La quatrième feuille a pris place : elle est d’un format double mais reçoit d’abord le même traitement : couche d’eau sur toute la surface, jus rouge. La réaction est différente : une brillance générale puis, très vite, des zones sèches. Nouveau jus, cette fois brun-rouge, puis giclures noires et pourpres. Le papier absorbe tout cela comme un buvard. Ajout d’eau, secousses, rien n’y fait, et c’est finalement sans importance car le rouge et le noir forment un large signe horizontal, qui se suffit. La cinquième feuille est tout de suite rose, violet, jaune, ces trois couleurs en flaques qui gonflent et débordent. Un filet sort du jaune, frôle le rose et emporte le bord du violet, d’où une couleur nouvelle, vaguement orange, sur l’une des rives, et parcourue de filaments sombres dans l’avancée de sa coulure. Un apport de brun fait un lac ténébreux vers le haut : un lac qui sort bientôt de son bassin par trois coulées. La quatrième feuille, entre-temps, s’est verticalisée – plus exactement vertébralisée avec, autour de cet empilement central, des taches qui se répondent et s’équilibrent. Les mains sont à présent gantées de couleur. Les gestes restent brefs, mesurés, utiles : ils posent, ils étendent. Un doigt se détache de la main pour gratter une flaque, y ouvrir une brèche à travers qui la couleur se répand. On sent une vigilance, une attention, et on leur prêterait volontiers une influence. La posture la plus courante est debout devant la base du dessin avec autour du corps un halo de silence. La tête, souvent, s’incline, pensive. Les mains dans ce cas se tiennent sur les hanches. Le pinceau rond porte plutôt des coups ; le plat travaille à plat, avance par à-coups, sans va-et-vient. Une sixième feuille est attaquée au violet : cela fait un nuage où se creusent des réserves blanches. Mais du rouge éclabousse tout cela d’autant qu’une giclée d’eau provoque des expansions, des coulures et même une ébullition vite calmée par un nouvel apport de rouge. Le coin droit de la feuille est pincé entre deux doigts, soulevé, agité doucement par petites secousses, puis reposé. Un doigt va de l’avant à travers le rouge, atteint le violet, revient en tirant derrière lui une traînée bleue – mais oui, bleue ! Là-dessus, un brusque coup de noir modifie l’ensemble : on dirait que tout fait soudain corolle à ce noir, étrange cœur plein de lumière sombre. Un peu plus tard, une tourmente violet-noir installe un tourbillon. La fluidité grandit à mesure que la surface sèche et donc se fixe : on voit monter un débordement immobile…