HOLBEIN, ARTISTE INTELLECTUEL

 

L’ingéniosité d’une invention picturale parfaitement maîtrisée explique la force de l’œuvre de Holbein. La composition détermine une tension entre diverses réalités picturales, diverses dimensions temporelles, mais aussi différents médiums, tels que l’image et le texte. Le dispositif pictural devient un processus dynamique.

Depuis Alberti, la réalité trompeuse de la peinture fait de chaque tableau « une négation du mur ». Holbein, au contraire, révèle la surface picturale en tant que fiction. Selon une anecdote célèbre, Holbein peignit une mouche, en trompe-l’œil, sur l’un de ses tableaux, mouche que l’on chercha vainement à chasser. Ceci illustre la faculté du peintre à se jouer des deux plans : celui de la surface du tableau comme toile peinte et celui de la représentation de l’illusion.

 

 

Signer avec la mort

 

Jan van Eyck cautionnait l’authenticité de ses œuvres en s’y représentant en personne. Holbein, en revanche, signe avec la mort. L’idée de l’artiste avançant masqué dans son propre univers pictural s’inscrit dans une tradition déjà ancienne, depuis le David de Donatello exécuté vers 1430, au David (vers 1504) et à Judith (vers 1509-10) de Giorgione, en passant par le David du Caravage.

Dans ces œuvres, les artistes se mettent en scène morts pour mieux souligner la pérennité de leur création (« monumentum aere perennius » d’Horace). La formule d’Hippocrate : « Ars longa vita brevis » loue également l’immortalité de l’art - en opposition à la brièveté de l’existence. L’artiste arrache les vivants à la mort, et la mort à l’oubli. Dans cette perspective, le caractère mortel de l’artiste est opposé à l’éternité de l’œuvre. Aussi, lorsque Raphaël meurt, un Vendredi Saint, à l’âge de trente-sept ans, son corps est-il déposé dans son atelier. Au-dessus de son lit de mort se trouve la Transfiguration peinte par Raphaël pour le cardinal Jules de Medicis. Vasari a décrit cet instant en ces termes : « la vision de l’artiste mort et de son œuvre vivante emplissait tous les témoins d’une grande douleur ».

Lorsque Piero di Cosimo se représente sous la forme de Prométhée - dérobant le feu aux dieux - il s’assimile à celui qui, par orgueil, voulut ressembler à Zeus et fut condamné au supplice. Dans le spectaculaire Jugement dernier de la chapelle Sixtine de Michel Ange, l’artiste s’immortalise dans la peau écorchée de saint Barthélemy, tenant son épiderme à la main.