Chapitre 36

Jeudi 22 janvier 2015, villa Artémise, Marignane, France,

16 h 20.

Sacha Beuys devait bien admettre qu’Hassan Ben Hussein s’était comporté en professionnel. C’était lui qui avait eu l’idée d’utiliser l’explosion de la villa, dans les calanques, comme prétexte pour faire arrêter les Américains. D’après les messages radio qu’ils avaient captés, personne encore ne savait s’il s’agissait d’un acte terroriste ou mafieux, voire d’un simple accident.

Néanmoins, au fil du temps, il apparaissait que plus d’une dizaine de personnes s’étaient trouvées sur place au moment de la déflagration. De plus, l’origine maghrébine des cadavres encore identifiables faisait pencher les enquêteurs vers la piste djihadiste, même si, jusque-là, ils n’avaient pu retrouver que des armes de poing dans les décombres.

Ben Hussein avait donc appelé le numéro vert fourni par les pouvoirs publics pour les dénonciations et les informations relatives aux actes terroristes.

Afin d’appuyer son subterfuge, il s’était fait passer pour un Français parti combattre avec l’État islamique en Syrie. Dans la réalité, ce type avait été tué une semaine plus tôt à Mossoul, mais l’information n’avait pas encore filtré. Dieu seul savait comment Dov Abettan, le patron de la division Actions lointaines du Mossad, en avait eu vent. L’accent et la conviction de l’Algérien avaient décidé les forces de l’ordre à dépêcher immédiatement une équipe à l’hôtel Hermès.

En tout état de cause, en cette période troublée pour le pays, la police ne s’embarrassait plus de fioritures. La chaîne de décision avait organisé la descente avec une rapidité et une efficacité qui avaient un peu étonné Sacha.

À présent, le temps qu’il faudrait aux Américains pour se justifier et obtenir leur libération dépendrait de leur degré de préparation ou de leurs relations. En l’occurrence, elle ne doutait pas qu’ils y parviennent. Il convenait donc de mettre les bouchées doubles. Elle et ses hommes devaient impérativement localiser la vendeuse de la lettre. Mais surtout la lettre.

Vite.

— Michel ?

De l’autre côté de la table, Précourt leva les yeux de sa tablette et fit un signe de dénégation :

— Rien pour le moment. Marc a assisté à l’opération de police. Tout s’est bien déroulé, mais il n’y a pas encore de nouveau.

La jeune femme se mordit l’intérieur de la joue. Non, « tout » ne s’était pas si bien déroulé : les flics n’avaient embarqué que deux éléments, Dick Benton et Maureen McCornwall. Ce qui signifiait que le troisième larron, Jake Morris, courait toujours et allait sans doute ameuter le consulat américain pour faire sortir ses amis.

Elle relut une nouvelle fois sa fiche. Cet homme n’était pas quelqu’un qu’on pouvait se permettre de sous-estimer. Il travaillait régulièrement en freelance pour diverses agences gouvernementales américaines. La liste des opérations qu’on pouvait lui attribuer – officielles ou pas – était longue comme son bras. Et encore, à supposer que le Mossad ait pu tout recenser.

Elle bouillait de rester à distance, mais savait bien que son rôle était de diriger le groupe. Elle devait s’exposer le moins possible et surtout éviter d’être vue en compagnie de ses hommes.

Pour l’heure, Marc Valenton, l’ancien du GIGN et Hassan Ben Hussein lui servaient d’yeux et d’oreilles. Le premier devant l’hôtel et l’autre au commissariat. Précourt se leva et s’approcha de la machine à café, il l’interrogea du regard, mais elle déclina l’offre. Une surdose de caféine était la dernière chose dont elle avait besoin. Le Français, lui, semblait insensible au stress, ou peut-être savait-il mieux le cacher.

Sous ses yeux, les lignes dansaient sur les documents, elle décida d’aller respirer l’air de la mer. Un anorak passé sur son pull léger, elle fit coulisser la baie vitrée. Immédiatement, le parfum des embruns la saisit. L’immensité vert sombre qui s’étalait face à elle la rasséréna. Pour elle, l’attente demeurait la pire phase. Mais, tant que la vendeuse, Amandine Yoko, ne serait pas localisée, il n’y avait rien qu’elle put faire de plus.

À la seconde où cela se produirait, que la jeune femme utilise son portable, sa carte bleue ou même soit contrôlée par la police, les traceurs informatiques alerteraient l’équipe. C’était le boulot de Michel Précourt. La raison même de sa présence dans le commando. Il maîtrisait l’art du piratage informatique et du détournement de logiciels. Dans sa branche, c’était un as. C’était également lui qui avait trouvé la planque et géré les aspects logistiques de l’opération.

Précourt…

Sacha serra les dents. Elle ne devait penser à rien d’autre que la mission.

S’assurant que personne ne pouvait la voir, elle exécuta quelques mouvements d’assouplissement, avant d’enchaîner une série de passes de krav-maga de plus en plus rapides. Ce redoutable art du combat à mains nues avait sa préférence parmi ceux testés durant son entraînement.

Très vite, l’exercice eut un effet bénéfique sur son moral et la jeune femme retrouva un équilibre émotionnel propice à la réflexion. Elle prit plusieurs inspirations profondes, usant de l’air marin pour nettoyer ses poumons et sentit le sang affluer dans ses veines.

— Sacha !

Elle éprouva une certaine satisfaction à avoir recouvré suffisamment de calme pour ne pas avoir sursauté. Michel accourait vers elle depuis le salon. Il ne portait que son t-shirt, ce qui laissait deviner une nouvelle d’importance.

Elle remonta depuis la plage privée et ils se rencontrèrent à mi-chemin de la maison. Il lui tendit un téléphone portable en expliquant rapidement :

— C’est Hassan, il est au commissariat, il a repéré le troisième Américain !

— Raconte, fit-elle dans l’appareil tandis qu’ils remontaient vers la villa.

Cette fois, elle accepta le café proposé par le Français. En quelques phrases précises, l’Algérien lui exposa les circonstances de la rencontre. Il s’était positionné non loin du commissariat. Une boutique de luxe devant laquelle de grosses voitures stationnaient lui avait permis de garer discrètement la Jaguar. De là, il avait vue sur l’entrée principale du poste de police. Au bout d’un moment, pour ne pas éveiller l’attention, il était sorti de son véhicule et avait fait mine de s’intéresser à la devanture du joaillier.

Puis, consultant sa montre comme s’il attendait quelqu’un, il avait fait quelques pas dans la rue. C’est là qu’au milieu des clients quittant la supérette d’en face, il avait repéré Morris. Le dernier membre de l’équipe étasunienne se dirigeait vers une Audi noire.

Dans le reflet d’une vitrine, Hassan l’avait ensuite vu en sortir à nouveau et traverser le parking pour rejoindre la rue à pieds. Et c’est encore là qu’il se trouvait, tentant de jouer au touriste égaré.

Sacha l’interrompit :

— Il est où, maintenant ?

Il y eut un instant de silence sur fond de bruit de circulation, puis l’Algérien l’informa :

— Il s’est assis à la terrasse d’un café, il téléphone.

La jeune Israélienne réfléchit très vite.

— De là où il se trouve, il voit sa voiture ?

La réponse fut plus rapide :

— Absolument pas.

— OK, fit Sacha d’un ton sec, voici ce que tu vas faire…