Avant-propos

Le déséquilibre du monde moderne

Conservation de la nature et exploitation rationnelle de ses ressources…, problèmes qui remontent dans leur essence même à l’apparition de l’homme sur la terre. Car dès ses premiers débuts, l’humanité eut une influence profonde sur son habitat, bien plus qu’aucune des espèces animales, et parfois déjà dans un sens défavorable aux équilibres naturels et à ses propres intérêts à long terme.

En fait, si l’on envisage l’histoire du globe, l’apparition de l’homme prend aux yeux des biologistes la même signification que les grands cataclysmes à l’échelle du temps géologique, que les « révolutions » de Cuvier au cours desquelles la flore et la faune du monde entier se sont trouvées complètement changées dans leur composition et dans leur équilibre. Les transformations rapides des peuplements animaux et végétaux que les documents paléontologiques font apparaître à certaines époques ne sont pas plus importantes que la « révolution » qui se passe sous nos yeux depuis l’apparition de l’homme sur la terre, avec une vitesse et une ampleur sans égales si l’on tient compte de la faible durée au cours de laquelle s’est manifestée l’action de notre espèce.

Même si le « temps humain » est pris comme échelle, les modifications les plus profondes se sont produites au cours d’une période très courte. En ramenant la durée totale de l’histoire de l’homme depuis l’âge de la pierre taillée à une année de douze mois, c’est au début de décembre que commencerait l’ère chrétienne et le 29 décembre que Louis XVI monterait sur le trône de France : à cette époque l’énergie à la disposition de l’homme n’est encore en pratique que le produit de son propre travail musculaire et de celui des animaux de trait. Toute l’histoire « mécanique » de l’humanité se passe dans les deux derniers jours et c’est pendant cette courte période – une fraction de seconde à l’échelle géologique – que l’homme a le plus profondément modifié la face de la terre, parfois à son bénéfice réel, mais souvent aussi la défigurant de la manière la plus honteuse, accumulant ruines et catastrophes, aux yeux des naturalistes comme à ceux des économistes.

Dans le cadre de l’histoire de l’humanité, quelques formes de dégradation de la nature sont certes anciennes. L’homme primitif avait déjà à sa disposition un outil d’une puissance hors de proportion avec son faible degré de technicité : le feu. Les civilisations de l’Antiquité classique ont dévasté le monde méditerranéen et les grands empires des deux hémisphères se sont écroulés en partie par suite de l’érosion de leurs terres. Plus tard les grands découvreurs du XVIe siècle ont accumulé destructions et massacres, aggravés par ceux des siècles suivants, en dépit de la salutaire réaction qui s’est manifestée depuis une centaine d’années.

À l’époque contemporaine la situation atteint cependant un degré de gravité inégalé jusqu’à présent. L’homme de civilisation industrielle a maintenant pris possession de la totalité du globe. Nous assistons à une véritable explosion démographique, sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Tous les phénomènes auxquels l’homme est mêlé se déroulent à une vitesse accélérée et à un rythme qui les rend presque incontrôlables. L’homme se trouve aux prises avec des problèmes économiques insurmontables dont la sous-alimentation chronique d’une partie des populations n’est que le plus évident. Mais il y a bien plus sérieux encore. L’homme moderne dilapide d’un cœur léger les ressources non renouvelables, combustibles naturels, minéraux, ce qui risque de provoquer la ruine de la civilisation actuelle. Les ressources renouvelables, celles que nous tirons du monde vivant, sont gaspillées avec une prodigalité déconcertante, ce qui est encore plus grave, car cela peut provoquer l’extermination de la race humaine elle-même : l’homme peut se passer de tout, sauf de manger. Il manifeste une confiance absolue dans les techniques mises au point dans les temps récents. Les progrès réalisés en physique et en chimie ont accru la puissance des outils à notre disposition dans une proportion fantastique. Et cela nous incite à manifester un véritable culte à l’égard de la technique que nous croyons dorénavant capable de résoudre tous nos problèmes sans le secours du milieu dans lequel sont apparus nos lointains ancêtres et au sein duquel ont vécu des générations nombreuses.

Beaucoup de nos contemporains estiment de ce fait qu’ils sont en droit de couper les ponts avec le passé. Toutes les lois qui présidaient jusqu’à présent aux rapports de l’homme avec son milieu paraissent désuètes. Le vieux pacte qui unissait l’homme à la nature a été brisé, car l’homme croit maintenant posséder suffisamment de puissance pour s’affranchir du vaste complexe biologique qui fut le sien depuis qu’il est sur la terre.

Loin de nous l’idée de nier les progrès techniques, ou de préconiser un retour en arrière, au stade de la cueillette dont se sont contentés nos lointains ancêtres du Paléolithique, et qui répond encore aux besoins de groupes humains demeurés primitifs.

Nous sommes néanmoins en droit de nous interroger sur la valeur universelle d’une civilisation technique appliquant aux esprits comme à la matière des lois dont le bien-fondé n’a été vérifié que dans des cas particuliers.

Nous ne voulons pas jouer les cassandres. Mais chacun d’entre nous a eu parfois l’impression d’avoir pris place dans un train emballé dont il ne pouvait plus descendre1. Nous ne savons où il nous mène. Peut-être vers un grand bien-être ; mais plus vraisemblablement à une impasse, voire à une catastrophe. L’homme a imprudemment joué à l’apprenti sorcier et mis en marche des processus dont il n’est plus le maître. Ces préoccupations, qui concernent en fait le devenir de l’homme envisagé sous tous ses aspects, s’appliquent particulièrement aux questions qui nous retiennent ici : les problèmes de la conservation de la nature, au sens le plus large du terme, sont intimement liés à beaucoup d’autres avec lesquels ils forment un tout et dont l’analyse permet de juger de la gravité du déséquilibre planétaire et de l’instabilité régnant à l’époque actuelle.

 

En fait, en dépit de tous les progrès de la technique et d’un machinisme devenu envahissant, en dépit de la foi que professent la plupart de nos contemporains en une civilisation mécanique, l’homme continue de dépendre étroitement des ressources renouvelables et avant tout de la productivité primaire, la photosynthèse en représentant le stade premier. Ce fait fondamental lie l’homme d’une manière très étroite à l’ensemble du monde vivant, dont il ne forme qu’un élément. Pièce maîtresse sans doute (nous ne raisonnons ici que sur le plan matériel en faisant abstraction du côté spirituel si particulier de l’humanité), mais néanmoins simple rouage d’un ensemble complexe où s’articule un grand nombre de composants. Au-delà des individus s’agrégeant en populations, au-delà des espèces formant le règne animal et le règne végétal, existe une entité beaucoup plus vaste, véritable organisme constituant la biosphère de la planète tout entière. L’écologie – science qui étudie les rapports des êtres vivants entre eux et avec le milieu physique dans lequel ils évoluent – nous apprend que les communautés biologiques2 ont une vie propre et qu’elles fonctionnent comme des entités définies, régies par des lois qui déterminent leur évolution. C’est en leur sein qu’est fixée l’énergie venue du soleil et que s’opère sa conversion en passant par une série de paliers, le long de chaînes aux maillons multiples. L’unité fonctionnelle du monde vivant ne peut être mise en doute à l’heure actuelle. Ces vastes communautés, formant une mince pellicule à la surface de la terre, sont régies par des lois strictes, aussi rigoureuses que les lois physiologiques réglant le jeu des divers organes dont se compose un individu.

Ces principes ne sont encore connus que pour une faible part, car les lois écologiques sont innombrables, complexes, et varient en fonction de données multiples que l’on ne peut dissocier facilement pour les soumettre à l’analyse. C’est d’ailleurs depuis peu d’années que l’on s’attache à leur étude rigoureuse, et toute généralisation est source d’erreurs dans ce domaine. Et l’homme se sera sans doute rendu sur la Lune, et bien au-delà, avant d’avoir percé les mystères qui entourent les êtres vivants rencontrés à sa porte.

C’est dans ce vaste complexe naturel, où nous occupons une place, que nous devons admettre d’être intégrés, en dépit d’une position spirituelle unique, et en dépit aussi d’un orgueil qui n’est qu’en partie légitime. L’étude des maux dont nous souffrons actuellement et l’analyse détaillée de leurs causes nous montrent que l’homme a enfreint gravement certaines lois. Toute son action a visé à simplifier les écosystèmes, à canaliser leurs productions dans un sens strictement anthropique et souvent à ralentir le cycle de conversion des substances organiques. Elle a tendu à séparer les éléments multiples qui se trouvent à l’origine de la richesse des habitats naturels (par exemple les eaux salées, les eaux douces et les terres des marais côtiers, un des milieux à la plus forte productivité organique du monde). L’homme a de ce fait même compromis gravement la conservation de certains habitats, liée intimement à leur complexité. Le bilan global est ainsi toujours nettement déficitaire.

Il convient cependant d’insister sur le fait que l’homme ne peut pas être un simple élément dans un équilibre vraiment naturel, et en tout cas pas dès qu’il a dépassé un certain seuil de civilisation – seuil franchi dès que le chasseur et le cueilleur de fruits sont devenus pasteur et cultivateur – en raison des qualités de son intellect3. La terre dans son état primitif n’est pas adaptée à l’épanouissement de notre espèce qui doit lui imposer certaines contraintes pour réaliser sa propre destinée. La satisfaction de nos besoins élémentaires, et avant tout de nos besoins alimentaires, exige un état de violence vis-à-vis de la nature et la transformation profonde de certains habitats, de manière à accroître dans des proportions importantes la partie de la productivité directement ou indirectement utilisable pour notre seul bénéfice. Nous ne pourrons jamais plus nous passer du champ et de la prairie aménagée.

Cela ne signifie toutefois pas que l’homme doive appliquer partout la même « recette », éradiquer la vie sauvage et transformer la surface de la terre entière à son seul profit immédiat. Cela mènerait sûrement à la ruine totale et irrémédiable de la quasi-totalité des espèces animales et végétales ; la substitution d’habitats « humanisés » aux habitats naturels, quelles que soient les conditions du milieu, se traduirait également par des perturbations graves dans les systèmes terrestres dont dépend en définitive la survie de l’homme lui-même, en affectant gravement et irrémédiablement la productivité de l’ensemble de la biosphère.

L’homme a réussi à domestiquer quelques animaux sauvages et à les modifier jusqu’à un certain point. Mais pas au-delà, de crainte de les faire périr. Il en est de même de ces vastes organismes vivants que forment les communautés biologiques. L’homme peut les asservir, les domestiquer, les transformer au point d’en faire de véritables monstres aux yeux des biologistes. Mais il ne peut le faire que sur une partie de la terre ; il doit respecter un certain équilibre et se soumettre à certaines lois qui font véritablement partie de la constitution de la matière vivante elle-même.

Or l’homme moderne a enfreint ces lois, les ayant oubliées ou, mieux, ayant cru qu’elles ne s’appliquaient plus à son espèce, dorénavant affranchie de tout contact avec le monde naturel.

Si son action a abouti à une série de catastrophes dont se plaignent les naturalistes, elle a aussi mené à des désastres sur le plan de la production de denrées dont l’homme ne peut et ne pourra jamais se passer : il sera sans doute toujours tributaire de quelques chloroplastes chargés de chlorophylle et noyés au sein d’une cellule végétale ; à leur niveau se synthétisent des matières vivantes grâce à l’énergie solaire qui s’y convertit en énergie chimique, à l’origine de longues chaînes alimentaires4 formant les biocénoses5. Ainsi l’homme sera toujours partie intégrante d’un système naturel dont il devra suivre les lois fondamentales.

L’homme a par ailleurs modifié la face du globe au point de détruire l’harmonie du cadre dans lequel il était appelé à vivre. Au lieu de paysages équilibrés, à une échelle humaine, nous avons parfois créé des milieux hideux, monstrueux, d’où tout élément à notre mesure a disparu. L’atmosphère physique et morale des habitats modernes est si transformée, si malsaine, qu’elle se trouve en contradiction flagrante avec les exigences matérielles et spirituelles de notre espèce. Le nombre croissant de maladies mentales, de névroses de toutes sortes – « maladies de civilisation » – témoigne de la profonde disharmonie entre l’homme et son milieu.

Les activités humaines, portées à leur paroxysme, poussées jusqu’à l’absurde, semblent ainsi porter en elles-mêmes les germes de destruction de notre espèce.

Ce phénomène n’est pas sans rappeler l’hypertélie observée au cours de l’évolution de certains phylums animaux : un caractère, apparu dans une lignée, est ensuite capable de se développer et de s’exagérer jusqu’à devenir nuisible et contraire aux intérêts de l’espèce, sans avoir dorénavant la moindre valeur adaptative pour celle-ci. Beaucoup de lignées ont ainsi disparu au cours des temps géologiques par suite du développement exagéré d’un caractère devenu monstrueux. On peut se demander s’il n’en est pas ainsi de l’homme et de sa civilisation technique, qui lui a permis d’abord d’atteindre un haut niveau de vie, mais dont l’excès risque de lui être fatal6.

Il est d’ailleurs symptomatique de constater que l’homme dépense de plus en plus de son énergie et de ses ressources pour se protéger contre ses propres activités et contre leurs effets pernicieux, à se protéger contre lui-même au fond. Nous semblons ainsi vivre dans un univers absurde, pour avoir tourné certaines lois qui s’appliquent à l’ensemble d’un monde dans lequel notre lignée s’est trouvée un jour émergeant d’un obscur phylum de petits mammifères sans prétentions.

 

Il faut également remarquer que l’impact de l’homme dans la nature ne sera jamais comparable à celui d’une autre espèce zoologique, car à un comportement biologique instinctif commun à tous les animaux viennent s’ajouter les effets de traditions culturelles et de croyances capables de modifier entièrement ses actions et réactions simples.

À ce point de vue il convient d’opposer les philosophies orientales à nos conceptions occidentales. Beaucoup d’Orientaux ont en effet un respect de la vie sous toutes ses formes, toutes procédant directement de Dieu ou même s’identifiant à une parcelle de Lui-même7 ; l’homme fait métaphysiquement partie d’un complexe dont il ne représente qu’un élément.

En revanche, les philosophies occidentales mettent toutes l’accent sur la suprématie de l’homme sur le reste de la création qui n’est là que pour lui servir de cadre. Ces affirmations, proférées par les philosophes païens de l’Antiquité, forment la base de l’enseignement chrétien8. Elles ont été reprises par l’ensemble des philosophes de pensée occidentale9, y compris les plus matérialistes d’entre eux, tous voyant dans l’homme la créature suprême à laquelle tout doit se trouver soumis. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la protection des animaux et des végétaux n’ait reçu aucun appui de la philosophie européenne dont notre civilisation technique procède directement.

Quelles que soient nos opinions personnelles sur ce plan élevé, cela n’influe en rien sur la solution du problème auquel nous avons à faire face. Car même si l’homme avait le droit moral d’asservir le monde à son seul et unique profit, il devrait le faire dans les meilleures conditions, et tous les biologistes sont convaincus que cela n’est possible que s’il se plie à certaines lois naturelles et en respectant un équilibre qu’il ne peut modifier au-delà d’un certain point.

 

Si le problème de la conservation de la nature a donc atteint à l’heure actuelle une gravité extrême, il faut remarquer qu’il se trouve modifié dans ses données essentielles.

Quand, à la fin du siècle dernier, les naturalistes s’effrayèrent de l’étendue des destructions opérées par ceux qui croyaient alors que les ressources de la nature étaient inépuisables, ils n’avaient en vue que la protection de certains animaux et végétaux en voie d’extinction. On institua donc des réserves où ceux-ci se trouvaient à l’abri. Et ces mesures furent suivies d’effets heureux, car elles permirent de sauver un grand nombre d’espèces de l’extermination totale et de protéger des parcelles souvent importantes des habitats primitifs.

Le problème n’est cependant plus du même ordre maintenant. Nous devons encore lutter pour sauver les derniers vestiges du monde sauvage. Mais il s’agit bien plus de préserver l’ensemble des ressources naturelles du monde entier et de garantir à l’homme un revenu lui permettant de survivre. Tout en sauvant l’humanité, on assurera la sauvegarde des êtres vivants qui constituent l’ensemble de la biosphère dont elle dépend étroitement. L’homme et la nature seront sauvés ensemble dans une heureuse harmonie, ou notre espèce disparaîtra avec les derniers restes d’un équilibre qui n’a pas été créé pour contrecarrer le développement de l’humanité, mais pour lui servir de cadre.

La conservation de la nature revêt de ce fait plusieurs aspects au premier abord fort différents, mais en fait étroitement liés. Les naturalistes continuent bien entendu à être attachés à la protection de toutes les espèces constituant le règne animal et le règne végétal, ainsi d’ailleurs qu’à la conservation d’un échantillonnage aussi représentatif que possible de tous les habitats naturels. Cette absolue nécessité s’explique également par des considérations pratiques, car nous n’avons pas épuisé les potentialités du monde sauvage, et l’étude des milieux naturels mis à l’abri dans des « musées vivants » est indispensable si nous voulons comprendre l’évolution des milieux transformés par l’homme dont ils représentent le stade initial.

Mais la conservation de la nature comporte également celle des ressources naturelles tout entières, à commencer par celle de l’eau, de l’air, et surtout celle du sol dont nous dépendons étroitement pour notre subsistance. Il convient de respecter et de gérer l’ensemble de ce capital afin d’en tirer le meilleur intérêt à long terme.

Elle comporte également la protection des paysages, pour conserver un décor harmonieux à la vie et aux activités de l’homme. Trop souvent nous avons défiguré des régions entières par des implantations industrielles mal conçues ou par des mises en culture ne respectant pas une certaine harmonie avec le site. L’homme a besoin d’équilibre et de beauté, et ceux qui se croient le plus insensibles à l’esthétique la recherchent beaucoup plus avidement qu’ils ne se l’imaginent.

Il convient à l’heure actuelle de se pencher sur ces différents problèmes et de trouver une solution générale, à savoir un aménagement rationnel de la surface de la terre. Les plans de développement, de mise en valeur d’un pays doivent tenir compte de la vocation propre des terres et ménager, en particulier dans les zones marginales, des étendues aussi vastes que possible où les habitats naturels seront préservés tantôt dans leur état intégral, tantôt dans un état voisin.

Il est urgent que cesse un vieil antagonisme entre les « protecteurs de la nature » et les planificateurs. Il faut sans doute que les premiers comprennent que la survie de l’homme sur la terre exige une agriculture intensive et la transformation profonde et durable de certains milieux, et qu’ils abandonnent de ce fait beaucoup de préjugés sentimentaux, dont certains ont nui gravement à la cause qu’ils défendent.

Mais il faut en revanche que les technocrates admettent que l’homme ne peut s’affranchir de certaines lois biologiques, que l’exploitation rationnelle des ressources naturelles ne signifie nullement leur dilapidation ou la transformation automatique et complète des habitats. Il faut aussi qu’ils comprennent que la conservation des milieux naturels sur une portion du globe constitue elle aussi une utilisation des terres, au même titre que leur modification. Une entente réaliste entre les économistes et les biologistes peut et doit mener à des solutions de bon sens et assurer le développement rationnel de l’humanité dans un cadre en harmonie avec les lois naturelles.

Ceux qui s’occupent de conservation de la nature ont souvent, curieusement, mauvaise conscience. Ils semblent s’excuser de retrancher certaines parties de la terre de l’influence humaine et priver ainsi l’homme d’un juste bénéfice. Il convient qu’ils abandonnent au plus vite cette attitude et qu’ils se délivrent de ces complexes de culpabilité et d’infériorité. Leur point de vue et leurs opinions sont aussi défendables que celles des ingénieurs chargés de la transformation d’une région. Comme eux et avec eux, ils doivent contribuer à la mise en valeur totale d’un territoire, ce qui implique le maintien dans leur état originel d’une partie des habitats naturels. La préservation d’espèces rares ne constitue que la plus connue des multiples raisons qui justifient le bien-fondé de cette affirmation.

Il s’agit donc d’un équilibre entre l’homme et la nature. Ce terme « équilibre naturel » a été très mal compris et a donné lieu à de nombreuses controverses. Pour certains, il conserve des aspects romantiques et fait penser à Jean-Jacques Rousseau et à Bernardin de Saint-Pierre. Les biologistes, hommes de science aussi pragmatiques et aussi réalistes que les ingénieurs, n’y voient cependant ni un rêve de poète ni une utopie aimable. Ils admettent parfaitement que l’homme doit modifier une partie de la surface de la terre à son seul profit, et y intervenir par des moyens parfaitement artificiels. Leur notion de l’« équilibre naturel » envisagé sous son angle le plus dynamique tient compte de facteurs strictement anthropiques10. Mais elle dénie à l’homme le droit de transformer toute la surface de la terre, parce qu’une telle action irait à l’encontre de ses intérêts lointains.

Il s’agit au fond de réconcilier l’homme avec la nature. De le persuader de signer un nouveau pacte avec elle, car il en sera le premier bénéficiaire. Ce problème est à résoudre en bloc ; sa solution permettra au monde sauvage de survivre sur une fraction de la planète, et simultanément à l’homme de retrouver un équilibre matériel et moral qui lui fait actuellement défaut. Elle lui permettra aussi de réaliser sa propre destinée et de préserver dans les meilleures conditions un patrimoine culturel qui lui appartient en propre. Le degré de civilisation ne se mesure pas seulement au nombre de kilowatts produits par les sources d’énergie. Il se mesure surtout à un grand nombre de critères moraux et spirituels, et à la sagesse des hommes participant à une civilisation dont ils veulent assurer la pérennité dans le cadre le plus favorable à son épanouissement. En accord avec des lois naturelles dont l’homme ne parviendra jamais à se libérer, car elles sont écrites dans la constitution même du monde.

 

Comme l’a dit Albert Schweitzer, « le destin de toute vérité est d’être ridiculisée avant d’être reconnue ». Au moment de terminer cet ouvrage, nous sommes pleinement conscients des critiques qui nous seront adressées. Les unes viendront de protecteurs de la nature attardés, ayant conservé la nostalgie du Néolithique ; ils regretteront que nous n’ayons pas entrepris avec plus de passion et de sentimentalisme la défense de la nature. Les autres viendront de technocrates qui jugeront que nos conceptions sont dépassées par le progrès technique dans lequel ils ont foi, leur ferveur les poussant à appliquer leurs principes jusqu’à l’absurde.

Nous ne croyons pas moins en la valeur d’un jugement nuancé, d’une solution de bon sens et d’un compromis entre les besoins légitimes de l’homme et la nécessité de placer celui-ci dans le cadre d’un monde dont l’unité biologique ne peut faire de doute.

Nous avons également conscience que bien des aspects de l’influence de l’homme sur la face de la planète ont été omis. Les questions soulevées sont en réalité innombrables et il nous a fallu faire un choix parmi des sujets qui touchent à des matières allant de la sociologie et de l’économie politique – parfois de la politique – à la biologie et à la géologie. Notre ambition n’a été que de « décanter » un problème aux aspects multiples, dans l’analyse duquel toute généralisation est par ailleurs source d’erreurs.

Les biologistes ont acquis la certitude que l’homme ne pourra réaliser sa destinée que dans un cadre harmonieux, en se soumettant à certaines lois naturelles immuables. Il est à souhaiter que l’humanité entende leur message. Chacun pourra alors dire avec le héros de Tchekhov : « Vous me regardez avec ironie, tout ce que je vous dis vous semble périmé et peu sérieux, mais quand je passe à proximité d’une forêt que j’ai sauvée du déboisement, ou encore quand j’entends bruire un jeune bois que j’ai planté de mes propres mains, je sens que le climat lui-même est un peu en mon pouvoir, et que si dans 1000 ans l’homme doit être heureux, ce sera un peu grâce à moi. »

 

Un ouvrage touchant à une aussi grande variété de sujets ne saurait être écrit sans le concours de spécialistes des branches les plus diverses. C’est pour moi un agréable devoir de remercier tous ceux qui m’ont prodigué leurs conseils tout au long de sa rédaction.

Je suis particulièrement reconnaissant à M. le professeur Roger Heim, membre de l’Institut, directeur honoraire du Muséum national d’histoire naturelle, qui m’a incité à écrire ce livre.

Mes remerciements iront également à ceux qui ont relu certains chapitres et m’ont fait bénéficier de leurs critiques, en particulier MM. F. Bourlière, M. Blanc, P. Ducourtial, R. D. Etchécopar, F. Fournier, D. J. Kuenen et G. Tendron.

L’indispensable documentation a été mise à ma disposition par de nombreuses personnalités. Je ne peux les citer toutes. Je tiens néanmoins à exprimer des remerciements tout particuliers à MM. J. R. Aubry, J. G. Baer, J. H. Baker, C. L. Boyle, R. C. Clement, J. H. Calaby, K. Curry-Lindahl, G. W. Douglas, R. G. Fontaine, E. H. Graham, L. Hoffmann, Mrs R. H. McConnell, Mlle J. Mignon, MM. R. R. Miller, R. H. Pough, H. Siriez, au regretté professeur V. van Straelen, à sir George Taylor et à E. B. Worthington.

Les dessins au trait sont dus au talent bien connu de mon ami Paul Barruel. Les cartes et les graphiques ont été réalisés par M. J. Brouillet. Mlle Odile Jachiet a assuré avec très grand soin la préparation des manuscrits.

Que tous veuillent voir ici l’expression de ma gratitude.

Paris, le 23 mars 1964.J. D.

Notes concernant la sixième édition

 

Le douzième anniversaire de la sortie des presses de cet ouvrage pourrait être l’occasion d’une refonte complète du texte, notamment des chapitres traitant des pollutions, des pesticides et de la gestion de l’espace. Bien des éléments nouveaux sont en effet intervenus et d’innombrables publications leur ont été consacrées, particulièrement dans le domaine des pollutions, une des préoccupations majeures de l’époque contemporaine.

La situation n’a toutefois pas changé d’une manière fondamentale. Les données récemment acquises me confortent simplement dans les opinions émises il y a plus d’une décennie, et leur donnent souvent une dimension supplémentaire. Je me suis donc contenté de réviser les divers chapitres et d’évoquer d’une manière plus détaillée quelques-uns des grands problèmes de l’heure, comme le devenir des forêts humides des tropiques et l’impact des nouvelles formes d’énergie.

Il aurait sans nul doute fallu insister plus longuement sur les divers aspects de notre attitude vis-à-vis de la biosphère, et aborder aussi les questions sous leurs angles économiques, sociologiques, voire politiques. J’ai préféré rester dans le domaine de la biologie, qu’il est toutefois impossible de dissocier entièrement des autres.

L’éveil du sentiment de responsabilité parmi les hommes est un facteur très encourageant, bien qu’il n’ait pas toujours trait aux problèmes majeurs. Les pollutions sont à l’origine de cette prise de conscience, chacun pouvant mesurer lui-même l’étendue et les effets des nuisances. Les moyens techniques actuellement à notre disposition permettent de les réduire et même de les prévenir. La question est de savoir si la société est prête à en payer le prix et si celui-ci ne dépasse pas ses possibilités. La volonté de mettre réellement les moyens en œuvre manque encore : pour beaucoup le pollueur est toujours le voisin.

Les pollutions ne représentent cependant qu’un des aspects de problèmes beaucoup plus vastes, qui resteraient à résoudre même si toute souillure était effacée. D’une essence différente, ils proviennent d’une méconnaissance des mécanismes des systèmes biologiques et de leur mauvaise utilisation par l’homme. Ces atteintes, ignorées du public et sous-estimées des économistes et des responsables politiques, sont néanmoins considérées par les biologistes comme les menaces les plus sérieuses pesant sur la vie et l’avenir de l’humanité. Nous assistons à une dégradation profonde des écosystèmes les plus importants sous l’influence de transformations intempestives, surtout dans les régions tropicales, où se trouvent les pays en voie de développement, ceux qui connaissent les plus grandes difficultés et les situations les plus critiques. Mais les régions tempérées ne sont pas épargnées. Il suffit de mesurer les méfaits du remembrement exagéré des terres agricoles, de l’abandon de zones marginales privées du « tissu humain » qui les maintenait en équilibre et de la mauvaise gestion de l’espace naturel livré à l’implantation industrielle et urbaine, sans préoccupations écologiques, pour être pénétré de ces tristes réalités. Les activités de loisir sont elles aussi génératrices de perturbations sérieuses quand elles sont encouragées sans tenir compte des impératifs biologiques. Les habitats montagnards souffrent de la création inconsidérée de stations de sports d’hiver. Les installations touristiques des bords de mer ont entraîné la destruction d’habitats fragiles particulièrement intéressants et une privatisation de l’espace au profit de promoteurs tels que ceux qui construisent actuellement le « mur de l’Atlantique » le long des côtes de France.

Des progrès ont malgré tout été réalisés. La « bataille de l’environnement », qui se poursuivra jusqu’à la fin des temps, a ses communiqués de victoire pour les naturalistes. Les pouvoirs publics sont de plus en plus conscients que la conservation de la nature est synonyme de la protection de l’homme lui-même. Les législations, de plus en plus rigoureuses, ont des bases écologiques. La loi sur la protection de la nature, enfin adoptée, par le Parlement français, en est une preuve supplémentaire.

 

En révisant les données de cet ouvrage, j’eus la joie de constater que les effectifs de quelques espèces gravement menacées sont légèrement accrus. Sans doute une augmentation de quelques unités d’une population relictuelle se chiffrant par dizaines, voire moins, ne met-elle pas l’espèce à l’abri. Il n’en demeure pas moins vrai que la tendance est renversée, ne serait-ce que pour certains animaux qui figurent quand même encore parmi les « fossiles de demain ». Nos efforts sont plus nécessaires que jamais.

Que faire maintenant ? Nos actions à court terme continuent à être indispensables. Longtemps encore, sinon toujours, nous devrons être les « pompiers de l’environnement ». Il faudra parer au plus pressé, car nous risquons de perdre une partie notable de notre patrimoine naturel dans un proche avenir. La flore et la faune, les communautés naturelles qu’elles constituent, régressent d’une manière alarmante, ce qui entraîne un appauvrissement biologique et une diminution parfois brutale du capital génétique et de la diversité de la biosphère. Des paysages naturels prestigieux sont en voie d’être saccagés d’une manière irrémédiable. La France et bien d’autres pays sont peu à peu défigurés. À nous de veiller et d’intervenir, même par des actions ponctuelles, pour empêcher ces crimes contre nature.

Mais nous devons aussi préparer l’avenir et par une prospective originale contribuer à définir la politique du monde de demain. Nous traversons actuellement une véritable crise de civilisation, peut-être la plus grave de notre histoire, car elle concerne l’ensemble de la planète. La révolution industrielle arrive au point crucial de son évolution. On peut s’interroger sur son devenir et sur celui de notre civilisation prise dans son ensemble.

Notre économie a été bâtie pendant des décennies sur une expansion continue, dont les « plans » que font tous les gouvernements fixent le taux. Cette « fuite en avant » peut avoir à court terme des effets positifs en améliorant les conditions de vie de beaucoup d’hommes, surtout dans les pays en voie de développement, et parmi les classes les plus défavorisées des pays industrialisés. Mais à longue échéance, un développement exponentiel devient absurde, puisqu’il a nécessairement pour cadre un monde clos, aux limites précises que nous ne pouvons pas reculer. Nous vivons dans un véritable vaisseau spatial, où les ressources sont proportionnellement aussi limitées que dans ceux que nous envoyons dans l’espace. Il arrivera un moment où nous ne pourrons plus satisfaire des besoins en progression géométrique, parce que les ressources naturelles du globe n’y suffiront plus.

Nous allons donc être obligés de faire des choix et ne plus nous baser sur la situation actuelle et sur l’augmentation des besoins au cours des dernières décennies pour prédire, en extrapolant, le volume de la consommation future. Le président de la République française a récemment déclaré que « le temps de la croissance sauvage est terminé ». Cette déclaration annonce, avec bien d’autres symptômes, un tournant de notre histoire.

Car il faut maintenant s’interroger sur les véritables finalités de notre économie et de nos actions. Il ne s’agit plus de contempler la courbe d’accroissement du nombre de véhicules automobiles et de kilomètres d’autoroutes et, en les prolongeant, prophétiser ce que seront nos besoins dans 10 ans ou en l’an 2000. Le moment est venu, non de savoir si nous pourrons satisfaire de tels besoins, car ce sera de toute manière impossible, mais de trouver d’autres solutions. Il en est de même de la consommation de l’espace, des ressources naturelles et de l’énergie.

Il nous appartient maintenant de définir et de mettre en œuvre une nouvelle politique. La révision complète de nos conceptions ne sera acceptée qu’avec peine par une humanité qui, jusqu’ici, a vécu dans une foi illimitée dans le développement économique. Cette nécessité concerne particulièrement les pays industrialisés qui exercent la plus forte pression sur la biosphère. Quant aux pays en voie de développement, ils se trouveront sans doute dans l’obligation de repenser leur politique économique avant d’avoir atteint le stade du gaspillage et de la surconsommation de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Cela n’en sera que mieux pour le bien-être réel de leurs peuples.

Plutôt que de nous attacher à des problèmes plus immédiats, nous devons nous tourner vers des solutions d’ensemble, dans le cadre d’une écologie politique. Nous n’allons pas essayer de reconstruire le monde comme nous aurions souhaité le voir en 1950. C’est du monde de demain qu’il s’agit, et c’est à nous qu’il appartient d’être les « avocats du futur » comme les a définis Robert Jungk.

Une nouvelle société est en train de naître dans les douleurs de l’enfantement. Une rupture avec la précédente est peut-être inévitable ; elle n’est pas souhaitable, car il serait heureux que la transition soit sans heurts, comme dans une évolution naturelle. Un changement dans l’échelle des valeurs est possible sans conflits majeurs. L’homme aura-t-il la sagesse de le ménager ? Cela est possible si nous savons devancer l’événement par notre attitude.

Nous ne pouvons remettre à plus tard des réflexions et des décisions que nous devrons inévitablement prendre un jour, à chaud, sous la pression d’événements nous interdisant toute échappatoire. Le temps du choix encore serein arrive à son terme. À nous de ne pas attendre son échéance. Dans cette perspective les discussions sur certaines conceptions politiques paraissent complètement dépassées dans le contexte de l’évolution des sociétés industrielles et de celles qui n’ont pas encore atteint ce stade. L’enjeu est ailleurs, et les disputes d’école aussi vaines que les arguties byzantines qui précédèrent la chute de cet Empire. À cette différence près que, cette fois-ci, l’Empire est notre planète entourée du vide intersidéral, et non plus un morceau limité de la terre, laissant autour de lui des réserves et ménageant des chances de survie à la civilisation et à l’humanité.

Sortons de l’ornière et renonçons aux déformations caricaturales de notre civilisation technologique poussée à l’extrême, sans pour autant tomber dans une utopie dangereuse. Mais on en vient parfois à se demander si ce ne sont pas les utopistes qui ont raison.

Paris, le 25 juillet 1976.J. D.

1.

. On ne peut s’empêcher de penser à ce qu’a écrit Le Corbusier, en ayant plus spécialement l’habitat humain à l’esprit : « Ivre de vitesse et de mouvement, on dirait que la société tout entière s’est mise, inconsciemment, à tourner sur elle-même : à la façon d’un avion qui serait entré en vrille au sein d’un banc de brume de plus en plus opaque. De cette ivresse-là, on ne s’évade qu’à la catastrophe, quand on s’est cloué, percutant, dans le sol » (Manière de penser l’urbanisme).

2.

. Cette expression désigne l’ensemble des diverses populations, végétales et animales, peuplant un habitat déterminé.

3.

. Comme l’a dit avec beaucoup de justesse le professeur Emberger dans un remarquable article consacré aux relations de l’homme et de la nature, « l’homme, parce que doué d’une intelligence libre, est devenu un faussaire de la Nature, un agent de désordre » (Actes Soc. Helv. Sci. nat., 140e réunion, 1960 : 31-43).

4.

. On désigne sous le nom de chaîne alimentaire une série d’espèces constituant une même association, chacune vivant aux dépens (prédateur ou parasite) de celle qui la précède dans la série.

5.

. Biocénose : unité écologique comprenant les populations animales et végétales d’un même habitat.

6.

. C’est ce que Fraser Darling appelle plaisamment « Irish-elkism », par comparaison avec l’évolution du grand Cervidé d’Irlande. Au cours de son évolution, ce Cervidé différencia des bois de plus en plus grands, au point que cette monstruosité contribua sans nul doute à l’extinction naturelle de cet animal. De nombreux cas similaires se retrouvent dans l’évolution des êtres vivants ; il y en a beaucoup aussi dans l’évolution des races et des populations humaines comme l’auteur le rappelle à propos des civilisations anciennes du Mexique (Pelican in the Wilderness, New York, 1956).

7.

. On rappellera à ce point de vue les paroles de Shri Ramakrishna : « Dieu est immanent dans toutes les créatures. Il existe même dans la fourmi ; la différence n’est que dans la manifestation. » Les règles du taoïsme, qui elles aussi proclament l’unité de toutes les existences, prescrivent le respect de la vie sous toutes ses formes, sauf en cas d’absolue nécessité pour l’homme. Elles demandent par exemple au fermier qui a fauché des fleurs par milliers en coupant le foin destiné à son bétail de ne pas heurter par amusement une seule d’entre elles sur le bord de la route, car cet acte est contraire à l’éthique à laquelle il doit se plier. On trouve également des considérations de ce genre dans le Livre des récompenses et des peines, recueil chinois du XIe siècle environ, dont un grand nombre de sentences concernent la protection que l’homme doit accorder aux animaux et aux plantes, même les plus humbles. Les philosophies et les religions orientales, particulièrement le bouddhisme et l’hindouisme, fourmillent de considérations de ce genre.

8.

. Qu’il nous suffise de transcrire un texte révélateur des Écritures : « Dieu les [l’homme et la femme] bénit et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre, et l’assujétissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. Et Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture » (Genèse 1. 28-29).

9.

. Parmi tant d’autres, tout aussi célèbres, Descartes, qui a d’ailleurs déclaré que nous devions nous rendre maîtres et possesseurs de la nature (Discours de la méthode), considérait que les animaux n’étaient que des machines indignes de notre sympathie, et Kant pensait que l’homme n’a de devoirs qu’envers lui-même.

10.

. Cette notion d’équilibre est parmi les plus difficiles à définir, celui-ci pouvant s’établir à un très grand nombre de niveaux. Tout au long de cet ouvrage nous emploierons ce terme sans aucun esprit dogmatique et en ne lui donnant jamais une acception statique.

Le principe même de la conservation de la nature doit consister à trouver un équilibre entre l’homme et les habitats sauvages, tel que nous retirions à long terme le rendement maximal des ressources non renouvelables, tout en assurant la survie de l’ensemble des éléments de la faune et de la flore.