Elle n’est pas la seule, beaucoup d’autres femmes, elles aussi menottées, sont ballottées dans ce camion qui roule dans les rues pavées de Paris. L’une d’entre elles demande au soldat au fusil pointé dans leur direction où on les emmène. Il ne répond pas, c’est l’une des autres femmes qui répond à sa place :
« Tu verras. Fresnes. La succursale de l’enfer.
– Te gêne pas, parle », dit finalement le soldat, d’un ton bon enfant. Il sort une cigarette de sa poche, l’allume, et lance l’allumette fumante en direction de l’une des femmes, loin de lui. « Ce sera la dernière fois. Alors pourquoi ne pas en profiter ? »
Toutes se taisent.
Il fait chaud, ce jour-là. Fait-il vraiment chaud ? Nous sommes en juin, c’est l’été. La veille encore, Blanche marchait dans les rues de Paris, avec Lily, vêtue d’une robe à manches courtes. Des rues gaiement bordées de jardinières, ou ornées de lierre d’un vert éclatant, d’où provenait le chant des oiseaux. Il doit donc faire chaud, pense Blanche et, pourtant, elle est frigorifiée, elle tremble tellement qu’elle craint d’être malade.
« Arrête », lui intime sèchement la femme à côté d’elle.
Secouées comme des sacs de pommes de terre, les femmes restent silencieuses, seuls quelques sanglots se font entendre. Bientôt, le camion traverse des villes de banlieue, ternes, dénuées de charme, avant d’arriver devant une grille – flanquée de gardiens – qui s’ouvre pour le laisser passer. Il finit par s’arrêter devant une forteresse grise. On les fait alors descendre du véhicule, avec autant de brutalité qu’on les y avait fait monter. Des soldats armés les escortent à l’intérieur du bâtiment où elles sont parquées dans une pièce sans fenêtre, déjà bondée de prisonnières, certaines sont choquées, d’autres carrément terrorisées. Là, les soldats sont encore plus nombreux. Des officiers aussi. Qui les surveillent, prêts à tirer.
Blanche fouille la foule des yeux, se hausse sur la pointe des pieds, se faufile parmi les autres femmes, elle cherche…
« Lily ! » Elle ne peut pas s’empêcher de foncer droit sur son amie, se frayant un chemin à coups d’épaule, les mains toujours menottées.
« Lily ! » Blanche est si soulagée de la voir vivante qu’elle en oublie tout ce qu’on lui a appris. En prison, il ne faut jamais – au grand jamais – trahir un autre membre de la Résistance en le reconnaissant.
Blanche gâche tout. Comme elle l’a fait la veille. Elle manque d’air, essaie de s’éloigner de Lily, trébuche, espérant que personne ne l’ait entendue. Mais c’est alors qu’elle entend son propre nom, doucement prononcé à voix basse : « Blanche. »
Lily est si pâle. Blanche s’attend à voir de la haine dans ses yeux, de la déception, du dégoût face à tant d’imprudence. Au lieu de ça, elle y devine une étrange douceur étonnée, presque de la joie. Presque comme si Lily était heureuse d’avoir été reconnue. Mais non, c’est impossible… et, avant que Blanche puisse le lui demander, une voix allemande aboie : « La communiste Lily Kharmayeff ! »
Blanche regarde Lily avancer d’un pas assuré, provocateur, le menton fièrement levé, les mains menottées derrière le dos, et dont le regard, avant qu’elle sorte, s’attarde sur elle, Blanche. Qui reconnaît ce regard – un regard de gratitude.
Empli d’amour.
Et Blanche est maintenant seule – bien qu’elle soit entourée de femmes qui hurlent –, submergée par sa propre peur et la culpabilité. Elle se sent coupable de ce qu’elle a fait – ce qu’elle s’est fait, ce qu’elle a fait à Lily. À Claude, qui doit probablement être hors de lui maintenant.
« Blanche Auzello ! » C’est à son tour d’être emmenée et jetée dans une autre pièce où on lui donne de quoi se changer – une blouse en laine rêche et des sabots en bois en guise de chaussures. Tous ses vêtements, ses bijoux, sa croix en or, la chaîne qu’on lui arrache, et qui n’était pas grand-chose après tout, lui sont confisqués. Sauf son passeport… elle ferme les yeux et se souvient qu’elle l’a laissé au Ritz.
En aura-t-elle besoin ici ? Est-ce important ? Aucun moyen de le savoir. Elle ne peut qu’attendre.
« Pourquoi je suis ici ? » Bien qu’elle sache parfaitement pourquoi elle est là, elle a besoin de poser la question dans le vide – car il n’y a personne, pas d’autre présence humaine, rien que des visages allemands impassibles, sans âme.
Personne ne lui répond.
Elle est ensuite jetée dans une cellule. Un seau. Un lit de camp. Trois souris pour lui tenir compagnie.
La nuit tombe. Elle a dû s’endormir, car soudain elle voit un prêtre que l’on fait entrer dans sa cellule, et elle en est sidérée. Sidérée de se rendre compte que ces imbéciles d’Allemands n’ont toujours rien deviné.
Ils n’ont toujours pas deviné qu’elle est juive.
Ils doivent donc avoir son passeport. Peut-être que Claude le leur a apporté ? Cette idée lui redonne de l’espoir pour la première fois depuis ce matin quand ils ont frappé à sa porte.
Le prêtre catholique – un vieil homme, l’un de ces prêtres bien nourris et très contents d’eux-mêmes – prononce son nom et la bénit d’un air suffisant. Mais à la vue des souris et du seau, le dégoût se lit sur son visage, et il reste debout, craignant de toute évidence de s’asseoir sur un lit de camp infesté de poux. Il commence à lui poser des questions :
« D’où venez-vous aux États-Unis, mon enfant ?
– Cleveland.
– Quel culte suiviez-vous, si ce n’est pas indiscret ?
– Notre-Dame-de-je-ne-sais-quoi. Ça fait si longtemps, mon père.
– Je vois. Voulez-vous communier ? Mais vous devrez d’abord vous confesser. »
Blanche secoue la tête. « Je suis désolée, mon père, vous êtes peut-être bon. Mais vous pouvez aussi bien vous dépêcher d’aller tout raconter aux nazis. Ce sera pour une autre fois. »
Il soupire, la bénit de nouveau, et s’en va.
Blanche reste enfermée seule dans sa cellule deux jours encore. Elle se dit presque qu’ils l’ont oubliée, qu’ils ont fait une erreur, qu’ils vont changer d’avis et la libérer, qu’elle va rentrer chez elle – retrouver Claude. On lui donne du pain mal cuit plein de vers, qu’elle recrache. Du gruau plein de vers, qu’elle recrache tout autant. Et quand elle a tellement faim qu’elle finit par avaler la soupe, elle aussi pleine de vers, elle vomit aussitôt. Et cette nuit-là, il lui faut dormir avec le sol recouvert d’une flaque de vomi.
Au moins, ça éloigne les souris.
Au bout de deux jours, enfin, ils viennent la trouver. Le bruit métallique des bottes – qu’elle a entendues arpenter le couloir jour et nuit, et qui, cette fois, s’arrêtent devant sa cellule. On introduit une clé dans la serrure. On pousse Blanche du bout d’un fusil, et elle marche, avec assurance, là où on lui dit d’aller. Car, maintenant elle en est sûre, ils vont la libérer, ils vont lui dire que c’était une erreur, ils vont envoyer chercher Claude pour qu’il vienne et la ramène.
Car elle est madame Auzello du Ritz.
On la conduit dans une pièce dans laquelle un officier est assis derrière un bureau, un dossier ouvert devant lui. Un dossier avec une photo de Lily – l’air égaré, ses cheveux plus longs lui barrant le visage, paraissant plus jeune – attachée par un trombone.
« Donc, racontez-nous, madame Auzello. Comment vous, qui venez du Ritz – nous connaissons votre mari, il a été on ne peut plus courtois avec nos officiers qui résident là-bas, très serviable –, vous êtes-vous retrouvée à fréquenter cette sale putain de juive communiste Lily Kharmayeff ?
– Pardon ? Je… je croyais que j’étais ici parce que…
– Oui, oui. Vous vous êtes comportée de manière imprudente chez Maxim’s. Nous savons tout ça. Mais ce qui nous intéresse le plus, c’est votre relation avec cette pute juive. Comment vous êtes-vous rencontrées ?
– Sur un bateau. Il y a longtemps. »
Dans une autre vie. Quand elle avait fui Claude, comme une enfant, une enfant capricieuse. Lily l’avait remarquée au bar, elle avait deviné sa tristesse, son besoin – mais aussi peut-être quelque chose de courageux, d’honnête – et était venue vers elle. Elles avaient bu, se souvient Blanche. Elles avaient ri. Elles avaient même dansé.
« Que faisiez-vous sur ce bateau ? D’où veniez-vous ?
– Du Maroc. Où j’avais passé des vacances. Je retournais en France. Au Ritz.
– Que faisait-elle sur ce bateau ?
– Je ne sais pas.
– Nous avons retracé toutes ses activités, depuis l’Espagne jusqu’à aujourd’hui. C’est une communiste, une traîtresse, elle a tué des Allemands. Savez-vous combien elle en a tué ? »
Blanche secoue la tête. Elle ne lui avait pas posé de questions.
« Treize. Elle a tué treize de nos soldats. »
Blanche a envie de crier : « Hourra. » Elle a envie de dire : « Seulement treize ? » Blanche a envie de dire : « Bravo ! » Mais elle n’ose pas.
« Donc c’est simple. Dites-nous juste que Lily est juive et qu’elle appartient à un réseau de résistance – oui, nous savons tout de vos activités, mais nous serons indulgents avec vous et nous vous laisserons partir. Après tout, vous êtes la célèbre madame Auzello. Votre résidence est la nôtre depuis plusieurs années. Nous ne voulons pas vous faire de mal – ce ne serait pas bon pour notre image.
– Je ne sais pas », répond-elle, en disant la vérité, pour une fois. « Elle ne m’a jamais rien dit. Nous n’en avons jamais parlé. » Et Blanche lui en est reconnaissante – si reconnaissante. Car ici, en prison, elle comprend qu’elle n’est pas vraiment l’actrice qu’elle croyait être. Que dira-t-elle quand les nazis lui demanderont si elle est juive ?
Blanche Rubenstein Auzello n’en a pas la moindre idée. Et il est donc heureux qu’ils ne lui posent pas la question. Tout au moins pas encore.
Elle retourne dans sa cellule en pensant qu’elle s’en est sortie, que ce n’était pas si terrible – rien à voir avec les horreurs que lui avait décrites Lily, celles que Robert avait dû endurer –, et donc le pire est derrière elle, pense-t-elle encore, avant de comprendre que ce n’est que le début. Le début de longues journées qu’elle passe seule. Des journées auxquelles succèdent, sans qu’elle s’en rende compte, des nuits au cours desquelles elle est malade – la fièvre, la dysenterie, de mystérieuses éruptions cutanées qu’irrite sa blouse en laine rêche. Des cris qui résonnent dans les couloirs, des cris de femmes. Il n’y a pas d’hommes dans cette section de la prison – à Fresnes les hommes et les femmes sont séparés. Des cris de rébellion qui sont vite étouffés.
Depuis combien de jours est-elle là ? Elle en a perdu le compte. Elle essaie de se repérer en fonction de son cycle menstruel quand, sans protection d’aucune sorte, elle ne peut rien faire d’autre que laisser le sang couler le long de ses jambes. Ça n’arrive qu’une seule fois.
Peu de temps après, un soldat vient dans sa cellule. Il arbore un air détaché, alors elle pense qu’il est là pour l’emmener se faire de nouveau interroger. Au lieu de quoi, il referme la porte derrière lui et commence à déboutonner son pantalon, avec un sourire suffisant. Elle se recroqueville contre le mur, essaie de crier mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle est si faible qu’elle n’offre pas plus de résistance au soldat qu’une feuille desséchée se froissant au contact de ses mains. C’est vite fini – elle est si fragile, prête à se casser, la douleur lui brouille la vue –, Dieu merci, il a fini presque aussitôt après l’avoir pénétrée.
Pendant tout ce temps, elle garde les yeux fermés et ne peut donc pas voir ceux du soldat, pourtant si bleus, tandis qu’il grimace, grogne, transpire et pousse autant qu’il peut – tandis qu’il commet cet acte affreux, invasif, un viol. Bon sang, Blanche, ne les laisse pas te voler ton vocabulaire en même temps que ton âme. Si elle ne regarde pas, elle n’aura pas de mémoire visuelle, pas d’images de ce qui lui arrive. Alors, si elle sort d’ici, peut-être oubliera-t-elle ce qui s’est passé. Et, si elle oublie, elle n’aura pas à le raconter à Claude.
Qui, elle le sait, ne pourra pas le supporter. Il n’est pas aussi solide qu’elle.
L’interrogatoire, c’est presque tous les jours. On la traîne hors de sa cellule, on la conduit jusqu’à un officier qui parcourt toujours le même dossier avec la même photo de Lily. Certains jours, elle est accusée d’avoir caché des fugitifs – « connus pour être juifs » – au Ritz. On lui montre alors des photos de gens qu’elle n’a jamais vus. Des gens comme elle. D’autres fois, elle est accusée, à tort, d’avoir tué un officier allemand, d’avoir fait sauter un pont – tout est là, dans son dossier.
Mais chaque fois, ils en reviennent à Lily.
« Dites-le-nous. Dites-nous que Lily Kharmayeff est juive. Et vous pourrez rentrer chez vous. »
Certaines fois, ses ravisseurs se montrent charmants avec elle ; ils lui proposent alors de s’asseoir, lui offrent un thé, une pâtisserie – sans vers à l’intérieur – qu’elle dévore comme un animal, honteuse mais trop affamée pour se retenir. Ils rient et lui posent des questions, avec un intérêt sincère, sur ses célèbres amis du Ritz – ils sont particulièrement fascinés par « l’écrivain Hemingway » –, et elle comprend qu’ils essaient de la briser, de la faire flancher en lui rappelant tout ce qui lui manque, tout ce qu’elle ne reverra peut-être jamais. Ils lui font comprendre qu’il suffit d’une fichue pâtisserie pour qu’elle s’humilie devant eux. Ces interrogatoires-là sont les plus cruels, en fait, car ils la font replonger dans les souvenirs de sa vie d’avant, quand elle était sous le charme de von Dincklage, qu’elle s’inquiétait pour Friedrich, qu’elle essayait de remonter le moral d’Astrid en lui offrant un nouveau chapeau. Quand elle croyait que ces gens-là étaient des êtres humains qui méritaient ses rires, son soutien.
Pendant tout ce temps, Blanche n’est jamais accusée d’aucun des méfaits qu’elle a commis contre eux, elle n’est jamais confrontée à ses mensonges, et elle comprend alors qu’ils ne sont pas très intelligents, ces Allemands. Mais l’intelligence n’est pas requise quand le mal est votre allié.
« Je peux vous faire condamner à mort quand je veux », répète-t-on souvent à Blanche, chaque fois par un Allemand dont les mots essaient de la faire tomber dans le piège de la trahison. « Tout ce dont j’ai besoin, c’est d’un soupçon de vérité. Dites-moi, cette Lily, elle est juive, non ? Une Juive russe, une espionne ? Une pute juive ?
– Je ne sais pas, je ne sais pas », répète Blanche.
Certaines fois, une étincelle se rallume, une étincelle qu’elle croyait éteinte pour toujours, et elle est prête à rejeter la tête en arrière pour leur cracher au visage des mots qui ne sont pas les siens, les mots d’une autre Blanche. Elle est prête à leur dire que la nourriture est pourrie, que leur hospitalité n’est en rien comparable à celle du Ritz. Elle se délecte de son audace. Mais ça ne dure jamais longtemps, c’est impossible. Pas ici.
D’autres fois, en se souvenant, elle se fait du mal, allongée seule la nuit en essayant de ne pas entendre les bruits autour d’elle – elle n’est pas la seule femme violée par les soldats. La porte d’une cellule s’ouvre, se ferme, des grognements, des gémissements, le silence, la porte s’ouvre de nouveau. Et, en vérité, pour quoi d’autre que pour le plaisir des soldats sont-elles là, elle et les autres prisonnières ? Le plaisir de torturer, de punir, de briser, de violer. Mais comment peuvent-ils y trouver du plaisir, alors que les prisonnières sont squelettiques, que leurs cheveux tombent par poignées que les souris emportent pour y faire leur nid, quand leurs intestins se liquéfient et qu’elles sont couvertes de poux ? Blanche se le demande.
Allongée sur son lit de camp au milieu de ce cauchemar, Blanche se punit encore plus en pensant au Ritz.
Elle pense à la salle de bains, dans leur suite, plus grande que cette cellule, dix fois plus grande. Les baignoires au Ritz sont suffisamment larges pour y contenir une armée entière. Elle se souvient de l’histoire que lui a racontée Claude à propos du roi Édouard VII qui était resté coincé dans sa baignoire ; son ami César Ritz avait alors fait enlever toutes les baignoires existantes pour en installer de plus grandes, de celles qui convenaient à un roi.
Elle se rappelle combien il est facile de décrocher un téléphone pour qu’on vous apporte ce dont vous avez besoin, à toute heure du jour. Elle se souvient aussi de ces choses qui la remplissaient de bonheur – quand recevoir une nouvelle robe, un nouveau bracelet ou encore un bouquet de fleurs particulièrement sophistiqué, la faisait danser de joie pendant plusieurs jours. Quand ces choses-là importaient – quand sa vie n’était remplie que de choses qu’elle amassait, qu’elle mettait de côté.
Avant qu’elle ne commence à s’intéresser à des gens pour les sauver.
« Alors, peut-être que, maintenant, tu vas me voir au Ritz. Je vais vivre là – avec toi », lui avait dit Lily, ce jour-là. Et Blanche avait pensé qu’elle l’avait sauvée, elle aussi. Mais Claude n’aurait pas aimé ça – peu importe ce à quoi elle pense, elle en revient toujours à Claude.
Cet homme-là. Son homme. Qui avait rugi comme un lion face à J’Ali. Qui lui avait fait croire qu’elle méritait qu’on se batte pour elle. Qui avait fait en sorte qu’il lui soit facile – en vivant au Ritz ! – d’oublier d’où elle venait.
Qui l’avait blessée aussi. Mais Blanche ne se rappelle plus pourquoi elle avait pu un jour être en colère contre lui. Qu’est-ce que le sexe, après tout ? Rien, comparé à l’amour. Et Claude aime Blanche, il n’y a pas à en douter. Après cette dernière nuit qu’ils ont passée ensemble, elle en est sûre.
Parfois, quand Claude la regarde, il a l’air stupéfait, puis il devient sérieux, comme si ses sentiments l’embarrassaient, comme si rien, dans sa petite vie bien comme il faut, ne l’avait préparé à rencontrer une femme comme elle.
Comme si rien ne l’avait préparée, elle, à rencontrer un homme comme lui. Elle voit clairement qui il est maintenant, ce qu’elle n’avait pas pu faire jusqu’à ce que la guerre les éloigne encore plus l’un de l’autre, avant de les réunir à nouveau. Elle voit son intelligence, son caractère étonnamment passionné qui se révèle quand elle s’y attend le moins. Son sens du devoir. L’amour qu’il porte à son pays. Son courage, tout au long de ces dernières années, tandis qu’il s’efforçait de plaire aux Allemands tout en sapant leur pouvoir, juste sous leur nez.
Blanche n’a pas eu grand-chose à faire pour décevoir Claude, tant sa vie manquait de sens, de but. Et Claude n’a pas eu de mal à la décevoir non plus : tellement français, tellement chauvin. Car, honnêtement, ils n’ont pas su quoi faire l’un de l’autre après leur coup de foudre. Chacun a brossé un portrait de l’autre à grands coups de pinceau pour ressembler à ce qu’il souhaitait – et laissé le Ritz les séduire et les distraire. Il était donc facile, à cette époque, d’oublier qu’ils avaient peut-être besoin de compter l’un sur l’autre, de se faire confiance et de s’aimer.
Allongée dans sa cellule, seule, terrifiée, une seule chose apparaît clairement à Blanche désormais.
S’il lui est permis de vivre, elle ne quittera plus jamais Claude.