IX

 

– Les formes viennent, dit Anne, et je ne suis même pas là : je suis ailleurs, quelque part au bout du ciel, et je vois. Je vois que tout est de la vue. Et je m’aperçois que mon esprit conscient ne fonctionne plus, bien que le processus en cours ne soit pas pour autant automatique… Cela se passe sur un autre plan – un plan mystérieux de l’être. Et la même chose avec les couleurs. Tout commence par la couleur, mais pourquoi cette couleur à tel instant et pas une autre ? C’est émotionnel et subjectif. Quand je commence, je ne sais pas ce que je vais faire. Si j’ai en tête un pourpre rose, c’est en rapport avec la saison, la qualité actuelle de la lumière. Si j’ai en tête une colline, c’est qu’elle est solide et ombreuse, et que par conséquent elle peut devenir le lieu de rencontre de la noirceur et de la lumière, et de ce que produit visuellement cette rencontre. La colline est là, mais elle est sans importance. L’important, c’est l’émotion – et d’où vient-elle ? Elle vient du désir, du désir ardent qu’éprouve le présent pour les choses du passé, pour les choses du futur. L’image, qu’à un moment donné sécrète le désir, est liée à la saison parce que celle-ci est dans mes os. L’image précède la pensée. Elle surgit de la chair comme l’émotion qu’elle exprime. La forme et la couleur en dérivent. L’émotion est une image. Elle demeure à l’état d’image avant d’être transformée en mots. C’est l’image qui appelle la couleur et la forme : elle est le gène de leur apparition…