Professeur Roger Heim,
membre de l’Institut de France
Ornithologue de valeur, dont la réputation a dépassé de loin le périmètre de notre Hexagone, titulaire au Muséum national d’histoire naturelle d’une chaire où les recherches scientifiques sur les Mammifères et les Oiseaux, leur systématique et leur comportement, leurs particularités physionomiques et leur biologie, ont toujours été accompagnées d’un souci profond de leur protection, successeur de l’éminent naturaliste, le professeur Jacques Berlioz, qui, lui aussi, a apporté une pierre pesante à l’édifice, sans cesse colmaté, élevé par les défenseurs des équilibres naturels, M. Jean Dorst offre non seulement derrière lui, et déjà, une longue liste de publications variées où les études rigoureuses et originales voisinent avec les prolongements didactiques de haute vulgarisation, mais aussi les raisons d’un savoir enrichi au contact de la Nature sauvage, en Amérique du Sud, en Afrique tropicale et australe, et ailleurs. Il a joué un rôle cardinal dans les enquêtes préliminaires qui ont permis de réaliser l’espoir formulé il y a une dizaine d’années de sauver la faune et la flore de cet étrange archipel des Galapagos, primitif, antédiluvien, peuplé d’êtres quasi fantasmagoriques, ultimes reliques vivantes d’un passé que l’Homme lui-même n’a pas connu. Désormais, grâce en grande partie à ses rapports de missions, le centre d’études international que nous avions souhaité a pu être édifié en ce lieu dont les humains du XXe siècle feront – nous voulons encore l’espérer – le temple respecté et sanctifié livré par eux-mêmes, avec leur promesse de le vénérer, comme une offrande suprême de l’Homme à la Nature. M. Dorst préside aujourd’hui le comité qui régit le fonctionnement de cette station Charles-Darwin portant le nom du grand naturaliste puisque celui-ci avait puisé aux Galapagos des éléments essentiels à l’édification et à la maturation de sa doctrine évolutionniste.
De même, M. Dorst s’est exprimé sans ambages sur la gravité d’une explosion démographique à laquelle bien des pays sont aujourd’hui exposés. Certes, il n’abordera pas de front cette question pour ce qui est du nôtre, où, déjà, les conséquences préoccupantes de cette enflure se font sentir, montrant l’impuissance explicable des pouvoirs publics à faire face à des obligations disproportionnées avec nos moyens, que ce soit l’enseignement, la construction, le réseau routier, l’hospitalisation, et le budget, tandis que d’autre part la destruction des sites, des côtes, la pénétration des habitations dans les forêts, l’imposition des grands ensembles immobiliers, dilacèrent, épuisent, déforment, labourent, uniformisent la Nature telle que les hommes, en accord avec elle, l’avaient conservée pour notre bonheur. L’auteur sait bien que le problème de la faim n’est pas la seule raison d’où naissent des inquiétudes chaque jour mieux affirmées. Des facteurs politiques, inspirés d’un anticolonialisme primaire et démodé, comme ceux que mettent en avant des économistes tendancieux – je pense à M. Josué de Castro –, des raisons d’ignorance aussi – dont les grands organismes internationaux se sont fait les tremplins –, des affirmations gratuites – comme celles qui prétendent que l’augmentation du taux des naissances est liée étroitement à la sous-alimentation –, ont conduit ici encore à une optique faussée, déformée par des incidences passionnelles. Les origines des pays dits sous-développés tiennent souvent à leur propre pouvoir surtout destructeur, à l’attention qu’ils n’ont pas su prêter à la sauvegarde de leurs sols, à la lutte contre l’érosion, sans cesse plus envahissante et qui se montre plus active sur les habitats créés par l’homme, ou contre la déforestation, contre le colmatage des barrages, contre l’épuisement des terres, contre l’assèchement des marais, contre certains procédés de culture, itinérante ou extensive, et, pour les pays surdéveloppés comme le nôtre, à l’inertie vis-à-vis des pollutions, au gaspillage, à la suppression des refuges – les haies, les boqueteaux, les tourbières –, à l’emploi aveugle des antiparasitaires.
M. Dorst saura également, en diverses occasions que nous offre son manuscrit, mettre en avant l’aspect moral ou esthétique des conséquences de cet immense sujet que constituent la prolifération de l’espèce humaine et les dégâts qui sont à la mesure de sa puissance, de ses moyens. Les conclusions de ce chapitre pourraient tenir en deux phrases. À propos de la pullulation urbaine, celle de M. Dorst mérite d’être rappelée : « Une conséquence de ce développement monstrueux des villes a été de leur faire perdre leur âme. » Et nous ajouterons : « Une politique de surnatalité aurait pour effet d’entraîner la France vers la situation des pays sous-développés, alors que certains en attendent l’inverse. » Nous voulons espérer que les plans d’aménagement du territoire s’inspireront, non plus de la prétendue nécessité de la démoustication, par exemple, dont la disproportion entre la cause et les effets permet de mesurer à la fois la gravité des résultats, et l’ampleur du ridicule qui en est à la base, mais de réalisations, de conceptions, de compromis sérieusement établis, reposant sur les conseils, non plus seulement d’architectes, de technocrates ou d’économistes, mais d’écologistes, de biologistes, d’agronomes compétents, de forestiers, de médecins. Nous sommes persuadé pour notre part, comme le professeur Dorst, que ce concept d’aménagement, enfin introduit par le gouvernement dans l’étude du devenir de notre territoire, pourrait marquer une étape décisive et heureuse. Mais si le terme d’aménagement, contrairement au mot nébuleux de prospective, peut être appuyé sur la réalité des faits, nous n’avons pas encore l’assurance que les pressions de l’incompétence n’éloignent les résultats du but initial. Les parlementaires et de hauts fonctionnaires pourront lire avec beaucoup de profit les pages que M. Dorst consacre à ces questions (p. 240 à 269), puisque le vote, acquis à l’unanimité par les deux Assemblées françaises, d’une loi concernant la démoustication, aux conséquences catastrophiques sur le territoire national, suffit à prouver combien ce siècle de la recherche scientifique reste encore, et mieux que tous les autres, celui de l’ignorance.
Ce matin-là, je fus réveillé par le boy qui me tira littéralement hors du lit en criant : « Mossié, ils sont arrivés ! vite ! vite ! » En quelques secondes, j’étais debout et habillé, et nous sautâmes dans la Jeep, qui bientôt roulait sur les cahots de la piste détrempée, vers le sud. Les arbres de la forêt semblaient des fantômes, encore enveloppés d’une brume bleutée sauf les cimes, qui trouaient le brouillard. Nous faillîmes écraser les quatre marcassins d’une famille de phacochères qui traversaient en toute hâte le chemin devant nous. Et bientôt nous étions arrivés au bord de la vaste étendue marécageuse où les champs de joncs se partageaient avec les eaux vives le miroir d’une nappe argentée. Ils étaient là, les onocrotales vagabonds, les pélicans migrateurs, venus du nord. Depuis une heure, ils occupaient l’escale et se préparaient à un nouvel envol. Groupés en fer à cheval selon cinq compagnies, séparés l’un de l’autre par la distance égale à l’envergure de leurs ailes qui à tout instant battaient d’impatience la surface de l’eau, les crochets des becs brillant comme le rouge des cerises, parfois dressant leurs plumages couleur de chair, les soldats, équidistants, attendaient les ordres. Au centre, le grand chef se tenait, raide, comme dans l’attente du silence, devant l’immobilité relative de l’armée. Alors, de chaque groupe, se détacha l’officier qui lentement, d’un pas qui put paraître malhabile, mais décidé, alla rejoindre le maître d’œuvre. Et le plus étonnant colloque se déroula, dans une sorte de conversation d’état-major, où les arguments, semblait-il, commandaient les ordres. Puis les chefs d’escadrilles rejoignirent leurs oiseaux. Le général des pélicans plastronna quelques brefs instants, dominant sa multitude, gonflé de la fierté du maître, dressé dans son plumage impérial, l’œil rouge braqué sur ses bataillons. Et il piqua brusquement vers le sud. Alors, chaque compagnie, l’une après l’autre, dans de vibrants bruits d’ailes, s’éloigna sur le soleil levant, après avoir décrit un ove dans le ciel, comme pour y laisser à mes yeux sa trace. Et chacune prit le large selon la ligne de percée qui lui avait été tracée par le haut commandement.