Minutie et rapidité : la vitesse paraît garantir la précision. Toute la main travaille pour soutenir le bec que lui font le pouce, l’index et le pinceau : un drôle de bec toujours actif, qu’il picore ou qu’il glisse. Deux chaises, qui se tournent le dos, servent de chevalet. Pour l’instant, il s’agit d’effectuer de minuscules repeints, mais, de proche en proche, ces suppléments de matière modifient la densité des formes qui s’illuminent à mesure dans une fluidité. Est-elle le fruit de leur épanchement ou bien le liquide visuel où tout vient flotter naturellement ?
Vitesse du travail mais vitesse plus vive encore – quoique impensable – du battement qui sourd de la surface et envahit le regard, le pénètre. Le doute n’y change rien, ni le constat répété de la fixité fondamentale du monde peint puisque, en dépit de l’évidence, les rapports de couleurs, les rapports des courbes, des boules, des croissants, des triangles, des sinuosités, des anneaux, déclenchent un mouvement qui se généralise contre toute raison. Cela palpite et s’impose tellement que toute résistance tombe : comment résister au plaisir visuel ? Et tant pis s’il n’en finit pas de désarçonner la volonté de démonter son mécanisme !
Le tableau est toujours en gloire dans l’espace du regard, sans doute parce que le regard trouve en lui son accomplissement. Dès lors, la surface a beau ne pas tricher avec sa platitude, elle ne s’en élève pas moins au contact du regard en suscitant la floraison d’un volume. Ce qui était fixe, et qui le reste, se met à graviter dans le lieu même de sa fixation. Mais le tableau contemplé est-il séparable, dans l’instant de la contemplation, du regard qui le contemple ? Ne forme-t-il pas avec lui un espace continu – un espace unique bien qu’éphémère ?