Mardi 20 janvier 2015, cité des Lauriers, Marseille, France,
10 h 30.
Bousculant les badauds, Mantrou dévala les escaliers quatre à quatre. Il fallait qu’il s’éloigne, qu’il réfléchisse. Dans sa gorge une boule hérissée de piquants jouait du yoyo. Depuis qu’il avait reçu ce coup de fil des salopards, il avait l’impression que son cœur s’était transformé en ciment et ses muscles en gélatine.
Ils tenaient Amandine !
Et ils ont massacré mémé, les enculés ! ENCULÉS !!!
Même si les rapports avec sa grand-mère adoptive ne correspondaient pas à l’image qu’on se faisait généralement de l’harmonie familiale, elle représentait tout ce qui lui restait. Elle et le vieux Bosco, chez qui il bidouillait des scooters, étaient sa seule famille. Il allait y faire entrer Mandie, dans une ou deux semaines, quand il aurait placé tout ce fric et assuré leurs arrières.
Mais, à présent, tous ses beaux plans d’avenir prenaient l’eau.
Ils avaient ENLEVÉ Mandie !
— Bordel de putain de merde ! cria-t-il en dévalant le porche quatre à quatre. Au coin de l’immeuble, il tourna à droite vers les jardins. Il n’y avait qu’un seul endroit où il serait en sécurité. Là où même les flics n’auraient pu le débusquer. Une planque qui n’existait que pour de rares initiés. Bosco ne lui en voudrait pas, il l’avait à la bonne, le vieux. Avec le recul, il se disait que n’avoir pas piqué dans la caisse, et Dieu sait que cela relevait de l’exploit, s’avérait payant. Oui, en fin de compte, Bosco lui faisait confiance et ce mot, lui, Emmanuel Trouillot, n’avait pas l’habitude de l’entendre à son bénéfice.
C’est en parvenant au muret d’enceinte du jardin que la réalité le frappa. Comme si, jusqu’à présent, il n’avait été que le spectateur des faits. Ses genoux fléchirent et, sous le regard goguenard des gosses qui jouaient au foot entre les bagnoles du parking, il se mit à vomir ses tripes.
Les deux mains appuyées sur la brique froide, il se vida de tout ce que son corps contenait. Solide et liquide. En longs spasmes de douleur. Et, quand il n’eut plus rien à rendre, il continua pourtant, tel un gant retourné, à expulser toute sa bile.
Si sa douce avait subi le pire, c’était à cause de lui seul. C’était lui qui s’était servi de l’ordinateur de la petite, c’était lui qui avait délibérément choisi de rester anonyme derrière le pseudo de Mandie. Et il l’avait fait pendant qu’elle suivait ses cours à la fac. Non pour se cacher, certes, mais parce que c’était plus facile que de rentrer chez mémé pour le faire. Amandine vivait dans le pavillon de ses parents, à trente minutes de bus des Lauriers.
Trente minutes, bordel ! Tout ça pour une demi-heure de mon précieux temps !
Mais aujourd’hui, ils étaient convenus qu’elle l’attendrait chez la vieille et ces salauds avaient dû espionner leurs mails !
Mantrou se serait donné des gnons et des coups de pied jusqu’à s’en défoncer le fondement.
Au bout d’un temps qu’il n’aurait pu estimer, il se redressa et passa une main sur sa bouche. Il demeura ainsi, immobile, rassemblant ses pensées. Finalement, il sentit monter en lui un cri de rage.
Alors, il enjamba le muret et traversa l’espace vert comme un fou, avec une seule idée en tête.
— Je vais vous niquer, bande de fumiers ! Je vais vous niquer si fort que vous demanderez pardon.