Le premier aveu de Thimoté Ichar fut le suivant :
« Ton père m’a confié sa figurine d’ébène juste après une violente crise de foie qui annonçait sa fin. Il l’avait toujours cachée. »
Voici ce qu’il ajouta :
« Quand je la regarde, la figurine me reparle de notre histoire secrète… »
J’avais dû esquisser un geste de surprise, ce qui l’amena à ajouter de manière un peu énigmatique :
« Pour échapper aux pensées qui me saisissent à la gorge à présent devant elle, j’ai pris l’habitude de quitter la maison… M’enfoncer dans la brousse… À toute vitesse… me sauver ! Tu comprends ? »
Je fis semblant de le suivre et acquiesçai. Il s’enfonçait dans la forêt sans une attention pour sa femme ; il courait recouvrer un peu de calme au milieu des arbres et des herbes hautes. Ichar continua :
« Mininga doit me trouver étrange. Mais c’est comme ça ! »
Curieusement, elle ne le questionnait presque jamais, mettant son attitude sur le compte du chagrin que lui causait la mort du Patrouillard. Et pourtant, la veille de mon arrivée, lorsque le même phénomène s’était produit, elle était sortie de ses gonds et lui avait demandé de mettre fin à son manège.
Il baissa la voix :
« Hier, aussi, j’ai ressenti le même trouble, devant la figurine. Avant de filer vers la brousse pour me calmer, j’ai croisé Mininga.
« “Ichar, qu’est-ce qui ne va pas ? Je te parle, réponds-moi ! m’a-t-elle fait.
« — Fous-moi la paix, j’ai dit.
« — Quoi ? Tu me renvoies comme une chienne, Ichar ?
« — Laisse-moi tranquille, je te dis.
« — Ah, ça non ! Arrête ton cirque. J’en ai assez de voir cette mauvaise tête.” »
Il avait crié en la repoussant : « La paix, Mininga ! »
Derrière lui, sa femme vociférait :
« Qui va donc couper la vieille branche de l’avocatier qui menace de tomber sur la maison ? Qui va remuer ses fesses pour aller puiser l’eau à la rivière, ranger le linge, nettoyer la maison, allumer le feu pour te préparer à manger ? Qui va enlever les mauvaises herbes qui envahissent l’arrière de la bicoque qui me sert de cuisine ? Qui va réparer la serrure de la porte d’entrée du poulailler ? Qui va ranger le linge qui pend encore dehors et que les ballons des enfants vont encore faire tomber ? Qui va faire tout ça ? Tu peux au moins me dire pourquoi tu as cette tête ! »
Ichar avait failli lui lancer ces mots qu’elle détestait entendre : « Arrête de te lamenter ! Qui, à part moi, a gagné l’argent qui nous nourrit aujourd’hui ? »
Elle l’avait suivi en hurlant, sans que cela ne parvînt à l’émouvoir :
« Si j’avais écouté ma mère, je ne serais pas entrée dans cet enfer. Et, en plus, tu n’as même pas été capable de me faire un seul enfant pour m’aider et donner un peu de joie à mon existence. »
Puisqu’il ne disait plus rien, replié en lui-même comme un escargot dans sa coquille, elle avait fait demi-tour, laissant Ichar en proie à ses tourments. Et il avait disparu derrière la très haute haie que les sissongos coupants formaient en lisière de forêt.
J’avais l’impression qu’Ichar hésitait avant d’exprimer le fond de sa pensée. Cette mise en train était, somme toute, conforme à nos usages. On ne dit jamais directement les choses. J’avais moi aussi des questions à lui poser. J’attendais beaucoup de lui au point que je résolus de me montrer plus patient que j’eusse pu l’être en temps ordinaire.
La nuit, épaisse, nous entourait ; une petite brise du soir vint nous caresser le visage. Je pris un pull et le jetai sur mes épaules. L’air frais me donnait la chair de poule. J’étais plongé dans mes pensées quand Ichar me glissa :
« Aujourd’hui aussi, je me suis attardé devant la figurine. Seulement, je n’ai pas eu le courage de m’éloigner de cette maison pour aller chercher l’apaisement dans la forêt. Je pense donc que ta présence est un signe du destin. »
Il m’indiqua alors qu’il avait rangé la statuette juste avant mon arrivée. Et, ne pouvant retourner à la véranda où sa sieste risquait encore d’être perturbée, il s’était replié vers l’arrière de la maison. Il y avait échoué sur la natte abandonnée par sa femme. Étendu à l’ombre d’un avocatier, il avait fermé les yeux, se laissant bercer par les douces pensées que la figurine lui inspirait. Je vis des gouttes de sueur perler sur son visage. Il dit :
« Ébodé, tu sais maintenant que cette figurine a le visage de ta mère. Un visage sculpté quand elle avait quinze ans. Magrita a toujours estimé qu’elle n’a jamais été plus belle qu’à cet âge-là. Pour moi, sa beauté est restée inchangée. »
Je fixais Ichar avec des yeux de plus en plus ronds. Il continua :
« Je ne peux pas te dire l’impression exacte qu’elle m’a faite lorsque je l’ai vue pour la première fois. Elle était alors venue à Douala passer quelques semaines chez un oncle, aujourd’hui décédé, qui habitait dans notre quartier. Ton père, le Patrouillard, l’a tout de suite remarquée. Il ne pouvait en être autrement car toutes les jolies femmes l’attiraient. Magrita sortait tout droit de son village, Mitouba, et elle portait fièrement ses quinze ans. En ce temps-là, nous étions de vraies têtes brûlées. Quand je dis “nous”, c’est un peu excessif, car je me contentais souvent de suivre les autres et je ne prenais l’initiative qu’en de rares occasions. Le groupe que nous formions, ou plutôt que ton père avait formé, a vécu de manière intrépide. Nos caractères étaient très différents et pourtant des liens d’amitié nous ont forgé une identité commune. Sais-tu les circonstances dans lesquelles j’ai connu ton père ?
— Non.
— Par hasard, un jour où la pluie tombait à grosses gouttes. Elle cognait sur les tôles des maisons avec ce crépitement lourd qui nous fait croire que le bon Dieu joue du tambour là-haut. Nous nous étions retrouvés sous un abri, en attendant la fin de l’averse. Et ce fut ainsi que Karl Ébodé m’invita à faire une halte chez lui. “Voici mon ‘abattoir’”, me dit-il en m’introduisant dans sa maison. C’était un petit deux-pièces où défilaient beaucoup de femmes. Mais je crois que ce qui me frappa, ce fut la quantité de compresses et de petites bouteilles de Mercurochrome rassemblées chez lui. C’était l’odeur de l’hôpital, là-dedans. Comme je les regardais avec surprise, il me fit : “Je suis infirmier…”
« Quelques jours plus tard, il m’informait de son appartenance au maquis de New-Bell, lié au mouvement d’insurrection nationale, très actif à Douala. Je l’y ai rejoint. On a vécu dans une excitation incroyable. Douala brûlait. Il y avait des combats dans la ville et des morts par milliers. On harcelait l’armée des colons. Ils avaient les moyens, et nous, nous avions le temps. Ils redoutaient la mort ; nous, nous y allions sans nous poser de questions. Mais quand ta mère est arrivée, la guerre se terminait. Il y avait des règlements de comptes et des luttes de pouvoir. Il y avait aussi ceux qui voulaient poursuivre le combat pour une victoire totale et ceux qui pensaient que, l’homme blanc étant parti, il fallait arrêter le massacre, réconcilier tous les enfants du pays. Le Patrouillard s’était lancé dans la politique, mais à sa manière : pour dire ce qu’il pensait et pour rire aussi… On le lui a très vite reproché. Alors, il a foutu le camp… »
Ichar m’apprit qu’à l’époque où ils s’étaient connus mon père avait achevé ses études et travaillait à Akwa, dans la pharmacie de M. André, son premier employeur.
« Il avait vingt ans, mon âge, poursuivit Ichar. Il parlait bien, il avait un dictionnaire médical chez lui où il puisait des mots longs comme une nuit d’insomnie. Ils nous étourdissaient la tête. On lui disait : “Arrête ta gromologie !” Tu parles ! Il continuait à sortir des mots à rallonge. Il nous écrasait avec la richesse de son vocabulaire et les filles tombaient devant ses phrases ronflantes comme des mouches dans du miel. Il avait joué au football, dans l’équipe des Lions d’Ongola, avant de s’établir à Sawa, autrement dit Douala et sa zone côtière. Mais je pense que ses genoux, qui se croisaient un peu, le gênaient quand il opérait des virages et des débordements sur son aile droite. Comme tu le sais, son père, ton grand-père donc, Zacharie, s’était opposé à son départ. Un oncle, ou plutôt son frère, avait réussi à convaincre tout le monde de laisser Karl s’en aller où bon lui semblait. Mais, têtu comme l’était le Patrouillard, qui l’aurait empêché de faire ce qu’il avait décidé d’entreprendre ? Pour revenir à ta mère, Karl l’avait abordée dès son premier jour dans le quartier. Elle tardait à répondre à ses sollicitations. Un jour, il m’invita à l’accompagner chez Magrita. »
Ichar s’épongea encore le visage. Sa voix baissa et je dus tendre l’oreille pour saisir ce qui allait suivre :
« L’oncle de Magrita était encore au travail quand nous arrivâmes chez elle. Je me rappelle que c’était un lundi. Au cours de la rencontre, je m’étais mis en retrait, observant la belle Magrita, qui brillait comme la lumière. Pendant leur conversation, je souriais bêtement, caché derrière Karl. Quand ton père recherchait ma complicité en se tournant vers moi, je bredouillais de vagues propos ou dodelinais de la tête pour approuver ses paroles. Il s’en contentait. Vers cinq heures, avant le retour de l’oncle, nous avions quitté les lieux, satisfaits de notre entrevue. Puis Karl m’avoua que Magrita ne voulait pas coucher avec lui. “Pas tout de suite !” Il me dit, agacé, que la résistance de la petite “broussarde” le chiffonnait. Je te répète qu’à cette époque les filles de la ville se bousculaient dans l’“abattoir” de Karl dès qu’il levait le petit doigt. Nous étions les meilleurs amis du monde, ton père et moi. Je ne lui aurais jamais fait de l’ombre. Et dans notre groupe, si quelqu’un pouvait se tuer pour lui, c’était bien moi. Aussi ai-je eu le sentiment qu’il tenait à m’associer à ses actions. Mais nous n’avions ni le même tempérament ni le même destin. »
Il toussota avant de reprendre :
« Un soir, je le vis arriver chez moi en se frottant les mains. Il sifflotait. Je me doutai que cette attitude trahissait une heureuse nouvelle. Il me fit :
« “Tiens-toi prêt cette nuit.
« — Qu’est-ce qui se passe ? avais-je demandé. Il y a encore une opération au maquis ?”
« Il m’éclaira aussitôt sur les raisons qui l’animaient :
« “La petite est d’accord pour ouvrir ses fesses. Tu viens avec moi, martela-t-il.
« — Quelles fesses ? Quelle petite ?
« — La jolie broussarde de Mitouba, voyons !
« — Magrita ?
« — Elle-même !
« — Mais comment veux-tu que je sois avec toi ? Tu as besoin de spectateurs pour ce rendez-vous ?
« — Mais non ! On la baisera !
« — Hein ? dis-je. Tu…
« — On lui fera la ‘chose’ tous les deux. Tu es sourd ou quoi, Ichar ?
« — C’est pas possible. Elle est d’accord ? demandai-je.
« — Fais pas l’imbécile ! On ne va pas lui demander son avis. Manquerait plus que ça ! Faut la punir de m’avoir fait attendre. Et puis, tu mérites bien que je te fasse une passe, non ?”
« Voilà ce qui s’est passé avant de faire la chose… Eugène, Mininga a raison, reprit Ichar. Ton père a toujours eu une grande influence sur moi. Je ne pouvais pas refuser ce qu’il me proposait, craignant de perdre son amitié. Il m’expliqua que les “passes” de copain à copain étaient répandues. Fallait que je m’émancipe. Que j’arrête de faire le broussard. Pour que l’opération réussisse, il m’expliqua que je n’aurais qu’à me cacher dans une pièce qui se trouvait à côté de la chambre de la jeune fille. Il irait, bien entendu, d’abord l’y rejoindre ; il se retirerait à un moment pour aller aux toilettes. La chambre de leurs ébats resterait plongée dans une obscurité totale. Je n’aurais plus qu’à le remplacer dans le lit et… eh oui !… Eugène, crois-moi, j’ai essayé de me défiler, de protester. Écoute ce que je lui ai dit :
« “Et si elle me parle ? Je réponds ou quoi ? Elle reconnaîtra ma voix. Non, Karl, ton affaire ne marche pas !
« — Tu ne répondras pas. Tu te contenteras de dire ‘chut’ ! Quand on ‘gnoxe’, les discours ça ne sert à rien ! Y a que le flic-floc de la queue qui cause !” »
Un autre argument d’Ichar n’eut pas davantage de succès :
« “Ma poitrine glabre me trahira ! Regarde comme la tienne est recouverte de poils, ai-je fait remarquer à Karl.
« — C’est pas un problème, je vais raser tout ça !”
« Et Karl, joignant le geste à la parole, se tondit le torse devant moi, balayant du même coup les autres protestations que je tentais d’émettre. Oh ! je ne peux pas prétendre que l’idée ne m’attirait pas. Je n’étais cependant pas un téméraire. Je me demandais si sa suggestion ne cachait pas un piège destiné à mesurer la sincérité de notre amitié. Enfin… Toujours est-il que, cette nuit-là, nous montâmes à tour de rôle sur le ventre de la même femme, selon le scénario tracé par Karl. Eugène, ce que je te dis là, ta mère ne l’a jamais su. Je ne l’ai raconté à personne. »
La suite du récit me parvint dans un murmure brouillé et indescriptible :
« Les vacances se terminèrent pour Magrita et, la veille de son départ vers Mitouba, elle remit à celui qui allait devenir ton père la figurine d’ébène qui est aujourd’hui en ma possession. Je ne crois pas que ton père ait réellement envisagé de se marier. Un jour que nous parlions de ce sujet, car il venait de me présenter à Mininga, ma future épouse, il me dit subitement que de toutes les femmes qu’il avait connues, seule la petite “broussarde” lui manquait. Deux ans après l’aventure commune que nous avions eue, il décida de l’épouser. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Je crois que la discrétion de ta mère lui plaisait. Quand la décision du mariage fut prise, il me pria de garder notre secret.
« Le fait de revenir à Douala avait rendu ta mère folle de joie. Elle était restée longtemps sans nouvelles du Patrouillard, elle m’a dit combien elle avait eu peur de ne plus le revoir. Elle ne savait pas écrire et, pendant deux longues années, elle avait espéré revenir à Douala, mais la mort de son oncle lui avait ôté tous les prétextes qu’elle aurait aisément imaginés. Elle a été fidèle à ton père, et je sais que tout au long de leur vie commune elle n’a aimé qu’un seul homme : Karl Ébodé ! Elle ignore ce que tu sais désormais. Il fallait que tu l’apprennes, en même temps que l’origine de cette figurine qui est la cause de mes remords. »
Ichar, changeant de ton, dit :
« Je considère que la mort est injuste. Elle aurait dû me prendre aussi. Je pense que je ne sers à rien. Je suis effectivement cette larve que décrit Mininga. Mais elle-même n’a pas le courage d’écraser la larve. J’ai voulu te parler comme à un adulte. Ne suis-je pas comme un frère pour Karl ? Ne suis-je pas comme ton oncle ? Dans mes derniers songes, j’ai entendu Karl me dire : “Ce que nous enseigne l’horizon, c’est de ne pas avoir peur de lever les yeux lorsque le soleil brille.” Je suis incapable d’oublier Karl. C’est grâce à lui que j’ai épousé Mininga. Je ne t’ai pas dit tout cela pour que tu détestes ton père. Ce sentiment à son encontre est inutile. Ton père disait aussi : Chaque homme doit secouer son propre cocotier. C’est ce que je viens de faire. »
Ichar s’était tourné vers moi :
« Quelle image as-tu de ta mère ? »
La question me sembla incongrue. Comment osait-il me parler d’elle ? Ne se rendait-il pas compte de mon état ? J’étais un volcan. Une fièvre me dévorait le corps. Un incendie s’était déclaré en moi. Comment n’en voyait-il pas les flammes qui rougissaient dans mes yeux ? Il avait abusé de ma mère et il attendait que je lui parle ? Je m’étonnais même d’être encore assis à l’écouter. J’avais les jambes molles, alors que j’aurais voulu bondir, saisir la gorge d’Ichar et la serrer… la serrer… Je devais tout entreprendre pour l’honneur de Magrita. Quoi ? Comment ? J’étais incapable de le dire. Surmonterais-je le dégoût que m’inspirait Ichar ? Ne devais-je pas lui planter un couteau entre les yeux ? Pourquoi m’avait-il raconté cette histoire ? La peur de devenir fou me saisit.
Thimoté Ichar insista :
« Eugène, est-ce que je peux savoir ce que tu penses de ton père ? »
Je lâchai :
« C’est une ordure !
— Oh, les enfants ! Un père est celui qui a déposé la graine essentielle. Qu’il ait tort ou raison, qu’il soit bon ou mauvais n’a pas d’importance ! Un père est un père ! La vie vient de lui. Mininga n’a pu me donner des enfants et me rendre père. Je n’ai pas eu assez de courage pour lui être infidèle et tenter de faire des enfants en dehors de notre couple. Voilà tout ! »
Les folies de jeunesse de mon père et de son compère Ichar paralysaient mes sens ; je me sentais perdre la tête. Comprend-on réellement à quel moment et vers quel chemin tortueux bifurque une existence ? Je suis sorti de l’adolescence le soir où Ichar me raconta l’aventure secrète qu’il avait partagée avec mon père. Que personne ne me pousse à cracher ce qui ne peut se dire que par étapes !
J’étais envolcanisé. Il me faut résumer mon état : j’étais devenu averse et tempête de sable. J’étais brise et cyclone. J’étais comme une mer secouée par ses rouleaux. Quand ils se forment dans une mer déchaînée, les marins essaient d’échapper aux complaintes anesthésiantes que la proximité du danger fait naître. Et, dans ces instants de gravité, des prières s’élèvent implorant les forces du mystère de sauver les barques en perdition ; et les mâts se déchirent, et les matelots redoutent la fin, et l’effroi qui précède la catastrophe gicle sa merde !
Ainsi que l’enseignent les sages, le volcan renverse la terre. Ses laves crachent le feu, lequel court et court pour un baiser brutal et sauvage. Il se dit aussi, en guise de réconfort, que les retournements de la terre, la fièvre qui les meut, la rage de féconder la matière sonnent le début des labours. C’est l’aube, l’aube de l’ensemencement du monde. Et les crachats du cratère délivrent fumées et fumerolles. Espoirs, vagissements aussi…
Dans la confusion des impressions et des sentiments que m’inspirait l’aveu d’Ichar, je m’accrochais à quoi ? Au vide ! Une sensation de nullité me traversait de part en part. Une humanité défaite abandonne parfois ses oripeaux pour se vêtir de cotonnades brodées d’or. Ah bon ? Vivais-je un rite de passage ? Ichar en était-il le prêtre secret ? Lui ? Noooon !
Il parlait…
Tout ce qu’il pouvait dire n’était qu’une agression supplémentaire à laquelle je ne savais pas répondre. Il s’en aperçut.
« Ébodé, frappe-moi si tu penses que c’est ce que je mérite.
— Je vais reposer ma tête », dis-je mollement.
Et je m’en fus, à pas lents, plonger ma tête dans une bassine d’eau froide.