Minna était seule au monde lorsqu’elle fut arrêtée en 1942 et déportée au camp de Terezín, à soixante kilomètres de Prague : peu avant la guerre, ses enfants et petits-enfants avaient réussi à gagner la Palestine. Minna, elle, s’estimait trop âgée pour cette aventure. Prévu pour trois mille six cents déportés, le camp de Terezín en comptait soixante mille et la nourriture était réservée en priorité aux déportés qui travaillaient. Les femmes de l’âge de Minna étaient donc à peu près privées de tout.

Cependant, rien n’empêchait les grands-mères de se souvenir. Dans la baraque où elles avaient été reléguées, treize femmes se remémoraient chaque nuit les recettes de cuisine qu’elles confectionnaient jadis pour leurs enfants et petits-enfants : une façon de meubler leurs nuits sans sommeil, de maintenir leur cerveau en activité et d’évoquer le passé tout en évitant les épanchements.

S’agissant des quantités de beurre ou de farine, du temps de cuisson et de certains tours de main, les disputes étaient fréquentes, mais les treize femmes finissaient par trouver un compromis. S’étant procuré un carnet et un crayon, elles notèrent en secret, et aussi méticuleusement que possible, le fruit de leurs délibérations.

Minna et ses douze amies sont mortes de faim à Terezín, mais leurs recettes de cuisine ont survécu. Après vingt-sept années d’errance, le carnet que l’on croyait perdu est réapparu aux États-Unis où il vient de faire l’objet d’une publication1.


1 Katleen Evin dans son émission L’humeur vagabonde, France-Inter, 8 janvier 2009.