Corè 685, Acropole, Athènes,
vers 500-490 av. J.-C. Marbre, h : 122 cm.
Musée de l’Acropole, Athènes.
A Mycènes et en Crète, les découvertes ont mis en lumière des œuvres d’art témoignant d’une formidable personnalité esthétique et d’un don exceptionnellement raffiné pour le plaisir. Peut-être que les Grecs de l’Antiquité ont hérité cela de leurs lointains ancêtres, ce qui explique les avancées artistiques rapides, réalisées ensuite, lorsqu’ils ont retrouvé leurs racines. Dans tous les cas, chaque pensée exprimée se transforma en une nouvelle idée, et chaque nouvelle réalisation fut accueillie avec un enchantement manifeste. La grande simplicité et la merveilleuse habileté des Grecs, que la plupart d’entre nous avons acquis lentement et péniblement à travers une éducation libérale, peuvent nous faire oublier que les Grecs étaient un peuple primitif. Etant ainsi, ils ont constamment lutté pour mieux exprimer leurs pensées. Dès qu’une pensée prenait vie, sa quintessence, au moins au début, ne représentait rien d’autre que ce concept formel. Aujourd’hui, l’observation de la statue du dieu Apollon ne peut être détachée de tous les changements que la notion de déité a subi à travers les époques successives. Particulièrement dans la comparaison à un dieu, dont la religion était prédestinée à supplanter la foi enthousiaste et bienfaisante consacrée au Parthénon de l’Olympe. Pour l’observateur moderne, les statues des dieux de l’Antiquité sont largement symboliques, tandis que pour les Grecs de l’époque, celles-ci exprimaient des pensées précises. Les artistes de l’Antiquité grecque ont donné une forme concrète aux images mentales ou aux idées de leur peuple ; ils ont pu atteindre ce but parce qu’ils en faisaient eux-mêmes partie intégrante.
Cela explique pourquoi les artistes de l’Antiquité ne se voyaient pas comme une classe à part ; leur don d’expression ne les exemptait pas de se mêler étroitement au public. Quelques extraits tirés des écrits d’auteurs romains peuvent paraître à cet égard contradictoires, mais il faut rappeler que les Romains entretenaient un cloisonnement très précis entre les classes sociales. L’insuffisance documentaire concernant la séparation des artistes grecs et leur public peut laisser penser qu’elle n’existait pas. Pour vivre leur vocation, les artistes grecs se devaient d’être les enfants éveillés de leur temps. Quelquefois, spécialement vers la fin de l’Antiquité, nous constatons un retour vers le passé, bien que cela n’allait pas jusqu’à l’oubli du présent et de ses exigences. Le Zeus olympien de Phidias était communément considéré comme la plus belle réalisation de la pensée noble ; beaucoup de statues ont été sculptées sous son influence, mais aucune imitation obséquieuse n’a eu lieu entre son édification au Ve siècle avant Jésus-Christ et la fin de l’art grec antique.
Selon toute probabilité, aucune des plus belles statues grecques n’était censée traduire la pensée exclusive d’un artiste. Cela ne dévalorise pas pour autant l’artiste, puisqu’il était le premier à saisir l’aspect singulier de cette idée et à lui donner une forme visible, une expression tangible, permettant à ses semblables de partager avec lui l’acuité de sa conceptualisation, qui aurait été difficile à percevoir sans son intervention. Ces considérations sur l’histoire antique ne constituent pas un préalable légitime pour discuter des principes gouvernant les relations entre les artistes contemporains et leur public. Aujourd’hui, les conditions diffèrent tellement qu’il est impossible d’établir un parallèle entre l’art antique et l’art moderne. De fait, aucun étudiant en art ne peut s’empêcher d’être interpellé par une telle incongruité.
En dépit de leur habilité supérieure, les artistes modernes forment une classe qui ne semble pas absolument performante. La difficulté ne provient pas des artistes eux-mêmes, mais du public auquel ils appartiennent et d’où ils puisent leurs connaissances, sinon leurs inspirations ; en tous cas, cela demeure leur « raison d’être ». Le public d’aujourd’hui n’est plus restreint à une minorité instruite dotée d’un passé familial captivant, mais du grand public, et ce dernier forme un ensemble hétérogène, souvent dissonant. Par réaction, quelques hommes de bonne volonté, imprégnés d’admiration pour la majesté des vestiges du passé, guidés par le génie, et sans doute insensibles à certaines de leurs conséquences négatives qui ont traversé les siècles, tentent un improbable retour vers le passé. Bien qu’il soit possible de tirer des leçons de ce qui, dans le passé, était un état d’esprit florissant, la marche de l’humanité se poursuit, et il est préférable de l’appliquer aux nouvelles exigences contemporaines.
En Grèce, les sculpteurs œuvraient pour leur peuple. Ils percevaient intimement leurs travers naturels et s’efforçaient de satisfaire leurs besoins. Le raisonnement abstrait et la persévérance obstinée sont subjectifs. De fait, les artistes ont évité toute interprétation inintelligible de la nature. Leur devise était : « Si une chose m’apparaît, elle est exactement comme je la vois. » Mais ce « moi » ne signifiait pas l’artiste en tant qu’individu, mais l’artiste en tant que porte-parole du peuple. Pour ce faire, il plaçait sa supériorité artistique et ses perceptions clairvoyantes au service de son peuple. Ce qu’il sculptait ne leur était pas étranger, car même s’ils ne savaient rien faire de plus, les gens ressentaient au moins la justesse des pensées exprimées. Etre un artiste singulier est une chose merveilleuse, mais il est plus important encore d’être, tel un sculpteur grec, l’interprète des plus nobles pensées de son peuple.