Chapitre 17

Mardi 20 janvier 2015, cité des Lauriers, Marseille, France,

12 heures.

Dès qu’il pénétra dans le réduit qui sentait l’huile froide et l’essence, Mantrou se mit en quête du téléphone du vieux. L’ancien ne prenait jamais le portable sur lui, une histoire d’ondes à dormir debout à laquelle le garçon ne pouvait que rire. Sans ralentir, il se faufila vers le fond du garage, entre les épaves de scooters et ceux attendant les réparations.

L’escalier était quasi invisible au milieu de ce capharnaüm de bidons et de pièces détachées. Une volée de marches de bois, bricolée à la va-comme-je-te-pousse et tenant en place par miracle. En haut, c’était son domaine. Mais, à cette heure-ci, il devait encore être au PMU pour faire ses jeux. Le seul vice du bonhomme. Même pas l’alcool. Rien que les jeux à gratter, les canassons et ses clopes à rouler.

La porte se rendit à la première sollicitation. Julien Métrandes, dit Bosco, ne fermait jamais à clé, une habitude contractée durant ses années de mer. Il en avait rapporté également son surnom signifiant maître d’équipage, même s’il n’avait probablement jamais atteint cette distinction.

En maugréant, Mantrou finit par dénicher l’interrupteur et la lumière illumina le pré carré de son patron. Un réduit de trois mètres sur quatre, en mezzanine au-dessus de l’atelier dont l’odeur flottait, lancinante. Le garçon ne perdit pas de temps, sur le bureau impeccablement rangé – comme dans la « marchande » –, il repéra le portable.

Depuis un moment déjà, et confirmé par l’attaque sur mémé, il se doutait que son propre téléphone était géolocalisé par les salauds. Peut-être même était-il sur écoute. Tout en dévalant l’escalier de l’immeuble, il avait démonté l’appareil et extrait la batterie et la carte SIM. Seul inconvénient, mais de taille : et si Mandie cherchait malgré tout à le joindre ? Si elle parvenait à échapper à la surveillance de ses geôliers juste assez pour l’appeler au secours ?

Finalement, il se rassura, comme on se rattrape aux branches. C’était une fille débrouillarde, une fois évadée, dégotter un téléphone ne lui poserait pas de souci. Et puis, intelligente comme elle était, elle ne manquerait pas de contacter le vieux garagiste.

Jamais, en mille vies, il ne se serait douté que cette foutue lettre ameuterait une telle bande de tueurs.

— Mouais, cent soixante mille patates, grogna-t-il en s’asseyant sur le lit au carré du mécano, j’aurais dû mieux préparer ce putain d’échange.

Mais comment prévoir ? Pépé aimait s’entourer et collectionner les vieux papiers. Toute son enfance, il avait assisté aux disputes des deux anciens au sujet de cette manie envahissante. Les timbres, les cartes postales et les journaux jaunis, tout était bon pour le grand-père.

Mantrou n’en espérait qu’une centaine d’euros, au mieux. Du coup, lorsque les enchères avaient déferlé, le jeune homme avait perdu le sens des réalités, il devait bien l’admettre.

« Attends-moi chez mémé, je reviens vite ! » avait-il écrit à la jeune femme.

Putain de mauvaise idée !

D’un geste vif, il sortit de sa poche les éléments de l’iPhone et les laissa tomber sur la couverture. De l’autre main, il composa, sur le portable de Bosco, un numéro à Marseille.

On décrocha à la cinquième sonnerie, alors qu’il sentait son niveau d’angoisse remonter :

— C’est moi, fit-il avant que l’autre ne parle. Je suis dans la merde.

Une voix lui répondit et il s’étonna :

— Tu es déjà au courant ?

Mais il se reprit, bien sûr, les « apaches » l’avaient vu courir et s’étaient rendus aux nouvelles. Dans la cité des Lauriers, rien ne se passait sans qu’ils en soient immédiatement informés. Ces gamins étaient les yeux et les oreilles de tous ceux qui pratiquaient une quelconque forme de commerce en marge de la loi. Les plus jeunes avaient trois ou quatre ans et les plus aguerris une douzaine. Ensuite, ils devenaient trop facilement repérables par les flics.

En quelques mots, il expliqua sa situation. Quels qu’aient été ses rapports avec son correspondant, personne ne laisserait impuni ce qui venait de se produire. Les caïds locaux mettraient un point d’honneur à châtier les responsables. Question de territoire, mais pas uniquement. En effet, ce genre de méfait attirait immanquablement l’attention des poulets. Et ça, personne n’en voulait, aux Lauriers.

Lorsqu’il raccrocha, Mantrou savait qu’il venait de déclencher une guerre.