39. Portrait du roi Henry VIII,
vers 1534-1536.
Huile sur panneau de bois, 28 x 20 cm.
Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid.
On retrouve cette figure centrale de l’anamorphose dans une œuvre littéraire de la même période, L’Utopie de Thomas More. Dans une lettre adressée à Pierre Gilles, More désigne son œuvre comme une fiction ; il parle d’un « mensonge » (mendacium dicere) mais prétend ne pas mentir (mentiri).
En effet, le mensonge est une distanciation ironique qui, parce qu’elle repose sur la complicité du lecteur, ne constitue pas réellement une tromperie. En revanche, le mentiri désigne l’acte méprisable du mensonge, que More réprouve. Si le récit de Raphaël Hythlodaeus (celui qui dit des choses insensées), habitant d’Utopie, est vraisemblable, la création de mots imaginaires trahit la part de fiction.
Le dialogue entre Thomas More et son compagnon Hythlodaeus privilégie le point de vue personnel du voyageur et la clarté d’exposés clairs et concrets sur la vie politique, économique et sociale en Utopie. Dans la préface à la deuxième édition de L’Utopie, publiée en 1517, Guillaume Budé la définit par une paraphrase : « L’île d’Utopie est un non-lieu, en dehors de l’espace et du temps terrestre », ou bien, comme il l’explique à Erasme, un nusquama (nulle part).
Le nom de la ville Amaurote, également mentionnée dans le livre, signifie, en grec, éclipse ou obscurcissement. Cette ville est à la fois réelle et insaisissable, comme le fleuve Anydre, mot à mot : sans eau. Pierre Gilles, pour sa part, caractérise dans une autre lettre l’œuvre de More comme un velut in speculo (comme un miroir). More présente au lecteur le miroir d’une société idéale que le voyageur Raphaël décrit dans ses moindres détails : « Le miroer des républicques du monde ».
Mais il faut au lecteur briser cette image du miroir, car cet état paradisiaque représente une métonymie du Paradis, accessible dans le seul au-delà. D’ailleurs, Ambrosius et Holbein n’étaient pas sans savoir la pertinence de ce retournement. Pour la première édition, ils représentèrent l’île d’Utopie sous une forme circulaire, renversée dans la seconde édition. More, sur une langue de terre face à l’île, désigne celle-ci à Hythlodaeus. Or ce dessin est en soi un paradoxe car il met en avant ce qui n’existe pas dans notre monde. Enfin, la figure du miroir est empruntée à la célèbre métaphore de Saint Paul : « Maintenant nous voyons dans un miroir et en énigme ». Dans l’au-delà, seule l’utopie peut se réaliser car la paix et l’harmonie ne sont pas d’ici-bas.
Dans Les Ambassadeurs, l’anamorphose transforme la représentation tangible en une image fuyante. Le caractère insaissable du crâne renvoie à l’idée, à laquelle l’observateur ne saurait demeurer insensible, selon laquelle la mort ne sera connue que dans l’au-delà. De même, l’Utopie n’est accessible qu’après la mort ; Thomas More la compare à une éclipse ou à un obscurcissement.