VI

Le bout du rouleau

Je suis rentré chez moi dans un état déplorable. Bon sang, mais quelle misère de se mettre dans des états pareils à mon âge ! Le culte de la cuite, ça passe à dix-huit ans, à trente c’est pathétique. J’ai gobé un demi-ecstasy pour rouler des pelles à des inconnues. Sans cela, j’aurais été trop timide pour tenter ma chance. Le nombre de filles que je n’ai jamais embrassées par crainte de me prendre une veste est incalculable. C’est ce qui fait mon charme : j’ignore si j’en ai. Au Queen, les deux jolies blondes saoules qui fourraient leurs langues dans mes oreilles, en créant un effet de glou-gloutage stéréophonique, m’ont demandé :

— On va chez toi ou chez nous ?

Après leur avoir roulé un patin collectif à toutes les deux (et mordu leurs quatre seins), j’ai répondu fièrement :

— Vous chez vous, et moi chez moi. J’ai pas de capotes, et puis ce soir je fête mon divorce, j’aurais trop peur de ne pas bander.

 

Au bout du scooter, j’ai retrouvé mon appartement déserté. La main de l’angoisse a empoigné mon estomac : descente d’x. Pas besoin de ça : à quoi sert-il de passer la soirée à se fuir soi-même si c’est pour être rattrapé en bout de course à son domicile ? Dans les poches de mon manteau, j’ai récupéré un reste de cocaïne dans une enveloppe. Reniflé à même le papier kraft. Cela amortira le spleen. Il reste de la poudre blanche sur le bout de mon nez. Maintenant je n’ai plus sommeil. Le jour s’est levé, la France va se mettre au travail. Et pendant ce temps un adolescent attardé ne bougera pas avant des heures. Trop défoncé pour dormir, lire ou écrire, je fixerai le plafond en serrant les dents. Avec ce visage rougeaud et ce nez blanchi, j’aperçois dans le miroir un clown en négatif.

 

Je n’irai pas travailler aujourd’hui. Fierté d’avoir refusé une partouze bisexuelle le lendemain de mon divorce. Marre de ces filles avec qui tu couches mais contre qui tu détestes te réveiller.

 

A part une casserole de lait qui déborde, il n’y a pas grand-chose sur terre de plus sinistre que moi.