En 1918, une fermière des environs de Stuttgart attendait de voir revenir son mari, prisonnier sur le front russe. Les mois, les années passèrent, mais la fermière espérait toujours. Au village, on finit par la tenir pour folle bien que, s’agissant de tout autre sujet, son comportement restât des plus sensés.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, la fermière refusait encore de croire à la mort de son mari. En 1945, cependant, la situation avait changé du tout au tout : au village personne ne tenait plus la fermière pour folle. Faute de nouvelles, des dizaines de milliers de femmes allemandes espéraient désormais, et contre tout espoir, voir un mari ou un fils revenir d’URSS.
Un jour, un vieil homme se présente au village. Les voisins reconnaissent le mari de la fermière. Apprenant, à sa grande stupéfaction, qu’en dépit de ces vingt-sept années d’absence sa femme l’attend encore, l’homme s’aventure jusqu’à la ferme. Que se passe-t-il alors ?
Venus aux nouvelles, les villageois découvrent que la fermière s’est révélée incapable de reconnaître son ancien compagnon. Sans doute, cette fois, était-elle devenue folle pour de bon. Quelques jours plus tard, on retrouva le corps du mari dans une fosse à purin. La fermière n’avait aucune raison d’être plus affectée que quiconque par cet étrange décès1.
1 Voir Max Frisch, Sketchbook, 1946-1949, A Helen and Kurt Wolf Book, New York, 1977.