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Claude


Hiver 1943

Depuis un certain temps, chaque jour, un membre du personnel disparaît du Ritz. Cette absence est alors signalée au cours de la réunion ayant lieu tous les matins. Chaque fois, les visages pâlissent, les regards se perdent par peur de se poser trop longtemps sur quelqu’un. Des pieds raclent le sol – éventuellement, une femme de chambre récite d’une voix sourde, étranglée, une prière adressée à la Vierge Marie. Claude a appris à ne pas demander si quelqu’un connaît les raisons de cette absence.

Personne ne sait rien, même s’il a tout vu, tout entendu. Ça se passe comme ça dans Paris à cette époque-là.

Parfois, la personne refait surface quelques jours plus tard, accueillie par des cris de joie. « Une bouteille de champagne », réclame alors Claude. Et une bouteille provenant de la réserve cachée aux Allemands apparaît. Parfois, la personne a des ecchymoses récentes, des coupures à vif qui, très vite, laisseront d’épaisses cicatrices. D’autres fois, c’est un bras en écharpe, ou encore une main bandée avec des doigts coupés.

Pendant les jours qui suivent, Claude surveille de près la personne qui est de retour. Il garde dans un tiroir de son bureau fermé à clé ce qui pourrait faire office de poison et il dort avec la clé sous son oreiller. Il n’y aura pas de soude versée accidentellement dans la soupe servie de l’autre côté, à l’autre bout du passage qui relie les deux ailes de l’hôtel. Il n’y aura pas de ciguë cachée au milieu des feuilles de salade. Claude craint ce genre de représailles – car pour un Allemand de moins combien de ses employés seraient tués ? Or son devoir c’est de garder tous ces gens-là – ses employés, car c’est son Ritz – en sécurité, autant que possible. Il ne veut rien savoir de ce qu’ils font en dehors de leurs heures de service. Il ne veut pas avoir à s’en préoccuper.

Parfois aussi, certains des employés ne reviennent jamais. On a, certes, appris à attendre – une semaine, peut-être deux ; mais après ça, Claude pourvoit le poste alors disponible.

Il note le nom des personnes disparues et garde la liste dans le tiroir où sont cachés les poisons et le revolver que Frank Meier lui a procuré. Pourquoi fait-il ça ? Peut-être a-t-il vaguement l’intention de les retrouver quand… eh bien, quand tout sera fini, si jamais ça finit un jour. Peut-être a-t-il tout simplement besoin de témoigner de leur existence en notant leur absence.

La liste s’allonge de jour en jour après la tragédie du Vel’ d’Hiv. Ce jour-là fut d’ailleurs pour Claude une journée noire, car les responsables de la rafle étaient français, et non allemands. Les Français ont arrêté leurs propres compatriotes, pour la toute première fois, et personne n’a pu convaincre Claude que c’était dans l’intention de protéger tous les citoyens. Ils ont arrêté des Juifs qui étaient venus en France, certains récemment, d’autres il y a des dizaines d’années, pour y trouver refuge, accéder à une vie meilleure. Ils ont arrêté des Juifs – des immigrés venus d’autres pays – qui étaient devenus des citoyens français. Ils ont arraché des nourrissons à leurs berceaux, ils ont emmené des mères en train d’allaiter leurs bébés, des enfants agrippés à leurs poupées de chiffon. Des femmes et des enfants, essentiellement – les hommes avaient déjà été pris, plus discrètement, et envoyés dans des camps qui, selon les Allemands, étaient destinés à la fabrication de munitions et de matériel de guerre.

Quelle menace représentaient donc ces femmes avec leurs enfants ? Elles étaient déjà suffisamment affligées d’avoir à attendre leurs hommes et n’existaient plus qu’à l’état de fantômes – et, comble d’ironie, la seule note de couleur dans leur vie était l’étoile jaune de David cousue sur leurs vêtements. Pourquoi les arracher à leurs mansardes, leurs placards, leurs petits appartements d’une seule pièce et les entasser sous la verrière du vélodrome, les privant de nourriture et d’hygiène – sans même un trou en guise de sanitaires ? C’est la police française qui est responsable, les préfets. Ils ont conduit les camions, ont fermé les portes et les ont menacées de leurs fusils. Ils ont entassé ces pauvres âmes dans une serre qui s’est transformée en enfer – cinq jours presque sans eau, sans air et sans espoir. Cinq jours plus tard, ceux qui avaient survécu ont été emmenés dans les camps de Drancy, Beaune-la-Rolande et Pithiviers. Et puis ailleurs, sans qu’on sache où exactement.

Qui en avait donné l’ordre ? C’était la question brûlante, partout dans Paris, que se posaient tous ceux qui avaient eu la chance s’y échapper. C’était le sujet de conversation au bar du Ritz. Frank Meier s’entêtait à dire que c’était le gouvernement de Vichy – les autres ne pouvaient y croire, ils disaient que c’était les nazis qui avaient obligé Vichy à exécuter les ordres. Claude était d’accord avec Frank, il était conscient de l’antisémitisme inhérent à la culture française. Lui, comme tous ceux de sa génération, avait grandi avec l’affaire Dreyfus*.

Ce jour-là, le Ritz perdit dix membres de son personnel, des employés fiables, qui travaillaient dur, essentiellement des femmes. Elles ne revinrent jamais.

Les Allemands fêtaient l’événement ; ils trinquaient, jubilaient ; Adolf Eichmann vint au Ritz participer aux réjouissances avec le général von Stülpnagel. Eichmann, dont le nom évoquait déjà la terreur. Assis dans le patio – nous étions en juillet, et c’était une si belle journée que Claude se souviendrait toujours des lys en pleine floraison et du parfum des roses que butinaient les abeilles –, ils riaient, ils chantaient, ils exultaient à l’idée qu’« aujourd’hui, il y a une dizaine de milliers de Juifs de moins qu’hier dans Paris », comme le disait Eichmann.

« On dirait déjà que l’air est plus pur », acquiesça von Stülpnagel.

Claude, qui observait la scène, se précipita vers eux quand ils l’appelèrent. Il s’inclina devant eux et demanda aux serveurs d’apporter du caviar et plus de champagne.

Toutefois, malgré la jubilation d’Eichmann, il y avait encore des Juifs dans Paris. La plupart de ceux qui y étaient nés étaient restés. Quelques-uns partaient plus discrètement, à la faveur d’un coup frappé à la porte au milieu de la nuit au lieu d’une convocation dans la lumière crue du jour. Mais tous les Juifs de Paris portaient maintenant une étoile jaune, et tous étaient fichés au quartier général de la Gestapo. Personne n’était en sécurité – c’était de la folie de croire que les Allemands allaient s’arrêter là et se contenter d’arrêter des Juifs. Qu’arriverait-il aux jeunes gens aux mœurs dissolues que Claude employait et qui étaient les préférés des dames, ceux qui portaient un œillet vert au revers de leur veste quand ils étaient de repos ? Qu’arriverait-il aux estropiés – comme Greep, dont Frank Meier pensait que Claude ne connaissait pas l’existence ? Greep qui est boiteux. Qu’arriverait-il aux quelques Américains restés à Paris et dont Blanche faisait partie ?

La première fois que Blanche et Claude virent les étoiles jaunes, ils restèrent sans voix. Oui, ils étaient au courant du décret, mais ce n’était encore qu’une abstraction, une réalité inimaginable. Ils en avaient même plaisanté – Chanel ne déciderait-elle pas d’en dessiner une, une étoile jaune stylée, qui coûterait une fortune ? Jusqu’à ce jour où ils rentraient d’un agréable déjeuner dans un café.

Tenir Blanche à l’écart de Lily depuis que – malheureusement – elle était de retour faisait partie des plans de Claude. S’il passait plus de temps avec son épouse, pensait-il – temps dont il ne devrait pas se montrer avare –, elle ne rechercherait peut-être pas la compagnie de cette femme. Car fréquenter Lily fait ressortir les plus mauvais côtés de Blanche.

Toutes deux donnent l’impression de ne rien faire d’autre que boire toute la journée et toute la nuit. Elles titubent à travers le Ritz, s’accrochant l’une à l’autre, en essayant de marcher droit, en riant comme des folles. Lily doit souvent rester dormir dans leur suite, recroquevillée dans l’un des fauteuils, pendant que Blanche ronfle sur le lit et que Claude passe une mauvaise nuit sur le petit canapé de son bureau.

« Claude, tu es formidable », avait murmuré Lily un soir en envoyant valser ses chaussures – une paire de rangers pour homme, bon sang ! – tout en s’installant dans le fauteuil, les yeux mi-clos, en se roulant en boule comme un chat.

« Claude est un chou, n’est-ce pas Popsy ? » avait ajouté Blanche dans un hoquet.

Claude avait pris un air dédaigneux et les avait laissées cuver leur cuite, tout en se demandant dans quel pétrin elles s’étaient mises, car Blanche avait tendance à raconter n’importe quoi quand elle était ivre.

Tout en se demandant si Lily n’était pas seulement un alibi, si Blanche ne voyait pas un autre homme. Claude se posait des questions à propos de tout dans ce monde sens dessus dessous !

Et donc, le jour où les Auzello avaient vu des étoiles jaunes dans la rue pour la première fois, Blanche s’était agrippée à son bras tout comme il s’était agrippé au sien. Et, alors même qu’en vérité on n’en voyait pas tant que ça – tout simplement parce que le décret interdisait aux Juifs de se rassembler dans les lieux publics ou de se promener dans les artères principales de la ville –, ils avaient l’impression que partout où ils regardaient, ils voyaient ces insignes pleins de haine. Parfois cousu au revers de la veste d’uniforme d’une écolière – une veste d’uniforme trop petite pour elle qui n’avait plus la possibilité d’aller à l’école depuis que les nazis avaient émis un décret interdisant aux enfants juifs d’être scolarisés. Pour autant, la fillette portait son uniforme et Claude se demanda pourquoi. Était-ce de l’espoir, purement et simplement ? De la nostalgie ? Ou rien qu’un caprice d’enfant ?

Parfois, sur la poitrine d’un homme vêtu d’une veste de tweed bleue, un homme qui ressemblait à Claude – un homme au physique loin des représentations caricaturales de l’homme juif. Une petite moustache. Des ongles manucurés. Des cheveux coupés de frais toutes les semaines et lissés par une pommade parfumée. Des chaussures si impeccablement cirées qu’à chaque pas l’étoile jaune s’y reflétait.

Parfois encore, un couple âgé, l’étoile jaune de l’homme sur un pull-over effiloché, celle de la femme sur un manteau de fourrure antédiluvien – qui datait probablement de l’époque victorienne. Ils s’étaient assis l’un à côté de l’autre sur un banc, à l’ombre d’un arbre. Récemment, Claude avait remarqué que les Juifs avaient tendance à ne pas trop s’éloigner de chez eux, dans les quelques rues, les quelques parcs et dans les allées où ils avaient encore le droit de se promener. Ils essayaient toujours de se cacher, même s’il n’y avait pas d’endroit à Paris où ils pouvaient échapper à la surveillance. En s’asseyant, l’homme avait posé sa main sur le genou de la femme en un geste possessif. Elle tenait l’anse de son sac à deux mains. Ils restèrent assis là, sans jamais cesser de cligner des yeux en voyant le monde passer devant eux, un monde qu’ils ne reconnaissaient plus. Le sac était énorme, et Claude se demanda si, à l’intérieur, étaient entassées toutes les choses qui leur étaient chères – des photos, leurs certificats de naissance, des bijoux. Des vêtements de rechange. Au cas où.

Claude, pas plus que Blanche, ne fit de commentaire sur ces étoiles jaunes. Ils ne s’attardèrent pas. Sans dire un mot, ils s’éloignèrent, marchant plus rapidement que d’habitude pour rentrer au Ritz, retrouver leur suite et, toujours sans un mot, ils s’étaient couchés, tout habillés, sans se glisser sous les draps. Ils étaient restés ainsi, allongés côte à côte. Blanche tremblait, à moins que ce ne soit Claude, ou peut-être les deux. Et finalement, ce jour-là, pour la première fois, elle parla de la chose dont ils n’avaient jamais réussi à parler.

« Heureusement que nous n’avons jamais eu d’enfants, Claude », dit Blanche, son épouse depuis dix-neuf ans.

Il ne put qu’acquiescer d’un hochement de tête, tandis qu’il la serrait contre lui. Elle, son épouse. La princesse qu’il avait sauvée et qui s’était transformée en une femme déroutante, au corps plein de vie, à l’esprit vif, au cœur si généreux. Sa bonté, son audace, son courage, ses peurs. Son imprudence, son obstination. Ce tempérament bouillonnant, à peine caché derrière ses vêtements de marque. Parfois, il devait bien l’admettre, il oubliait de se souvenir que son épouse était une personne et non une abstraction (agaçante, le plus souvent) – un magnifique, exaspérant ensemble de cellules vivantes, un mélange de douceur et de dureté, de raison et d’émotion – comme toutes les femmes.

Mais, aux yeux des Boches*, un assemblage de cellules vivantes, une combinaison de chair et d’os, du sang qui circulait, des cœurs qui battaient, n’étaient pas des personnes.

« Blanche, je t’en prie, arrête de voir Lily », lui souffla-t-il à l’oreille. Immédiatement, elle se raidit. « Je t’en prie, j’ai un mauvais pressentiment. Je ne sais ce qu’elle est capable de te faire faire. Mais tu dois être prudente, et quand tu bois…

– Quoi, quand je bois ? demanda-t-elle sèchement, d’un ton méfiant.

– Tu deviens imprudente. Tu ne peux pas te le permettre. Personne ne le peut, de nos jours.

– Concluons un accord, Claude. » Elle roula sur le côté, s’assit et lissa ses cheveux en lui tournant le dos. « Tu arrêtes de sortir chaque fois que ce foutu téléphone sonne la nuit, et j’arrêterai de voir Lily.

– Blanche… »

Pour la première fois, Claude fut tenté. Tenté d’arrêter ses activités nocturnes, auxquelles il s’adonnait de plus en plus fréquemment, devenues aussi plus exaltantes, maintenant que les Boches*, après la rafle du Vel’ d’Hiv, serraient la bride aux Parisiens.

Le couvre-feu est désormais strictement appliqué – ce qui rend les réunions clandestines encore plus excitantes. Les rassemblements de plus de quatre personnes ne sont pas autorisés, pas même dans les cafés ou les boîtes de nuit. Des soldats nazis avaient été tués et, en représailles, des rafles eurent lieu et des citoyens furent abattus – surtout des Juifs, mais pas toujours.

Mais non. Il est plus important que jamais de soulager la pression qu’il subit, car il doit sans cesse jongler pour plaire à tout le monde – sa femme, ses employés, ses hôtes qui ne sont pas vraiment des hôtes. En mémoire de César Ritz. En mémoire de Claude, de celui qu’il avait été. Ce n’est qu’à l’extérieur du Ritz que Claude peut se retrouver, et il ne cessera pas d’aller à ses rendez-vous avec Simone – et Michèle et Martin. Des rendez-vous qui ne concernent plus seulement l’achat de légumes – Martin s’occupe désormais de vendre autre chose. Des choses dont Claude a besoin, et d’autres dont il aimerait pouvoir se passer, mais qu’il accepte de la part de son ami, parfois en les gardant – les placards du Ritz, réaménagés discrètement, sont profonds et, pour la plupart, dissimulés aux regards –, parfois en les donnant à quelqu’un d’autre.

Bien qu’il se sache d’une parfaite discrétion, Claude fait très attention à ne pas commettre d’impair, à toujours accomplir son travail au mieux. Il a parfois commis des erreurs – il lui coûte de l’avouer. L’autre soir, il était descendu dans les cuisines tout de suite après vingt-deux heures trente, tandis qu’avait lieu une attaque aérienne – les bombardiers anglais lâchaient leurs charges explosives sur les usines en banlieue parisienne, des usines participant à l’effort de guerre allemand. Si quelqu’un laissait la lumière allumée la nuit dans les cuisines, le Ritz, grâce à la latitude à laquelle il se situait, permettait à ces bombardiers de se repérer au-dessus de la ville plongée dans le noir…

Claude avait trouvé les lampes allumées malgré le black-out. Si les nazis s’en apercevaient, s’ils découvraient qui était responsable… Claude, en y pensant, avait frissonné. Il avait touché l’une des ampoules ; elle était à peine chaude. La personne qui l’avait allumée venait donc juste de partir. Il avait eu l’impression de reconnaître une odeur qui lui était familière – un parfum, peut-être, ou une lotion capillaire – mais n’y avait pas vraiment prêté attention. Il s’était demandé qui avait fait ça.

Il avait fait demi-tour et avait monté l’escalier qui menait à leur suite, où Blanche était en train de quitter ses chaussures et ses bas, la respiration lourde, irrégulière – « Ce foutu black-out, impossible de trouver mon chemin pour rentrer ! ». Et Claude était si en colère qu’elle rentre si tard un soir d’attaque aérienne qu’il en avait oublié cette histoire de lampes allumées. Ils s’étaient disputés si violemment que le bruit des vibrations des bombardiers dans le ciel de Paris en avait été assourdi.

Le lendemain matin, il avait été convoqué dans le bureau de von Stülpnagel pour être interrogé « sans ménagement », avant d’être renvoyé avec un avertissement lui signifiant que l’incident n’était pas clos. Car les lumières dans les cuisines avaient tracé comme un chemin lumineux, facilement repérable d’en haut par les aviateurs et menant directement aux usines. Apparemment, les Alliés avaient fait du bon boulot.

Claude doit donc être prudent – il ne doit pas laisser sa passion interférer avec son travail ni attirer de gros ennuis au Ritz.

D’une certaine manière, il était fier de ses activités nocturnes. Jusqu’à ce qu’il aperçoive la tristesse dans les yeux de sa femme – comme résignée à ce qu’il ne soit pas à la hauteur de ses attentes. Il la déçoit – son infidélité la déçoit, ses trahisons la déçoivent. Il ne peut ignorer le dégoût avec lequel Blanche se moque de lui quand elle le voit faire des courbettes aux nazis – l’empressement avec lequel il exécute leurs ordres. Dans les jours qui suivirent l’attaque aérienne, Claude avait redoublé d’efforts pour complaire à ses hôtes nazis, allant jusqu’à cirer lui-même les bottes de von Stülpnagel, le général s’étant plaint du travail du cireur qui en était chargé.

« Claude, vous feriez un bon Allemand », lui avait dit von Stülpnagel, en admirant la perfection avec laquelle le cuir noir de ses bottes reluisait. « Vous pourriez peut-être venir avec moi et diriger l’un des hôtels de Berlin. »

Claude avait souri et répondu : « Merci*. Rien ne me ferait plus plaisir. »

Et ce soir-là, quand le téléphone sonne, Claude est plus pressé que jamais d’y répondre. Blanche sourit, de ce sourire mystérieux qu’elle lui adresse depuis peu et le gifle – à peine, sans conviction, plutôt comme un rappel des jours meilleurs –, et sort la première. Depuis peu, c’est toujours elle qui sort en premier. Et qui rentre tard, tenant des propos incohérents, les yeux vitreux, les vêtements puant le gin et le vermouth. Pendant que Claude fait ce qu’un Français doit faire, même dans le Paris de 1943.

Il ferme les yeux et voit des étoiles – les étoiles qui accompagnent la gifle qu’elle lui a donnée. Les étoiles jaunes qu’on voit dans les rues de Paris.

Pendant un court instant – il regarde sa montre, compte les secondes, ne s’accorde qu’une minute – Claude méprise ce monde, cette guerre, l’Occupation, cette tache, ce fléau, ce cauchemar. Il ne sait plus comment qualifier cette situation.

La minute est passée et il ravale sa haine, l’enferme à double tour dans un petit coin de son cœur et jette la clé là où il pourra facilement la retrouver. C’est l’heure. Il doit y aller. Claude s’asperge le visage d’eau, rajuste sa cravate.

Et s’aventure dehors, dans la nuit, pour retrouver une très belle femme.