Chasse au lion, sarcophage lycien, nécropole royale,
Sidon, première moitié du IVe siècle av. J.-C.

Marbre. Musée archéologique, Istanbul.

 

 

Attirance et maîtrise parfaite de la pratique des grands hommes

Les grands hommes sont attirés par les travaux et les citations de leurs amis et disciples et, après quelques siècles, il est impossible de distinguer ce qui leur est propre de l’héritage traditionnel. Ce genre de situation est un facteur de désorientation pour le biographe. Le critique d’art peut se montrer plus complaisant à cet égard, car il se soucie moins de l’individu que de l’idée exprimée et de son époque d’origine. Cela peut sembler paradoxal, mais une vérité est rarement formulée, alors qu’elle conserve encore sa force active, et elle ne l’est jamais en début de carrière. Au terme de sa période d’influence, alors que celui-ci est menacé d’extinction, l’homme est capable de faire preuve de discernement au regard du passé et des principes fondamentaux ayant guidé ses prédécesseurs. Il les exprime et préserve ainsi l’image de cette force, en voie de disparition, pour la postérité.

La quasi-totalité des citations attribuées à Lysippe doit être explicitée à la lumière de ce qui précède. Elles tirent leur légitimité de ce postulat. « Le principe de mon art », disait Lysippe, « est de représenter l’apparence des choses. » Quel Grec aurait pu s’opposer à cette devise au cours des trois derniers siècles ? A part peut-être Polyclète ? Et à Lysippe d’ajouter, comme s’il lui adressait une attaque, « Et non l’essence des choses, à l’instar de mes prédécesseurs. » Pline, qui a retrouvé cette phrase, considère que Lysippe s’oppose à tous ses prédécesseurs, mais il est certainement dans l’erreur. Personne n’a jamais sculpté de statues en fonction de « l’apparence des choses » avec autant de délicatesse que les sculpteurs de la frise du Parthénon. Cependant, la dernière partie de la phrase d’un Lysippe ayant appartenu à l’école d’Argos et de Sicyone, révélé par Polyclète, vise sans doute ses prédécesseurs immédiats. Environ un siècle avant Lysippe, on soulignait déjà que le grand tragédien Euripide mettait en scène l’essence réelle de ses personnages, tandis que d’autres mettaient en scène des incarnations absolues. La ressemblance de cette thèse suffit à montrer que les principes de Lysippe n’étaient pas nouveaux, mais qu’il formulait, avec ses propres mots, ce qui était devenu l’esprit dominant des chefs-d’œuvre de toutes les générations. La meilleure preuve visible en étant les monuments existants.

Lysippe était considéré comme un homme doué de constancia et d’elegancia. La recherche d’une traduction et d’une interprétation modernes de ces termes n’a pas abouti. Les chercheurs modernes étaient en quête de nouveaux principes le distinguant de ses prédécesseurs, alors qu’il n’y avait probablement rien à découvrir, excepté une formulation plus claire des principes directeurs d’antan. La difficulté est renforcée par l’incertitude qui règne sur la traduction latine des mots grecs signifiant constantia et elegantia. L’application de l’elegantia à l’extérieur d’une statue, autrement dit à son apparence, est quasi-évidente, et, puisque ces deux termes latins s’opposent, on pourrait croire que la constantia se réfère à ce que la critique littéraire appelle parfois « l’intérieur ». Entendons par « intérieur », la parfaite harmonie entre la pensée et son mode d’expression choisi. En poésie, certains sujets sont plus aptes à être traités par la poésie épique, tandis que d’autres nécessitent une expression lyrique. L’expression de l’extérieur, épique ou lyrique, peut être parfaite et peut exprimer cette elegantia, mais, à moins d’être le moyen naturel de véhiculer une pensée spécifique, elle risque de perdre « l’intérieur », ou constantia, et d’être insuffisante en tant qu’œuvre d’art. C’est le cas en sculpture. Il ne suffit pas d’attribuer à une statue des contours symétriques et une belle finition, autrement dit l’ elegantia ; la statue, dans son ensemble, doit être l’expression naturelle du concept qu’elle est censée véhiculer. L’extérieur et l’intérieur doivent « s’entendre » ou selon le terme employé par les Grecs anciens « se concilier » (constare, constantia). Le passage au latin ainsi expliqué ne semble pas se référer aux nouvelles découvertes attribuées à Lysippe, mais présente clairement les principes caractéristiques du plus bel art grec, en particulier celui de Scopas et de Praxitèle. On comprend volontiers l’importance de ce principe extérieur et intérieur une fois souligné, et sa négligence est sans doute à l’origine de l’échec de plusieurs sculptures grecques et modernes.