Jeune Femme faisant une offrande,
détail du « Trône Ludovisi », vers 470-460 av. J.-C.
Marbre, h : 84 cm. Museo Nazionale Romano, Rome.
S’il existait un ensemble complet de statues datant d’avant les guerres Médiques, on y verrait sans doute avec quelle persévérance les Grecs se sont cramponnés à la manière traditionnelle de représenter le corps humain. Les sculpteurs étaient prêts à dépasser leurs prédécesseurs, mais non à s’aventurer dans de nouvelles directions. Un tel ensemble n’existe pas. Peu d’œuvres de bonne facture ont survécu, et celles dont nous disposons, quoique assez nombreuses pour corroborer cette hypothèse, ne peuvent pas la prouver – il nous faudrait pour cela disposer de toute une série d’anciennes statues d’Athènes montrant quelle a été l’évolution progressive de la sculpture dans cette ville pendant près d’un siècle. La plupart de ces statues sont originaires d’Athènes, si bien qu’on risque, en les analysant dans ce contexte, de confondre les tendances d’une école locale avec les grands principes qui ont régi la Grèce tout entière. Ce danger peut être évité si l’on renonce à donner valeur de preuve aux statues athéniennes, et qu’on se contente d’y voir l’illustration d’un phénomène par ailleurs établi par d’autres monuments. Lors des fouilles qui eurent lieu à l’Acropole entre 1885 et 1891, et pendant lesquelles chaque mètre carré de terre fut retourné, on découvrit une trentaine de personnages féminins drapés. Brisées par les Perses en 480 avant J.-C., elles avaient été enterrées par les Athéniens après la bataille victorieuse de Salamis, peut-être pour servir, comme d’autres soi-disant débris, à élargir la surface plane de l’Acropole. Pendant vingt-trois siècles, elles restèrent enfouies dans la terre sèche qui recouvrait la roche vive, et échappèrent à la destruction totale et à l’oubli qui furent le lot de la grande majorité des sculptures de l’époque. Des œuvres de cette période, il n’existe même pas de copies romaines. Les premières œuvres des Grecs n’étaient pas du goût des Romains. Lorsqu’elles furent découvertes, ces figures étaient recouvertes de nombreuses traces de peinture, renforçant ainsi l’hypothèse que les anciennes statues avaient été colorées. Toutes sont en marbre.
Elles représentent des femmes inconnues. Bien que dédiées à Athéna sur le lieu qui lui est consacré, il est fort peu probable qu’elles soient des effigies de la déesse, puisque aucune ne porte ses attributs – le casque, la lance, le serpent ou l’égide. On pense à l’heure actuelle qu’il s’agit de prêtresses d’Athéna, mais aucune littérature ne fait état d’une coutume donnant à ces prêtresses le droit de voir leurs statues consacrées, ni après, ni pendant l’exercice de leurs fonctions. On sait cependant qu’une telle coutume existait à Argos, où se trouve le célèbre temple dédié à Héra.
Qu’elles soient prêtresses ou simples jeunes filles athéniennes, les statues de l’Acropole semblent avoir été érigées progressivement sur une période d’au moins soixante ans. La dernière date peut-être de l’année de l’offensive perse, et la première n’est en aucun cas antérieure à la période où Pisistrate établit son pouvoir sur Athènes. La preuve en est la comparaison avec une statue d’Athéna découverte en même temps, qui décorait le fronton d’un grand temple construit par Pisistrate, mais aussi le fait que de nombreuses pièces en roche tendre, trouvées dans les mêmes fouilles, précèdent les statues de marbre aussi sûrement qu’elles sont, du moins pour certaines d’entre elles, plus tardives que les grossières œuvres des alentours de 600 avant J.-C. et des décennies qui suivirent.
La série toute entière a récemment fait l’objet de plusieurs classifications, et bien qu’il soit impossible de dire pour chaque œuvre si elle est plus ancienne ou plus récente que telle autre, il ne fait aucun doute sur celles qui marquent le début et la fin de la série.
L’une des plus anciennes n’est pas sans rappeler par sa conception les statues de Couros. On y retrouve la même poitrine forte et inexacte, aussi bien dans sa position que dans sa forme. En dessous de la poitrine, le corps apparaît comme une masse indéfinie. Même les contours sont erronés, car les lignes qui descendent des épaules et longent la taille jusqu’aux hanches et aux jambes dénotent une connaissance assez floue des vrais contours du corps féminin. Comme les sculptures de Couros, cette sculpture a été réalisée sous les restrictions imposées par la forme du bloc et le poids de la matière. Les bras, bien que détachés du reste du corps en dessous des épaules, n’en sont pas très écartés, le sculpteur n’osant créer entre eux qu’un mince espace. Ceci explique l’aspect relativement rectiligne du corps, dont l’artiste n’avait qu’une vague idée, et qui adopta donc tout naturellement la direction la plus facile amorcée par les bras, aujourd’hui manquants. Les lignes ne peuvent en aucun cas être imputées au drapé. En effet, même si le vêtement est assez lourd pour tomber par devant en gros plis saillants, il disparaît presque complètement chaque fois qu’on rencontre une partie du corps dont le sculpteur avait une vision claire. Ceci est particulièrement visible à la poitrine, où seule la peinture était censée évoquer le drapé. Le vêtement est serré autour des jambes et laisse voir de légers plis assez semblables à ceux qu’on observe sur la cape de l’Hermès de Thasos.
La figure se tient droite, mais sa posture est neutre et ne reflète pas tant le caractère particulier de cette femme que le type auquel elle appartient. La tête haute et fière surmonte un cou droit, dont l’épaisseur, nécessaire pour des raisons techniques, est quelque peu amoindrie par les tresses qui tombent sur ses épaules.