Il fit les derniers mètres juste en battant des pieds, les bras tendus en avant, se laissa glisser jusqu’à ce que ses mains touchent la rive. Il sortit de l’eau avec le sourire. Comment expliquer son penchant pour l’eau glacée du lac ? Il avait failli mourir au milieu des flammes, il se plongeait dans un liquide froid pour éteindre ses brûlures anciennes. Il avait trouvé ça tout seul. Simpliste, peut-être pas tout à fait faux.
Ceux qui le voyaient plonger du ponton, faire la traversée sur la grande largeur, remettre pied à terre sur la plage de galets noirs étaient rares. Le coin était désert. La lande s’étendait à perte de vue. Il y voyait des troupeaux qui disparaissaient derrière les collines au gré de leurs déplacements, les gens au loin qui s’occupaient des bêtes. Romain était l’étranger de la maison du lac, ne parlait pas leur langue, ni eux la sienne.
Il n’était plus le même, chercher asile ailleurs était allé de soi.
Il avait changé de tête. Les brûlures sur son visage en avaient modifié le modelé, gommé les traits, avaient estompé lèvres et ailes du nez, rendu son épiderme pareil à du papier froissé, plis en saillies, peau distendue dans les creux. Il était méconnaissable, plus celui qui avait tué des hommes, plus la bête qui s’était fait justice elle-même. Il s’était allégé de tout, était parti sans rien amener avec lui de son passé. Il avait disparu aux yeux de ceux qui l’avaient approché, rompu toute attache. Sauf avec celle qu’il aimait.
Elle avait douté, été bousculée, tiraillée, avait pris le temps qu’il fallait pour y voir clair dans ses sentiments, jusqu’à ce que ça devienne évident que c’était lui son grand amour.
Elle était déjà venue à la maison du lac. Elle réduisait à chaque fois le temps à attendre entre deux visites, faisait ce qu’il fallait pour rater son avion de retour et rester avec lui plus longtemps.
Se quitter devenant un supplice, ils avaient décidé d’arrêter de se faire du mal.
Le lac faisait miroir. Il regardait se coucher le soleil et son reflet que troublaient des vaguelettes quand il vit au loin un camion s’arrêter, en descendre une femme, le chauffeur poser trois valises à ses pieds.
Il cavala à sa rencontre. Elle l’aperçut, lâcha ses paquets, dévala le sentier qui menait au lac.
— Romain ! Romain ! cria-t-elle d’une voix claire.
L’émotion l’empêcha de répondre à son appel, pas de courir plus vite. C’est une fois serré contre elle que, haletant, il articula tout bas :
— Lauren. Ma Lauren.
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