Peut-on regarder le silence ? C’est un vers de Leanardo Rosa : il indique peut-être ce que tente son œuvre peinte – faut-il dire « peinte » ? L’emploi du pinceau, du papier, du fusain suffisent à cantonner dans un genre, mais ne compte en définitive que l’effet visuel, et qu’il soit une ouverture bien que, en apparence, il aille seulement de l’extérieur vers l’intérieur. On oublie la plupart du temps que le visuel communique avec le mental au point de former avec lui un espace continu. La peinture réveille cette continuité, et parfois la révèle. Elle l’a fait longtemps au moyen d’un tour de passe-passe qui consistait à montrer le faux (le réel) pour plaider le vrai (la pensée). Elle s’égarait fréquemment dans son propre labyrinthe ou dans l’imbrication de ses reflets. L’œuvre de Leonardo Rosa agit plus crûment bien qu’en toute discrétion. Elle n’a pas d’image, donc pas de prétexte : elle ne représente rien et pourtant elle captive le regard. On peut croire au premier abord qu’elle doit ce pouvoir au fait de piquer la curiosité par sa simplicité, sa matière, son modernisme étranger à la mode. Tout cela, qui est exact, ne saurait arrêter bien longtemps le regard. Or, dès qu’il est attentif, le regard ne décroche plus et découvre qu’il est retenu là par une sorte d’imprégnation spatiale. Cette surface grise, scarifiée de signes violets finement bordés de noir, se comporte comme un miroir sur lequel on se pencherait sans provoquer le moindre reflet. Cela est repoussant ou vertigineux selon qu’on s’offusque ou qu’on persiste à se pencher jusqu’à basculer dans ce qui n’est pas l’espace de la chute mais l’espace de l’unité. Bien entendu, cela ne se produit pas chaque fois : il faut dévisager la surface avec une certaine insistance avant d’y apercevoir un lieu – celui de l’expérience. Autrefois, les peintres vous découpaient un morceau de monde tel qu’on aurait pu le voir dans une fenêtre, et libre à vous de sauter ou non à travers puisque après tout vous pouviez vous satisfaire de regarder la représentation. Ce peintre-ci vous présente un morceau de substance dépourvue de séduction mais qui se met au mur, preuve qu’il vous invite à regarder dedans. Son but ne doit pas être d’arrêter votre vue, mais bien plutôt de vous suggérer que regarder cela conduit à regarder vers l’invisible.