[peu avant le 26 février 1916]
Madame,
Pardonnez-moi de ne pas vous avoir encore remerciée : c’est moi qui ai reçu de merveilleuses roses décrites par vous au « parfum impérissable53 » mais varié qui fait se succéder, dans les évocations du vrai poète que vous êtes, toutes les heures du jour, l’infiltration de l’arôme dans le clair obscur agatisé des « Intérieurs54 » ou son expansion dans l’atmosphère fluente et diluée des jardins.
Seulement… j’ai été tellement malade ces jours-ci (dans mon lit que je n’ai pas quitté et sans avoir ouvert ou fermé bruyamment la porte cochère comme j’en suis paraît-il accusé) que je n’ai pas pu écrire. Matériellement, cela m’était impossible. Gardez autant que vous voudrez les Revues. — . Par un hasard étonnant Gide, dont nous parlions, et que je n’ai pas vu depuis 20 ans, est venu pour me voir pendant que nous parlions de lui dans nos lettres. Mais je n’ai pas été en état de le recevoir55. Merci encore Madame des merveilleuses pages empourprées d’une odeur de roses. Votre bien respectueux
MARCEL PROUST
Le successeur du valet de chambre fait du bruit et cela ne fait rien. Mais plus tard il frappe de tout petits coups. Et cela est pire.
53 Titre d’un recueil de poèmes de la comtesse de Noailles.
54 À quoi renvoie Proust ? Fait-il allusion à la pièce de Maeterlinck, à un poème de Mallarmé ou à un poème de sa voisine ?
55 Gide écrit dans son Journal, à la date du 26 février 1916 : « Achevé la soirée chez Marcel Proust (que je n’avais pas revu depuis 92). » (Journal, « Bibl. de la Pléiade », t. I, 1996, p. 932.)