Ernst et Birgitta présentaient leur numéro de tigres du Bengale depuis quatre ans. Tandis que la jeune femme évoluait en pleine lumière dans un justaucorps à paillettes, son compagnon ouvrait l’œil, déplaçait les tabourets et tendait le cercle enflammé. Pour ne ravir d’aucune façon la vedette à sa partenaire, il n’apparaissait jamais dans le faisceau des projecteurs et entrait dans la cage en blouse grise, comme un simple garçon de piste.

Lorsqu’il tomba malade, le directeur d’un grand cirque parisien tenta de dissuader Birgitta de présenter seule leur numéro : à l’entraînement, les bêtes baissaient sans raison les oreilles, ce qui n’est pas bon signe, et elles manquaient singulièrement d’entrain au travail. Birgitta ne voulut rien entendre. Elle prétendait avoir une emprise totale sur les animaux. N’avait-elle pas élevé quatre des six tigres au biberon ?

Le soir de la première représentation publique, les tigres étaient à peine en piste qu’un coup de patte jeta Birgitta à terre. En un instant, les cinq autres animaux furent sur elle. Lorsque le personnel du cirque parvint à dégager la jeune femme, il était trop tard.

— Mes pressentiments se sont révélés exacts, explique le directeur du cirque : ce sont les rappels à l’ordre d’Ernst, fermes dans le dos des animaux bien que proférés à voix basse, qui les tenaient en respect, nullement les injonctions de Birgitta, hurlées dans la lumière des projecteurs, encore moins la chambrière qu’elle faisait claquer autour d’eux, selon les vieilles recettes des numéros dits « en férocité ». En dépit de son fouet, des paillettes étincelantes, de toute la grâce de Birgitta, et des applaudissements, la dompteuse, au centre de la piste, ne fut jamais qu’une figurante.