades peuvent encore percevoir une forte pression d'une manière indistincte, puis il survient en général des douleurs lancinantes dans les nerfs afférents. Au toucher, on trouve souvent des épaississements diffus ou des nodosités au niveau de ces nerfs. Pas de tuméfaction ou tuméfaction légère des ganglions lymphatiques du membre affecté.
Dans deux cas observés par l'auteur, dans lesquels l'affection étail localisée dans la région de la partie terminale du nerf pérone profond, le processus resta stationnaire pendant trois ans; il y eut même plutôt de l'amélioration, et l'auteur croit que des cas de cette nature peuvent guérir spontanément, sans qu'il soit possible, cependant, de déterminer exactement le moment od la guérison est certaine. Les deux malades en question n'ontjamais soupçonné la nature de leur maladie; ils marchent sans trop de peine et se livrent péniblement à leurs occupations.
L'auteur rapporte ensuite deux cas d'eléphantiasis lépreux, dont l'un consécutif à un traumatisme. Dans ces deux cas, le diagnostic de la lèpre peut soulever quelques doutes, le bacille spécifique n'ayant pas été trouvé. D'après Lutz, la localisation de la lèpre des nerfs a presque toujours lieu d'abord sur des parties découvertes du corps, exposées aux piqüres d'insectes et à d'autres traumatismes.
La variété la plus fréquente de la lèpre primitive des nerfs se localise dans les extrémités périphériques. L'anesthésie prononcée est, en général, limitée à des régions assez circonscrites et n'a pas toujours pour conséquence des troubles graves; mais les malades se plaignent fréquemment de vives douleurs lancinantes dans les membres. Les ganglions lymphatiques des membres affectés, même en l'absence de toute ulcération, présentent assez souvent des tuméfactions qui ont une grande importance pour le diagnostic; cependant ce symptôme peut faire défaut même dans des cas très caractérises. Les extrémités atteintes sont le siège de diverses modifications superficielles: cyanose, pityriasis furfuracée, ichthyose, hypertrophie des papilles avec ou sans épaississement de l'épiderme, plus rarement quelques taches de glossy skin. L'éléphantiasis est plus fréquent sur les membres inférieurs, l'auteur ne l'a observé qu'une fois, d'une manière symétrique, aux deux mains et à la portion périphérique des avant-bras. Les phénomènes de stase s'expliquent en beaucoup de cas par la compression des callosités des nerfs sur les veines, comme l'auteur a été à même de le constater directement dans un cas.
Un symptôme extrêmement caractéristique, mais qu'on n'observe que dans un petit nombre de cas, est le pemphigus lépreux. Les efflorescences ont d'ordinaire la dimension d'une pièce d'un franc à celle d'une pièce de cinq francs en argent, elles surviennent parfois de bonne heure et en grand nombre; dans d'autres cas, on n'observe, pendant une longue période de temps, que des vésicules isolées. Elles sont dues, à peu près sans exception, à des troubles d'innervation; elles laissent souvent des cicatrices indurées, notamment chez les nègres. Ces callosités peuvent, par leur siège sur des points caractéristiques, comme les avant-bras, les premières phalanges, aider au diagnostic.
Le symptôme cliniquement le plus importent de la lèpre des nerfs est l'ulcération, souvent si considérable et produisant de telles difformités qu'elle peut constituer un type spécial: la lepre mutilante. L'ulcération a son siège de beaucoup le plus fréquent à la partie périphérique des membres, ce qui est un indice de l'origine traumatique habituelle.
Outre les bulles de pemphigus, ne donnant en général lieu qu'à des ulcérations superficielles, deux espèces d'ulcérations peuvent déterminer des mutilations.
Le premier de ces processus ne diffère guère des panaris ordinaires, sauf en ce que, en l'absence plus ou moins complète de la douleur, il est le plus souvent abandonné à lui-même et par suite conduit facilement à la périostite et à l'inflammation des tendons avec nécrose, ou à la suppuration des articulations avec ses conséquences. Malgré l'intensité de la lésion locale, il n'y a que rarement infection générale: ce que Lutz attribue moins au traitement qu'à la nature de l'infection.
On trouve assez souvent les restes de ces panaris sur plusieurs doigts ou orteils. Ces lésions et l'absence de sensibilité des parties malades de la peau confirment le diagnostic, même en dehors de tout autre symptôme apparent.
Le deuxième processus amenant la mutilation se présente sous l'aspect du mal perforant. ll s'agit habituellement d'ulcères arrondis, survenant par usure progressive, attaquant à peu près également les parties molles et celles plus resistantes; ils sont creusès à leur base en forme le lentilhe concave et toujours avec perte notable de la sensibilité. On les observe à la paume des mains et à la plante des pieds; aux doigts et aux orteils dont ils déterminent parfois la chute, on voit rarement des mutilations plus étendues. Ces ulcérations ne se cicatrisent qu'exceptionnellement dans les conditions ordinaires.
Un autre genre de mutilation se produit sans ulcération, en genéral dans les formes mixtes. Ce sont des ankyloses avec rétraction ou résorption de certaines parties (os, tendons, fascias), précédées parfois d'engorgement et de tuméfaction. L'atrophie des museles est souvent considérable. ll peut en résulter des difformités très prononcées et des altérations fonctionnelles graves sans que la vie du malade soit menacée. Les influences extérieuresjouent un rôle important dans la lèpre mutilante; cependant elle atteint aussi des personnes qui ne sont pas exposées à des lésions traumatiques.
Lèpre maculeuse – La forme maculeuse se rapproche beaucoup plus de la lèpre des nerfs que de la lèpre tubéreuse, et on pourrait la regarder comme une localisation spéciale de la première. Dans la forme pure, il n'y a pas d'épaississement appréciable des nerfs cutanés, ni tendance à la formation de vésicules et d'ulcérations, et l'affection a un caractère bénin.
Dans la plupart des cas, la marche de la maladie est la suivante: des taches hyperhémiques réparties plus ou moins irrégulièrement, s'effaçant à la pression, apparaissent sur toute la surface cutanée. L'auteur en a observé, sur la face, de la dimension d'une pièce de cinq francs en argent, sans modifications de leurs caractères habituels. Elles sont souvent aussi le siège de pigmentations diffuses ou en petits foyers, et alors elles ne cèdent plus à la pression. Elles sont entourées d'un liséré légèrement saillant de un à deux travers de doigt, qui's étend à la périphérie. Au centre, la peau reprend complètement ou à peu près son aspect normal, ou bien il se produit une atrophie plus ou moins prononcée et le pigment disparaTt; la peau prend alors les caractères d'une cicatrice ancienne de vaccin.
Les taches sont fréquemment un peu douloureuses au début; mais quand le liséré s'est formé, il devient douloureux et le centre de la tache est souvent anesthésique ou analgésique.
Tant que le liséré saillant existe, la tache s'etend peu à peu; sa disparition est le signe d'un arrêt du processus.
Lutz ne regarde comme une forme pure que celle ou la paresthésic est limitée aux taches. C'est une affection très légère, pouvant même passer inaperçue des malades. Des engorgements ganglionnaires peuvent survenir et même former des tumeurs considérables, mais seulement dans les cas anciens.
La lèpre maculeuse est souvent compliquée de lèpre des nerfs; dans ces cas, il y a aussi de l'anesthésie sur des parties indemnes de taches, et notamment sur les extrémités terminales des membres, ainsi que des éruptions pemphigineuses et des ulcérations; ces cas sont d'ordinaire de nature bénigne.
Les lépromes surviennent rarement dans cette variété de lèpre.
La lèpre maculeuse peut offrir une certaine ressemblance avec le psoriasis gyrata, l'herpès tonsurant et diverses antres mycoses à marche centrifuge. La constatation des paresthésies, qui font rarement défaut dans la lèpre, permet d'éviter toute erreur. Les taches se distinguent du vitiligo acquis par leur liséré saillant; cependant les cas anciens sont parfois difficiles à diagnostiquer, mais l'erreur n'est guère possible si l'on tient compte de tous les facteurs. D'après Lutz, il ne faudrait pas compter sur la recherche du bacille pour établir le diagnostic différentiel, car il lui a été impossible de le découvrir dans un fragment pris sur un liséré saillant.
Traitement de la lèpre – L'arrêt, l'amélioration et même la guérison des premières périodes de la lèpre des nerfs et de la lèpre maculeuse n'étant pas rares, on peut être conduit à attribuer ce résultat à tout remède frèquemment employé; cependant, avec un peu d'attention, il est facile de différencier cette marche spontanée d'avec les résultats beaucoup plus rapides d'un traitement approprié.
Les remèdes nouveaux, souvent très actifs dans d'autres affections, tels que l'acide phénique, la créosote, le sublimé, l'iodure de potassium, le condurango, la strychnine, etc., malgré quelques succès apparents, n'ont pas réussi à prendre une place importante dans la thérapeutique de la lèpre. Les succès attribués à la strychnine à New York, od l'on observe surtout les formes nerveuses, s'expliqueraient, d'après l'auteur, par des améliorations ou des guérisons spontanées, qui ne sont pas rares dans les cas légers. ll repousse l'emploi de ce remède dangereux et incertain.
L'huile d'acajou ou cardol (de I Anacardium occidentale), très vantée autrefois dans le traitement de la lèpre tubéreuse, paraTt être retombée dans l'oubli, ainsi que les autres médicaments oléo-résineux. L'auteur n'est pas en mesure de confirmer les succès attribués récemment au tanin en Portugal et à Rio de Janeiro, non plus que l'action attribuée par Silva Araújo à l'acide gynocardique.
Parmi les remèdes internes, Lutz signale comme les plus actifs le pyrogallol employé par Unna d'une façon systématique, et la chrysarobine conseillée par le même auteur dans le traitement de la lèpre. Dans six cas, Lutz a pu constater l'efficacité de ces remèdes. ll resterait à savoir s'ils peuvent amener la guérison complète de la maladie.
D'après l'expérience de l'auteur, ces deux remèdes sont également énergiques; on peut les employer simultanément ou séparément. Ils peuvent être appliqués pendant longtemps et on peut en augmenter graduellement les doses; leur action est surtout locale.
Des nodosités anciennes, de grosseur modérée, disparaissent en général en deux à trois mois par résorption interstitielle, sans destruction du revêtement épithelial; cependant il faut une certaine précaution dans l'emploi des pommades; si le traitement est continué assez longtemps, il y a peu de tendance aux récidives locales. Par contre, la disparition des nodosités s'accompagne facilement de la production de nouvelles nodosités emboliques, quand la cure par les trictions ne s'y oppose pas.
Les douleurs lancinantes, dans les extrémités, sont influencées lentement mais d'une manière évidente par des cures générales de frictions. L'anesthésie diminue, l'cedème disparaTt et les nodosités qui siègent au niveau des nerfs cèdent beaucoup plus rapidement que sans traitement. Dans les cas graves, la guérison a lieu par la transformation connective des granulomes nerveux, probablement avec perte de substance sur laquelle on pourrait peut-être agir par un traitement mécanique.
Les formes maculeuses récentes guérissent complètement, et, semblet-il, plus rapidement que les nodosités lépreuses.
Le salicylate de soude est un auxiliaire prècieux du traitement. ll faut débuter par 6 grammes au moins parjour. Les malades s'habituent à ces doses et les résultats sont très favorables; le bicarbonate de soude facilite la tolérance; le salicylate paraTt surtout utile quand il y a tendance aux embolies noueuses. Le thymol, que Lutz a administré pendant longtemps sans inconvénient, à la dose de 3 à 4 grammes par jour, paraTt agir de la même manière.
L'auteur se rèserve d'indiquer plus tard diverses méthodes de traitement interne et externe qu'il a essayées, et dont quelques-unes lui ont donné de bons résultats. ll termine en exprimant sa conviction que, par un traitement appliqué à temps, on peut, dans la plupart des cas, amener une régression des symptômes visibles, et parfois la guérison complète.
N.B. – Ce n'est qu'après avoir terminé son travail que l'auteur a eu connaissance de l'ouvrage de Leloir et du compte rendu qu'en a donné Unna.
A. Doyon