La Mésopotamie (du grec mesos et potamos, entre les fleuves) correspond à peu près à l'Irak actuel quant à sa localisation. C'est une plaine, arrosée par le Tigre et l'Euphrate, dont la partie basse, alluvionnaire, gagne sans cesse sur le Golfe Persique grâce aux apports fluviaux ; d'où un déplacement du littoral qui se trouvait dans l'Antiquité bien en arrière de l'emplacement où il est aujourd'hui. À l'est, cette plaine fluviale est bordée par le massif montagneux du Zagros qui termine le plateau iranien ; à l'ouest, par le désert de Syrie ; au nord, par les montagnes de l'Arménie où les deux fleuves prennent leurs sources.
Ces deux fleuves, qui vont s'alentissant lorsqu'on les descend, inondent chaque année la Basse-Mésopotamie. Leurs crues, moins régulières que celles du Nil, commencent en mars, atteignent leur maximum en mai, puis décroissent pour s'achever en septembre. Du fait du limon qu'elles déposent, la Basse-Mésopotamie a une terre fertile qu'il faut cependant irriguer en raison de la chaleur du climat. La partie nord a une terre qui bénéficie moins de ces crues, mais elle est plus tempérée et porte une végétation plus variée.
La Mésopotamie était déjà habitée par des hommes au Paléolithique (avec un climat plus froid, la dernière glaciation s'achevant au début du Xe millénaire). En raison du rabotage que les deux fleuves ont exercé, on ne trouve pas de traces des hommes de cette époque en Mésopotamie proprement dite, mais seulement dans les vallées du Zagros. Les restes de villages les plus anciens remontent au VIIe millénaire pour la Haute-Mésopotamie, et au VIe millénaire pour la Basse-Mésopotamie. Ces restes, s'ils donnent quelques indications sur le mode de vie de l'époque (outils de pierre, céramique, culture villageoise...), ne permettent pas de tracer une histoire au vrai sens du terme ; ils relèvent de la préhistoire. La période historique commence vers 3500, à Sumer et en Élam2. Cette époque et ce lieu se caractérisent par des innovations techniques qui, peu à peu, diffusent dans le reste de la Mésopotamie ; et notamment par l'apparition de l'écriture. Les éléments phonétiques de cette écriture laissent penser qu'elle servait pour une langue, le sumérien, de type asianique et non pas sémitique (voir l'encadré « Les peuples et les langues », page 59). On en induit que le peuple à l'origine de cette civilisation, les Sumériens, était asianique et non pas sémitique comme les autres habitants de la région. Était-il autochtone ou envahisseur ? Les avis des spécialistes sont partagés à ce sujet.
Quoi qu'il en soit, c'est vers 3500 que l'on fait commencer cette nouvelle phase de la civilisation en Mésopotamie, qu'on appelle la période d'Ourouk. Il semble qu'alors, à Sumer et en Élam, la population était organisée en petites communautés à la fois urbaines et agricoles, indépendantes les unes des autres, gouvernées par des rois représentant la divinité tutélaire. Ces communautés progressent peu à peu en taille et dans leurs capacités techniques, d'abord dans le Sud, puis en Haute-Mésopotamie qui semble à cet égard sous la dépendance des cités du Sud.
Ces dynasties étaient héréditaires ; on possède des listes de rois, plus ou moins mythiques, remontant très loin dans le temps (comme la première dynastie de Kish qui prétend dater de 25 000 ans, ou celle d'Ourouk à laquelle appartient Gilgamesh, héros d'une épopée célèbre). La dynastie d'Our est, elle, historique et beaucoup plus modeste puisqu'elle ne remonte qu'à 2500, date approximative à laquelle elle est fondée par Mes-anni-padda. D'autres dynasties de même type coexistent à Lagash, Kish, Ourouk, etc. Ces dynasties sont souvent en rivalité ; les cités les plus importantes dominent celles de moindre envergure, et se combattent les unes les autres. Vers 2325, Lugalzaggisi, roi d'Oumma, étend sa domination à toute la Mésopotamie, créant ainsi le premier « empire » sumérien.
Cet empire éphémère (vingt-cinq ans) est renversé par Sargon (ou Sharrou-kin, ce qui signifie « roi légitime » en akkadien), le fondateur de la dynastie sémitique d'Akkad (Akkad ou Agadé est une ville, non encore localisée exactement, qui se trouvait dans les environs de Kish ; le nom d'Akkad désigne toute cette région nord de la Basse-Mésopotamie). Sargon va étendre son empire en Asie Mineure, en Élam et jusqu'en Arabie orientale.
Cet empire akkadien, trop vaste pour les moyens de contrôle de l'époque, ne sera jamais très stable, tant du fait de révoltes intérieures de cités voulant reprendre leur autonomie que de celui de peuples voisins convoitant la riche plaine de Mésopotamie (comme les Goutis qui habitent les pentes du Zagros, ou les Amorrites, pasteurs de la bordure orientale du désert de Syrie). Malgré cela, pendant 150 ans, Sargon et ses successeurs parviennent à imposer, de manière souvent brutale, la civilisation akkadienne à toute la région, tant pour la langue, la religion que la technique. Finalement, l'empire s'écroule vers 2125, et la ville d'Akkad est détruite.
Les Goutis (peuple du Zagros) s'installent alors en Mésopotamie. Quelques cités leur échappent cependant ; notamment Lagash où le règne de Goudéa voit une renaissance de la civilisation sumérienne, et Our où Ournammou fonde vers 2100 la IIIe dynastie de cette cité. Lagash décline à la mort de Goudéa, mais le successeur d'Our-nammou, Our-shoulgi, fonde un nouvel empire sumérien. Celui-ci compte encore trois souverains, puis est détruit vers 2000, à la fois par les attaques de peuples périphériques et la révolte de cités qui prennent leur indépendance.
Deux d'entre elles, Isin et Larsa, prédominent et entrent dans une rivalité dont les rois de Larsa sortent vainqueurs en 1794. Toutefois, à la même époque, profitant de la destruction de l'empire sumérien de la IIIe dynastie d'Our, les Amorrites s'infiltrent dans le pays. Vers 1900, l'Amorrite Soumou-Aboum se fait proclamer roi de la petite ville de Babylone, qui va peu à peu accroître son pouvoir. Dans le Nord, se forment les royaumes de Mari et d'Assour, un moment fusionnés en un seul royaume assyrien par Shamsi-Addou, roi d'Assour (1813-1783).
Hammourabi (1792-1750), sixième roi de la première dynastie de Babylone (qui dura de 1894 à 1595), prend le royaume de Larsa (qui avait vaincu celui d'Isin), Mari, et envahit l'Assyrie. Se crée ainsi un nouvel empire dont la capitale, Babylone, devient un centre politique, religieux, culturel et commercial de première importance. Notons que c'est sans doute sous le règne d'Hammourabi qu'il faut placer l'épisode biblique du départ d'Abraham de la ville d'Our pour Canaan (peut-être en raison d'une domination de Babylone sur cette ville d'Our).
À ce moment, l'élément asianique sumérien est complètement submergé par l'apport sémitique, mais la culture sumérienne reste vivace et sous-jacente (non seulement l'écriture prévalant dans la région est l'écriture sumérienne, adaptée à la langue akkadienne, mais la langue sumérienne, remise à l'honneur sous la IIIe dynastie d'Our, sera encore longtemps la langue de la religion et de la culture bien qu'elle soit devenue une langue morte, supplantée par la langue akkadienne). (Voir l'encadré « Les peuples et les langues », page 59.)
A la fin du IIIe millénaire et au début du IIe, se produisent les migrations indo-européennes qui vont apporter de nouveaux éléments culturels. Des Indo-Européens (venus peut-être d'Europe centrale ou du sud de la Russie) s'installent dans le pays de Hatti et fondent le royaume hittite. D'autres s'installent dans le Hourri, ou bien parmi les Kassites dans le Zagros. Les migrations s'étendent jusqu'à la vallée de l'Indus. On doit rattacher à ces mouvements de peuples la conquête de l'Égypte par les Hyksos et l'installation des Achéens sur les côtes et les îles de la mer Égée (voir les chapitres consacrés à l'Égypte et à la Grèce).
Après Hammourabi, l'empire babylonien s'affaiblit pour des raisons politiques et économiques. Sous les coups de peuples périphériques (les Kassites mêlés d'Indo-Européens) et la révolte de cités qui prennent leur indépendance (cité d'Ouroukouga), il se réduit bientôt au seul pays d'Akkad. En 1595, les Hittites envahissent Babylone de manière éphémère. Ce sont finalement les Kassites (déjà repoussés en 1741) qui s'y installent et fondent la IIIe dynastie de Babylone (dite dynastie kassite), qui durera jusqu'au XIIe siècle av. J.-C.
Tandis que les Hittites fondent leur royaume en Cappadoce, les Hourrites créent le royaume de Mitanni, asservissent l'Assyrie, et menacent les possessions asiatiques de l'Égypte. Toute cette période voit des bouleversements très importants, au gré des fluctuations de puissance des divers peuples en présence (y compris l'Égypte qui, après s'être libérée des Hyksos, a entrepris de s'installer en Canaan afin de protéger ses frontières d'éventuelles nouvelles invasions), et des alliances qu'ils concluent.
Les Hourrites sont les premiers à disparaître de la scène, notamment en raison de l'accroissement de la puissance hittite (Souppiliouliouma) et assyrienne (Assour-Oubalith I, 1366-1330). Le royaume hittite tombe au XIIIe siècle sous les coups de peuples originaires de Phrygie, dont les mouvements font partie des migrations des Peuples de la Mer, responsables également de la destruction de la civilisation créto-mycénienne et des États cananéens. La Babylonie connaît alors une période troublée et obscure. Elle subit de manière diverse et fluctuante la puissance de ces divers peuples (Hittites, Assyriens, Élamites, mais aussi nomades araméens). Ce sont finalement les assauts du roi d'Élam, Shoutrouk-Nahounté, associé à l'Assyrie du roi Assour-Dan, qui mettent fin à la dynastie kassite en 1156.
De son côté, la puissance assyrienne s'est renforcée. Déjà vers 1365, le roi assyrien Assour-Oubalith I avait rejeté la domination du Mitanni, puis marié sa fille avec le roi kassite de Babylone, dans les affaires de laquelle il avait alors cherché à intervenir. Sous ses divers successeurs, l'empire assyrien s'est accru en dimension et en puissance, avec plus ou moins de péripéties. Il entre notamment en conflit avec la Babylonie, où la dynastie d'Isin a pris le pouvoir après avoir chassé les Élamites qui avaient eux-mêmes mis fin par leur invasion à la dynastie kassite en 1156.
Les deux royaumes vont subir en même temps des invasions de peuples périphériques, notamment les Araméens. La Babylonie est particulièrement affectée par ces infiltrations qui la désorganisent ; les Araméens s'intègrent plus ou moins au pays (notamment au bord du Golfe Persique, où ils portent le nom de Kaldou, d'où vient le nom de Chaldée de cette région). Les Assyriens y résistent beaucoup mieux, et étendent même leur empire en direction de l'actuelle Syrie. Après diverses péripéties (tant externes qu'internes, dont une révolution), l'empire assyrien, sous le règne de Toukoultiapil-Esharra III (ou Teglat-Phalasar III), annexe en 729 la Babylonie (qui était alors dirigée par les Chaldéens), après avoir conquis de nombreux territoires en Syrie et Canaan et avoir vassalisé les Mèdes du nord de l'Iran. Son fils Sargon II (722-705) étend son empire dans tout le Proche-Orient, malgré une révolte de Babylone et l'intervention de l'Égypte qui cherche à l'affaiblir. Assour-aha-iddin (Assarhaddon) (680-669) envahit celle-ci, mais elle se libère rapidement. Son successeur Assour-bâni-apli (Assourbanipal) (668-626) la conquiert de nouveau, détruisant Thèbes en 664. Il s'attaque à l'Élam qui avait soutenu un complot contre lui et détruit Suse en 646. La bibliothèque d'Assourbanipal, à Ninive, a livré aux archéologues un nombre considérable de documents, notamment sur la science de l'époque. D'une manière générale, le règne d'Assourbanipal constitue le sommet de la civilisation assyrienne, tant pour l'étendue de l'empire que le niveau culturel.
Cela ne dura que peu de temps, car les Babyloniens (sous la conduite du roi Nabopolassar) et les Mèdes (sous celle du roi Cyaxare) s'emparèrent de l'Assyrie ; Ninive fut détruite en 612.
L'empire assyrien est alors partagé entre les Mèdes et les Babyloniens. Se constitue un empire néo-babylonien, presque égal à l'empire assyrien car les Mèdes s'installent surtout en Iran et en Asie Mineure dans des territoires qui ne relevaient pas de l'Assyrie. Le principal souverain de ce nouvel empire est Nabuchodonosor II (Nabou-koudourri-outsous II) (605-562) qui chasse les Égyptiens de Syrie, détruit Jérusalem et emmène les Hébreux en captivité à Babylone (587).
Cet empire ne dure guère, lui non plus. Sous le règne de Nabonide (Nabou-na'id) (556-539), le roi d'Anzan, Cyrus, se révolte (555) avec l'aide de Babylone contre les Mèdes dont il dépendait ; mais, en 539, il se retourne contre son ancien allié et envahit l'empire babylonien. Avec cette conquête ajoutée à sa victoire sur le roi des Mèdes, Astyage, et le roi de Lydie, Crésus, commence l'empire perse, le plus grand jusqu'alors réalisé.
Cambyse (529-522), fils de Cyrus, l'étend encore en conquérant l'Égypte jusqu'à Éléphantine et en se faisant proclamer pharaon (il crée ainsi la XXVIIe dynastie de l'Égypte, dite « dynastie perse »). À la suite d'un complot, Darius (521-485) prend le pouvoir et inaugure en Perse la dynastie achéménide. Tout en conservant l'Égypte dont il est pharaon, il étend son influence jusqu'en Inde, entreprend la conquête de la Grèce (Guerres Médiques), mais se fait battre à Marathon en 490. Son successeur, Xerxès I (488-464), se fera également battre par les Grecs à Salamine (480) ; Ataxerxès (464-424) signera la paix avec eux en 449.
L'empire perse est finalement détruit par Alexandre le Grand, roi de Macédoine, qui prend Babylone en 331. Après tout un périple, il y meurt en 323. Au partage de son empire, la partie asiatique (dont la Mésopotamie) revient à l'un de ses généraux, Seleucos, à l'origine de la dynastie séleucide qui se continuera jusqu'en 64 av. J.-C., date à laquelle elle fut détrônée par les Romains de Pompée. Entre-temps, cette dynastie séleucide (qui avait fait d'Antioche sa capitale) avait perdu le contrôle de la Mésopotamie qui passa à la dynastie parthe des Arsacides (une première partie en 139 à Mithridate I, roi des Parthes ; puis la quasi-totalité en 129 à Phraate II), qui la conservera jusqu'en 224 après J.-C., date à laquelle elle passe aux Sassanides régnant sur l'Iran, jusqu'à la poussée arabe, en 637 après J.-C.
Comme il ressort de cette brève présentation, l'histoire de la Mésopotamie a donné lieu à de multiples brassages de peuples et de cultures (asianiques, sémitiques, indo-européens). Comparativement à celle de l'Égypte, elle est plus variée et l'unité nationale y est moindrement marquée (ce qui a sans doute un rapport avec son moindre encerclement géographique) ; le morcellement en entités indépendantes y a été fréquent.
1. LES PEUPLES ET LES LIEUX
Akkad (ou Agadé) : Région nord de la Basse-Mésopotamie (villes d'Akkad, Kish, Babylone...), occupée par des peuples sémites (Akkadiens). À l'origine du premier grand empire sémite (Sargon) à prendre la prédominance sur les Sumériens.
Amourrou : Région située à l'ouest de la Mésopotamie (Amourrou signifie occidental), en Haute-Syrie, occupée par des peuples sémites (Amorrites ou Amorrhéens). La première dynastie de Babylone était amorrite.
Anzan (ou Anshan) : Ville et région situées à l'est de la Mésopotamie, en Élam (région de l'actuelle Shiraz). Cyrus, fondateur de l'empire perse en 539, était d'abord roi d'Anzan.
Araméens : Tribu sémite nomade, originaire de Syrie, qui s'infiltra à plusieurs reprises en Mésopotamie, notamment en Basse-Mésopotamie où, au Xe siècle av. J.-C., ils fondèrent une confédération (Kaldou : Chaldée) qui joua un rôle important et eut le pouvoir à Babylone jusqu'en 729.
Assour : Ville de Haute-Mésopotamie, située sur le Tigre moyen. Elle est à l'origine de ce qui deviendra l'Assyrie (Pays d'Assour).
Assyrie : Royaume d'Assour, qui prit peu à peu de l'importance, d'abord au début du XXe siècle, puis au XVIe siècle av. J.-C. avec le roi Assour-Ouballith I qui se libère de la tutelle du Mitanni. Ce royaume devint peu à peu un empire contrôlant toute la région, connut son apogée avec Assourbanipal (668-626) et fut finalement détruit par les Mèdes et les Babyloniens en 612 av. J.-C. (destruction de Ninive).
Babylone : Ville de Mésopotamie moyenne, sur un bras de l'Euphrate. Fondée au IIIe millénaire av. J.-C., elle ne prend vraiment de l'importance qu'avec la création, vers 1900, de la première dynastie par l'Amorrite Soumou-Aboum. Elle eut une histoire agitée, mais occupa une place importante – souvent comme capitale politique, commerciale et culturelle – au moins jusqu'à Alexandre le Grand, qui en fit la capitale de son empire et y mourut en 323 av. J.-C.,
Canaan : Région située entre la Méditerranée et le Jourdain.
Chaldée : Région de Basse-Mésopotamie, au bord du Golfe Persique, occupée par des nomades araméens (les Kaldou) au début du Ier millénaire av. J.-C. Cette région correspond à peu près à ce qu'était Sumer deux millénaires auparavant.
Élam : Région située à l'est du cours inférieur du Tigre, berceau avec Sumer de la civilisation mésopotamienne (principale ville : Suse ; habitants : Élamites).
Euphrate : L'un des deux grands fleuves de Mésopotamie. Il prend sa source dans les montagnes de l'Arménie et rejoint le Tigre, après un cours de plus de 2 000 km, pour former le Chatt-el-Arab (dans l'Antiquité, il se jetait directement dans le Golfe Persique indépendamment du Tigre ; la situation actuelle est due à l'avancée de la terre sur la mer du fait des apports alluvionnaires).
Goutis : Peuple habitant le massif du Zagros, qui s'installa en Mésopotamie à la fin du IIIe millénaire av. J.-C., mettant ainsi fin à l'empire akkadien qu'avait fondé Sargon I.
Hatti, Hittites : Le pays de Hatti est une région située dans ce qui est aujourd'hui la Turquie (aux environs d'Ankara). Au début du IIe millénaire av. J.-C., s'y installèrent des Indo-Européens qui y créèrent le royaume hittite. Celui-ci dura jusqu'au XIIIe siècle av. J.-C., où il fut détruit par les migrations des « Peuples de la Mer ».
Hourri : Région située au nord de la Mésopotamie, au sud-est du lac de Van. Au début du IIIe millénaire, des Indo-Européens s'y installèrent et y créèrent le royaume de Mitanni. qui disparut au XIVe siècle av. J.-C. sous les coups du royaume hittite et de l'Assyrie.
Indo-Européens : Peuples (originaires d'Europe centrale, de Russie du Sud, de Scandinavie ?) que des migrations à la fin du IIIe siècle av. J.-C. amenèrent dans tout le Proche-Orient jusqu'en Inde. On attribue à ces migrations de nombreux événements importants (royaumes hittite et du Mitanni, invasion des Hyksos en Égypte, installation des Grecs sur les côtes et les îles de la mer Égée).
Isin : Ville située au nord de Sumer. Elle entra en rivalité avec Larsa pour la prédominance à la fin de l'empire sumérien de la IIIe dynastie d'Our. Elle fut vaincue en 1794 av. J.-C. par Larsa, qui succomba peu après à la domination babylonienne d'Hammourabi. La dynastie d'Isin joua de nouveau un rôle au XIIe siècle av. J.-C., prenant le pouvoir en Babylonie après en avoir chassé les Élamites qui avaient eux-mêmes mis fin à la dynastie kassite de Babylone en 1156 av. J.-C.
Kassites : Peuple habitant le Zagros et parmi lequel vinrent s'installer des Indo-Européens lors des migrations du début du IIe millénaire. Ils s'infiltrèrent peu à peu en Babylonie et finirent par y prendre le pouvoir au début du XIVe siècle av. J.-C., fondant la dynastie kassite qui régna jusqu'au XIIe siècle av. J.-C., époque à laquelle elle fut chassée par les Élamites aidés des Assyriens.
Kish : Ville du Nord de Sumer, l'un des sites les plus anciens de la civilisation sumérienne.
Lagash : Ville sumérienne, fut l'un des sièges du renouveau de la civilisation sumérienne, après que l'empire akkadien de Sargon eut été détruit par les Goutis. Renouveau qui fut particulièrement brillant sous le roi Goudéa (XXIIe siècle av. J.-C.).
Larsa : Ville sumérienne qui entra en rivalité avec Isin pour la prédominance à Sumer, après la chute de la IIIe dynastie d'Our. Elle battit Isin en 1794, mais tomba en 1762 aux mains de la Babylonie d'Hammourabi.
Mari : Ville du Moyen-Euphrate ; elle eut une grande importance aux environs du XXVe siècle av. J.-C., tomba sous la domination des rois d'Assour et d'Akkad, fut détruite par Hammourabi en 1758 av. J.-C.
Médie, Mèdes : Région nord de l'Iran (actuellement Azerbaidjan et Kurdistan), où s'installèrent des peuples indo-européens (Mèdes). La contrée fut vassalisée par les Assyriens (notamment par le roi Toukoultiapil-Esharra III) au VIIIe siècle av. J.-C., puis unifiée en un royaume indépendant par le roi Cyaxare qui s'empara de l'Assyrie et détruisit Ninive (612 av. J.-C.). La Médie fut soumise par le roi d'Anzan, Cyrus, en 555 av. J.-C. et intégrée à ce qui devint l'empire perse.
Mésopotamie : Région correspondant à peu près à l'actuel Irak, arrosée par le Tigre et l'Euphrate (du grec mesos et potamos, entre les fleuves).
Mitanni : voir Hourri.
Ninive : Ville située sur le Tigre supérieur. Elle fut l'une des capitales du royaume assyrien ; détruite en 612 av. J.-C. par les Babyloniens et les Mèdes. Le roi Assourbanipal (668-626) y rassembla une bibliothèque qui a fourni aux archéologues un nombre considérable de documents (plusieurs dizaines de milliers de tablettes).
Our : Ville du Sud de Sumer (dans l'Antiquité elle se trouvait sur le bord du Golfe Persique, elle est maintenant à l'intérieur des terres du fait de l'apport alluvionnaire qui comble peu à peu ce Golfe Persique). Sa première dynastie, avérée historiquement, remonte à 2500 ans av. J.-C. ; mais c'est surtout sa IIIe dynastie (fondée vers 2100 av. J.-C.) qui est restée célèbre comme responsable (avec Lagash, du roi Goudéa) de la renaissance sumérienne, après la destruction de l'empire akkadien par les Goutis. Abraham, le patriarche de la Bible, aurait appartenu à une tribu araméenne installée à Our, qu'il quitta à l'époque d'Hammourabi.
Ourouk : Ville sumérienne ; l'un des hauts lieux de la naissance de la civilisation sumérienne (elle a donné son nom à l'une des premières périodes de cette civilisation) ; patrie du légendaire Gilgamesh. Elle a connu un regain d'importance à la fin du XXIIe siècle au moment de la renaissance sumérienne. Elle est plus restée un centre culturel que politique.
Perse : Région de l'Iran, au sud-est de la Mésopotamie, où s'installèrent des peuples indo-européens. Elle entre vraiment dans l'histoire avec Cyrus en 555 av. J.-C.
Peuples de la Mer (ou Barbares du Nord) : Nom que l'on donne à des peuples migrants du XIIIe siècle av. J.-C., sans que l'on sache précisément d'où ils venaient (Balkans, Égée occidentale, Anatolie, îles de la Méditerranée centrale ?). On attribue à ces migrations de nombreux événements importants (destruction de la civilisation créto-mycénienne, des États de Canaan, du royaume hittite, etc.) ; elles furent arrêtées aux portes de l'Égypte par Ramsès III en 1190 av. J.-C.
Sumer : Région sud de la Basse-Mésopotamie, près du Golfe Persique (de l'akkadien Shoumêrou qui signifie « pays maître du roseau »). Occupée dès 3500 av. J.-C. par un peuple asianique d'origine inconnue (autochtone ou envahisseur), les Sumériens.
Suse : Ville d'Élam ; centre culturel et politique important depuis des temps très anciens (néolithique). Elle fut détruite par Assourbanipal en 646 av. J.-C. ; plus tard elle devint l'une des capitales de l'empire perse sous la dynastie achéménide fondée par Darius en 521 av. J.-C.
Tigre : L'un des deux grands fleuves de Mésopotamie. Il prend sa source dans les montagnes de l'Arménie et, après 2 000 km, rejoint l'Euphrate pour former le Chatt-el-Arab. Dans l'Antiquité, il se jetait directement dans le Golfe Persique. sans rejoindre l'Euphrate.
Zagros : Massif montagneux qui borde le plateau iranien et constitue la limite orientale de la Mésopotamie.
Ce brassage de cultures et cette histoire agitée doivent transparaître dans ce que nous qualifierions aujourd'hui de connaissances scientifiques et dans leur évolution. Cependant, en raison du caractère conservateur qui marque les sociétés primitives (caractère que l'on retrouvera en Égypte), notamment en ce qui concerne les traditions culturelles et mythologiques, les éléments de base de cette culture « scientifique » sont anciens, sumériens et akkadiens pour la plupart. Il y eut évidemment une évolution des connaissances ; mais, pour autant qu'on puisse en juger d'après les documents qui nous sont parvenus, cette évolution a touché plus au contenu même de ces connaissances qu'à l'« état d'esprit » dans lequel elles étaient conçues. En ce domaine, l'essentiel est resté sumérien et akkadien ; les conquêtes et invasions successives ont conservé ce vieux fonds toujours repris.
La civilisation mésopotamienne antique était essentiellement agricole. La Basse-Mésopotamie, du fait des inondations régulières qui la fertilisent, a une terre riche, se prêtant bien à la culture des céréales, à condition toutefois qu'elle soit irriguée (à cause de la chaleur du climat). Outre l'orge, qui est sans doute la plante la plus cultivée, elle connaissait le blé amidonnier et le millet. Comme légumes : l'oignon, l'ail, le poireau, le chou, le fenouil, la bette, la rave, le radis, la laitue, le concombre, les fèves. Divers condiments, comme la menthe, le safran, le basilic, le thym, la coriandre, la pistache. Des fruits, surtout les dattes mais aussi les pastèques, le raisin, les grenades, figues, abricots, nèfles ; ces derniers en Haute-Mésopotamie, car la Basse-Mésopotamie n'a guère comme arbres que les dattiers (dont on utilisait tout : le bois – mauvais –, les feuilles, les fibres et les fruits). L'huile est d'abord fournie par le sésame, par l'olivier au Ier millénaire seulement.
Les animaux domestiqués sont le bœuf, le buffle, l'âne et l'onagre, qui sont attelés dès le IVe millénaire. Le cheval n'apparaît à Babylone que vers 1500 av. J.-C., par emprunt aux peuples voisins où il était déjà connu. Il est soit monté, soit attelé (collier de gorge) aux chars d'apparat. Le chameau ne vient qu'au Ier millénaire. On y élève aussi la chèvre, le mouton, le porc, le chien ; des oiseaux comme l'oie, le canard, le pigeon et, plus tard, la poule. Tous participent à l'alimentation. La chèvre et le mouton fournissent de plus leurs peaux pour les vêtements ; puis leurs poils et laine sont utilisés pour fabriquer des tissus, complétant ainsi l'usage du lin et du coton.
L'alimentation est fondée largement sur l'agriculture (dont les produits peuvent être plus ou moins transformés : on fabrique des fromages, du beurre, du vin, de la bière d'orge...) ; mais elle trouve un complément dans la chasse (au piège, à l'arc, à la fronde ; sangliers, cerfs, buffles, onagres, lions, perdrix, oiseaux divers), et dans la pêche (au filet, à la nasse).
Cette agriculture requiert des outils et instruments : pioches, pelles, charrues, semoirs, haches, paniers, récipients divers, etc. Ils sont en bois, en pierre, en os, en céramique (dès le Ve millénaire au moins), en vannerie, puis en métal.
Le bois est rare en Basse-Mésopotamie ; le seul arbre répandu est le dattier dont le bois est de mauvaise qualité ; son utilisation est donc très limitée. Tout comme le bois, la pierre est rare en Basse-Mésopotamie ; mais le roseau et l'argile sont abondants. Les premières habitations sont des huttes de roseaux calfatées avec de l'argile. Par la suite, et d'abord pour les temples et les palais, on utilise des briques, le plus souvent crues, fabriquées à partir de boue et de paille hachée, séchées au soleil, et assemblées avec du mortier ou du bitume (dont il existe des gisements en surface). Même en Assyrie, où la pierre est abondante, les habitations sont en briques (souvent cuites à la grande époque) ; la pierre étant alors réservée à la fabrication de bas-reliefs pour la décoration. De ce fait les maisons mésopotamiennes ont des murs épais, friables, sans beaucoup d'ouvertures ; la largeur des pièces est limitée par la longueur des poutres soutenant le toit. Le mobilier est composé de coffres, de tables basses, de lits bas à sommiers en vannerie, et de tapis.
Outre les habitations primitives, le roseau sert à fabriquer différents instruments et récipients en vannerie ; et notamment des barques calfatées avec du bitume (à rames, voiles, ou halées), très utilisées comme moyens de transport sur les cours d'eau.
Si la céramique, la vannerie et même le tissage sont des arts anciens, la métallurgie est beaucoup plus récente. La Basse-Mésopotamie n'a pas de gisements de minerais ; il lui fallait donc en importer. L'Assyrie en possède un peu – argent, cuivre, plomb, fer –, à quoi il faut ajouter l'antimoine et l'étain en Iran, l'or en Asie Mineure.
Le métal est rare au IIIe millénaire ; ensuite son usage s'accroît, mais il reste encore limité et de grande valeur. Il sert pour les armes, les outils (lames de poignards, de haches, pointes de lances et de flèches, pièces de harnachement du cheval), et les parures et bijoux (surtout l'argent et l'or, mais aussi le cuivre, le bronze et le fer).
Le premier à apparaître est le cuivre, au début du IIIe millénaire, d'abord battu puis moulé. Le bronze (cuivre et étain, ou cuivre et antimoine) à la fin de ce IIIe millénaire. L'industrie du fer semble être apparue chez les Hittites au milieu du IIe millénaire, puis s'être répandue dans toute l'Asie occidentale, notamment par les invasions et migrations des Peuples de la Mer. Mais, même alors, le bronze reste fréquent – et même la pierre, puisque les flèches à pointe de silex auraient encore été utilisées au temps des Guerres Médiques.
L'étude des objets métalliques, de la manière dont ils ont été fabriqués, peut certes apporter des renseignements sur la technique de l'époque, mais n'explique pas pour autant la conception que les hommes se faisaient alors de la métallurgie : pure technique, pratique magique isolée, intégrée dans une conception mythique plus vaste, etc. Le texte de l'encadré 2 est celui d'une tablette provenant de la bibliothèque d'Assourbanipal ; il indique la marche à suivre pour produire du métal ; on y voit très nettement que cette métallurgie a des allures de magie, le travail du feu sur le minerai y est une alchimie mystérieuse qui doit s'accompagner de sacrifices, de purifications, etc. À côté de cela, les détails proprement techniques ne manquent pas : orientation du four (à moins qu'il ne s'agisse d'une orientation à caractère magique), qualité du bois à employer (avec la précision que ce bois ne doit pas avoir servi à faire un radeau, c'est-à-dire qu'il soit bien sec et n'ait pas été altéré par le contact de l'eau). On ne peut pas conclure de ce texte que toute la métallurgie mésopotamienne était une alchimie (voir ci-après l'exemple des recettes d'émail qui sont beaucoup plus positives), mais du moins qu'elle pouvait avoir cet aspect dans la haute Antiquité (le document présenté est peut-être la copie d'un texte plus ancien).
2. MÉTALLURGIE ET ALCHIMIE
(Réf. : Rey 1930. Eister)
Tablette provenant de la bibliothèque d'Assourbanipal (VIIe siècle av. J.-C.). (Copie d'un document plus ancien ?)
Si tu veux poser les fondations d'un four à pierre [= à minerai]. choisis un jour approprié dans un mois favorable et pose les fondations du four. Dès qu'on a orienté le four et que tu t'es mis à l'œuvre, place les embryons divins [= les ingrédients de la fonte] dans la chapelle du four – aucun creuset ne doit y entrer, aucune (chose) impure ne doit se placer devant eux, – répands devant eux le sacrifice ordinaire. Si tu veux mettre la pierre dans le four, offre un sacrifice devant les embryons divins, place une cassolette avec du cyprès, répands de la boisson fermentée (kurunnu), allume du feu sous le four, et ensuite introduis la pierre dans le four. Les gens que tu admettras près du four doivent d'abord se purifier, et ensuite seulement tu pourras les laisser s'approcher du four. Le bois que tu brûleras dans le four sera un gros sarbatû [mûrier ?], un tronçon (quru) décortiqué, qui n'a pas fait partie d'un radeau [faisceau de troncs retenus par une courroie], et qui a été coupé au mois d'ab ; c'est ce bois qui doit être employé dans ton four.
Outre la métallurgie, la Mésopotamie connaissait une certaine industrie chimique, fabriquant dès 2000 av. J.-C. du verre ordinaire et coloré, des émaux (voir encadré 3 – noter que la recette de l'émail y est présentée de manière beaucoup plus positive que celle de la fabrication du métal ; peut-être en raison de la date du document d'origine recopié au VIIe siècle av. J.-C., ou de sa destination), des teintures et peintures (jaune : safran ; rouge : kermès, murex, oxyde de fer ; bleu : lapis-lazuli ; bleu-vert : sulfate de cuivre ; blanc : oxyde d'étain ; jaune : antimoniate de plomb), et même du savon.
3. DEUX RECETTES POUR PRÉPARER L'ÉMAIL BLEU
(Réf. : Rey 1930, Eister)
Tablette provenant de la bibliothèque d'Assourbanipal (VIIe siècle av. J.-C.).
(N.B. : 1 mine = 503 grammes – 1 sicle = 1/60 mine.)
Si tu veux préparer un émail bleu clair, broie séparément, puis mélange 10 mines de pierre immanaku, 15 mines de cendre à lessive, 1 et 2/3 de mine d'herbe blanche (?) ; place le mélange dans le four à quatre yeux [ouvreaux] et pousse-le ensuite entre les yeux, allume un feu doux qui ne fume pas ; dès que la masse est au rouge blanc, sors-la, laisse-la refroidir, broie-la de nouveau, formes-en un tas sur du sel pur, place-la dans le four à chapelle froid, fais un feu doux sans fumée ; dès que la masse est au rouge orangé, ... fais-la couler sur la brique cuite. Son nom est alors émail bleu clair. [Noter qu'est indiquée ici non seulement la préparation de l'émail mais aussi l'émaillage de la brique.]
Avec 1 mine de bel émail, prends 1/3 de mine de pierre busu broyée, 1/3 de mine de amnaku, 5 demi-sicles de nacre, broie de nouveau le tout, entasse-le dans une forme, place-la entre les yeux du four ; il se produira un émail bleu en poudre.
L'écriture serait née, vers 3300, à Sumer et en Élam, des nécessités de l'administration et du commerce. La gestion des troupeaux, des grains et des terres, les ventes et achats, auraient peu à peu entraîné une comptabilité, des contrats, etc., dont le nombre et la complexité demandaient un enregistrement écrit. De là se serait développé un système de signes associant aux sceaux des acteurs économiques la représentation des nombres et des produits échangés ou gérés.
Le substrat le plus abondant et le plus facilement accessible est, en cette région, l'argile. C'est donc sur des pains ou des tablettes d'argile humide que l'on écrira à l'aide d'un roseau taillé ; il suffira ensuite de sécher ces tablettes au soleil pour obtenir une trace durable des opérations effectuées. Ce sont ces tablettes, séchées ou cuites (selon l'importance), qui nous sont parvenues en grand nombre et qui constituent la principale source de nos connaissances sur la civilisation mésopotamienne, et même la seule en ce qui concerne les sciences de cette époque (ou, du moins, ce qui rappelle nos sciences).
On étudiera dans le prochain sous-chapitre la manière dont les nombres ont été représentés. Ici, on se limitera à la représentation des objets, des concepts et des sons.
Au début, l'écriture consiste en des représentations pictographiques des objets, soit de leur totalité, soit d'une de leurs parties caractéristiques ; par exemple, un épi représentera l'orge ou le grain, une tête de bœuf représentera le bœuf ou le bétail, etc. (voir encadré 4). Cette pictographie va évoluer sous l'action de plusieurs facteurs, les uns propres au substrat de l'écriture, les autres inhérents au principe même des représentations et de ce qu'il s'agit de représenter.
L'influence du substrat se manifeste dans la manière dont peu à peu se stylisent les pictogrammes. L'argile humide se prête mal à la réalisation d'un dessin linéaire à l'aide d'un stylet (notamment pour ce qui concerne le tracé des lignes courbes où se produisent des bavures), d'autant plus que le dessin à effectuer est souvent de très petite taille. Ce qui va orienter la pictographie vers une décomposition des dessins en une succession de petites lignes droites que l'on imprime (plutôt qu'on ne les trace) par la pression, sur l'argile, de l'extrémité d'un roseau taillé de manière adéquate. Du fait de la forme de ce stylet et de son inclinaison, ce mode d'impression produit une marque en forme de clou (ou de coin) ; d'où le nom que l'on donne à cette écriture : cunéiforme (latin cuneus, coin et forma, forme).
D'autre part, pour des raisons pratiques (facilité et rapidité de l'écriture), les pictogrammes tendent à se simplifier de telle sorte qu'ils négligent de plus en plus les détails pour ne prendre en considération que les grandes lignes de l'objet à représenter. Ce qui, associé au passage au cunéiforme évoqué ci-dessus, aboutit à une stylisation telle qu'il est souvent difficile de reconnaître dans le signe le pictogramme de départ (encadré 4).
Une telle stylisation implique une systématisation et une normalisation de l'écriture. Si le principe même du pictogramme permet une certaine liberté dans la représentation des objets (du moment qu'ils restent reconnaissables), il n'en est plus de même lorsque les signes utilisés ont perdu toute ressemblance avec les objets : il faut alors que tout le monde emploie le même signe (ou à peu près) pour le même objet (ou la même idée).
Parallèlement à cette évolution, la disposition des signes se transforme. Si au départ elle n'est pas trop stricte, elle s'organise ensuite peu à peu. Le premier ordre est en colonnes verticales, de droite à gauche. Puis, vers 2600, l'écriture effectue un quart de tour, de telle sorte que le sens de lecture devient horizontal, de gauche à droite, et de haut en bas. Toutefois, cette modification n'affecte que l'écriture courante sur argile ; l'écriture monumentale sur pierre et celle sur métaux précieux conservent leur disposition verticale pendant encore un millénaire. Ce qui laisse penser que le changement d'orientation de l'écriture sur les tablettes d'argile visait à faciliter l'écriture et la lecture courantes.
Pour en finir avec cette évolution formelle de l'écriture, il faut signaler qu'elle a connu quelques variations selon les lieux (l'écriture, primitivement sumérienne, s'étant répandue dans toute la Mésopotamie, et même au-delà). Par exemple, en Babylonie les signes gardent une certaine souplesse dans le tracé, utilisant des « clous » horizontaux, verticaux et obliques ; ils sont plus proches du dessin primitif que les signes utilisés en Assyrie qui sont plus carrés et plus rigides, n'utilisant pas de clous obliques.
Une autre évolution de l'écriture est due à l'imprécision et aux limites mêmes du mode de représentation pictographique. Tant qu'il ne s'agit que de compter des bœufs, des moutons ou du grain, et d'enregistrer cette comptabilité, les simples pictogrammes peuvent suffire. Il n'en est plus de même lorsqu'on essaye de représenter des notions plus abstraites, des relations entre de telles notions, ou encore de désigner tel ou tel individu par son nom propre (et non par sa simple signature qu'est son sceau – quand il en a un).
L'imprécision de cette écriture peut être illustrée par l'encadré 5 : le signe, qui représente une tête dont la région buccale a été soulignée par quelques traits, peut représenter la bouche (qui se dit KA), le nez (KIR), la parole (INIM), la dent (ZU), mais aussi diverses actions liées à cette région buccale (parler, crier, manger, etc.). Un tel signe est donc à la fois polysémique (plusieurs sens : bouche, nez, dent...) et polyphonique (plusieurs sons : KA, KIR, ZU...). Cette imprécision fut partiellement corrigée par la composition des signes. Au signe indiquant le sens général, on adjoint des signes qui servent de déterminatifs sémantiques et qui précisent à quelle catégorie d'objets on a affaire. L'encadré 6 en donne quelques exemples : le signe « charrue » accompagné du signe « bois » désigne une charrue, ce même signe « charrue » accompagné du signe « homme » désigne le laboureur. Les signes « bois » et « homme » jouent ici comme déterminants sémantiques ; ils précisent le sens général apporté par le signe « charrue » en indiquant à quelle catégorie appartient l'objet désigné. Il existe ainsi divers déterminatifs, pour homme, femme, dieu, ville, etc.
5. POLYSÉMIE ET POLYPHONIE DES SIGNES CUNÉIFORMES
SIGNE « tête » dans lequel l'emplacement de la bouche a été renforcé par quelques traits
se prononce | signifie |
KA | bouche |
KIR | nez |
INIM | parole |
ZU | dent |
D'autres précisions peuvent s'obtenir par des compositions de signes un peu comparables, mais il s'agit alors moins de déterminatifs ajoutés à un signe donnant le sens général que de signes composés destinés à représenter des objets ou des notions plus complexes. L'encadré 6 en donne quelques exemples : l'association du signe « grand » (sceptre, chasse-mouche ?) au signe « homme » donne le signe « roi » ; le signe « bouche » et le signe « pain », le signe « manger » ; etc.
Enfin, il reste à représenter les noms propres et les éléments grammaticaux qui, dans la langue parlée, assurent les relations entre les mots désignant objets et concepts. Pour cela, l'écriture doit évoluer vers le phonétisme ; c'est-à-dire qu'elle doit représenter les sons (phonogrammes) plutôt que les objets ou les idées (pictogrammes et idéogrammes)3.
Le passage au phonétisme commence assez tôt, vers 3000 av. J.-C., mais il ne sera jamais total en Mésopotamie, où l'on continuera à utiliser des idéogrammes entremêlés de phonogrammes. Ce système combinant les signes-idées et les signes-sons n'a jamais été fixé dans une forme précise ; il varie selon les époques (voire selon des « modes » passagères), selon la nature des textes (les textes religieux, comme les textes de présages, conservant souvent des archaïsmes).
Ce passage au phonétisme se fit de diverses façons. La
langue sumérienne est riche en mots monosyllabiques, et
donc en mots homophones (car le nombre de monosyllabes
est forcément limité). Ces mots homophones sont représentés par des signes différents (comme si en français on écrivait
pour verre,
pour ver, etc.) ; le passage au phonétisme
consiste alors à choisir un de ces signes pour représenter tous
les mots homophones (ainsi, on choisirait par exemple
pour représenter tous les mots homophones verre, ver, vert,
vers, etc.). Le signe idéographique (ou pictographique) est
vidé de son sens et ne représente plus qu'un son. Ce qui
permet de représenter des notions abstraites se prêtant mal à
l'idéographie (ainsi, dans notre exemple, le mot « vers » – en
direction de – serait représenté par
, de même « vert »
serait représentable autrement que par une tache de
couleur). En sumérien, « vie » se dit ti, pour écrire « vie » on
dessinera le signe représentant une flèche qui se dit également ti ; « dans » se dit a et s'écrira avec le signe « eau » qui se
prononce aussi a ; « être stable » s'écrira avec le signe
« roseau » qui a une prononciation analogue, etc.
On peut aussi combiner des signes représentant des mots
monosyllabiques pour obtenir des mots plurisyllabiques par
une sorte de rébus. Comme si en français on écrivait
« chapeau » par (chat-pot). Ainsi, « marchand ambulant » (dam-qar) s'écrira avec le signe « femme + vêtement »
(épouse, dam) et le signe « quai de rivière » (qar). Enfin, on
peut parfois obtenir un signe phonétique monosyllabique en
utilisant un idéogramme représentant un mot polysyllabique
dont on ne considère alors que la première syllabe (ainsi, le
signe représentant une étoile et désignant le ciel, anu, peut
prendre la valeur phonétique an).
Ce passage au phonétisme (même partiel) réduisit considérablement le nombre de signes (du fait notamment que
tous les homophones s'écrivent alors avec le même signe).
De 1 000 signes à l'époque primitive, on passe à 300 vers
2400 av. J.-C. Ce moins grand nombre de signes facilite
l'écriture et la lecture. Mais comme le système n'a jamais été
« normalisé » et continue à utiliser les idéogrammes mêlés
aux phonogrammes, ce bénéfice est quelque peu amoindri
par la difficulté d'interprétation des signes (est-ce un phonogramme, un idéogramme, un déterminatif sémantique ?).
Pour diminuer l'ambiguïté, on eut alors recours à des
compléments phonétiques, qui sont un peu le symétrique des
déterminatifs sémantiques facilitant la lecture de l'écriture
idéographique. Le complément phonétique est un signe
phonétique qu'on ne lit pas mais qui, accompagnant un signe
de base, sert à préciser celui-ci. Par exemple, en français, on
écriraitou
pour indiquer que le signe de base
doit
se lire « nez » (sans pour autant qu'on lise le N ou le Z qui lui
sont accolés), alors que le signe
ou
devrait se lire
« sentir ». Ainsi le signe représentant une tête d'animal se lira
aza (ours) quand le signe phonétique za lui est accolé, mais
ug (lion) quand le signe ug5 lui est accolé ; la multiplicité des
homophones ne permettrait pas une lecture simple par la
seule notation phonétique, tandis que l'imprécision du
dessin de la tête d'animal ne permettrait pas l'identification
de l'espèce, d'où la combinaison des deux (le chiffre 5 qui
indexe le signe phonétique ug signifie qu'il s'agit du
cinquième signe se lisant ainsi ; multiplicité des homophones).
Ces compléments phonétiques servent aussi d'affixes grammaticaux (dans la conjugaison des verbes par exemple).
7. LES DIFFÉRENTES VALEURS DES SIGNES CUNÉIFORMES
(Réf. : Février)
Dans l'écriture suméro-akkadienne, les signes peuvent se classer en 5 catégories différentes ; un même signe pouvant appartenir à plusieurs d'entre elles.
1 – Signes servant à noter les voyelles (a, e, i...) et les diphtongues (ai...)
2 – Signes syllabiques simples (ba, bi..., ar, ir...)
3 – Signes syllabiques complexes (bar, kur...)
4 – Signes idéographiques
5 – Signes déterminatifs
Exemple :
1 – i
2 – ni, il
3 – niš, zal, tik
4 – šamnu (graisse), barû (abondant)
5 – pas de valeur déterminative
Le sumérien, supplanté par l'akkadien, est devenu rapidement une langue morte, qui n'était plus utilisée que pour la culture savante et religieuse ; ce qui explique que les textes de cette nature étaient souvent notés par une écriture archaïsante. La complexité du système d'écriture y sera parfois accrue comme à plaisir ; les scribes s'en serviront pour donner à leurs textes de riches connotations par le jeu des étymologies ; c'est-à-dire que, pouvant écrire la même chose de différentes manières en combinant à volonté idéogrammes et phonogrammes, ils choisissaient l'écriture la plus suggestive (ce qui serait un peu l'équivalent du style poétique en littérature moderne utilisant l'écriture alphabétique).
Si la langue akkadienne a rapidement remplacé le sumérien, l'écriture, elle, est restée celle qu'avaient inventée les Sumériens pour leur langue. L'akkadien, langue sémitique, devait donc être noté avec une écriture conçue pour une langue asianique (voir l'encadré 10, « Les peuples et les langues »). Ces deux langues ont des structures différentes et n'utilisent pas les mêmes phonèmes (sons élémentaires), ce qui va compliquer l'évolution de l'écriture en Mésopotamie, et notamment le passage au phonétisme.
Pour écrire leur langue avec l'écriture sumérienne, les
Akkadiens conservèrent un certain nombre d'idéogrammes
dans leurs sens propres mais avec des prononciations différentes (par exemple, le signe « roi » conserve son sens, mais il
se lit sharrou en akkadien, au lieu de lugal en sumérien ; le
signe – qui est l'évolution cunéiforme du signe représentant une étoile * – signifie ciel et dieu, soit respectivement
anu et dingir en sumérien et samu et ilu en akkadien). Ils
utilisèrent aussi les signes phonétiques sumériens, soit tels
quels (ainsi le signe
précédemment évoqué, a aussi la
valeur phonétique an en sumérien, valeur qui lui est conservée en akkadien), soit en modifiant leur prononciation pour
qu'ils puissent rendre des sons akkadiens n'existant pas en
sumérien.
L'écriture sumérienne fut très répandue dans l'Antiquité (le dernier texte cunéiforme date de 75 ap. J.-C.) ; elle servit à noter bien des langues de types différents et subit bien des transformations. Elle eut une évolution vers un phonétisme plus marqué sous la dynastie achéménide (520-330) où elle servit à noter une langue indo-européenne, le vieux-perse, sous une forme syllabique (conservant néanmoins quelques idéogrammes (encadré 8)). Il exista aussi à Ugarit (Ras-Shamra), vers 1400 av. J.-C., un proto-alphabet cunéiforme (notant en fait surtout les consonnes – cas des écritures de langues sémitiques) (encadré 9).
9. L'ALPHABET CUNÉIFORME D'OUGARIT
10. LES PEUPLES ET LES LANGUES
Contrairement à la notion d'espèce (que l'on peut définir de manière minimale comme l'ensemble des individus interféconds). la notion de race n'a pas de sens bien défini en biologie. C'est plus en fonction de critères culturels que biologiques que l'on distingue différents groupes humains, et parmi ces critères culturels la langue a une importance fondamentale. En Mésopotamie, se sont rencontrés au moins trois groupes humains, chacun parlant une (ou plusieurs) langue (s) ressortissant à des familles linguistiques différentes.
Les langues asianiques (sumérien, élamite, hourrite, proto-hittite), les langues sémitiques (akkadien, assyrien, araméen), les langues indo-européennes (hittite, mède, perse).
Les langues asianiques sont des langues de type agglutinant ; c'est-à-dire que les racines des mots sont complétées en agglutinant un ou plusieurs affixes placés au début, à la fin ou dans le mot, afin de rendre compte des divers statuts grammaticaux dans la phrase, ou des diverses connotations modulant le sens de la racine. Chacun de ces affixes, comme la racine, a un sens lorsqu'on le considère isolément.
Exemple : Sumérien | DÙ | : faire |
MU-DÙ | : il fit | |
MU-NA-DÙ | : il fit pour lui | |
MU-NA-NI-DÙ | : il y fit pour lui |
Les langues sémitiques sont caractérisées par le fait que les racines des mots sont composées d'un ensemble de consonnes (2 ou 3 le plus souvent) qui restent inchangées mais qui sont complétées par des voyelles différentes selon le statut du mot dans la phrase.
Exemple : Akkadien | KŠD | : idée d'atteindre |
KaŠaDum | : atteindre (infinitif) | |
iKŠuDu | : il avait atteint |
Les langues indo-européennes (dont fait partie le français) sont de type flexionnel ; la forme du mot indique à la fois le sens et la fonction dans la phrase ; les affixes que l'on adjoint à la racine ne s'agglutinent pas les uns aux autres, chacun d'eux a plusieurs rôles à la fois, et ils n'ont pas de sens lorsqu'on les considère isolément de la racine.
Exemple : Français | chant-er | : er infinitif |
chant-ait | : ait 3e personne, singulier, imparfait |
Nous avons dit dans le sous-chapitre précédent comment il semble que la numération ait été écrite dans le même mouvement que les signes désignant les objets, du fait des nécessités de la gestion et de la comptabilité des biens. Nous nous préoccuperons un peu plus loin de cette numération écrite ; auparavant nous allons évoquer brièvement la numération parlée sumérienne telle qu'elle a pu être reconstituée.
Cette numération parlée (encadré 11) nous renseigne déjà sur la structure du système de numération utilisé, tandis que l'étymologie des noms des nombres conserve quelques traces de l'évolution de ce système. Outre ce qui est indiqué dans l'encadré 11, on voit immédiatement que la base de la numération est 60. 60 est désigné par le même terme que 1 (gesh ; geshta proviendrait de la nécessité d'une différenciation). Il y a une assez grande régularité dans la manière dont les noms des nombres sont construits avec un changement aux puissances de 60 (60 × 60 shar, 60 × 60 × 60 shar-gal), comme si les nombres eux-mêmes étaient considérés comme des multiples de 60 ou de ses puissances. On remarque cependant que les puissances de 60 ne sont pas les seules à avoir une grande importance ; les multiples tels que 600, 36 000 ... semblent jouer un rôle non négligeable (ils servent de nouvelles unités dans la composition des noms des nombres) ; ce qui montre que 10 joue ici le rôle de base auxiliaire (sans doute en raison des difficultés inhérentes à la grandeur de la base principale, 60). On reviendra sur ce rôle de 10 lorsqu'on parlera de la numération akkadienne.
Dans cette numération parlée, l'expression des nombres 7 (imin) et 9 (illimou) conserve la trace d'une numération de base 5 (ta). Celle de 40 (nimin) et 50 (ninnou) celle d'une numération de base 20 (nish). Notons également que le symbole de 3 600 en numération écrite sumérienne est un petit cercle, ce qu'il faut rapprocher de son nom de shar qui signifie « cercle, totalité, ensemble » ; que le mot ou (10) pourrait signifier « doigt », ce qui est évidemment à rapprocher du nombre de doigts (dans les hiéroglyphes égyptiens, le doigt représente 10 000, dont le nom égyptien est dérivé de dbc qui signifie « doigt » en cette langue). Dans cette reconstitution de la numération parlée, il subsiste des difficultés pour construire le nom de certains nombres : par exemple 70, est-ce gesh-ou (60 + 10), mais ce mot signifie 600 (60 × 10), est-ce ou-gesh (mais alors comment dire 72, puisque gesh-min signifie 120 ?), etc.
11. LA NUMÉRATION SUMÉRIENNE PARLÉE
(Réf. : Guitel)
1 gesh | gesh est le même mot que mâle, homme |
2 min | min est le même mot que femme |
3 esh | affixe du pluriel, esh marque la pluralité |
4 limmou | |
5 ia | |
6 ash | |
7 imin | imin est composé de i (a) +min 5+2 |
8 issou | |
9 illimou | illimou est composé de i (a) +limmou 5+4 |
10 ou | ou signifie peut-être doigt (10 doigts ?) |
20 nish | |
30 oushou | oushou pour esh-ou 3 × 10 |
40 nimin, nin | nimin pour nish-min 2×20 |
50 ninnou, nin-ou | 40+10 |
60 gesh, geshta | |
120 gesh-min | 60 × 2 gesh est considéré |
180 gesh-esh | 60×3 comme une nouvelle |
unité | |
..... | |
600 gesh-ou | 60×10 |
1 200 gesh-ou-min | 600 × 2 gesh-ou est considéré |
1 800 gesh-ou-esh | 600 × 3 comme une nouvelle unité |
..... | |
3 600 shar | shar signifie cercle, ensemble, totalité |
7 200 shar-min | 3 600 × 2 |
..... | |
36 000 shar-ou | 3 600×10 |
72 000 shar-ou-min | 36 000 × 2 |
...... | |
216 000 shar-gal | « grand-shar » |
Avant d'étudier la numération écrite, il convient sans doute de rappeler quelques principes élémentaires de numération (voir l'encadré 12).
12. QUELQUES PRINCIPES DE NUMÉRATION
Une numération « naturelle » se comprend selon un principe d'itération : 1, 1 + 1, (1 + 1) + 1, etc. À chaque étape correspond un nouveau nombre que l'on désigne par un nom (un, deux, trois...). On conçoit qu'il ne serait guère commode de donner à chacun de ces nombres un nom complètement original (il en faudrait une infinité) et qu'il vaut bien mieux structurer la suite des nombres de telle sorte que l'on puisse désigner ceux-ci en combinant quelques noms choisis dans un ensemble restreint : par exemple, on dira dix-sept en combinant les noms dix et sept, plutôt que d'inventer un nom original comme on l'a fait pour dix et sept (notons que seize n'est pas vraiment un nom original puisqu'il vient du latin « sedecim » qui est une combinaison de « sex » et « decem », respectivement 6 et 10). Cette structuration minimale de la suite des nombres implique ce qu'on appelle une base de numération.
Notre numération est décimale, c'est-à-dire que sa base est 10. Elle est en effet construite à partir de 10 et de ses puissances (10 × 10 = 100, 10 × 10 × 10 = 1 000, etc.). La base est donc un moyen d'introduire une structure qui permet de n'utiliser qu'un nombre limité de mots et de symboles pour désigner les nombres.
Théoriquement, on peut choisir n'importe quel nombre comme base de numération. Dans les faits, on ne rencontre dans l'histoire des diverses civilisations que quelques bases : 5, 10, 12, 20, 60. La base 10 est la plus courante, sans doute parce que nous avons dix doigts et qu'ils sont pratiques pour s'aider à compter. Pour qu'une base soit facilement utilisable, il faut qu'elle ne soit pas trop grande : ainsi la base 60 de la numération sumérienne est d'un usage difficile, il a fallu introduire une base auxiliaire, 10. Il ne faut pas non plus qu'elle soit trop petite, car alors, si elle ne nécessite que peu de symboles ou de noms, il faut les combiner en des suites très longues : ainsi, si la base est 2, il n'y a que deux symboles, 0 et 1, mais il en faut une suite de 5 pour écrire simplement le nombre 19 : 10 011. D'autres facteurs entrent en jeu : le calcul est d'autant plus facile que la base a un grand nombre de diviseurs : ainsi 12 serait une base plus commode que 10, de ce seul point de vue (diviseurs de 12 : 1, 2, 3, 4, 6, 12 – diviseurs de 10 : 1, 2, 5, 10).
Cette notion de base concerne aussi bien la numération parlée que la numération écrite. L'écriture des nombres (lorsqu'elle ne se borne pas à une transcription phonétique de leurs noms, comme UN, DEUX, TROIS...), peut se faire selon plusieurs principes ; soit l'addition de symboles dont la valeur est fixe, soit l'addition de symboles dont la valeur varie selon la position.
La numération selon un principe purement additif (et éventuellement soustractif) peut être illustrée par la manière d'écrire 3 ou 20 ou 33 en numération romaine : III, XX, XXXIII ; il y a un symbole pour UN et un symbole pour DIX, on les juxtapose et on les additionne (parfois on les soustrait : NEUF s'écrira IX, c'est-à-dire DIX moins UN).
La numération est dite « de position » lorsque la valeur d'un symbole varie selon sa position dans l'écriture du nombre : par exemple 111 (cent onze), le premier 1 vaut CENT, le deuxième DIX et le troisième UN ; on additionne la valeur des symboles. La numération de position transpose donc directement dans l'écriture la structure que donne la base à la suite des nombres.
L'écriture de la numération de position, en base 10 par exemple, indique le nombre d'unités, le nombre de dizaines, de centaines, etc. qu'il faut additionner pour constituer le nombre (chacun de ces nombres d'unités, de dizaines... étant bien sûr inférieur à 10). Elle utilise une convention voulant, par exemple, que le chiffre le plus à droite indique les unités, puis vient celui des dizaines, etc. On conçoit sans peine qu'il faut alors qu'elle dispose d'un signe indiquant que certains emplacements sont vides ; ce signe est le zéro. On peut distinguer le zéro terminal (par exemple, dans 130) qui indique que l'emplacement « unités » est vide, ou le zéro médial (par exemple, 1 032) qui indique qu'un emplacement autre que celui des unités est vide (ici l'emplacement des centaines) ; à quoi on peut ajouter le zéro initial qui sert à noter les fractions (par exemple 0, 3). La distinction de ces types de zéro se comprend en ce que leur notation ou leur oubli perturbe le nombre de manière plus ou moins intéressante pour le calcul (l'ajout ou l'oubli du zéro terminal équivaut à une multiplication ou une division du nombre par la base).
Une numération de position doit donc connaître le zéro en tant que chiffre (plutôt que la simple expression linguistique de type « vide » ou « rien »). Une numération qui juxtapose simplement les symboles et les additionne peut s'en passer.
On remarquera que le mot « zéro » vient de l'arabe sifr qui signifie « vide » (via l'italien zéfiro) ; le mot « chiffre » a la même étymologie. Nos chiffres proviennent des chiffres arabes, lesquels viennent des chiffres indiens.
On va maintenant se préoccuper de la forme écrite de cette numération sumérienne. Avant tout, il faut préciser de quelle numération écrite il s'agit. En effet, dans notre système d'écriture européen il existe deux sortes de numération écrite. L'une utilise le fait que cette écriture est phonétique et que l'on peut donc écrire le nom des nombres en toutes lettres (c'est-à-dire phonétiquement : un, deux, trois, etc.). L'autre utilise pour chacun de ces nombres un symbole ou une combinaison de symboles dont l'usage est exclusivement réservé à la numération, symboles qui, dans notre écriture, proviennent de la notation arabe : 1, 2, 3, ... 10, 11, 12... C'est à cette dernière notation des nombres, utilisant des symboles spéciaux, que nous nous intéresserons dans le cas de la Mésopotamie ; ceci parce que l'écriture n'y a jamais été totalement phonétique dans l'Antiquité, si bien que les objets et les concepts eux-mêmes avaient, comme les nombres, des symboles qui leur étaient propres plutôt qu'une écriture utilisant phonétiquement leur nom. Les nombres sont les seuls à avoir évité le passage au phonétisme au cours de l'histoire, ce qu'il faut sans doute rapprocher du principe de la numération de position qui combine selon un certain ordre un nombre limité de symboles, tout comme l'écriture phonétique combine selon un certain ordre un nombre limité de lettres. Intervient peut-être aussi l'origine commune de l'écriture des nombres et des objets dans la comptabilité primitive, origine qui associe deux séries parallèles et indépendantes de symboles : ceux pour les nombres et ceux pour les objets à comptabiliser ; sans oublier le rôle de ces symboles et de leur position dans le calcul.
L'évolution de la numération écrite en Mésopotamie a été la même que celle de l'écriture précédemment évoquée. Au départ, les nombres étaient inscrits à l'aide d'un roseau dont on pressait l'extrémité soit perpendiculairement à la tablette d'argile (l'empreinte est ronde), soit obliquement (l'empreinte a grossièrement la forme d'un demi-cercle inégalement marqué) ; avec deux roseaux de diamètres différents, on pouvait inscrire tous les nombres (encadré 13). Une telle écriture est déjà un peu évoluée, car la toute première manière d'inscrire les nombres a sans doute été de faire autant d'encoches dans l'argile qu'il y avait d'unités dans le nombre ; la nécessité d'un symbolisme plus élaboré ne se fait sentir que pour les grands nombres.
Plus tardivement, l'écriture des nombres est devenue cunéiforme, tout en conservant le même principe de composition des signes : on juxtapose les symboles et on additionne leurs valeurs, la numération n'est donc pas de position, les symboles y ont des valeurs fixes. On comparera cette numération écrite à la numération parlée précédemment exposée (encadré 11) : il y a un grand parallélisme entre la manière dont sont composés les symboles écrits et celle dont sont composés les noms des nombres, avec notamment l'importance des bases 60 et 10.
Ainsi, la base 60 est bien visible dans le fait que le signe
pour 1 et celui pour 60 sont les mêmes, à ceci près que celui-ci
est plus grand que celui-là (ce qui correspond au fait que 1 et
60 ont le même nom dans la numération parlée). On voit
aussi très bien que 10 est une base auxiliaire, en ce qu'il a un
signe qui lui est propre (et qui est utilisé selon le même principe que l'unité : par répétition pour composer les symboles
de 20, 30, ...). Cette base auxiliaire s'impose du fait de la
grandeur de la base principale, 60 : sans cette base auxiliaire
10, il faudrait 59 signes pour écrire le nombre 59 (le signe
« unité » répété 59 fois), avec la base auxiliaire 10 il n'en faut
plus que 14 (5 signes 10 et 9 signes 1). Cependant, pour plus
de facilité encore, le principe soustractif a parfois été utilisé
dans la numération écrite avec le signe (LA) signifiant
« moins » ; ainsi 18 s'écrira parfois 20 – 2, soit
L'encadré 14 donne une des origines possibles du caractère sexagésimal de cette numération. Dans cet ouvrage, nous écrirons les nombres sexagésimaux de la manière suivante : 3 792 (en système décimal) = (3 × 1 000) + (7 × 100) + (9 × 10) + 2 = (1 × 3 600) + (3 × 60) + 12 = 1.3.12 (en système sexagésimal).
14. L'ORIGINE DE LA NUMÉRATION SEXAGÉSIMALE
On a proposé de multiples explications du choix curieux d'une base 60 pour la numération. En voici une qui a en outre l'avantage d'expliquer aussi l'existence de la base auxiliaire décimale.
On compte sur les doigts d'une main en partant du pouce 1, 2, 3, 4, 5 ; et on revient vers le doigt de départ, 6, 7, 8, 9 ; l'auriculaire ne comptant qu'une fois comme cela est naturel dans le mouvement de comptage où l'on pianote les doigts l'un après l'autre sur le bord d'une table par exemple.
10 est compté sur le pouce de l'autre main ; et on recommence pour 11, 12, ... 19. Et ainsi de suite. Ce qui amène à 59 ; on doit donc repartir à 60 pour un autre tour – d'où la base 60 (tout comme le fait de compter les dizaines sur la seconde main explique la base auxiliaire 10).
Dès la fin du IIIe millénaire, les influences akkadiennes ont peu à peu supplanté les caractères sumériens. Tout comme l'akkadien est devenu la langue courante (le sumérien restant la langue de la culture savante et religieuse), la numération akkadienne a peu à peu remplacé dans l'usage courant la numération sumérienne, qui est restée la numération « savante ». Cette numération akkadienne était décimale, et non pas sexagésimale comme la sumérienne. Cette décimalité a sans doute joué dans le renforcement de la base auxiliaire 10. Elle s'est traduite dans la numération écrite de la manière exposée dans l'encadré 15. La principale différence par rapport à la notation sumérienne est l'introduction de signes (et de noms) particuliers pour 100 (ME) et 1 000 (LIM), signes (et noms) qui sont utilisés dans la composition des symboles (et des noms) des nombres supérieurs à 100 et à 1 000.
Cette écriture est directement dérivée de l'écriture phonétique du nom des nombres 100 et 1 000 ; en effet, en akkadien
100 se dit ME-AT et s'écri ; le signe
et le nom ME
correspondent donc à la première syllabe du mot ME-AT,
cent ; 1 000 se dit LIM, il s'écrivit d'abord LI-IM, soit
puis LIM
; cette dernière écriture
provient manifestement de la combinaison du signe ME
(100) et du signe
(10), soit 10 × 100 = 1 000.
La notation des fractions se faisait, dans le système primitif, comme il est indiqué dans l'encadré 16. On verra ci-après une autre notation, plus tardive, correspondant à notre utilisation du zéro initial et de la virgule dans la numération.
Sumérienne ou akkadienne, sexagésimale ou décimale, la numération mésopotamienne est, jusqu'ici, une numération qui a pour principe la juxtaposition de symboles différents à valeurs fixes, et non une numération de position. Cependant, vers 2000 av. J.-C., une telle numération positionnelle va apparaître. On a déjà remarqué que le même symbole (à la taille près) est utilisé pour 1 et 60. Cette ressemblance va favoriser le passage à la numération de position en suggérant l'utilisation des mêmes symboles pour noter les unités et les puissances successives de la base (1, 60, 3 600...). Pour les nombres de 1 à 59 on conserve la même notation que précédemment, mais pour les nombres supérieurs à la base 60 le principe de composition des symboles se modifie. Un exemple le fera mieux saisir (encadré 17).
17. LE PASSAGE À LA NUMÉRATION DE POSITION
(Réf. : Guitel, Ifrah)
Dans ce système de position, on n'utilise donc que les symboles représentant les nombres inférieurs à la base 60, mais on leur donne des valeurs variant selon leur position (exactement comme dans 1 967, on n'utilise que des symboles de nombres inférieurs à la base 10, mais en donnant à 1 la valeur de 1 000, à 9 celle de 900, etc.). Pour les nombres inférieurs à 60, comme il ne peut être question de créer 59 symboles différents, on continue d'employer le principe de juxtaposition (avec la base auxiliaire 10). Noter aussi le système spécial pour écrire les nombres multiples de 36 000, qui est une variation proche du système positionnel.
C'est là la plus ancienne numération de position qui nous
ait été conservée. Elle n'est pas encore parfaite ; par
exemple, elle resta longtemps sans connaître le zéro qui
pourtant joue un rôle important dans la numération de position (encadré 12). Tout d'abord on laissa un vide pour le
marquer (comme si l'on écrivait 1 34 pour 1034), mais une
telle notation est susceptible d'entraîner des erreurs et, en
outre, elle ne permet pas de noter le zéro terminal. Sous les
Séleucides (après Alexandre le Grand, et donc dans une période qui sort du cadre de cette étude), on utilisa le signe de
séparation des mots ( ou
) pour marquer le zéro médial ;
le zéro terminal fut noté par les signes
ou
. Enfin, on
nota le zéro initial par
; un tel zéro initial correspond à
l'utilisation que nous faisons de la virgule pour noter les fractions (par exemple, 1/2 (soit 0, 5 en notation décimale)
pouvait s'écrire
, c'est-à-dire 0.30, soit 0 unité et
30 soixantièmes).
Il s'écoula une longue période entre l'apparition de la numération de position et celle de la notation du zéro initial ou terminal (le médial étant marqué par un vide). Cette longue absence du zéro, et l'absence d'un signe équivalent à notre virgule, vont poser quelques problèmes, car il n'est ainsi jamais indiqué à quel degré de la base correspond le dernier chiffre (si bien qu'il peut correspondre aux unités, aux 60taines, aux 3 600taines... ou aux 60èmes, 3 600èmes...). On est donc souvent plus ou moins obligé dans ces cas de recourir à la vraisemblance et au contexte pour comprendre de quels nombres il s'agit ; on en verra plusieurs exemples lors de l'étude des problèmes mathématiques. Il y a cependant un avantage : le même calcul vaut pour les diverses puissances de la base (c'est-à-dire que les tables de calcul sont valables aussi bien pour les unités, les 60taines, 3 600taines, ... 60èmes, 3 600èmes, etc. ; les multiplications et divisions se font alors par ce qui est chez nous un déplacement de virgule ou un jeu de zéro final).
La numération mésopotamienne a donc connu une évolution qui l'a amenée à un bon niveau d'élaboration (le zéro et la numération de position n'ont jamais été connus des Grecs ni des Romains) ; cependant la grandeur de sa base (60) l'empêcha de devenir un outil mathématique commode. Le poids de la tradition qui a imposé cette base 60, malgré l'apport akkadien d'une numération décimale, a sans doute son origine dans la conception mystique qu'ont eue des nombres les Mésopotamiens (voir l'encadré 40, page 119).
L'encadré 18 donne un résumé des différentes mesures utilisées en Mésopotamie dans l'Antiquité. Cette métrologie utilise de manière conséquente le principe sexagésimal de la numération (grande importance dans cette métrologie des multiples et sous-multiples de 6, 12, 30, 60 ; avec parfois la trace de la base auxiliaire 10) – tout comme notre système métrique suit le principe décimal de notre numération. Cette métrologie a une grande unité de composition, non seulement dans l'articulation des mesures de longueur, surface et volume, mais aussi celles de poids (remarquer que l'unité de poids est rapportée à l'unité de volume en ce qu'elle est le poids en eau de celle-ci, tout comme notre kilogramme est le poids d'un litre d'eau), et celle de temps (puisque l'unité de temps est reliée à l'unité de longueur, de manière un peu lâche, par la distance parcourue en marchant, et à l'unité de poids par la quantité d'eau qui s'écoule de la clepsydre – horloge à eau). Remarquer également la relation entre la mesure du temps (360 gesh en un jour) et la division du cercle (360o) ; notre utilisation d'unités de temps et de mesures d'angles sexagésimales trouve ici son origine (tout comme notre semaine de 7 jours se rattache à une pratique mésopotamienne qu'on évoquera lors de l'étude du calendrier).
Tout ceci montre que la métrologie était bien adaptée à la pratique (les relations entre les longueurs, surfaces, volumes, etc. sont simples et commodes) et au calcul (la métrologie repose sur le même principe sexagésimal que la numération). Il faudra attendre l'invention du système métrique pour en trouver l'équivalent.
18. LA MÉTROLOGIE EN MÉSOPOTAMIE
(Réf. : Caveing)
Mesures de longueur (nom sumérien, nom akkadien)
1 coudée (kús-U, ammatu) | = | 2 empans (SU-BAD) |
= | 3 pieds (kus, ammatu) | |
= | 30 doigts (SU-SI, ubanu) | |
= | 0, 495 mètre à Babylone | |
(0, 395 m à Khorsabad) |
1 pas (kús-gal, ammatu-ara) = 1, 5 coudée
1 canne (Gl, qanû) = 6 coudées
1 borne (GARDU, NINDA) = 12 coudées
1 corde (SU, aslu) = 2 demi-cordes (SUB-BAN) = 120 coudées
1 stade (US) = 6 cordes
1 lieue (danna, berû) | = 180 cordes = 216 000 coudées |
= 10, 692 km à Babylone (=2 heures de marche) |
Mesures de surface
1 verger (SAR. musanu) | = 1 borne2 = 35, 28 m2 à Babylone |
= 60 gìn | |
= 180 grains (še, šeu) |
1 arpent (iku, gan) | = 100 vergers |
= 2 demi-arpents (ubu, ubû) | |
= 4 quart-d'arpents (uzalag) = 8 1/8-arpents |
1 eše (ebel) = 6 arpents = 600 vergers
1 champ (bùr, bûru) = 18 arpents
1 sar (šaru) – 60 champs
Mesures de volume
Ce sont les mêmes que les unités de surface multipliées par une hauteur de 1 coudée.
Ainsi 1 SAR-volume | = 1 SAR-surface × 1 coudée |
= 1 borne2 × 1 coudée | |
= (12 coudées)2 × 1 coudée = 144 coudées3 | |
= 17, 465 m3 à Babylone |
(et non pas 1 SAR-volume = 1 borne3 = 1 728 coudées3)
Il existe des mesures de capacité, pour les liquides, les grains :
1 sila (qâ) = 1/144 coudée3 = 0, 842 litre à Babylone
1 gin (šiqlu) = 1/60 sila
1 bán (sûtu) = 10 sila
1 bán-es (simdu) = 30 sila
1 gur = 144 sila = 1 coudée3 = 121, 25 litres à Babylone
1 gur-lugal (gur-sarri) = 300 sila
et différentes variantes avec des multiples et sous-multiples décimaux ou sexagésimaux du sila.
Il existe aussi des mesures de volume pour les briques :
1 gìn = 12 briques
1 šar = 12.0 briques = 720 briques = 60 gìn
1 ubu = 10.0.0 briques = 36 000 briques
1 iku = 20.0.0 briques = 72 000 briques
Mesures de poids
1 mine (mana, manú) | – 1/240 coudée3 en eau |
= 505 grammes (pour une coudée de 0.495 m) |
1 sicle (gin, šiqlu) | = 2 demi-sicles (TAR-gìn) |
= 1/60 mine |
1 grain (še, šeu) = 1/180 sicle
1 petit sicle (gìn-tur, šiqlu-sḥarru) = 3 grains
1 minette (ma-na-tur, mana-sḥarru) = 60 grains
1 talent (gun, biltu) = 60 mines (poids de l'eau qui s'écoule de la clepsydre en 24 heures = 12 berû)
Mesures de temps
12 berû en un jour de 24 heures, soit 1 berû = 2 heures
1 berû = 30 gesh | (soit 360 gesh en 24 heures, un tour de cadran, |
soit 360o ; 1 gesh = 1 degré) |
N.B. : 1 lieue = 1 berû = 2 heures de marche (10, 692 km)
1 talent = 12 berû, soit 1 berû = 5 mines d'eau s'écoulant de la clepsydre
On envisagera d'abord la manière de faire les principales opérations (calcul), puis on exposera quelques problèmes arithmétiques que savaient résoudre les Mésopotamiens. On étudiera ensuite quelques cas qui semblent relever d'un traitement algébrique, et enfin les connaissances géométriques (avec notamment le théorème de Pythagore et celui de Thalès) et les problèmes qu'elles permettaient de résoudre.
Les divers calculs sont assez difficiles dans une numération sexagésimale, du fait de l'importance de la base, surtout quand la numération n'est pas « de position ». L'addition et la soustraction ne posent pas de problèmes insurmontables. On peut vraisemblablement penser qu'il était fait usage d'instruments tels que la planche à calcul (voir l'encadré 19), quand on ne s'aidait pas tout simplement de ses doigts ou d'autres parties de son corps (comme c'est la tradition dans bien des sociétés).
Les véritables difficultés commencent avec la multiplication et la division dans une numération de base si grande (l'emploi de la planche à calcul est assez difficile pour ces opérations). Quand la numération fut devenue « de position », on a pu assez facilement multiplier ou diviser un nombre par la base ou une de ses puissances (60, 3 600, ..., 1/60, 1/3 600...) par un procédé comparable à notre déplacement de la virgule ou notre jeu avec les zéros terminaux (c'est-à-dire comme nous multiplions ou divisons par 10, 100, ..., 0, 1, 0, 01, ...). On conçoit également que le calcul n'était pas non plus très difficile avec certains diviseurs de la base comme 3, 6, 10, 12... (pour diviser par 6, on multiplie par 10 et on divise par 60 ; tout comme nous faisons pour diviser par 5 : multiplication par 2 et division par 10).
19. LA PLANCHE À CALCUL
La manière la plus simple de calculer est de compter sur ses doigts, ensuite vient la planche à calcul. Nous n'avons pas trouvé, dans la littérature spécialisée, mention de l'existence d'instruments de ce type en Mésopotamie antique. Cependant, comme c'est un moyen de calcul universellement répandu, sous diverses formes allant du simple tableau tracé dans la poussière du sol au boulier, en passant par diverses cordes à nœuds, nous pensons devoir exposer brièvement son fonctionnement et comment il a pu intervenir dans l'invention de la numération de position.
La plus simple planche à calcul consiste à tracer dans la poussière du sol le tableau ci-dessous (système décimal).
Chacune des colonnes correspond aux différentes puissances de la base n de la numération (ici n = 10). On représente chaque nombre en mettant dans les différentes colonnes des jetons (des petits cailloux, en latin calculi, d'où le nom de calcul) correspondant à sa décomposition en puissances de la base (pour 168 : 1 jeton dans la colonne des centaines. 6 dans celle des dizaines, et 8 dans celle des unités). Pour additionner les nombres, on additionne les jetons dans chaque colonne, et à chaque fois qu'on atteint n (ici 10) on ajoute un jeton dans la colonne de la puissance supérieure de la base, en enlevant 10 jetons de la colonne considérée. Le contraire pour la soustraction. Les multiplications et divisions sont un peu plus compliquées, et doivent être décomposées en additions et soustractions successives. On peut perfectionner le système en employant des jetons de formes différentes selon les puissances de la base auxquelles ils correspondent ; on peut remplacer les colonnes par des tiges sur lesquelles sont enfilés les jetons (boulier), etc. On conçoit sans peine que la numération de position est simplement la transposition écrite de cette planche à calcul. La nécessité d'une manière de noter l'absence de jetons dans une colonne correspond à la nécessité du zéro dans la numération de position (zéro médial comme c'est le cas dans l'exemple ci-dessus 2 043, mais aussi zéro terminal quand c'est la colonne des unités qui est vide).
Pour les autres nombres, les Mésopotamiens disposaient de tables de multiplication et de tables d'inverses. Ces tables ont vraisemblablement été établies par comptage ou tâtonnements, et les résultats ont alors été consignés pour qu'il ne soit pas nécessaire de refaire le comptage à chaque fois. Ici encore, la difficulté de la mise au point de ces tables provient de l'importance de la base (alors que dans une base 10, comme celle de notre système, on peut très facilement reconstituer par comptage une table de multiplication que l'on a oubliée, en utilisant notamment le principe de la numération de position). Cette gêne qu'apporte l'importance de la base se retrouve dans le fait que l'ensemble de toutes les tables de 1, 2, 3, ..., 59 par respectivement 1, 2, 3, ..., 59 comprend 3 481 multiplications (soit 59 × 59, ce qu'on peut ramener à 1 740 du fait de la commutativité de la multiplication, a × b = b × a). Les Mésopotamiens ne connaissaient pas ce qu'on appelle « table de Pythagore », c'est-à-dire une table carrée à double entrée du type :
Pour pallier cet inconvénient, ils ont utilisé la base auxiliaire 10 et le fait que 60 a de très nombreux diviseurs ; si bien qu'il suffit de construire un nombre assez limité de tables (les multiplications par les diviseurs de 60 se font assez facilement dans une numération sexagésimale et s'articulent les unes aux autres comme on l'a indiqué ci-dessus). On remarquera que les tables faites avec les unités peuvent servir pour les plus grands nombres (comme une table de 7 peut servir pour 70 ou 700), soit par un décalage de symboles (quand la numération est encore de juxtaposition), soit directement (quand elle est de position).
L'encadré 20 donne l'exemple d'une table de multiplication par 25, provenant de Suse et datant vraisemblablement de la première moitié du IIe millénaire av. J.-C. ; elle est en numération de position et elle contient une erreur.
Pour les divisions, les Mésopotamiens utilisaient des tables d'inverses ; c'est-à-dire que, pour diviser a par b, ils cherchaient dans la table quel était l'inverse de b (soit 1/b), puis ils multipliaient a par cet inverse 1/b ; cette dernière opération se faisant grâce aux tables de multiplication évoquées ci-dessus. La division (multiplication par l'inverse) se faisait donc en deux étapes.
L'encadré 21 montre comment se présente la plus ancienne table d'inverses qu'on ait découverte. Dans cette table, seuls les inverses « tombant juste » sont indiqués ; ainsi l'inverse de 2 est 30 en numération sexagésimale (en fait, ce devrait être 0.30, mais le zéro et la virgule étaient alors inconnus). Pour diviser par 2, on multiplie donc par 30 et on joue avec le degré de la puissance de la base représenté par le dernier chiffre du résultat (c'est-à-dire qu'on « déplace la virgule », pour multiplier en fait par 0.30). On fait de même pour tous les cas réguliers, c'est-à-dire quand l'inverse tombe juste.
Avec cette table, pour diviser par 7 (dont l'inverse ne tombe pas juste), le Mésopotamien était obligé de chercher par tâtonnements quel est le nombre qui, multiplié par 7, est le plus proche possible du nombre qu'il doit diviser. Il existe cependant une tablette (YBC 10529), datant de la 1re dynastie de Babylone (soit entre 1900 et 1600 environ – et donc un peu postérieure à celle présentée dans l'encadré 21) qui donne avec une bonne approximation les inverses de ces nombres irréguliers. La division par ceux-ci (7, 11, ...) pouvait alors se faire comme celle par les nombres réguliers (2, 3, 4, ...).
21. TABLE D'INVERSES
(Réf. : Guitel)
Origine de la tablette : Tello – Date : 2000 av. J.-C. environ.
Texte | Traduction |
2 igi 30 | La 2e partie est 30 (1/2 = 30 en système sexagésimal) |
3 igi 20 | La 3e partie est 20 |
4 igi 15 | La 4e partie est 15 |
5 igi 12 | La 5e partie est 12 |
6 igi 10 | La 6e partie est 10 |
7 igi nu | La 7e partie n'est pas (convertible) |
8 igi 7.30 | La 8e partie est 7.30 |
9 igi 6.40 | La 9e partie est 6.40 |
10 igi 6 | La 10e partie est 6 |
11 igi nu | La 11e partie n'est pas (convertible) |
................. | |
59 igi nu | La 59e partie n'est pas (convertible) |
60 igi 1 | La 60e partie est 1 |
Outre les quatre opérations fondamentales (+ – × : ), les Mésopotamiens connaissaient les élévations des nombres à diverses puissances et les extractions des racines carrées et cubiques. On a retrouvé des tablettes donnant les carrés et les cubes (et donc, inversement, les racines carrées et cubiques de ces carrés et cubes) de nombres allant de 1 à 60 (les racines sont donc toujours, dans ces tables, celles de carrés et de cubes parfaits). L'encadré 22 montre la reproduction, la transcription et la traduction en système décimal d'une table de carrés (ou racines carrées) datant de 1800 av. J.-C. environ.
Une tablette (YBC 7289) datant vraisemblablement de la 1re dynastie babylonienne (soit entre 1900 et 1600) contient une valeur très précise de la racine carrée de 2. (Voir l'encadré 34, page 105 pour la reproduction de cette tablette.) Nous y reviendrons un peu plus loin lorsque nous parlerons du théorème de Pythagore. Indiquons cependant dès maintenant que la valeur qu'elle donne à la racine carrée de 2 est 1.24.51.10 en système sexagésimal, soit 1, 4142128 en système décimal, alors que la racine exacte à 7 chiffres après la virgule est 1, 4142135. Cela suggère fortement que l'on savait alors extraire la racine carrée de 2 (et sans doute d'autres nombres) avec une très bonne approximation. O. Neugebauer et A. Sachs pensent que cette extraction se faisait comme il est indiqué dans l'encadré 23. Ce n'est évidemment qu'une hypothèse, mais, comme on aura plusieurs fois l'occasion de le voir, les Mésopotamiens semblent avoir eu d'extraordinaires capacités à manipuler les nombres de toutes sortes de manières, manipulations dont ils consignaient soigneusement les résultats.
22. TABLE DE RACINES CARRÉES
(Réf. : G. Ifrah, Histoire universelle des chiffres. Ed. Seghers)
Tablette provenant de Nippur et datant de 1800 av. J.-C. environ.
Transcription et reconstitution
01 e 1 ib-sig | 13.04 e 28 ib-sig |
04 e 2 ib-sig | 14.01 e 29 ib-sig |
09 e 3 ib-sig | ....... |
16 e 4 ib-sig | |
........... |
Traduction
1 est la racine de 1
2 est la racine de 4
3 est la racine de 9
4 est la racine de 16
...
28 est la racine de 13.04 (=784)
29 est la racine de 14.01 (=841)
(Dans l'expression 01 e 1 ib-sig, le chiffre 8 qui indexe la syllabe si signifie que le signe cunéiforme correspondant est le 8ème homophone si .)
23. EXTRACTION DE LA RACINE CARRÉE
(Réf. : Neugebauer & Sachs, 1945)
Pour calculer la racine carrée d'un nombre A qui n'est pas un carré parfait, il est possible que les Mésopotamiens utilisaient la méthode suivante :
Choisir un nombre a, tel que a soit légèrement supérieur à A (donc a, est légèrement supérieur à la racine carrée de A).
Calculer le nombre b1 = A/a1 (donc b1 est légèrement inférieur à la racine carrée de A).
Calculer les nombres a2 = (a1 +b1)/2 et b2 = A/a2 (soit an+1 = (an+bn)/2 et bn+1 ≃ A/an).
Et ainsi de suite pour a3 et b3. a4 et b4, ... jusqu'à obtention de nombres an et bn qui soient à peu près égaux.
On a alors an ≃ bn ≃ √A .
On pense que les Mésopotamiens utilisaient aussi, pour calculer la racine carrée d'un nombre A qui n'est pas un carré parfait, la formule d'approximation suivante :
A = a2 + b √A = a + b/2a
Formule qui, évidemment, ne peut pas s'appliquer aux nombres qui ne sont pas décomposables en une somme de type a2 + b, ce qui est le cas pour A = 2.
La tablette YBC 6295 (1re dyn. babylonienne) contient un exemple de calcul d'une racine cubique pour un nombre qui ne figure pas dans la table des cubes ou des racines cubiques. L'encadré 24 donne le texte de cette tablette et explicite la méthode suivie. Il semble clair que ce cas a été choisi par le scribe parce qu'il tombe juste ; il n'en reste pas moins vrai que la méthode est correcte, même si elle n'est pas clairement formulée mais seulement illustrée par l'exemple.
Enfin, notons qu'il existait des tables donnant les puissances successives d'un même nombre (ce qu'on pourrait appeler par anticipation des tables de logarithmes). L'encadré 25 donne la transcription et la traduction en système décimal de la tablette MLC 2078 qui date de la 1re dynastie de Babylone (1900-1600). Le verso de cette tablette se comprend immédiatement : il s'agit des puissances successives de 2 (21 = 2, 22 = 4, ..., 26 = 64), ce que la tablette appelle « racine » est en fait le degré de la puissance de 2. Le recto (qui contient une erreur : 1.16 au lieu de 1.15) est moins immédiatement compréhensible : il s'agit de la suite des puissances de 16, allant de la puissance 1/4 (0.15 en sexagésimal ; 0, 25 en décimal) à la puissance 3/2 (1.30 en sexagésimal ; 1, 5 en décimal). Ce que la tablette appelle « racine » est alors la puissance. Ce qui peut être compris comme une table de logarithmes de base 16 :
161/4 = 2 | ou 24 = 16 | soit log162 = 1/4 |
161/2 = 4 | ou 42 = 16 | soit log164 = 1/2 |
......... | ||
163/2 = 64 | ou 642/3 = 16 | soit log1664 = 3/2 |
Il y a un certain flou dans le sens de l'expression X e Y íb-si8 où Y est tantôt le degré de la puissance, tantôt la puissance, tantôt la racine ; il semble bien qu'un même terme désigne ainsi des notions parentes (comme, d'ailleurs, le terme « puissance »). Quoi qu'il en soit, les suites de nombres de la tablette sont bien dans les rapports exposés ci-dessus ; ce qui indique une conception mathématique déjà très élaborée.
24. EXTRACTION DE LA RACINE CUBIQUE
(Réf. : Neugebauer & Sachs, 1945)
Tablette YBC 6293 (Ire dynastie de Babylone)
Traduction | Interprétation moderne |
Exemple de racine cubique. Quelle est la racine cubique de 3.22.30 ? | a = 3.22.30 = 729 000 (syst. déc. en prenant le nombre le plus à droite (30) comme celui des soixantaines). |
Puisqu'elle n'est pas donnée dans la table, pose 7.30.0 dont la racine cubique est donnée, à savoir 30. | b = 7.30.0 = 27 000 |
Prends l'inverse de 7.30.0, soit 0, 0.0.8. | 1/b = 0, 0.0.8 = 1/27 000 |
Multiplie 0, 0.0.8 par 3.22.30, le résultat est 27. | 1/b × a = a/b = 27 |
Quelle est la racine cubique de 27 ? C'est 3. | ![]() |
Multiplie 3, la racine cubique, par 30, l'autre racine cubique, le résultat est 1.30. |
|
La racine cubique de 3.22.30 est 1.30. | ![]() |
Commentaire
La méthode consiste à introduire un nombre auxiliaire dont on connaît la racine cubique et à appliquer la formule ∛a = ∛a/b x ∛b. C'est ce que fait le scribe ; on remarquera toutefois qu'il a choisi un cas où la racine cubique « tombe juste ». Voir aussi la division réalisée par la multiplication par l'inverse.
25. TABLE DES PUISSANCES SUCCESSIVES
(Réf. : Neugebauer & Sachs, 1945)
Tablette MLC 2078 (1re dynastie de Babylone)
Texte recto | Traduction (système décimal) | |
15 e 2 íb-si 30 e 4 íb-si 45 e 8 íb-si 1 e 16 íb-si 1.16 e 32 íb-si 1.30 e 1.4 íb-si | 2 est la racine de 4 8 16 32 64 | 0, 25 (0.15 en sexagésimal) 0, 5 (0.30 en sexagésimal) 0, 75 (0, 45 en sexagésimal) 1 1.25 (1.15 et non 1.16) 1, 5 (1.30 en sexagésimal) |
Texte verso | ||
2 e 1 íb-si 4 e 2 íb-si 8 e 3 íb-si 16 e 4 íb-si 32 e 5 íb-si 1.4 e 6 íb-si | 1 est la racine de 2 3 4 5 6 | 2 (21 = 2) 4 (22 = 4) 8 (23 = 8) 16 32 64 (1.4 en sexagésimal) |
Il existe ainsi toutes sortes de tables contenant des suites de nombres (les unes destinées à l'arithmétique, d'autres à la géométrie ou à l'astronomie – voir un peu plus loin). Certaines d'une interprétation facile, d'autres plus difficiles. Pour ce qui concerne les tables arithmétiques, nous nous limiterons à celles que nous venons d'exposer, parce que ce sont les plus simples, les moins contestables et surtout les plus fondamentales.
Les Mésopotamiens vont utiliser ces méthodes de calcul pour résoudre différents problèmes arithmétiques, géométriques et même algébriques.
Les problèmes arithmétiques abordés sont en général simples et ont souvent un intérêt pratique. Il s'agit de répartir entre plusieurs hommes un bien quelconque (grain, pains, bière, terre, ...), soit de manière égale (l'encadré 26 en donne un exemple datant de 2650 av. J.-C. environ), soit de manières inégales (l'encadré 27 en donne un exemple, datant de la 1re dynastie babylonienne, où il faut répartir une certaine quantité d'argent entre 10 frères selon une progression arithmétique). Ce dernier exemple montre que les Babyloniens connaissaient le principe de la progression arithmétique (d'autres tablettes montrent qu'ils connaissaient aussi les progressions géométriques) et savaient faire les calculs qui s'y rapportent (calcul des différents termes, de leur somme, de la raison, etc.).
26. PROBLÈME DE RÉPARTITION DE GRAIN
(Réf. : Guitel)
Tablette sumérienne (Shuruppak, 2650 av. J.-C. environ).
Traduction
I – (étant donné) 1 grenier d'orge
II – 7 (mesures dites) sila
III – chaque homme reçoit
IV – ces hommes sont
V – 164 571 (en système décimal)
VI – il reste 3 sila d'orge
(N.B. : 1 grenier vaut 1 152 000 sila)
Interprétation
On donne un grenier d'orge.
Chaque homme en reçoit 7 sila.
Combien sont ces hommes ?
Réponse : 164 571, et il reste
3 sila d'orge.
27. PARTAGE SELON UNE PROGRESSION ARITHMÉTIQUE
(Réf. : Caveing)
Tablette STR 362, 1re dynastie babylonienne (origine : Ourouk ?)
Traduction (les nombres ont été transcrits en système décimal) | Interprétation en termes mathématiques modernes |
10 frères se sont partagé une mine et 2/3 de mine d'argent. Un frère s'est élevé au-dessus de l'autre, de combien, je ne sais. La part du huitième est de six sicles. De combien un frère s'est-il élevé au-dessus de l'autre ? | Il s'agit d'une progression arithmétique de n termes (n=10), de raison r inconnue à calculer, la somme des termes étant S=1+2/3 de mine = 100 sicles. Le huitième terme est a8=6 sicles. On note ai les différents termes, soit a1 le premier, a2 le deuxième, ... 1/n = 0, 1 |
Toi, en opérant, dénoue l'inverse de 10. les hommes, cela te donnera 0, 1. Tu porteras 0, 1 à 1 mine et 2/3 de mine d'argent, cela te donnera 10. Double 10, cela te donnera 20. Double 6, la part du huitième, cela te donnera 12. Retranche 12 de 20, cela te donnera 8. Que ta tête retienne 8. Additionne 1 et 1 ;... ; cela te donnera 2 ; double 2, cela te donnera 4. Tu ajouteras 1 à 4, cela te donnera 5. Soustrais 5 de 10. les hommes, cela te donnera 5. Dénoue l'inverse de 5, cela te donnera 0, 2. | |
S × 1/n = S/n = 100/10 = 10 | |
2S/n = 20 2a8 = 12 | |
2S/n – 2a8 = 20 – 12 = 8 | |
Voir schéma ci-dessous et le commentaire pour le calcul de ce nombre 5. | |
n/2 = 5 2/n = 0, 2 | |
Porte 0, 2 à 8, cela te donnera 1, 6. 1, 6 est ce dont chaque frère s'est élevé au-dessus de l'autre. | (2S/n – 2a8) × 2/n = 1, 6 |
Commentaire
La méthode revient à appliquer la formule r = (2S/n – 2a8) × 2/n.
Si S/n correspond à la moyenne des 10 parts, (S/n – a8) correspond à la différence entre cette moyenne et la 8e part (celle-ci étant plus petite que la moyenne – alors que les premières parts sont plus grandes que la moyenne). La moyenne des 10 parts est aussi la moyenne des parts a5 et a6 (qui sont les parts « du milieu » – voir le schéma ci-contre). Il y a donc de la moyenne à a8 une différence égale à 2, 5 fois la raison r (qui est aussi la différence entre deux parts successives) ; soit :
r = (S/n – a8)/2, 5 qui devient
r = (2S/n – 2a8)/5 par multiplication du numérateur et du dénominateur pour éliminer le nombre fractionnaire.
On doit remarquer que le calcul de ce nombre 5 par le scribe n'est pas très clair. On peut penser que si S/n – a8 est égal à la différence entre a8 et la moyenne de a5 et a6, alors 2 (S/n – a8) – soit (2S/n – 2a8) – est égal à la différence entre a3 et a8, a, étant symétrique de a8 par rapport à cette moyenne. En conséquence, cette valeur de 5 est le nombre de fois qu'il y a la raison entre a3 et a8 (soit 1 fois entre chaque terme, d'où le calcul de 1 + 1, que l'on multiplie par 2, c'est-à-dire la différence entre a3 et a4, et celle entre a4 et a5, multiplié par 2 pour avoir le symétrique : a6 ct a7, et a7 et a8, à quoi on additionne 1 pour avoir la différence entre a5 et a6 – voir le schéma).
Un autre problème, qui a une application évidente, est celui du calcul des intérêts sur le prêt d'une somme d'argent (en général le taux était de 0.12, soit 20 %, sur une année de 6.0, soit 360 jours). L'encadré 28 en donne un exemple tiré d'une tablette de la 1re dynastie babylonienne (VAT 8528). On remarquera que de tels problèmes nécessitent l'emploi des logarithmes, ce que le scribe parvient à faire ; ce qui prouve, une fois de plus, la grande habileté des Mésopotamiens à manipuler les nombres.
28. PROBLÈME D'INTÉRÊTS
(Réf. : Caveing)
Tablette VAT 8528, datant de la 1re dynastie babylonienne.
Traduction (système décimal) | Interprétation |
Une mine d'argent au taux de 12 sicles pour une mine (20 %) j'ai prêté ; j'ai reçu, argent et son intérêt, un talent quatre mines ; combien de jours se sont accumulés ? Pose 1, l'argent. Pose 1, une mine. Pose 0, 20 son intérêt. Pose 360 (jours), l'année. Enfin pose 64 mines (1 talent et 4 mines) l'argent et son intérêt. Puis porte 0, 20, l'intérêt, à 1, l'argent initial ; 0, 20 mine est son intérêt. | 1 mine = 60 sicles 1 talent = 60 mines |
a = 1 i = 0, 20 | |
C = 64 | |
Calcul de l'intérêt au terme de la première année : i = a × 0, 20 = 1 × 0, 20 = 0, 20 | |
Porte 0, 20 à 5 années : 1. En 5 années, l'argent et son intérêt deviennent égaux. | Doublement du capital en 5 ans par intérêts simples : 5i=a |
Ajoute 1 l'intérêt des 5 années, à 1, l'argent initial : 2. Sépare l'inverse de 2 : 0, 5. | Capitalisation des intérêts au bout de 5 ans, le capital est alors 5i+a = 2a = 2 1/ (5i+a) = 0, 5 |
Porte 0, 5 à 64, la somme de l'argent et de son intérêt : 32. | C/ (5i+a) = C/2a = 64 × 0, 5 = 32 |
Si x est le nombre d'années s'écoulant entre le premier doublement de capital (qui s'effectue tous les 5 ans) et le moment où C est acquis, on a : x = 5n avec n tel que 2o = 32 c'est-à-dire 2o = C/2a ou encore n = log2 (C/2a) | |
Quel est le ba-si de 2 : 1. | log22 = 1 |
Sépare l'inverse de 2 : 0, 5. | 1/2 = 0, 5 |
Porte 0, 5 à 30 : 15. | 30 × 0, 5 = 15 soit 2o – 2 = (C/2a) – 2 = 30 (2n – 2)/2 = 2n-1 – 1 = 15 |
À 15 ajoute 1, l'unité : 16. | 2n-1 = 15+1 = 16 |
Quel est l'ib-sa de 16 : 4. | Racine de 16 est 4, mais log216 est aussi 4 (la racine carrée est prise pour le logarithme dans ce cas où ils sont égaux). |
Additionne 4 et 1, les ib-sa, 5. | log232 = log216 + log22 = 4+1=5 = n |
Porte 5 à 5 années : 25. | x = 5n = 5 × 5 = 25 |
En outre ajoute 5 années à 25 : 30. Ce sont les 30 années de 1 talent 4 mines, le capital et son intérêt. | On ajoute les 5 années initiales avant le premier doublement. |
Commentaire
Le texte est suivi d'une « preuve » où l'on calcule la valeur de C au bout de 30 ans par un calcul inverse.
Noter l'indécision dans la terminologie entre « racine carrée » et « logarithme », imprécision déjà signalée à propos des puissances.
La méthode est correcte s'il n'y a transformation des intérêts en capital que tous les 5 ans. Noter que le scribe emploie la formule :
x = 5log2 (C/2a) au lieu de x = 5log2 (C/a)
parce qu'il commence le calcul après la première capitalisation des intérêts.
Les problèmes n'ont pas tous un intérêt pratique aussi évident que ceux-ci ; certains semblent relever de la pure spéculation mathématique, mais même alors ils conservent un aspect très concret. C'est le cas du problème exposé dans l'encadré 29, où il s'agit de trouver le poids d'une pierre : les opérations pratiquées sur cette pierre sont évidemment impossibles – d'où l'absence d'intérêt pratique –, mais elles restent très concrètes – il s'agit du poids d'une pierre et non d'une quantité abstraite à découvrir. Ce problème, très simple, correspond, en termes modernes, à une équation du premier degré à une inconnue. La méthode suivie n'est pas indiquée, le résultat est donné directement. La tablette, dont il est extrait, date de la 1re dynastie de Babylone et contient 22 problèmes du même genre. C'est là une caractéristique que nous retrouverons plusieurs fois par la suite : souvent les tablettes sont couvertes d'une succession de problèmes tournant tous autour d'un même centre d'intérêt, parfois classés de manière à envisager tous les aspects de ce centre d'intérêt (voir par exemple les encadrés 31 et 39 pages 98 et 117). Il semble que de telles tablettes compensaient l'absence de lois mathématiques explicitement formulées : les problèmes qu'elles exposaient servaient sans doute d'exemples à partir desquels on résolvait des problèmes de même genre avec d'autres données numériques.
29. ÉQUATION DU 1er DEGRÉ À UNE INCONNUE
(Réf. : Neugebauer & Sachs, 1945)
Problème no 8 de la tablette YBC 4652 (1re dyn. de Babylone). (Cette tablette contient 22 problèmes du même genre.)
J'ai trouvé une pierre, mais je ne l'ai pas pesée ; puis j'ai ajouté un septième et j'ai ajouté un onzième [N.B. : l'énoncé ne le précise pas, mais il s'agit du onzième de l'ensemble de la pierre et de son septième]. J'ai pesé : une mine. Quel était le poids original de la pierre ? Le poids de la pierre était 2/3 mine 8 sicles 22, 5 lignes.
(N.B. : 1 mine = 60 sicles = 60 × 180 lignes)
Résolution moderne
On remarquera qu'aucune méthode de résolution n'est indiquée dans la tablette, mais le résultat donné est exact.
Ce problème « algébrique » n'est pas fondamentalement différent de celui du grenier (encadré 26). Celui de l'encadré 30 est un peu plus compliqué, puisqu'il s'agit d'un problème à 2 inconnues. Il est de nature géométrique (il nécessite que l'on sache calculer le volume d'un parallélépipède rectangle) mais son véritable intérêt est évidemment autre : c'est une pure spéculation mathématique, car l'opération qui consiste à ajouter le volume et la section n'a pas grand sens ni sur le plan pratique, ni sur le plan géométrique ; le seul intérêt est « algébrique ». L'encadré 30 compare la méthode suivie par le scribe et le traitement algébrique moderne ; il y a un assez bon parallélisme, même si évidemment le scribe ignorait l'usage consistant à établir des équations où les inconnues sont représentées par des lettres (ou autres symboles).
30. SYSTÈME D'ÉQUATIONS DU 1er DEGRÉ À 2 INCONNUES
(Réf. . Talon)
Tablette BM 85200
Traduction (les nombres ont été transcrits en système décimal) | Interprétation en termes mathématiques modernes |
Longueur, largeur. Ce qu'est la longueur, la profondeur l'est aussi (à un coefficient 12 près, voir la solution). Un volume est creusé. Ajoute le volume et la section, soit 1, 1666. La longueur mesure 0, 5. Quelle est la largeur ? Multiplie 0, 5 la longueur par 12. Tu obtiens 6 pour la profondeur. | x = longueur = 0, 5 y = largeur z = profondeur = 12x S = xy = section V = xyz = volume V + S = xyz + xy = 1, 1666 |
z = 12x = 0, 5 × 12 = 6 | |
Ajoute 1 à 6, tu obtiens 7. | V + S = xyz + xy z = 12x V + S = 12x.xy + xy = xy (12x + 1) 12x = 6 donc 12x + 1=7 donc V + S = 7xy = 1, 1666 donc xy = 1, 1666/7 = 0, 1666 |
L'inverse de 7 ne peut être calculé. Par quoi faut-il multiplier 7 pour avoir 1, 1666 ? Par 0, 1666. L'inverse de 0, 5 est 2, tu le vois (dans les tables). | |
x = 0, 5 1/x = 2 | |
Multiplie 0, 1666 par 2, tu obtiens 0, 3333. C'est la largeur. | xy × 1/x = y = 0, 1666 × 2 = 0, 3333 |
(Noter que la division se fait toujours par la multiplication par l'inverse.)
Ce caractère de pure spéculation mathématique (en même temps que l'aspect concret, puisqu'il s'agit de creuser une excavation) se retrouve dans l'exemple suivant, qui est un problème mettant en jeu ce qu'on qualifierait aujourd'hui d'équation du second degré. L'encadré 31 expose ce problème (dont on trouve plusieurs équivalents dans les tablettes) et compare sa résolution à un traitement algébrique moderne. Le scribe a oublié une solution ; on pourrait penser qu'il l'a négligée parce qu'elle est négative (et qu'un carré de côté négatif ne pouvait avoir de sens pour lui) ; cependant un tel oubli est habituel, même dans les cas où les solutions sont toutes les deux positives. Tout se passe comme si le scribe pensait avoir résolu le problème dès qu'il a trouvé une valeur adéquate pour l'inconnue, sans chercher si d'autres valeurs conviennent également. Il semblerait alors que, malgré le bon parallélisme avec le traitement algébrique moderne, le scribe n'ait pas eu une véritable méthode de résolution des problèmes ressortissant aux équations du second degré, mais qu'il a simplement utilisé une « recette » sans doute mise au point par tâtonnements. La tablette BM 13901, dont est tiré cet exemple, constitue une sorte de manuel contenant 24 problèmes explorant les différentes manières dont peuvent se présenter les équations du second degré ; mais jamais n'est mentionnée la moindre démonstration justifiant la méthode employée ; il semble donc bien qu'il s'agisse d'un recueil de recettes à appliquer selon les cas. Cependant, dans certaines tablettes (A0 8862, par exemple), on trouve une vérification du résultat ; ce qui est un début de justification de la méthode (mais ne permet pas, bien évidemment, de découvrir la seconde solution).
Notons enfin que l'on trouve parfois des problèmes de degrés supérieurs (3e degré, et même jusqu'au 8e), qui sont en général résolus en introduisant des inconnues auxiliaires. Mais, ici encore, il est bien difficile de dire que les Mésopotamiens « savaient » résoudre de tels problèmes, en ce qu'il manque toujours une véritable méthode mathématique logiquement construite, il y a seulement des « recettes » à appliquer ; pas de lois mathématiques explicitement formulées, mais seulement des accumulations d'exemples.
31. ÉQUATION DU 2e DEGRÉ À UNE INCONNUE
(Réf. : Taton)
Tablette BM 13901 – problème no 7.
Cette tablette contient 24 problèmes explorant les différentes manières dont peuvent se présenter les équations du second degré.
Traduction (les nombres ont été transcrits en système décimal) | Interprétation en termes mathématiques modernes |
J'ai ajouté 7 fois le côté de mon carré et 11 fois la surface. Cela fait 6,25. (Il faut calculer le côté.) | x = côté x2 = surface 11x2 + 7x = 6,25 11x2 + 7x – 6,25 = 0 équation du second degré de type ax2 + bx + c = 0 a = 11 b = 7 c = – 6,25 dont les solutions sont données par la formule :
|
Pose 7 et 11. Multiplie 11 par 6,25 = 68,75. | calcul de – ac = 68,75 |
Prends la moitié de 7, soit 3,5. | calcul de b/2 |
Multiplie 3,5 par lui-même, soit 12,25. | calcul de (b/2)2 ou b2/4 = 12,25 |
Ajoute 12,25 à 68,75, soit 81. | calcul de b2/4 – ac
|
La racine de 81 est 9 | calcul de
|
Ote 3,5, que tu as multiplié, de 9 soit 5,5. | calcul de
|
L'inverse de 11 n'est pas dans les tables. Par quoi faut-il multiplier 11 pour avoir 5,5 ? Par 0,5. 0,5 est mon côté. | calcul de soit l'une des solutions de l'équation :
|
La méthode correspond bien à la résolution d'une équation du second degré ; mais elle ne donne qu'une des racines de cette équation.
Tout comme ils ont établi des tables et des listes de problèmes arithmétiques et/ou algébriques classés selon leur nature, les Mésopotamiens ont constitué des tables et des listes classées de problèmes géométriques.
Il existe ainsi des tables datant du début du IIe millénaire (1re dynastie babylonienne) qui donnent de manière correcte la surface des carrés en fonction de leur côté, la surface des rectangles en fonction de leur longueur et de leur largeur. On peut supposer que ces tables avaient un intérêt pratique ; il était sans doute plus simple de s'y référer pour obtenir la surface d'un champ par exemple, même approximativement, que de faire le calcul (qui, de toute manière, exigeait lui-aussi une table de multiplication) vu la lourdeur de la base 60.
On connaît aussi des tables (et des problèmes résolus) qui donnent la surface du cercle en fonction de sa circonférence, selon un procédé qui revient à la formule S = C2/12, où S est la surface et C la circonférence. La formule correcte est, rappelons-le, S = πr2 (r = rayon), ou bien encore S = C2/4π, avec C = 2πr. La formule mésopotamienne équivaut donc à donner à π la valeur de 3, ce qui est une assez mauvaise approximation (comparer à la valeur donnée à la racine carrée de 2 – encadrés 23 et 34, pages 86 et 105 – : les Mésopotamiens étaient bien meilleurs arithméticiens que géomètres ; voir aussi, page 248, l'approximation de π par les Égyptiens). Cette approximation de π = 3 se retrouve dans diverses tablettes, où l'on considère la circonférence comme égale à 6 fois le rayon. Ce qu'il faut sans doute rapprocher de l'inscription de l'hexagone de côté r dans le cercle de rayon r, et, par là, de la division du cercle en 360o. Il existe également au moins une tablette relative au cercle, qui donne les valeurs de divers arcs, cordes, flèches... ; tablette qui est toutefois d'une interprétation assez difficile.
Il semble que les Mésopotamiens savaient aussi calculer la surface du triangle (au moins celle du triangle rectangle : la moitié du rectangle correspondant) et celle du trapèze depuis une haute antiquité. Pour montrer la difficulté d'établir de manière certaine la possession de ces connaissances, nous donnons, dans l'encadré 32, la reproduction d'une tablette de la 1re dynastie babylonienne. Peut-on admettre que la valeur donnée par la tablette pour la surface du trapèze, et obtenue vraisemblablement selon la formule indiquée, est correcte ? Pour cela, il faudrait savoir si on a appliqué la formule dite « des agrimenseurs », qui consiste à calculer la surface d'un quadrilatère par le produit des demi-sommes des côtés opposés, ou si la valeur 2.20 correspond sur la figure à la hauteur du trapèze et non à son côté (auquel cas ce ne serait pas la formule des agrimenseurs, mais la formule correcte h (a + b)/2).
32. SURFACE DU TRAPÈZE
(Réf. : Neugebauer & Sachs, 1945)
Tablette YBC 7290 (1re dyn. de Babylone).
La tablette ne donne que cette figure et ces nombres. La surface est manifestement obtenue par la formule :
Il est difficile de décider, d'après la figure, si la formule est la formule exacte h (a+b)/2, où h est la hauteur et a et b les deux côtés parallèles, ou bien s'il s'agit de l'application de la formule d'approximation de la surface des quadrilatères (le produit des demi-sommes des côtés opposés), car on ne sait pas si 2.20 correspond à la hauteur ou à la longueur des côtés obliques (qui seraient égaux comme dans la figure).
On savait, dès la haute Antiquité, calculer les volumes du cube, du parallélépipède rectangle, du prisme triangulaire (pour autant que l'on savait calculer la surface du triangle) et peut-être celle du cylindre (avec π = 3). Plus compliqué est le calcul du tronc de pyramide carrée qui est donné dans la tablette YBC 5037 (encadré 33) de la 1re dynastie babylonienne. Cette tablette contient 44 problèmes concernant tous le volume d'excavations, soit cubiques, soit parallélépipédiques, soit en pyramide tronquée à base carrée (voir encadré 39 page 117, pour la reproduction de cette tablette).
33. VOLUME DU TRONC DE PYRAMIDE CARRÉE
(Réf. Neugebauer & Sachs, 1945)
Commentaire
Tablette YBC 5037 (1re dyn. de Babylone). Cette tablette contient 44 problèmes concernant tous des volumes (voir sa reproduction dans l'encadré 39, page 117).
Traduction du problème no 35
Une excavation. Chaque côté du carré supérieur est 1/2 gar. Chaque côté du carré inférieur est 4 coudées. La profondeur est 1/2 gar. Quel est le volume ? 1 sar 5 gin est son volume.
En posant 1 gar = 12 coudées, 1 sar = 60 gin = 144 coudées3, a = 6 coudées, b = 4 coudées, h = 6 coudées, le résultat indiqué correspond (mais la méthode n'est pas explicitée dans la tablette) à l'application de la formule V = (a2 + b2) h/2, qu'on peut comprendre comme une approximation assimilant le volume du tronc de pyramide carrée à celui de la superposition de deux parallélépipèdes rectangles, a×a×h/2 et bxbxh/2, comme l'illustrent ces schémas.
La méthode employée dans le problème 35 (encadré 33) n'est pas indiquée, seul le résultat l'est. On voit qu'il est presque exact : il a dû être obtenu par une approximation reposant sur l'assimilation du tronc de pyramide à la superposition de deux parallélépipèdes de hauteur h/2 et de base carrée de côté, respectivement, a et b. La tablette BM 85194 (époque kassite) contiendrait le calcul exact du volume d'un tronc de pyramide carrée ; mais cela peut être discuté, car son interprétation n'est pas facile.
Plutôt que de chercher à faire l'inventaire exhaustif des connaissances géométriques des Mésopotamiens (ce qui est impossible, du fait que, s'il existe plusieurs dizaines de milliers de tablettes, elles sont loin d'être toutes déchiffrées, et que, même alors, ce ne pourrait être qu'un échantillon plus ou moins représentatif des connaissances de l'époque), nous allons maintenant chercher quelles étaient – d'après les tablettes déchiffrées – les connaissances relatives à deux théorèmes célèbres : celui de Pythagore et celui de Thalès.
Le carré de l'hypoténuse d'un triangle rectangle est égal à la somme des carrés des côtés de l'angle droit.
Ni en arithmétique, ni en géométrie, nous n'avons rencontré jusqu'à présent de souci de démonstration de lois mathématiques, mais seulement l'exposition de problèmes résolus et présentés comme des exemples. Il peut donc paraître curieux de se préoccuper maintenant de la connaissance du théorème de Pythagore en Mésopotamie antique. C'est pourtant un thème que l'on rencontre souvent dans les études sur la science antique (en cela, ce théorème joue un peu comme la trépanation dans l'histoire de la chirurgie). Disons dès l'abord qu'on n'a jamais vu ce théorème explicitement formulé dans une tablette ; tout au plus peut-on rechercher des exemples de problèmes où il aurait été appliqué. Précisons aussi dès maintenant que la tradition veut que les arpenteurs antiques (en différentes régions du globe) aient connu les propriétés du triangle dont les côtés sont dans le rapport 3-4-5, et s'en soient servis pour tracer les angles droits ; nous n'avons cependant pas trouvé de références précises d'un tel emploi en Mésopotamie, quoiqu'il soit couramment admis (ce qui est vraisemblable).
Nous allons proposer quelques exemples de tablettes où il pourrait éventuellement y avoir un usage du théorème de Pythagore, et nous les commenterons au fur et à mesure.
La tablette Plimpton 322 (1re dyn. de Babylone) présente 4 colonnes de nombres qui sont dans les rapports particuliers suivants : il s'agit dans les colonnes II et III de nombres c et b, tels que (c2 – b2) est égal à un carré a2, nombre a2 que l'on retrouve dans la colonne I sous la forme d'un rapport a2/c2 ; la quatrième colonne numérote simplement les lignes de 1 à 15 ; on peut imaginer qu'il y avait une colonne donnant les nombres a dans la partie gauche de la tablette qui manque aujourd'hui. Incontestablement, il s'agit d'une table donnant des nombres dont la somme des carrés est un carré ; mais nulle part n'y est fait mention d'un triangle (et on voit mal ce que c2/a2 aurait à voir avec un triangle). Plutôt que d'induire de cette tablette une connaissance du théorème de Pythagore (ce qui est fait parfois), il est sans doute plus juste de voir ici la simple mise en table de propriétés numériques, exercice dont semblent friands les Mésopotamiens.
Un deuxième exemple est donné par la tablette YBC 7289 (encadré 34), qui date de la 1re dynastie babylonienne, et dont nous avons déjà parlé à propos de la racine carrée de 2. Incontestablement, le scribe savait que la diagonale d d'un carré de côté a est égale à a √2. Ce qui est un cas particulier du théorème de Pythagore d2 = a2 + a2 = 2a2 d'où d = a √2. Cependant, cette propriété est immédiatement visible dans le carré, comme le montre la figure : la surface S du carré construit sur la diagonale d'un autre carré est égale au double de la surface s de celui-ci : S = 2s = d2 = 2a2. La tablette ne suffit donc pas à affirmer la connaissance du théorème de Pythagore dans toute sa généralité.
D'autant plus que le problème de la diagonale du rectangle (qui est plus difficile que celui de la diagonale du carré) n'est pas résolu correctement dans des tablettes datant d'environ 2 000 av. J.-C., donc contemporaines ou un peu antérieures à la tablette YBC 7289. On voit très clairement, dans l'encadré 35 les présentant, que les deux méthodes proposées sont des approximations utilisables selon que le rectangle est plus ou moins allongé. Il est bien difficile de faire de telles comparaisons entre des tablettes d'origines différentes (rien n'empêche que le scribe de YBC 7289 ait été plus savant que l'autre, ou bien qu'il s'agisse de documents de natures différentes – le second pouvant être un texte donnant des approximations pour les applications pratiques).
34. LA DIAGONALE DU CARRÉ
(Réf. : Neugebauer & Sachs, 1945)
Tablette YBC 7289 (1re dynastie de Babylone).
Voir l'encadré 23, page 86, pour la méthode supposée du calcul de la racine carrée de 2.
(d'après Neugebauer & Sachs, Mathematical Cuneiform Texts, American Oriental Society, Yale Babylonian Collection)
Côté du carré = 30 (sexag. ou décimal).
Les deux nombres à l'intérieur du carré sont :
1.24.51.10 = 1, 4142128 (en prenant le nombre le plus à gauche comme celui des unités)
42.25.33 = 42, 426388 (idem)
Or, 42, 426388 = 30 × 1, 4142129 et, d'autre part, √2 = 1, 4142135. On en conclut donc que les deux nombres à l'intérieur du carré correspondent à √2 et à la longueur de la diagonale correctement calculée.
Il ne s'en ensuit pas nécessairement une connaissance du théorème de Pythagore dans toute sa généralité. Le calcul de la diagonale du carré (par la multiplication du côté par √2) se fait de manière immédiate sur la figure ci-dessous, où l'on voit très clairement que la surface du carré construit sur la diagonale d'un autre carré est égale au double de la surface de celui-ci.
Surface ACEF = 2 surfaces ABCD (4 triangles dans un cas, 2 dans l'autre) d'où d2 = 2a2, donc d = a √2.
35. LA DIAGONALE DU RECTANGLE
(Réf. : Rey, 1930)
Tablette VAT 6598 datant de 2000 av. J.-C. environ.
Un rectangle de longueur 40 et de largeur 10. Il est divisé par une diagonale. Calcul de la longueur de la diagonale (ce qui revient à calculer l'hypoténuse c d'un triangle rectangle dont les côtés de l'angle droit sont a = 40 et b = 10).
La méthode moderne (théorème de Pythagore) pose
c2 = a2 + b2, soit : (10 × 10) + (40 × 40) = 1 700, soit c = 41, 231 La tablette donne deux méthodes différentes.
Première méthode
Prendre le côté le plus long, 40, et y ajouter une quantité à déterminer : la somme sera la diagonale.
Pour déterminer cette quantité à ajouter au plus grand côté, faire le carré du plus petit côté, 10 × 10 = 100 (soit 1.40 en sexagésimal). Le multiplier par le plus grand côté, 100 × 40 = 4 000 (soit 1.6.40 en sexagésimal). On multiplie ce nombre par 2, soit 8 000 (2.13.20 en sexagésimal). On le divise par 3 600 (c'est-à-dire qu'en sexagésimal on « déplace la virgule » de deux rangs vers la droite – ici un décalage des symboles) et on l'ajoute à 40, le côté le plus long ; ce qui fait 42, 22 (soit 40 + 2.13.20 = 42.13.20, lorsqu'on considère que 2 désigne les unités au lieu des 3 600taines précédemment).
Au lieu dela méthode revient à appliquer la
formule :
Deuxième méthode
Faire le carré du plus petit côté, soit 100. Le diviser par le double du plus grand côté, soit 80, 100/80 = 1, 25. Ajouter ce nombre au plus grand côté, soit 40 + 1.25 = 41, 25.
Ce qui revient à appliquer la formule suivante :
La première méthode donne une meilleure approximation quand le rapport des côtés est environ 1/3 (elle donne 31, 66 au lieu de 31, 62 pour des côtés de 10 et 30). Dans les autres cas, la seconde méthode est meilleure (surtout pour les triangles très aigus – rapport des côtés inférieur à 1/7 – où elle donne des résultats quasiment exacts et bien suffisants pour des applications cadastrales ou architecturales – pour des côtés de 10 et 70, elle donne une hypoténuse de 70, 714 au lieu de 70, 710). Il est probable que l'on choisissait l'une ou l'autre méthode selon les cas, pour avoir la meilleure approximation. Il faut remarquer que la première méthode est plus simple – contrairement aux apparences –, car elle ne comporte pas de division (qui est une opération difficile pour le scribe lorsqu'elle ne porte pas sur des nombres multiples l'un de l'autre), sinon celle par 3 600 qui n'est qu'un « déplacement de virgule », mais que la seconde méthode correspond à l'approximation de la racine carrée indiquée dans l'encadré 23 page 85 (√A = a + b/2a, avec A = a2 + b, ici A = c2 = a2 + b2 d'où √A = c = a + b2/2a), ce qu'on pourrait comprendre comme une application du théorème de Pythagore avec une approximation dans le calcul de la racine carrée.
Ce problème de la diagonale du rectangle est résolu correctement dans une tablette provenant de Suse et vraisemblablement postérieure à la fin de la 1re dynastie babylonienne (soit environ 1300 av. J.-C.), donc un peu plus récente que les précédentes (voir encadré 36). Indiscutablement, c'est bien le théorème de Pythagore qui est appliqué ici (même si ce théorème n'est pas formulé explicitement). On remarquera également le caractère algébrique de la résolution de ce problème, où l'on pose arbitrairement l'une des valeurs à découvrir comme égale à 1 (au lieu de l'appeler x, comme dans un traitement algébrique moderne) et où l'on cherche la valeur qu'auraient les données pour cette valeur 1 de l'inconnue ; après quoi on utilise la proportionnalité entre, d'une part, l'inconnue et la valeur arbitraire 1 et, d'autre part, les données du problème et leur reconstitution à partir de la valeur arbitraire 1.
36. APPLICATION DU THÉORÈME DE PYTHAGORE AU CALCUL DE LA DIAGONALE DU RECTANGLE
(Réf. : Bruins & Rutten)
Tablette provenant de Suse et probablement postérieure à la fin de la 1e dynastie de Babylone (1300 av. J.-C. environ).
Traduction (les nombres sont transcrits en système décimal) | Interprétation |
Posons que la largeur (du rectangle) mesure un quart de moins par rapport à la longueur. 0.6666 la dimension de la diagonale. Quelles sont la longueur et la largeur ? | L longueur cherchée l largeur cherchée l = L-L/4 diagonale d = 0, 6666 |
Toi pose 1, la longueur, pose 1 le prolongement. | choix arbitraire de K = 1 |
0, 25, le quart, soustrait de 1, tu trouves 0, 75. | la largeur correspondante est k = K – K/4 = 0, 75 |
Pose 1 comme longueur, pose 0, 75 comme largeur, carre 1, la longueur, 1 tu trouves. | K2 = 12 = 1 |
Carre 0, 75, la largeur, 0, 5625 tu trouves. | k2 = 0, 752 = 0, 5625 |
De 1 et 0, 5625 (fais) la somme : 1, 5625. | K2 + k2 = 1 + 0, 5625 = 1, 5625 |
Quelle est la racine carrée ? 1, 25 est la racine carrée. | ![]() |
Attendu que 0, 6666, la diagonale t'a été indiquée, dénoue l'inverse de 1, 25 la diagonale, 0, 8 (tu trouves). Porte 0, 8 à 0, 6666 la diagonale qui t'a été dite, 0, 5333 tu trouves. | La diagonale du rectangle construit sur les valeurs arbitraires de K et k (1 et 0, 75) est donc 1, 25 d'après le théorème de Pythagore. On fait le rapport entre cette diagonale arbitraire et la valeur 0, 6666 de la diagonale donnée : 0, 6666/1, 25 = 0, 5333. |
Porte 0, 5333 à 1 la longueur que tu as posée : 0, 5333 tu trouves, 0, 5333 est la longueur. Porte 0, 5333 à 0, 75 la largeur que tu as posée, 0, 4 tu trouves. (C'est la largeur.) | On use de la proportionnalité en appliquant ce rapport aux largeur et longueur arbitraires pour avoir les valeurs cherchées. L = K × 0, 5333 = 1 × 0, 5333 = 0, 5333 l = k × 0, 5333 = 0, 75 × 0, 5333 = 0, 4 |
Enfin, des tablettes, comme VAT 7848 (encadré 37), qui datent de l'époque séleucide (c'est-à-dire après la conquête de la Mésopotamie par Alexandre, qui a ainsi répandu la science grecque – et donc deux siècles après Pythagore), utilisent très clairement le théorème de Pythagore. Il est bien évident qu'on ne peut rien conclure de ces tablettes relativement à la science mésopotamienne antérieure.
Tout ce qu'on peut dire sûrement, c'est qu'à la fin de la 1re dynastie de Babylone ce théorème est utilisé dans toute sa généralité, à défaut d'être explicitement formulé.
37. LE THÉORÈME DE PYTHAGORE
(Réf. : Neugebauer & Sachs)
Tablette VAT 7848. (Origine : Ourouk-Warka, époque séleucide présumée.)
Traduction du problème no 2
Un triangle, 1.0 (60 en décimal) est la longueur, 45 la largeur. 1.0 fois 1.0 est 1.0.0 (3 600 en décimal), 45 fois 45 est 33.45 (2 025 en décimal). Additionne-les, le résultat est 1.33.45 (5 625 en décimal). Par quoi dois-je multiplier ce qui est le résultat pour obtenir 1.33.45 (5 625) ? 1.15 fois 1.15 (75 en décimal), c'est l'hypoténuse.
Commentaire
Indiscutablement, il s'agit là d'une application du théorème de Pythagore. Cependant, la tablette date de l'époque séleucide selon toute vraisemblance, elle est donc postérieure à la conquête de la Mésopotamie par Alexandre le Grand (2 siècles après Pythagore). On ne peut pas conclure de manière certaine à partir d'elle seule : soit les Mésopotamiens avaient trouvé par eux-mêmes le principe du théorème (qu'ils l'aient ou non formulé explicitement), soit il s'agit d'une importation grecque.
Une droite parallèle à l'un des côtés d'un triangle coupe proportionnellement les deux autres côtés de ce triangle.
Avec celui de Pythagore, le théorème de Thalès est souvent considéré comme la pierre de touche de la science antique. L'encadré 38 détaille le problème figurant sur la tablette MLC 1950 (1re dynastie de Babylone), et commente la méthode employée. S'agit-il du théorème de Thalès ? Apparemment la méthode est correcte, et l'on peut difficilement supposer que le résultat exact a été trouvé par tâtonnements, car il n'y a pas de vérification qui permette de tester les résultats obtenus à tâtons.
L'utilisation de ce théorème des triangles semblables paraît avoir été faite dans d'autres tablettes (comme BM 85210, qui date approximativement de l'époque kassite). On pourrait donc admettre que, tout comme c'était le cas pour le théorème de Pythagore, il y avait une utilisation de la proportionnalité voulue par le théorème de Thalès, sans que celui-ci soit explicitement formulé et démontré en tant que loi mathématique.
38. LE THÉORÈME DE THALÈS
(Réf. : Neugebauer & Sachs, 1945)
© Yale Babylonian Collection, American Oriental Society
Tablette MLC 1950, 1re dynastie de Babylone.
Remarquer, en haut et à gauche de la tablette, le reste d'un dessin de triangle.
Traduction
Un triangle, 20 gar est la longueur
5.20, sa surface
30 gar la...
Quelles sont la largeur supérieure et la largeur inférieure ? Prends l'inverse de 20, c'est 0.3.
Multiplie 0.30 par 5.20, (le résultat est) 16.
16 à la largeur supérieure et...
... 30, la longueur, multiplie par 2 (soit 1.0).
Ajoute (le résultat) 1.0 et 20, la perpendiculaire supérieure (le résultat est) 1.20.
Prends l'inverse de 1.20. Multiplie le résultat 0.0.45 par 5.20 la surface, le résultat est 4.
Ajoute 4 à 16, soustrais de 16.
La largeur supérieure est 20, la largeur inférieure est 12 (16 + 4 et 16 – 4).
Interprétation
Il faut calculer x (la largeur supérieure) et y (la largeur inférieure) à partir de k, k' et A.
k = 20 k' = 30 A = 5.20
A est la surface du trapèze hachuré, soit
A = (x + y) k/2
A/k = (x + y)/2 = 5.20/20 = 5.20 × 0.3 = 16
Comme les trois triangles de la figure sont semblables, le théorème de Thalès veut que :
Le scribe calcule 2k' + k (soit 2k' = 30 × 2 = 1.0 et 2k' + k = 1.0 + 20 = 1.20).
Il en prend l'inverse, soit 0.0.45, et le multiplie par A, soit :
0.045 × 5.20 = 4.
Il a donc calculé (x – y)/2.
Précédemment, il avait calculé (x + y)/2 en divisant A par k, soit :
5.20 × 0.3 = 16 (la division se fait en multipliant par l'inverse).
Il connaît donc (x – y)/2 et (x + y)/2, respectivement 4 et 16.
Il les additionne : (x – y)/2 + (x + y)/2 = x = 16 + 4 = 20.
Il les soustrait : (x + y)/2 – (x – y)/2 = y = 16 – 4 = 12.
La résolution du problème par le scribe (si la reconstitution est bonne) est donc tout à fait correcte. Elle passe par le théorème de Thalès. Ce théorème était-il connu ? Le résultat a-t-il été trouvé par tâtonnements ? Il est difficile de conclure de manière certaine, mais il semble bien qu'à défaut d'une formulation explicite et d'une démonstration il y avait une intuition de la proportionnalité voulue par ce théorème.
Pour conclure cette partie consacrée à la géométrie, signalons l'existence de nombreux problèmes très divers, qui touchent souvent à des questions de partages géométriques de champs, de manière égale ou selon certaines proportions (ces champs ayant par ailleurs des formes diverses), ou encore la quantité de terre nécessaire pour effectuer (ou achever) des remblais en plan incliné ou des murs plus ou moins épais, des problèmes concernant la longueur d'arcs de cercle et des cordes et flèches associées, etc. Rappelons que la géométrie fournit également un « substrat concret » pour de nombreux problèmes de type algébrique (voir ci-avant).
1 Résumer en quelques pages une histoire aussi longue et aussi complexe que celle de la Mésopotamie tient de la gageure. Cette brève présentation ne peut guère que poser quelques jalons. Pour en faciliter la lecture, on se reportera à la carte page 30, au tableau chronologique page 21, et à l'encadré « Les peuples et les lieux » page 39.
Les tablettes mésopotamiennes citées dans le texte sont référencées par un groupe de lettres et un nombre ; les lettres désignent la collection où est conservée la tablette (voir ci-dessous), le nombre est le numéro de classement de la tablette dans cette collection.
AO : Antiquités Orientales, Musée du Louvre, Paris
BM : British Museum, Londres
MLC : Morgan Library Collection, Yale University, New Haven
Plimpton : Plimpton Library, Columbia University, New York
STR : Collection de Strasbourg
VAT : Vorderasiatische Abteilung, Tontafeln, Staatliche Museen, Berlin
YBC : Yale Babylonian Collection, New Haven
2 On ne traite dans cet ouvrage que de l'Antiquité ; toutes les dates sont donc à comprendre « avant Jésus-Christ », saut mention contraire.
3 Pour distinguer pictogrammes et idéogrammes, on pourrait admettre la convention suivante : tant que le signe représentant l'objet ou l'idée présente une ressemblance avec cet objet ou cette idée, c'est un pictogramme ; quand le signe a suffisamment évolué pour qu'il ne soit plus un simple dessin de l'objet ou de l'idée, c'est un idéogramme, sa compréhension ne repose plus sur la simple reconnaissance mais sur un apprentissage obligatoire car la relation entre le signe et le sens apparaît comme quasiment arbitraire en raison de cette transformation du signe.