Vendredi 23 janvier 2015, Callelongue, les calanques, Marseille, France,
17 h 05.
Dans la clarté grise de la fin d’après-midi, la mince couche de neige rendait le paysage fantomatique. Hormis le lointain ressac, rien ne troublait le silence glacé. Les deux policiers avaient intégré leur véhicule et la lueur d’une cigarette se distinguait parfois au cœur de l’habitacle.
— Bon sang, fit Jake à mi-voix en se frictionnant les côtes, si elle ne se grouille pas, on va finir congelés.
Rivée à son portable, la punkette tentait de ne pas trop trembler, mais ses mains et ses lèvres avaient perdu toute coloration. Pour la troisième fois, elle rafraîchit la boîte de réception de ses mails, sans succès.
— Toujours rien, grelotta-t-elle en remisant l’iPhone, elle rencontre sûrement des difficultés.
Ses compagnons ne commentèrent pas. Depuis la rive américaine de l’Atlantique, Antonia Horowitz se livrait à un exercice de haute voltige informatique. Pour tromper le froid, tous trois l’imaginaient arc-boutée sur son clavier, passant d’un écran à l’autre dans la lueur fluctuante.
Les membres et le visage gourds, Benton observait la plus stricte immobilité. Seuls ses yeux clignaient, tandis que le froid s’insinuait lentement dans ses articulations. Mais, là-bas, bien au chaud dans leur voiture de patrouille, les deux patrolmen ne semblaient pas décidés à partir.
Dans son dos, il percevait parfois des bribes de la conversation entre Jake et Maureen qui s’étaient réfugiés à l’abri du vent derrière un relief. Très bientôt, ils sauraient si l’idée de la punkette porterait ses fruits.
Pirater le système de diffusion de la police pour envoyer un signal de repli à une patrouille précise – dans un pays étranger – était un défi à la hauteur d’Antonia. L’informaticienne de l’équipe avait certes prouvé sa valeur en d’autres occasions, mais aujourd’hui, la tâche n’était-elle pas insurmontable ?
Il était sur le point de rejoindre ses camarades lorsque la généalogiste le prévint, une pointe d’enthousiasme dans la voix :
— C’est fait, patron ! Antonia a diffusé l’info !
Utilisant les codes de transmission des forces de l’ordre – dont il avait renoncé à demander l’origine – Horo’ envoyait un message vocal synthétisé par son ordinateur.
Tout d’abord, rien ne se produisit, comme si les hommes en bleu ne recevaient rien. Enfin, moins d’une minute s’était écoulée lorsque Dick perçut nettement le ronflement du moteur.
La voiture bicolore effectua alors un rapide demi-tour et s’engagea dans la descente, sa rampe de gyrophares envoyant des éclats électriques alentour.
— On y va ! lança-t-il en se redressant douloureusement de sa position inconfortable.
Ensemble, ils sortirent des fourrés blanchis de neige pour atteindre la zone de l’explosion. Ils s’arrêtèrent un instant, stupéfiés par l’ampleur des dommages. On avait de la peine à imaginer qu’une habitation s’élevait à cet endroit encore deux jours auparavant.
— Merde, lâcha Morris en regardant les décombres autour de lui, ça ne va pas être facile de trouver quelque chose dans ce foutoir.
— On cherche quoi, exactement, patron ?
Dick soupira et répondit en escaladant une brèche énorme dans le seul pan de mur encore vertical :
— N’importe quoi qui nous remettrait en selle. Ceux qui ont fait sauter cette maison devaient avoir de solides raisons pour le faire…
— Si possible, une certaine vieille lettre, rigola le costaud en se dirigeant vers un amas de mobilier informe dépassant d’un monceau de gravats.
Tout naturellement, ils se répartirent le site et chacun commença, dans le froid polaire, à explorer chaque pouce de la ruine. Çà et là, ils trouvèrent des marqueurs de la police scientifique. Autant d’indices qui avaient été retirés avant leur arrivée.
De ses pieds gelés, Benton se forçait à retourner chaque parpaing, à fouiller chaque vestige d’ameublement. Mais, la lumière diminuant, il ne verrait bientôt plus assez pour distinguer la buée de sa respiration.
Se battant les côtes, Maureen l’informa qu’elle venait de recevoir un texto d’Antonia :
— Elle dit qu’on devrait se dépêcher, fit-elle en claquant des dents, elle ne sait pas combien de temps son stratagème tiendra.
Benton acquiesça, la mort dans l’âme, en exhibant au creux de sa main ce qu’il subsistait d’une montre-bracelet pulvérisée par la détonation :
— Oui, je sais. Il vaudrait mieux qu’on ne nous surprenne pas dans le coin. De toute façon, c’était un coup d’épée dans l’eau. Je crois qu’on peut rentrer chez nous, on ne trouvera rien de plus ici.
La jeune femme le fixa en soufflant dans ses mains :
— On a fait tout ce qu’on pouvait, patron.
Il allait répliquer lorsqu’il avisa Jake qui marchait dans leur direction. Ce n’est que quand il fut près d’eux qu’il put reconnaître ce que le costaud tenait entre ses doigts.
— Regardez ce que j’ai déniché, accroché à un bout de tête de lit, s’esclaffa-t-il, ils savent s’amuser, ces Français !
Dick prit l’objet et Maureen écarquilla les yeux.
— Des menottes ? fit-il pour lui-même. Et si…
Mais il ne put terminer d’exposer son idée, la punkette venait de recevoir un SMS :
— Chef, les choses s’emballent, faut qu’on bouge, vite…