Vendredi 23 janvier 2015, port industriel, Marseille, France,
13 h 35.
Jake sursauta en passant devant l’Audi.
— On dirait que le patriarche nous fait un cadeau, dit-il en désignant la plaque minéralogique de la voiture.
Dick fronça les sourcils avant de hocher la tête. Il se détourna vers la plus grande des caravanes et crut distinguer une ombre derrière le rideau. Il ébaucha un sourire à l’adresse du vieil homme et s’engouffra dans l’auto dont Morris avait lancé le moteur.
Nul doute que le nouveau numéro ne provenait pas d’un véhicule recherché par toutes les polices. Certes, avec l’abandon des charges contre eux, ils avaient – en théorie – les coudées franches à nouveau, mais la prudence était de mise. Même si Morris avait posé la veille les plaques de la BMW trouvée dans le parc Speedwater, de nouveaux numéros augmentaient encore l’incognito.
Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, les choses pouvaient changer du tout au tout en un clin d’œil et les flics revenir en force. Le moindre camouflage s’avérait donc le bienvenu.
Dès que Maureen fut installée à l’arrière, le costaud effectua un demi-tour à la volée en direction de la sortie du terrain vague. Des gamins jouaient au ballon et des hommes s’affairaient autour du capot d’un minibus dont les belles années n’étaient qu’un lointain souvenir.
Sur des fils tendus entre les caravanes, du linge séchait dans un vent glacé qui se chargeait progressivement de flocons.
— J’ai paramétré le GPS pour le lieu de l’attentat de Callelongue, fit Jake en braquant sur la route goudronnée où les pneus de l’Allemande mordirent immédiatement, la propulsant en avant malgré la mince pellicule blanche. On y sera dans une trentaine de minutes, mais je me demande bien ce que tu espères y trouver que les policiers auraient raté.
— On verra bien, répondit Benton en soufflant dans ses mains. J’espère seulement que la scientifique a quitté les lieux.
Si l’explosion de cette villa, dans les calanques, avait constitué la raison de leur arrestation, il se pouvait que des indices subsistent qui les aiguilleraient vers une nouvelle piste. Depuis que le téléphone du vendeur s’était éteint, l’équipe se trouvait démunie.
— Il faut bien commencer quelque part, grommela enfin le patron des Rats de poussière pour lui-même.
Ils roulèrent un moment en silence, l’Audi filant dans la circulation allégée de l’heure du déjeuner. Mais, comme le prédisait Jake, il y avait fort à parier que la météo transformerait la ville en un embouteillage géant, pour peu que la neige s’installe.
À l’arrière, Maureen tapait frénétiquement sur le portable fourni par son amant en maugréant contre chaque changement de trajectoire un peu brutal. Elle finit par se signaler :
— J’ai eu un email d’Antonia, il faudrait l’appeler de toute urgence…
Dick sursauta :
— Ça date de quelle heure ?
— Il y a vingt minutes.
Dans le haut-parleur, la voix de l’informaticienne était lointaine et parfois hachée. Mais Benton ne parut pas s’en troubler.
— Bonjour, Antonia, attaqua-t-il en consultant sa montre, qu’y a-t-il de si urgent ?
À Washington le jour se levait à peine et Horowitz avait sans doute passé une partie de la nuit au bureau pour être en synchronisation avec le reste de l’équipe en France. Elle s’éclaircit la voix :
— Nous avons du nouveau, dit-elle. Andrew a effectué des recherches complémentaires et, après avoir uni nos forces, il semble possible qu’il n’y ait pas qu’une seule lettre…
Comme elle laissait à ses amis le temps de digérer l’information, Jake intervint, sourcils arqués :
— Quoi ?! Tu veux dire que le gamin a mis d’autres courriers en vente ?
Dans la voiture, l’atmosphère venait de se tendre. Chacun suspendu aux prochaines paroles de l’experte en informatique. Impatient, Dick allait la presser lorsqu’elle reprit :
— Non, pas pour l’instant. Mais les archives d’Andrew nous ont livré des données complémentaires quant à l’existence d’autres lettres ou documents produits par une source proche – voire la même.
— Andrew est-il joignable ? s’enquit Dick après un échange de regards avec ses camarades.
Pas plus Maureen que Morris ne paraissait appréhender la portée d’une telle nouvelle. Il n’était d’ailleurs pas certain lui-même de pouvoir en juger.
— Il dort, répondit Antonia. Cette nuit, il est descendu au local spécial. Mais je peux aller le réveiller, si vous voul…
Benton la coupa :
— Non. Laissez-le se reposer. Dites-nous seulement ce qu’il a trouvé.
L’endroit désigné sous le nom de « local spécial » constituait une section à part des immenses archives de la bibliothèque du Congrès. On y stockait, sous bonne garde, les documents hyper sensibles. C’est dans cet endroit que le FBI avait remisé certains dossiers « chauds ». La CIA ne se privait pas d’utiliser également cette facilité.
Seule une accréditation au plus haut niveau en permettait l’accès. Andrew Kerouac, en tant que doyen des archivistes de la bibliothèque du Congrès, bénéficiait d’un tel passe-droit – sous réserve de soumettre une demande justifiée au Sénat. L’ombre de Grizzly O’Reilly plana un instant dans la voiture.
Horowitz’ les informa, sans entrer dans des détails qu’elle ne possédait pas :
— Il semblerait que juste avant la guerre, il y ait eu des contacts entre des dignitaires nazis et plusieurs membres de gouvernements. J’ignore dans quel but, mais le « vieux » en est tout chamboulé…
Maureen intervint :
— Et de ton côté, ta super Pompe informatique n’a rien trouvé ?
— Rien de plus que ce que vous savez. Je travaille en permanence à repérer les autres acheteurs. Mais j’ai quand même remonté la piste d’une série d’assassinats qui ont eu lieu en Allemagne dans la période qui intéresse Andrew.
Cette fois, Dick prit la parole, alors que Jake abordait la zone du Vieux-Port, comme prévu très encombrée :
— Savez-vous si ces évènements sont liés à la lettre que nous cherchons ?
Non, elle n’en avait aucune idée, s’excusa-t-elle. Elle demanderait à Kerouac de les contacter directement dès son réveil.
Se détournant un instant de la route, le costaud, à sa manière lapidaire habituelle, résuma la situation :
— Si jamais d’autres courriers font leur apparition sur le marché, ça risque de mettre de l’huile sur le feu. Au fait, ajouta-t-il en désignant la boîte à gants devant Benton : j’ai là certains joujoux qui pourraient nous apporter un peu de réconfort.
Sans un mot, Dick tendit le calibre .38 à Maureen par-dessus le siège et passa un Glock 26 automatique dans sa ceinture, non sans en avoir vérifié le chargeur. Une main sur le volant, Jake écarta son blouson, dévoilant la crosse de son propre pistolet.
À l’arrière, la punkette piochait dans une boîte de balles pour approvisionner son revolver à canon court.