I
LE PONT
J'avais devant les yeux les ténèbres. L'abîme2
Qui n'a pas de rivage et qui n'a pas de cime
Était là, morne, immense ; et rien n'y remuait.
Je me sentais perdu dans l'infini muet.
Au fond, à travers l'ombre, impénétrable voile,
On apercevait Dieu comme une sombre étoile.
Je m'écriai : – Mon âme, ô mon âme ! il faudrait,
Pour traverser ce gouffre où nul bord n'apparaît,
Et pour qu'en cette nuit jusqu'à ton Dieu tu marches,
Bâtir un pont géant sur des millions d'arches.
Qui le pourra jamais ? Personne ! ô deuil ! effroi !
Pleure ! – Un fantôme blanc se dressa devant moi
Pendant que je jetais sur l'ombre un œil d'alarme,
Et ce fantôme avait la forme d'une larme ;
C'était un front de vierge avec des mains d'enfant ;
Il ressemblait au lys que la blancheur défend ;
Ses mains en se joignant faisaient de la lumière.
Il me montra l'abîme où va toute poussière,
Si profond, que jamais un écho n'y répond,
Et me dit : – Si tu veux, je bâtirai le pont.
Vers ce pâle inconnu je levai ma paupière.
– Quel est ton nom ? lui dis-je. Il me dit : – La prière3.
Jersey, décembre 1852.
II
IBO
Pourquoi, dans ce grand sanctuaire
Sourd et béni,
Pourquoi, sous l'immense suaire
De l'infini,
Enfouir vos lois éternelles
Et vos clartés ?
Vous savez bien que j'ai des ailes,
O vérités !
Pourquoi vous cachez-vous dans l'ombre
Qui nous confond ?
Pourquoi fuyez-vous l'homme sombre
Au vol profond ?
Que le mal détruise ou bâtisse,
Rampe ou soit roi,
Tu sais bien que j'irai, Justice,
J'irai vers toi !
Beauté sainte, Idéal qui germes
Chez les souffrants,
Toi par qui les esprits sont fermes
Et les cœurs grands,
Vous le savez, vous que j'adore,
Amour, Raison,
Qui vous levez comme l'aurore
Sur l'horizon,
Foi, ceinte d'un cercle d'étoiles,
Droit, bien de tous,
J'irai, Liberté qui te voiles,
J'irai vers vous !
Vous avez beau, sans fin, sans borne,
Lueurs de Dieu,
Habiter la profondeur morne
Du gouffre bleu,
Ame à l'abîme habituée
Dès le berceau,
Je n'ai pas peur de la nuée ;
Je suis oiseau.
J'ai des ailes. J'aspire au faîte ;
Mon vol est sûr ;
J'ai des ailes pour la tempête
Et pour l'azur.
Vous savez bien que l'âme affronte
Ce noir degré,
Et que, si haut qu'il faut qu'on monte,
J'y monterai !
Vous savez bien que l'âme est forte
Et ne craint rien
Quand le souffle de Dieu l'emporte !
Vous savez bien
Que j'irai jusqu'aux bleus pilastres,
Et que mon pas,
Sur l'échelle qui monte aux astres,
Ne tremble pas !
L'homme, en cette époque agitée,
Sombre océan,
Doit faire comme Prométhée
Et comme Adam.
L'homme a besoin, dans sa chaumière,
Des vents battu,
D'une loi qui soit sa lumière
Et sa vertu.
Toujours ignorance et misère !
L'homme en vain fuit,
Le sort le tient ; toujours la serre !
Toujours la nuit !
Déjà l'amour, dans l'ère obscure
Qui va finir,
Dessine la vague figure
De l'avenir.
Les lois de nos destins sur terre,
Dieu les écrit ;
Et, si ces lois sont le mystère,
Je suis l'esprit.
Je suis celui que rien n'arrête,
Celui qui va,
Celui dont l'âme est toujours prête
A Jéhovah ;
Je suis le poëte farouche,
L'homme devoir,
Le souffle des douleurs, la bouche
Du clairon noir ;
Le rêveur qui sur ses registres
Met les vivants,
Qui mêle des strophes sinistres
Aux quatre vents ;
Le songeur ailé, l'âpre athlète
Au bras nerveux,
Et je traînerais la comète
Par les cheveux.
Donc, les lois de notre problème,
Je les aurai ;
J'irai vers elles, penseur blême,
Mage effaré !
Pourquoi cacher ces lois profondes ?
Rien n'est muré.
Dans vos flammes et dans vos ondes
Je passerai ;
J'irai lire la grande bible ;
J'entrerai nu
Jusqu'au tabernacle terrible
De l'inconnu,
Jusqu'au seuil de l'ombre et du vide,
Gouffres ouverts
Que garde la meute livide
Des noirs éclairs,
Au dolmen de Rozel, janvier 18539.
III
Un spectre m'attendait dans un grand angle d'ombre10,
Et m'a dit :
– Le muet habite dans le sombre.
L'infini rêve, avec un visage irrité.
L'homme parle et dispute avec l'obscurité,
Et la larme de l'œil rit du bruit de la bouche.
Tout ce qui vous emporte est rapide et farouche.
Sais-tu pourquoi tu vis ? sais-tu pourquoi tu meurs ?
Les vivants orageux passent dans les rumeurs,
Chiffres tumultueux, flots de l'océan Nombre.
Vous n'avez rien à vous qu'un souffle dans de l'ombre ;
L'homme est à peine né, qu'il est déjà passé,
Et c'est avoir fini que d'avoir commencé.
Derrière le mur blanc, parmi les herbes vertes,
La fosse obscure attend l'homme, lèvres ouvertes.
La mort est le baiser de la bouche tombeau.
Tâche de faire un peu de bien, coupe un lambeau
D'une bonne action dans cette nuit qui gronde,
Ce sera ton linceul dans la terre profonde.
Beaucoup s'en sont allés qui ne reviendront plus
Qu'à l'heure de l'immense et lugubre reflux ;
Alors, on entendra des cris. Tâche de vivre ;
Crois. Tant que l'homme vit, Dieu pensif lit son livre ;
L'homme meurt quand Dieu fait au coin du livre un pli.
L'espace sait, regarde, écoute. Il est rempli
D'oreilles sous la tombe, et d'yeux dans les ténèbres.
Les morts, ne marchant plus, dressent leurs pieds funèbres ;
Les feuilles sèches vont et roulent sous les cieux.
Ne sens-tu pas souffler le vent mystérieux ?
Au dolmen de Rozel, avril 1853.
IV
Écoutez. Je suis Jean. J'ai vu des choses sombres11.
J'ai vu l'ombre infinie où se perdent les nombres,
J'ai vu les visions que les réprouvés font,
Les engloutissements de l'abîme sans fond ;
J'ai vu le ciel, l'éther, le chaos et l'espace.
Vivants ! puisque j'en viens, je sais ce qui s'y passe ;
Je vous affirme à tous, écoutez bien ma voix,
J'affirme même à ceux qui vivent dans les bois,
Que le Seigneur, le Dieu des esprits des prophètes,
Voit ce que vous pensez et sait ce que vous faites.
C'est bien. Continuez, grands, petits, jeunes, vieux !
Que l'avare soit tout à l'or, que l'envieux
Rampe et morde en rampant, que le glouton dévore,
Que celui qui faisait le mal, le fasse encore,
Que celui qui fut lâche et vil, le soit toujours12 !
Voyant vos passions, vos fureurs, vos amours,
J'ai dit à Dieu : « Seigneur, jugez où nous en sommes.
Considérez la terre et regardez les hommes.
Ils brisent tous les nœuds qui devaient les unir. »
Et Dieu m'a répondu : « Certes, je vais venir13 ! »
Serk, juillet 1853.
V
CROIRE, MAIS PAS EN NOUS
Parce qu'on a porté du pain, du linge blanc14,
A quelque humble logis sous les combles tremblant
Comme le nid parmi les feuilles inquiètes ;
Parce qu'on a jeté ses restes et ses miettes
Au petit enfant maigre, au vieillard pâlissant,
Au pauvre qui contient l'éternel tout-puissant ;
Parce qu'on a laissé Dieu manger sous sa table15,
On se croit vertueux, on se croit charitable !
On dit : « Je suis parfait ! louez-moi ; me voilà ! »
Et, tout en blâmant Dieu de ceci, de cela,
De ce qu'il pleut, du mal dont on le dit la cause,
Du chaud, du froid, on fait sa propre apothéose.
Le riche qui, gorgé, repu, fier, paresseux,
Laisse un peu d'or rouler de son palais sur ceux
Que le noir janvier glace et que la faim harcèle,
Ce riche-là, qui brille et donne une parcelle
De ce qu'il a de trop à qui n'a pas assez,
Et qui, pour quelques sous du pauvre ramassés,
S'admire et ferme l'œil sur sa propre misère,
S'il a le superflu, n'a pas le nécessaire :
La justice ; et le loup rit dans l'ombre en marchant
De voir qu'il se croit bon pour n'être pas méchant.
Nous bons ! nous fraternels ! ô fange et pourriture !
Mais tournez donc vos yeux vers la mère nature !
Que sommes-nous, cœurs froids où l'égoïsme bout,
Auprès de la bonté suprême éparse en tout ?
Toutes nos actions ne valent pas la rose.
Dès que nous avons fait par hasard quelque chose,
Nous nous vantons, hélas ! vains souffles qui fuyons !
Dieu donne l'aube au ciel sans compter les rayons,
Et la rosée aux fleurs sans mesurer les gouttes ;
Nous sommes le néant ; nos vertus tiendraient toutes
Dans le creux de la pierre où vient boire l'oiseau.
L'homme est l'orgueil du cèdre emplissant le roseau.
Le meilleur n'est pas bon vraiment, tant l'homme est frêle.
Et tant notre fumée à nos vertus se mêle !
Le bienfait par nos mains pompeusement jeté
S'évapore aussitôt dans notre vanité ;
Même en le prodiguant aux pauvres d'un air tendre,
Nous avons tant d'orgueil que notre or devient cendre ;
Le bien que nous faisons est spectre comme nous.
L'Incréé, seul vivant, seul terrible et seul doux,
Qui juge, aime, pardonne, engendre, construit, fonde,
Voit nos hauteurs avec une pitié profonde.
Ah ! rapides passants ! ne comptons pas sur nous,
Comptons sur lui. Pensons et vivons à genoux ;
Tâchons d'être sagesse, humilité, lumière ;
Ne faisons point un pas qui n'aille à la prière ;
Car nos perfections rayonneront bien peu
Après la mort, devant l'étoile et le ciel bleu.
Dieu seul peut nous sauver. C'est un rêve de croire
Que nos lueurs d'en bas sont là-haut de la gloire ;
Si lumineux qu'il ait paru dans notre horreur,
Si doux qu'il ait été pour nos cœurs plein d'erreur,
Quoi qu'il ait fait, celui que sur la terre on nomme
Juste, excellent, pur, sage et grand, là-haut est l'homme ;
C'est-à-dire la nuit en présence du jour ;
Son amour semble haine auprès du grand amour ;
Et toutes ses splendeurs, poussant des cris funèbres,
Disent en voyant Dieu : Nous sommes les ténèbres !
Dieu, c'est le seul azur dont le monde ait besoin.
L'abîme en en parlant prend l'atome à témoin.
Dieu seul est grand ! c'est là le psaume du brin d'herbe ;
Dieu seul est vrai ! c'est là l'hymne du flot superbe ;
Dieu seul est bon ! c'est là le murmure des vents ;
Ah ! ne vous faites pas d'illusions, vivants !
Et d'où sortez-vous donc, pour croire que vous êtes
Meilleurs que Dieu, qui met les astres sur vos têtes,
Et qui vous éblouit, à l'heure du réveil,
De ce prodigieux sourire, le soleil !
Marine-Terrace, décembre 1854.
I
Je suis l'être incliné qui jette ce qu'il pense17 ;
Qui demande à la nuit le secret du silence ;
Dont la brume emplit l'œil ;
Dans une ombre sans fond mes paroles descendent,
Et les choses sur qui tombent mes strophes rendent
Le son creux du cercueil.
Mon esprit, qui du doute a senti la piqûre,
Habite, âpre songeur, la rêverie obscure
Aux flots plombés et bleus,
Lac hideux où l'horreur tord ses bras, pâle nymphe,
Et qui fait boire une eau morte comme la lymphe
Aux rochers scrofuleux18.
Le Doute, fils bâtard de l'aïeule Sagesse,
Crie : – A quoi bon ? – devant l'éternelle largesse,
Nous fait tout oublier,
S'offre à nous, morne abri, dans nos marches sans nombre,
Nous dit : – Es-tu las ? Viens ! – Et l'homme dort à l'ombre
De ce mancenillier19.
L'effet pleure et sans cesse interroge la cause.
La création semble attendre quelque chose.
L'homme à l'homme est obscur.
Où donc commence l'âme ? où donc finit la vie ?
Nous voudrions, c'est là notre incurable envie,
Voir par-dessus le mur.
Nous rampons, oiseaux pris sous le filet de l'être ;
Libres et prisonniers, l'immuable pénètre
Toutes nos volontés ;
Captifs sous le réseau des choses nécessaires
Nous sentons se lier des fils à nos misères
Dans les immensités.
II
Nous sommes au cachot ; la porte est inflexible20 ;
Mais, dans une main sombre, inconnue, invisible,
Qui passe par moment,
A travers l'ombre, espoir des âmes sérieuses,
On entend le trousseau des clefs mystérieuses
Sonner confusément.
La vision de l'être emplit les yeux de l'homme.
Un mariage obscur sans cesse se consomme
De l'ombre avec le jour ;
Ce monde, est-ce un éden tombé dans la géhenne ?
Nous avons dans le cœur des ténèbres de haine
Et des clartés d'amour.
La création n'a qu'une prunelle trouble.
L'être éternellement montre sa face double,
Mal et bien, glace et feu ;
L'homme sent à la fois, âme pure et chair sombre,
La morsure du ver de terre au fond de l'ombre
Et le baiser de Dieu.
Mais à de certains jours, l'âme est comme une veuve.
Nous entendons gémir les vivants dans l'épreuve.
Nous doutons, nous tremblons,
Pendant que l'aube épand ses lumières sacrées
Et que mai sur nos seuils mêle les fleurs dorées
Avec les enfants blonds.
Qu'importe la lumière, et l'aurore, et les astres,
Fleurs des chapiteaux bleus, diamants des pilastres
Du profond firmament,
Et mai qui nous caresse, et l'enfant qui nous charme,
Si tout n'est qu'un soupir, si tout n'est qu'une larme,
Si tout n'est qu'un moment !
III
Le sort nous use au jour, triste meule qui tourne.
L'homme inquiet et vain croit marcher, il séjourne ;
Il expire en créant.
Nous avons la seconde et nous rêvons l'année ;
Et la dimension de notre destinée,
C'est poussière et néant.
L'abîme, où les soleils sont les égaux des mouches,
Nous tient ; nous n'entendons que des sanglots farouches
Ou des rires moqueurs ;
Vers la cible d'en haut qui dans l'azur s'élève,
Nous lançons nos projets, nos vœux, l'espoir, le rêve,
Ces flèches de nos cœurs.
Nous voulons durer, vivre, être éternels. O cendre !
Où donc est la fourmi qu'on appelle Alexandre ?
Où donc le ver César ?
En tombant sur nos fronts, la minute nous tue.
Nous passons, noir essaim, foule de deuil vêtue,
Comme le bruit d'un char.
Nous montons à l'assaut du temps comme une armée.
Sur nos groupes confus que voile la fumée
Des jours évanouis,
L'énorme éternité luit, splendide et stagnante ;
Le cadran, bouclier de l'heure rayonnante,
Nous terrasse éblouis !
IV
A l'instant où l'on dit : Vivons ! tout se déchire.
Les pleurs subitement descendent sur le rire.
Tête nue ! à genoux !
Tes fils sont morts, mon père est mort, leur mère est morte
O deuil ! qui passe là ? C'est un cercueil qu'on porte21.
A qui le portez-vous ?
Ils le portent à l'ombre, au silence, à la terre ;
Ils le portent au calme obscur, à l'aube austère,
A la brume sans bords,
Au mystère qui tord ses anneaux sous des voiles,
Au serpent inconnu qui lèche les étoiles
Et qui baise les morts !
V
Ils le portent aux vers, au néant, à Peut-Être !
Car la plupart d'entre eux n'ont point vu le jour naître ;
Sceptiques et bornés,
La négation morne et la matière hostile,
Flambeaux d'aveuglement, troublent l'âme inutile
De ces infortunés.
Pour eux le ciel ment, l'homme est un songe et croit vivre ;
Ils ont beau feuilleter page à page le livre,
Ils vivent en hochant la tête, et, dans le vide,
L'écheveau ténébreux que le doute dévide
Se mêle sous leurs pas.
Pour eux l'âme naufrage avec le corps qui sombre.
Leur rêve a les yeux creux et regarde de l'ombre ;
Rien est le mot du sort ;
Et chacun d'eux, riant de la voûte étoilée,
Porte en son cœur, au lieu de l'espérance ailée,
Une tête de mort.
Sourds à l'hymne des bois, au sombre cri de l'orgue22,
Chacun d'eux est un champ plein de cendre, une morgue
Où pendent des lambeaux,
Un cimetière où l'œil des frémissants poëtes
Voit planer l'ironie et toutes ses chouettes,
L'ombre et tous ses corbeaux.
Quand l'astre et le roseau leur disent : Il faut croire ;
Ils disent au jonc vert, à l'astre en sa nuit noire :
Vous êtes insensés !
Quand l'arbre leur murmure à l'oreille : Il existe ;
Ces fous répondent : Non ! et, si le chêne insiste,
Ils lui disent : Assez !
Quelle nuit ! le semeur nié par la semence !
L'univers n'est pour eux qu'une vaste démence,
Sans but et sans milieu ;
Leur âme, en agitant l'immensité profonde,
N'y sent même pas l'être, et dans le grelot monde
N'entend pas sonner Dieu !
VI
Le corbillard franchit le seuil du cimetière.
Le gai matin, qui rit à la nature entière,
Resplendit sur ce deuil ;
Tout être a son mystère où l'on sent l'âme éclore,
Et l'offre à l'infini ; l'astre apporte l'aurore,
Et l'homme le cercueil.
Le dedans de la fosse apparaît, triste crèche.
Des pierres par endroits percent la terre fraîche ;
Et l'on entend le glas ;
Elles semblent s'ouvrir ainsi que des paupières ;
Et le papillon blanc dit : « Qu'ont donc fait ces pierres ? »
Et la fleur dit : « Hélas ! »
VII
Est-ce que par hasard ces pierres sont punies23,
Dieu vivant, pour subir de telles agonies ?
Ah ! ce que nous souffrons
N'est rien... – Plus bas que l'arbre en proie aux froides bises,
Sous cette forme horrible, est-ce que les Cambyses24,
Est-ce que les Nérons,
Après avoir tenu les peuples dans leur serre,
Et crucifié l'homme au noir gibet misère,
Mis le monde en lambeaux,
Souillé l'âme, et changé, sous le vent des désastres,
L'univers en charnier, et fait monter aux astres
La vapeur des tombeaux,
Après avoir passé joyeux dans la victoire,
Dans l'orgueil, et partout imprimé sur l'histoire
Leurs ongles furieux,
Et, monstres qu'entrevoit l'homme en ses léthargies,
Après avoir sur terre été les effigies
Du mal mystérieux,
Après avoir peuplé les prisons élargies,
Et versé tant de meurtre aux vastes mers rougies,
Tant de morts, glaive au flanc,
Tant d'ombre, et de carnage, et d'horreurs inconnues,
Que le soleil, le soir, hésitait dans les nues
Devant ce bain sanglant,
Après avoir mordu le troupeau que Dieu mène,
Et tourné tour à tour de la torture humaine
L'atroce cabestan,
Et régné sous la pourpre et sous le laticlave25,
Et plié six mille ans Adam, le vieil esclave,
Sous le vieux roi Satan,
Est-ce que le chasseur Nemrod26, Sforce le pâtre,
Est-ce que Messaline, est-ce que Cléopâtre,
Caligula, Macrin,
Et les Achabs, par qui renaissaient les Sodomes,
Et Phalaris, qui fit du hurlement des hommes
La clameur de l'airain,
Est-ce que Charles Neuf27, Constantin, Louis Onze,
Vitellius, la fange, et Busiris, le bronze,
Les Cyrus dévorants,
Les Égysthes montrés du doigt par les Électres,
Seraient, dans cette nuit, d'hommes devenus spectres,
Et pierres de tyrans ?
Est-ce que ces cailloux, tout pénétrés de crimes,
Dans l'horreur étouffés, scellés dans les abîmes,
Enviant l'ossement,
Sans air, sans mouvement, sans jour, sans yeux, sans bouche,
Entre l'herbe sinistre et le cercueil farouche,
Vivraient affreusement ?
Est-ce que ce seraient des âmes condamnées,
Des maudits qui, pendant des millions d'années,
Seuls avec le remords,
Au lieu de voir, des yeux de l'astre solitaire,
Sortir les rayons d'or, verraient les vers de terre
Sortir des yeux des morts ?
Homme et roche, exister, noir dans l'ombre vivante !
Songer, pétrifié dans sa propre épouvante !
Dévorer ses fureurs, confusément rugies !
Être pris, ouragan de crimes et d'orgies,
Dans l'immobilité !
Punition ! problème obscur ! questions sombres !
Quoi ! ce caillou dirait : – J'ai mis Thèbe en décombres !
J'ai vu Suze à genoux !
J'étais Bélus28 à Tyr ! J'étais Sylla dans Rome ! –
Noire captivité des vieux démons de l'homme !
O pierres, qu'êtes-vous ?
Qu'a fait ce bloc, béant dans la fosse insalubre ?
Glacé du froid profond de la terre lugubre,
Informe et châtié,
Aveugle, même aux feux que la nuit réverbère,
Il pense et se souvient... – Quoi ! ce n'est que Tibère !
Seigneur, ayez pitié !
Ce dur silex noyé dans la terre, âpre, fruste,
Couvert d'ombre, pendant que le ciel s'ouvre au juste
Qui s'y réfugia,
Jaloux du chien qui jappe et de l'âne qui passe,
Songe et dit : Je suis là ! – Dieu vivant, faites grâce !
Ce n'est que Borgia !
O Dieu bon, penchez-vous sur tous ces misérables29 !
Sauvez ces submergés, aimez ces exécrables30 !
Ouvrez les soupiraux.
Au nom des innocents, Dieu, pardonnez aux crimes.
Père, fermez l'enfer. Juge, au nom des victimes,
Grâce pour les bourreaux !
De toutes parts s'élève un cri : Miséricorde !
Les peuples nus, liés, fouettés à coups de corde,
Lugubres travailleurs,
Voyant leur maître en proie aux châtiments sublimes,
Ont pitié du despote, et, saignant de ses crimes,
Pleurent de ses douleurs ;
Les pâles nations regardent dans le gouffre,
Et ces grands suppliants, pour le tyran qui souffre,
T'implorent, Dieu jaloux ;
L'esclave mis en croix, l'opprimé sur la claie,
Plaint le satrape au fond de l'abîme, et la plaie
Dit : Grâce pour les clous31 !
Dieu serein, regardez d'un regard salutaire
Ces reclus ténébreux qu'emprisonne la terre
Pleine d'obscurs verrous,
Ces forçats dont le bagne est le dedans des pierres,
Et levez, à la voix des justes en prières,
Ces effrayants écrous.
Père, prenez pitié du monstre et de la roche.
De tous les condamnés que le pardon s'approche !
Jadis, rois des combats,
Ces bandits sur la terre ont fait une tempête ;
Étant montés plus haut dans l'horreur que la bête,
Ils sont tombés plus bas.
Grâce pour eux ! clémence, espoir, pardon, refuge,
Au jonc qui fut un prince, au ver qui fut un juge !
Le méchant, c'est le fou.
Dieu, rouvrez au maudit ! Dieu, relevez l'infâme !
Rendez à tous l'azur. Donnez au tigre une âme,
Des ailes au caillou !
Mystère ! obsession de tout esprit qui pense !
Échelle de la peine et de la récompense !
Nuit qui monte en clarté !
Sourire épanoui sur la torture amère !
Vision du sépulcre ! êtes-vous la chimère,
Ou la réalité ?
VIII
La fosse, plaie au flanc de la terre, est ouverte,
Et, béante, elle fait frissonner l'herbe verte
Et le buisson jauni ;
Elle est là, froide, calme, étroite, inanimée,
Et l'âme en voit sortir, ainsi qu'une fumée,
L'ombre de l'infini.
Et les oiseaux de l'air, qui, planant sur les cimes,
Volant sous tous les cieux, comparent les abîmes
Dans les courses qu'ils font,
Songent au noir Vésuve, à l'océan superbe,
Et disent, en voyant cette fosse dans l'herbe :
Voici le plus profond !
IX
L'âme est partie, on rend le corps à la nature.
La vie a disparu sous cette créature ;
Mort, où sont tes appuis ?
Le voilà hors du temps, de l'espace et du nombre32.
On le descend avec une corde dans l'ombre
Comme un seau dans un puits.
Que voulez-vous puiser dans ce puits formidable ?
Et pourquoi jetez-vous la sonde à l'insondable ?
Qu'y voulez-vous puiser ?
Est-ce l'adieu lointain et doux de ceux qu'on aime ?
Est-ce un regard ? hélas ! est-ce un soupir suprême ?
Est-ce un dernier baiser ?
Qu'y voulez-vous puiser, vivants, essaim frivole ?
Est-ce un frémissement du vide où tout s'envole,
Un bruit, une clarté,
Une lettre du mot que Dieu seul peut écrire ?
Est-ce, pour le mêler à vos éclats de rire,
Un peu d'éternité ?
Dans ce gouffre où la larve entr'ouvre son œil terne,
Dans cette épouvantable et livide citerne,
Abîme de douleurs,
Dans ce cratère obscur des muettes demeures,
Que voulez-vous puiser, ô passants de peu d'heures,
Hommes de peu de pleurs33 ?
Est-ce le secret sombre ? est-ce la froide goutte
Qui, larme du néant, suinte de l'âpre voûte
Sans aube et sans flambeau ?
Est-ce quelque lueur effarée et hagarde ?
Est-ce le cri jeté par tout ce qui regarde
Derrière le tombeau ?
Vous ne puiserez rien. Les morts tombent. La fosse
Les voit descendre, avec leur âme juste ou fausse,
Leur nom, leurs pas, leur bruit.
Un jour, quand souffleront les célestes haleines,
Dieu seul remontera toutes ces urnes pleines
De l'éternelle nuit.
X
Et la terre, agitant la ronce à sa surface,
Dit : – L'homme est mort ; c'est bien ; que veut-on que j'en fasse ?
Pourquoi me le rend-on ? –
Terre ! fais-en des fleurs ! des lys que l'aube arrose !
De cette bouche aux dents béantes, fais la rose
Entr'ouvrant son bouton !
Fais ruisseler ce sang dans tes sources d'eaux vives,
Et fais-le boire aux bœufs mugissants, tes convives ;
Prends ces chairs en haillons ;
Fais de ces seins bleuis sortir des violettes,
Et couvre de ces yeux que t'offrent les squelettes
L'aile des papillons.
Fais avec tous ces morts une joyeuse vie.
Fais-en le fier torrent qui gronde et qui dévie,
La mousse aux frais tapis !
Fais-en des rocs, des joncs, des fruits, des vignes mûres,
Des brises, des parfums, des bois pleins de murmures,
Des sillons pleins d'épis !
XI
La terre, sur la bière où le mort pâle écoute,
Tombe, et le nid gazouille, et, là-bas, sur la route
Siffle le paysan ;
Et ces fils, ces amis que le regret amène,
N'attendent même pas que la fosse soit pleine
Pour dire : Allons-nous-en !
Le fossoyeur, payé par ces douleurs hâtées,
Jette sur le cercueil la terre à pelletées.
Toi qui, dans ton linceul,
Rêvais le deuil sans fin, cette blanche colombe,
Avec cet homme allant et venant sur ta tombe,
O mort, te voilà seul !
Commencement de l'âpre et morne solitude !
Tu ne changeras plus de lit ni d'attitude ;
L'heure aux pas solennels
Ne sonne plus pour toi ; l'ombre te fait terrible ;
L'immobile suaire a sur ta forme horrible
Mis ses plis éternels.
Et puis le fossoyeur s'en va boire la fosse.
Il vient de voir des dents que la terre déchausse,
Il rit, il mange, il mord ;
Et prend, en murmurant des chansons hébétées,
Un verre dans ses mains à chaque instant heurtées
Aux choses de la mort.
Le soir vient ; l'horizon s'emplit d'inquiétude ;
L'herbe tremble et bruit comme une multitude ;
Le paysage obscur prend les veines des marbres ;
Ces hydres que, le jour, on appelle des arbres,
Se tordent dans la nuit.
Le mort est seul. Il sent la nuit qui le dévore.
Quand naît le doux matin, tout l'azur de l'aurore,
Tous ses rayons si beaux,
Tout l'amour des oiseaux et leurs chansons sans nombre,
Vont aux berceaux dorés ; et, la nuit, toute l'ombre
Aboutit aux tombeaux.
Il entend des soupirs dans les fosses voisines ;
Il sent la chevelure affreuse des racines
Entrer dans son cercueil ;
Il est l'être vaincu dont s'empare la chose ;
Il sent un doigt obscur, sous sa paupière close,
Lui retirer son œil.
Il a froid ; car le soir, qui mêle à son haleine
Les ténèbres, l'horreur, le spectre et le phalène,
Glace ces durs grabats ;
Le cadavre, lié de bandelettes blanches,
Grelotte, et dans sa bière entend les quatre planches
Qui lui parlent tout bas.
L'une dit : – Je fermais ton coffre-fort. – Et l'autre
Dit : – J'ai servi de porte au toit qui fut le nôtre. –
L'autre dit : – Aux beaux jours,
La table où rit l'ivresse et que le vin encombre,
C'était moi. – L'autre dit : – J'étais le chevet sombre
Du lit de tes amours.
XII
Tous y viendront.
XIII
Assez ! et levez-vous de table.
Chacun prend à son tour la route redoutable ;
Chacun sort en tremblant ;
Chantez, riez ; soyez heureux, soyez célèbres ;
Chacun de vous sera bientôt dans les ténèbres
Le spectre au regard blanc.
La foule vous admire et l'azur vous éclaire ;
Vous êtes riche, grand, glorieux, populaire,
Puissant, fier, encensé ;
Vos licteurs devant vous, graves, portent la hache ;
Et vous vous en irez sans que personne sache
Où vous avez passé.
Jeunes filles, hélas ! qui donc croit à l'aurore ?
Votre lèvre pâlit pendant qu'on danse encore
Dans le bal enchanté ;
Dans les lustres blêmis on voit grandir le cierge ;
La mort met sur vos fronts ce grand voile de vierge
Qu'on nomme éternité.
Le conquérant, debout dans une aube enflammée,
Penche, et voit s'en aller son épée en fumée ;
L'amante avec l'amant
Passe ; le berceau prend une voix sépulcrale ;
L'enfant rose devient larve horrible, et le râle
Sort du vagissement.
Ce qu'ils disaient hier, le savent-ils eux-mêmes ?
Des chimères, des vœux, des cris, de vains problèmes !
O néant inouï !
Rien ne reste ; ils ont tout oublié dans la fuite
Des choses que Dieu pousse et qui courent si vite
Que l'homme est ébloui !
O promesses ! espoirs ! cherchez-les dans l'espace.
La bouche qui promet est un oiseau qui passe.
Fou qui s'y confierait !
Les promesses s'en vont où va le vent des plaines,
Où vont les flots, où vont les obscures haleines
Du soir dans la forêt !
Songe à la profondeur du néant où nous sommes.
Quand tu seras couché sous la terre où les hommes
S'enfoncent pas à pas,
Tes enfants, épuisant les jours que Dieu leur compte,
Seront dans la lumière ou seront dans la honte ;
Tu ne le sauras pas !
Ce que vous rêvez tombe avec ce que vous faites.
Voyez ces grands palais ; voyez ces chars de fêtes
Aux tournoyants essieux ;
Voyez ces longs fusils qui suivent le rivage ;
Voyez ces chevaux, noirs comme un héron sauvage
Qui vole sous les cieux,
Tout cela passera comme une voix chantante ;
Pyramide, à tes pieds tu regardes la tente,
Sous l'éclatant zénith ;
Tu l'entends frissonner au vent comme une voile,
Chéops, et tu te sens, en la voyant de toile,
Fière d'être en granit ;
Et toi, tente, tu dis : Gloire à la pyramide !
Mais, un jour, hennissant comme un cheval numide,
L'ouragan libyen
Soufflera sur ce sable où sont les tentes frêles,
Et Chéops roulera pêle-mêle avec elles
En s'écriant : Eh bien !
Tu périras, malgré ton enceinte murée,
Et tu ne seras plus, ville, ô ville sacrée,
Qu'un triste amas fumant
Et ceux qui t'ont servie et ceux qui t'ont aimée
Frapperont leur poitrine en voyant la fumée
De ton embrasement34.
Ils diront : – O douleur ! ô deuil ! guerre civile !
Quelle ville a jamais égalé cette ville35 ?
Ses tours montaient dans l'air ;
Elle riait aux chants de ses prostituées ;
Elle faisait courir ainsi que des nuées
Ses vaisseaux sur la mer.
Ville ! où sont tes docteurs qui t'enseignaient à lire ?
Tes dompteurs de lions qui jouaient de la lyre,
Tes lutteurs jamais las ?
Ville ! est-ce qu'un voleur, la nuit, t'a dérobée ?
Où donc est Babylone ? Hélas ! elle est tombée !
Elle est tombée, hélas36 !
On n'entend plus chez toi le bruit que fait la meule.
Pas un marteau n'y frappe un clou. Te voilà seule.
Ville, où sont tes bouffons ?
Nul passant désormais ne montera tes rampes ;
Et l'on ne verra plus la lumière des lampes
Luire sous tes plafonds37.
Brillez pour disparaître et montez pour descendre.
Le grain de sable dit dans l'ombre au grain de cendre :
Il faut tout engloutir.
Où donc est Thèbes ? dit Babylone pensive.
Thèbes demande : Où donc est Ninive ? et Ninive
S'écrie : Où donc est Tyr ?
En laissant fuir les mots de sa langue prolixe,
L'homme s'agite et va, suivi par un œil fixe38 ;
Dieu n'ignore aucun toit ;
Tous les jours d'ici-bas ont des aubes funèbres ;
Malheur à ceux qui font le mal dans les ténèbres
En disant : Qui nous voit ?
Tous tombent ; l'un au bout d'une course insensée,
L'autre à son premier pas ; l'homme sur sa pensée,
La mère sur son nid ;
Et le porteur de sceptre et le joueur de flûte
S'en vont ; et rien ne dure ; et le père qui lutte
Suit l'aïeul qui bénit.
Les races vont au but qu'ici-bas tout révèle.
Quand l'ancienne commence à pâlir, la nouvelle
A déjà le même air ;
Dans l'éternité, gouffre où se vide la tombe,
L'homme coule sans fin, sombre fleuve qui tombe
Dans une sombre mer.
Tout escalier, que l'ombre ou la splendeur le couvre,
Descend au tombeau calme, et toute porte s'ouvre
Sur le dernier moment ;
Votre sépulcre emplit la maison où vous êtes ;
Et tout plafond, croisant ses poutres sur nos têtes,
Est fait d'écroulement.
Veillez, veillez ! Songez à ceux que vous perdîtes ;
Parlez moins haut, prenez garde à ce que vous dites,
Contemplez à genoux ;
L'aigle trépas du bout de l'aile nous effleure ;
Et toute votre vie, en fuite heure par heure,
S'en va derrière nous.
O coups soudains ! départs vertigineux ! mystère !
Combien qui ne croyaient parler que pour la terre,
Front haut, cœur fier, bras fort,
Tout à coup, comme un mur subitement s'écroule,
Au milieu d'une phrase adressée à la foule,
Sont entrés dans la mort,
Et, sous l'immensité qui n'est qu'un œil sublime,
Ont pâli, stupéfaits de voir, dans cet abîme
D'astres et de ciel bleu,
Où le masqué se montre, où l'inconnu se nomme,
Que le mot qu'ils avaient commencé devant l'homme
S'achevait devant Dieu !
Un spectre au seuil de tout tient le doigt sur sa bouche.
Les morts partent. La nuit de sa verge les touche.
Us vont, l'antre est profond,
Nus, et se dissipant, et l'on ne voit rien luire.
Où donc sont-ils allés ? On n'a rien à vous dire.
Ceux qui s'en vont, s'en vont.
Sur quoi donc marchent-ils ? sur l'énigme, sur l'ombre,
Sur l'être. Ils font un pas : comme la nef qui sombre,
Leur blancheur disparaît ;
Et l'on n'entend plus rien dans l'ombre inaccessible
Que le bruit sourd que fait dans le gouffre invisible
L'invisible forêt.
L'infini, route noire et de brume remplie,
Et qui joint l'âme à Dieu, monte, fuit, multiplie
Ses cintres tortueux,
Et s'efface... – et l'horreur effare nos pupilles
Quand nous entrevoyons les arches et les piles
De ce pont monstrueux39.
O sort ! obscurité ! nuée ! on rêve, on souffre.
Les êtres, dispersés à tous les vents du gouffre,
Ne savent ce qu'ils font.
Les vivants sont hagards. Les morts sont dans leurs couches.
Pendant que nous songeons, des pleurs, gouttes farouches,
Tombent du noir plafond40.
XIV
On brave l'immuable ; et l'un se réfugie
Dans l'assoupissement, et l'autre dans l'orgie.
Cet autre va criant :
– A bas vertu, devoir et foi ! l'homme est un ventre ! –
Dans ce lugubre esprit, comme un tigre en son antre,
Habite le néant.
Écoutez-le : – Jouir est tout. L'heure est rapide.
Le sacrifice est fou, le martyre est stupide ;
Vivre est l'essentiel.
L'immensité ricane et la tombe grimace.
La vie est un caillou que le sage ramasse
Pour lapider le ciel. –
Il souffle, forçat noir, sa vermine sur l'ange.
Il est content, il est hideux ; il boit, il mange ;
Il rit, la lèvre en feu,
Tous les rires que peut inventer la démence ;
Il dit tout ce que peut dire en sa haine immense
Le ver de terre à Dieu.
Il dit : Non ! à celui sous qui tremble le pôle.
Soudain l'ange muet met la main sur l'épaule
Du railleur effronté ;
La mort derrière lui surgit pendant qu'il chante ;
Dieu remplit tout à coup cette bouche crachante
Avec l'éternité.
XV
Qu'est-ce que tu feras de tant d'herbes fauchées,
O vent ? que feras-tu des pailles desséchées
Et de l'arbre abattu ?
Que feras-tu de ceux qui s'en vont avant l'heure,
Et de celui qui rit et de celui qui pleure,
O vent, qu'en feras-tu ?
Que feras-tu des cœurs ? que feras-tu des âmes ?
Nous aimâmes, hélas ! nous crûmes, nous pensâmes :
Un moment nous brillons ;
Puis, sur les panthéons ou sur les ossuaires,
Nous frissonnons, ceux-ci drapeaux, ceux-là suaires,
Tous, lambeaux et haillons !
Et ton souffle nous tient, nous arrache et nous ronge !
Et nous étions la vie, et nous sommes le songe !
Et voilà que tout fuit !
Et nous ne savons plus qui nous pousse et nous mène,
Et nous questionnons en vain notre âme pleine
De tonnerre et de nuit !
O vent, que feras-tu de ces tourbillons d'êtres,
Hommes, femmes, vieillards, enfants, esclaves, maîtres,
Souffrant, priant, aimant,
Doutant, peut-être cendre et peut-être semence,
Qui roulent, frémissants et pâles, vers l'immense
Évanouissement !
XVI
L'arbre Éternité vit sans faîte et sans racines.
Ses branches sont partout, proches du ver, voisines
Du grand astre doré ;
L'espace voit sans fin croître la branche Nombre,
Et la branche Destin, végétation sombre,
Emplit l'homme effaré.
Nous la sentons ramper et grandir sous nos crânes,
Lier Deutz41 à Judas, Nemrod à Schinderhannes,
Tordre ses mille nœuds,
Et, passants pénétrés de fibres éternelles,
Tremblants, nous la voyons croiser dans nos prunelles
Ses fils vertigineux.
Et nous apercevons, dans le plus noir de l'arbre,
Les Hobbes contemplant avec des yeux de marbre
Les Kant aux larges fronts ;
Leur cognée à la main, le pied sur les problèmes,
Immobiles ; la mort a fait des spectres blêmes
De tous ces bûcherons.
Us sont là, stupéfaits et chacun sur sa branche.
L'un se redresse, et l'autre, épouvanté, se penche.
Tous se sont arrêtés en voyant le mystère.
Zénon42 rêve tourné vers Pyrrhon, et Voltaire
Regarde Spinosa.
Qu'avez-vous donc trouvé, dites, chercheurs sublimes ?
Quels nids avez-vous vus, noirs comme des abîmes
Sur ces rameaux noueux ?
Cachaient-ils des essaims d'ailes sombres ou blanches ?
Dites, avez-vous fait envoler de ces branches
Quelque aigle monstrueux ?
De quelqu'un qui se tait nous sommes les ministres43 ;
Le noir réseau du sort trouble nos yeux sinistres ;
Le vent nous courbe tous ;
L'ombre des mêmes nuits mêle toutes les têtes.
Qui donc sait le secret ? le savez-vous, tempêtes ?
Gouffres, en parlez-vous ?
Le problème muet gonfle la mer sonore,
Et, sans cesse oscillant, va du soir à l'aurore
Et de la taupe au lynx ;
L'énigme aux yeux profonds nous regarde obstinée ;
Dans l'ombre nous voyons sur notre destinée
Les deux griffes du sphinx.
Le mot, c'est Dieu. Ce mot luit dans les âmes veuves44 ;
Il tremble dans la flamme ; onde, il coule en tes fleuves,
Homme, il coule en ton sang ;
Les constellations le disent au silence ;
Et le volcan, mortier de l'infini, le lance
Aux astres en passant.
Ne doutons pas. Croyons. Emplissons l'étendue
De notre confiance, humble, ailée, éperdue.
Soyez l'immense Oui.
Que notre cécité ne soit pas un obstacle ;
A la création donnons ce grand spectacle
D'un aveugle ébloui45.
Car je vous le redis, votre oreille étant dure :
Non est un précipice. O vivants ! rien ne dure ;
La chair est aux corbeaux ;
La vie autour de vous croule comme un vieux cloître ;
Et l'herbe est formidable, et l'on y voit moins croître
De fleurs que de tombeaux.
Tout, dès que nous doutons, devient triste et farouche.
Quand il veut, spectre gai, le sarcasme à la bouche
Et l'ombre dans les yeux,
Rire avec l'infini, pauvre âme aventurière,
L'homme frissonnant voit les arbres en prière
Et les monts sérieux ;
Le chêne ému fait signe au cèdre qui contemple ;
Le rocher rêveur semble un prêtre dans le temple
Pleurant un déshonneur ;
L'araignée, immobile au centre de ses toiles46,
Médite ; et le lion, songeant sous les étoiles,
Rugit : Pardon, Seigneur47 !
Jersey, cimetière de Saint-Jean, avril 1854.
VII
Un jour, le morne esprit, le prophète sublime48
Qui rêvait à Patmos,
Et lisait, frémissant, sur le mur de l'abîme
De si lugubres mots,
Dit à son aigle49 : « O monstre ! il faut que tu m'emportes.
Je veux voir Jéhovah. »
L'aigle obéit. Des cieux ils franchirent les portes ;
Enfin, Jean arriva ;
Il vit l'endroit sans nom dont nul archange n'ose
Traverser le milieu,
Et ce lieu redoutable était plein d'ombre, à cause
De la grandeur de Dieu.
Jersey, septembre 1855.
VIII
CLAIRE
Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne50 !
O mère au cœur profond, mère, vous avez beau
Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne,
Cette pierre là-bas dans l'herbe est un tombeau !
La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas.
Est-ce donc que là-haut dans l'ombre elles s'appellent,
Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ?
Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d'abord la charmas avec ta petitesse
Et plus tard lui remplis de clarté l'horizon,
Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
Voilà que tu n'es plus, ayant à peine été !
L'astre attire le lys, et te voilà reprise,
O vierge, par l'azur, cette virginité !
Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l'abîme
Des rayons, des amours, des parfums et des voix !
Nous ne t'entendrons plus rire en notre nuit noire.
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !
Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame51 ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !
En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les cœurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse52,
Et, comme Ruth l'épi, tu ramassais le bien.
La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
L'aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
Toute cette douceur dans toute ta beauté !
Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
Et de tous les amours elle semblait l'encens.
Ceux qui n'ont pas connu cette charmante fille
Ne peuvent pas savoir ce qu'était ce regard
Transparent comme l'eau qui s'égaie et qui brille
Quand l'étoile surgit sur l'océan hagard.
Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ;
Chantant à demi-voix son chant d'illusion,
Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne
De vague et de lointain comme la vision.
On sentait qu'elle avait peu de temps sur la terre,
Qu'elle n'apparaissait que pour s'évanouir,
Et qu'elle acceptait peu sa vie involontaire ;
Et la tombe semblait par moments l'éblouir.
Elle a passé dans l'ombre où l'homme se résigne ;
Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit,
Belle, candide, ainsi qu'une plume de cygne
Qui reste blanche, même en traversant la nuit !
Elle s'en est allée à l'aube qui se lève,
Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,
Bouche qui n'a connu que le baiser du rêve,
Ame qui n'a dormi que dans le lit de Dieu !
Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,
Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés,
Regardant à jamais dans les ténèbres mornes
La disparition des êtres adorés !
Croire qu'ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse.
Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,
Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse
Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.
Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ;
Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
Et derrière eux, et sans que leur candeur s'en doute,
Leurs ailes font parfois de l'ombre sur le mur.
Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ;
Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux,
Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. –
O mère, ce sont là les anges, voyez-vous !
C'est une volonté du sort, pour nous sévère,
Qu'ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ;
Et qu'avant d'avoir mis leur lèvre à notre verre,
Avant d'avoir rien fait et d'avoir rien souffert,
Ils partent radieux ; et qu'ignorent l'envie,
L'erreur, l'orgueil, le mal, la haine, la douleur,
Tous ces êtres bénis s'envolent de la vie
A l'âge où la prunelle innocente est en fleur !
Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres,
Nous devons travailler, attendre, préparer ;
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d'autres ;
Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.
Eux, ils sont l'air qui fuit, l'oiseau qui ne se pose
Qu'un instant, le soupir qui vole, avril vermeil
Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose
Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil !
Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l'âme
Pour notre chair coupable et pour notre destin ;
Ils ont, êtres rêveurs qu'un autre azur réclame,
Je ne sais quelle soif de mourir le matin !
Us sont l'étoile d'or se couchant dans l'aurore,
Mourant pour nous, naissant pour l'autre firmament ;
Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore,
Continue, au delà, l'épanouissement !
Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs,
A qui Dieu n'a permis que d'effleurer la terre
Pour faire un peu de joie à quelques pauvres cœurs.
Comme l'ange à Jacob, comme Jésus à Pierre,
Ils viennent jusqu'à nous qui loin d'eux étouffons,
Beaux, purs, et chacun d'eux portant sous sa paupière
La sereine clarté des paradis profonds.
Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies,
Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
Et fait luire un moment l'aube à travers nos claies,
Et chanté la chanson du ciel dans nos maisons,
Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes,
Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,
Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,
S'en vont avec un peu de terre dans la main.
Os s'en vont ; c'est tantôt l'éclair qui les emporte,
Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus.
Alors, nous, pâles, froids, l'œil fixé sur la porte,
Nous ne savons plus rien, sinon qu'ils ne sont plus.
Nous disons : – A quoi bon l'âtre sans étincelles ?
A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ?
A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ?
Qui donc attendons-nous s'ils ne reviendront pas ? –
Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.
Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit,
Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires
Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.
Car ils sont revenus, et c'est là le mystère53 ;
Nous entendons quelqu'un flotter, un souffle errer,
Des robes effleurer notre seuil solitaire,
Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.
Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ;
Nous sentons, lorsqu'ayant la lassitude en nous,
Nous nous levons après quelque prière sombre,
Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.
Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre :
« Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour !
M'entends-tu ? je suis là, je reste pour t'attendre
Sur l'échelon d'en bas de l'échelle d'amour.
Je t'attends pour pouvoir nous en aller ensemble.
Cette vie est amère, et tu vas en sortir.
Pauvre cœur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble.
Tu redeviendras ange ayant été martyr. »
Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c'est naître.
Quand verrons-nous, ainsi qu'un idéal flambeau,
La douce étoile mort, rayonnante, apparaître
A ce noir horizon qu'on nomme le tombeau ?
Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes !
Où sont les enfants morts et les printemps enfuis,
Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes,
Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?
Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames,
Les aimés, les absents, les êtres purs et doux,
Les baisers des esprits et les regards des âmes,
Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous54 ?
Quand nous en irons-nous où sont l'aube et la foudre ?
Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor,
Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre,
Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d'or ?
Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie
Où les hymnes vivants sont des anges voilés,
Où l'on voit, à travers l'azur de l'harmonie,
La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?
Quand viendrez-vous chercher notre humble cœur qui sombre ?
Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel,
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l'ombre,
Sous l'éblouissement du regard éternel ?
Décembre 1846.
IX
A LA FENÊTRE, PENDANT LA NUIT
I
Les étoiles, points d'or, percent les branches noires55 ;
Le flot huileux et lourd décompose ses moires
Sur l'océan blêmi ;
Les nuages ont l'air d'oiseaux prenant la fuite ;
Par moments le vent parle, et dit des mots sans suite,
Comme un homme endormi.
Tout s'en va. La nature est l'urne mal fermée.
La tempête est écume et la flamme est fumée.
Rien n'est hors du moment,
L'homme n'a rien qu'il prenne, et qu'il tienne, et qu'il garde.
Il tombe heure par heure, et, ruine, il regarde
Le monde, écroulement.
L'astre est-il le point fixe en ce mouvant problème ?
Ce ciel que nous voyons fut-il toujours le même ?
Le sera-t-il toujours ?
L'homme a-t-il sur son front des clartés éternelles ?
Et verra-t-il toujours les mêmes sentinelles
Monter aux mêmes tours ?
II
Nuits, serez-vous pour nous toujours ce que vous êtes ?
Pour toute vision, aurons-nous sur nos têtes
Toujours les mêmes cieux ?
Dis, larve Aldebaran, réponds, spectre Saturne,
Ne verrons-nous jamais sur le masque nocturne
S'ouvrir de nouveaux yeux ?
Ne verrons-nous jamais briller de nouveaux astres ?
Et des cintres nouveaux, et de nouveaux pilastres
Luire à notre œil mortel,
Dans cette cathédrale aux formidables porches
Dont le septentrion éclaire avec sept torches
L'effrayant maître-autel ?
A-t-il cessé, le vent qui fit naître ces roses,
Sirius, Orion, toi, Vénus, qui reposes
Notre œil dans le péril ?
Ne verrons-nous jamais sous ces grandes haleines
D'autres fleurs de lumière éclore dans les plaines
De l'éternel avril ?
Savons-nous où le monde en est de son mystère ?
Qui nous dit, à nous, joncs du marais, vers de terre
Dont la bave reluit,
A nous qui n'avons pas nous-mêmes notre preuve,
Que Dieu ne va pas mettre une tiare neuve
Sur le front de la nuit56 ?
III
Dieu n'a-t-il plus de flamme à ses lèvres profondes ?
N'en fait-il plus jaillir des tourbillons de mondes ?
Parlez, Nord et Midi !
N'emplit-il plus de lui sa création sainte ?
Et ne souffle-t-il plus que d'une bouche éteinte
Sur l'être refroidi ?
Quand les comètes vont et viennent, formidables,
Apportant la lueur des gouffres insondables
A nos fronts soucieux,
Brûlant, volant, peut-être âmes, peut-être mondes,
Savons-nous ce que font toutes ces vagabondes57
Qui courent dans nos cieux ?
Qui donc a vu la source et connaît l'origine ?
Qui donc, ayant sondé l'abîme, s'imagine
En être mage et roi ?
Ah ! fantômes humains, courbés sous les désastres !
Qui donc a dit : – C'est bien, Éternel. Assez d'astres.
N'en fais plus. Calme-toi !
L'effet séditieux limiterait la cause58 ?
Quelle bouche ici-bas peut dire à quelque chose :
Tu n'iras pas plus loin59 ?
Sous l'élargissement sans fin, la borne plie ;
La création vit, croît et se multiplie ;
L'homme n'est qu'un témoin.
L'homme n'est qu'un témoin frémissant d'épouvante.
Les firmaments sont pleins de la sève vivante
Comme les animaux.
L'arbre prodigieux croise, agrandit, transforme,
Et mêle aux cieux profonds, comme une gerbe énorme,
Ses ténébreux rameaux60.
Car la création est devant, Dieu derrière.
L'homme, du côté noir de l'obscure barrière,
Vit, rôdeur curieux ;
Il suffit que son front se lève pour qu'il voie
A travers la sinistre et morne claire-voie
Cet œil mystérieux61.
IV
Donc ne nous disons pas : – Nous avons nos étoiles. –
Des flottes de soleils peut-être à pleines voiles
Viennent en ce moment ;
Peut-être que demain le Créateur terrible,
Refaisant notre nuit, va contre un autre crible
Changer le firmament.
Qui sait ? que savons-nous ? Sur notre horizon sombre,
Que la création impénétrable encombre
De ses taillis sacrés,
Muraille obscure où vient battre le flot de l'être,
Peut-être allons-nous voir brusquement apparaître
Des astres effarés ;
Des astres éperdus arrivant des abîmes,
Venant des profondeurs ou descendant des cimes,
Et, sous nos noirs arceaux,
Entrant en foule, épars, ardents, pareils au rêve,
Comme dans un grand vent s'abat sur une grève
Une troupe d'oiseaux ;
Surgissant, clairs flambeaux, feux purs, rouges fournaises,
Aigrettes de rubis ou tourbillons de braises,
Et nous pétrifiant de leurs aspects étranges ;
Car dans le gouffre énorme il est des mondes anges
Et des soleils démons62 !
Peut-être en ce moment, du fond des nuits funèbres,
Montant vers nous, gonflant ses vagues de ténèbres
Et ses flots de rayons,
Le muet Infini, sombre mer ignorée,
Roule vers notre ciel une grande marée63
De constellations !
Marine-Terrace, avril 1854.
X
ÉCLAIRCIE
L'océan resplendit sous sa vaste nuée64.
L'onde, de son combat sans fin exténuée,
S'assoupit, et, laissant l'écueil se reposer,
Fait de toute la rive un immense baiser.
On dirait qu'en tous lieux, en même temps, la vie
Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la nuit, l'envie,
Et que le mort couché dit au vivant debout :
Aime ! et qu'une âme obscure, épanouie en tout,
Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.
L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres,
Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses cœurs épars,
Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts
La pénétration de la sève sacrée.
La grande paix d'en haut vient comme une marée65.
Le brin d'herbe palpite aux fentes du pavé ;
Et l'âme a chaud. On sent que le nid est couvé.
L'infini semble plein d'un frisson de feuillée.
On croit être à cette heure où la terre éveillée
Entend le bruit que fait l'ouverture du jour,
Le premier pas du vent, du travail, de l'amour,
De l'homme, et le verrou de la porte sonore,
Et le hennissement du blanc cheval aurore.
Le moineau d'un coup d'aile, ainsi qu'un fol esprit,
Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit ;
L'air joue avec la mouche et l'écume avec l'aigle ;
Le grave laboureur fait ses sillons et règle
La page où s'écrira le poëme des blés ;
Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés ;
L'horizon semble un rêve éblouissant où nage
L'écaille de la mer, la plume du nuage,
Car l'Océan est hydre et le nuage oiseau.
Une lueur, rayon vague, part du berceau
Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière,
Dore les champs, les fleurs, l'onde, et devient lumière
En touchant un tombeau qui dort près du clocher.
Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher
L'ombre, et la baise au front sous l'eau sombre et hagarde.
Tout est doux, calme, heureux, apaisé ; Dieu regarde66.
Marine-Terrace, juillet 1855.
XI
Oh ! par nos vils plaisirs, nos appétits, nos fanges67,
Que de fois nous devons vous attrister, archanges !
C'est vraiment une chose amère de songer
Qu'en ce monde où l'esprit n'est qu'un morne étranger,
Où la volupté rit, jeune, et si décrépite !
Où dans les lits profonds l'aile d'en bas palpite,
Quand, pâmé, dans un nimbe ou bien dans un éclair,
On tend sa bouche ardente aux coupes de la chair,
A l'heure où l'on s'enivre aux lèvres d'une femme,
De ce qu'on croit l'amour, de ce qu'on prend pour l'âme,
Sang du cœur, vin des sens âcre et délicieux,
On fait rougir là-haut quelque passant des cieux !
Juin 1855.
XII
AUX ANGES QUI NOUS VOIENT
– Passant, qu'es-tu ? je te connais68.
Mais, étant spectre, ombre et nuage,
Tu n'as plus de sexe ni d'âge.
– Je suis ta mère, et je venais !
– Et toi, dont l'aile hésite et brille,
Dont l'œil est noyé de douceur,
Qu'es-tu, passant ? – Je suis ta sœur.
– Et toi, qu'es-tu ? – Je suis ta fille.
– Et toi, qu'es-tu, passant ? – Je suis
Celle à qui tu disais : « Je t'aime ! »
– Et toi ? – Je suis ton âme même. –
Oh ! cachez-moi, profondes nuits !
Juin 1855.
XIII
CADAVER
O mort ! heure splendide ! ô rayons mortuaires69 !
Avez-vous quelquefois soulevé des suaires ?
Et, pendant qu'on pleurait, et qu'au chevet du lit,
Frères, amis, enfants, la mère qui pâlit,
Éperdus, sanglotaient dans le deuil qui les navre,
Avez-vous regardé sourire le cadavre ?
Tout à l'heure il râlait, se tordait, étouffait ;
Maintenant il rayonne. Abîme ! qui donc fait
Cette lueur qu'a l'homme en entrant dans les ombres ?
Qu'est-ce que le sépulcre ? et d'où vient, penseurs sombres,
Cette sérénité formidable des morts ?
C'est que le secret s'ouvre et que l'être est dehors ;
C'est que l'âme – qui voit, puis brille, puis flamboie, –
Rit, et que le corps même a sa terrible joie.
La chair se dit : – Je vais être terre, et germer,
Et fleurir comme sève, et, comme fleur, aimer !
Je vais me rajeunir dans la jeunesse énorme
Du buisson, de l'eau vive, et du chêne, et de l'orme,
Et me répandre aux lacs, aux flots, aux monts, aux prés,
Aux rochers, aux splendeurs des grands couchants pourprés,
Aux ravins, aux halliers, aux brises de la nue,
Aux murmures profonds de la vie inconnue !
Je vais être oiseau, vent, cri des eaux, bruit des cieux,
Et palpitation du tout prodigieux ! –
Tous ces atomes las, dont l'homme était le maître,
Sont joyeux d'être mis en liberté dans l'être,
De vivre, et de rentrer au gouffre qui leur plaît.
L'haleine, que la fièvre aigrissait et brûlait,
Va devenir parfum, et la voix harmonie ;
Le sang va retourner à la veine infinie,
Et couler, ruisseau clair, aux champs où le bœuf roux
Mugit le soir avec l'herbe jusqu'aux genoux ;
Les os ont déjà pris la majesté des marbres ;
La chevelure sent le grand frisson des arbres,
Et songe aux cerfs errants, au lierre, aux nids chantants
Qui vont l'emplir du souffle adoré du printemps.
Et voyez le regard, qu'une ombre étrange voile,
Et qui, mystérieux, semble un lever d'étoile !
Oui, Dieu le veut, la mort, c'est l'ineffable chant
De l'âme et de la bête à la fin se lâchant ;
C'est une double issue ouverte à l'être double.
Dieu disperse, à cette heure inexprimable et trouble,
Le corps dans l'univers et l'âme dans l'amour.
Une espèce d'azur que dore un vague jour,
L'air de l'éternité, puissant, calme, salubre,
Frémit et resplendit sous le linceul lugubre ;
Et des plis du drap noir tombent tous nos ennuis.
La mort est bleue70. O mort ! ô paix ! L'ombre des nuits,
Le roseau des étangs, le roc du monticule,
L'épanouissement sombre du crépuscule,
Le vent, souffle farouche ou providentiel,
L'air, la terre, le feu, l'eau, tout, même le ciel,
Se mêle à cette chair qui devient solennelle.
Un commencement d'astre éclôt dans la prunelle.
Au cimetière, août 1855.
XIV
O gouffre ! l'âme plonge et rapporte le doute71.
Nous entendons sur nous les heures, goutte à goutte,
Tomber comme l'eau sur les plombs72 ;
L'homme est brumeux, le monde est noir, le ciel est sombre ;
Les formes de la nuit vont et viennent dans l'ombre ;
Et nous, pâles, nous contemplons.
Nous contemplons l'obscur, l'inconnu, l'invisible.
Nous sondons le réel, l'idéal, le possible,
L'être, spectre toujours présent.
Nous regardons trembler l'ombre indéterminée.
Nous sommes accoudés sur notre destinée,
L'œil fixe et l'esprit frémissant.
Nous épions des bruits dans ces vides funèbres ;
Nous écoutons le souffle, errant dans les ténèbres,
Dont frissonne l'obscurité ;
Et, par moments, perdus dans les nuits insondables,
Nous voyons s'éclairer de lueurs formidables
La vitre de l'éternité.
Marine-Terrace, septembre 1853.
1 Autres titres envisagés : Nuit et Solitudines cœli [les déserts du ciel]. Pendant un moment, au cours du printemps de 1855, Hugo envisagea d'intégrer aux Contemplations les 1946 vers qui constituaient à cette époque ce qui allait devenir la première version de Dieu. Lecture ayant été faite de ce vaste ensemble devant ses familiers, Hugo accepta de se ranger à l'avis d'Auguste Vacquerie lui conseillant de publier les Solitudines cœli indépendamment des Contemplations. Sur cette décision capitale, notamment en ce qui concerne la genèse des Mages (cf. VI, XXIII, n. 1), l'ouvrage de J. Gaudon, Le Temps de la contemplation, pp. 258-275.
2 Ms : 13 8bre [octobre] 1854. Le poème a été écrit le jour de l'achèvement de La Bouche d'ombre.
3 À rapprocher des chapitres La Prière et Bonté absolue de la prière dans Les Misérables (II, VII, 5-6) (A.) et aussi de la fin de Magnitudo parvi (cf. II, XXX, n. 16).
4 Ms : 24 juillet 1854. À sa date de composition le texte tire les conclusions des expériences poétiques du premier semestre de 1854. Le titre primitif était Ascendam. Le changement implique que l'entreprise du poète est perçue comme la transgression d'un interdit, le mot « ibo » ne se comprenant que dans la relation qu'il entretient avec le mot de Dieu à l'océan dans le livre de Job : « et non ibis amplius » [et tu n'iras pas plus loin] (Jb, XXXVIII, 11). Quant au verbe « aller », en français, il connaît chez Hugo deux illustrations notables à trente ans de distance : dans Hemani (1830) où le bandit se définit comme « une force qui va », et dans l'épisode de L'Ange Liberté (1860) de La Fin de Satan, où le maudit donne son acquiescement à sa fille en lui disant : « Va ! ».
5 Amos : un des « petits prophètes », pour qui Hugo semble avoir une prédilection. Dans ce poème en tout cas se rencontrent différents souvenirs d'Amos (II, 4-5, pour les images du lion et de l'oiseau ; II, 6, pour la trompette) (S.).
6 L'aigle est l'animal emblématique du poète, comme le lion est celui de saint Marc.
7 Voler Dieu : le poète est un nouveau Prométhée ; mais en ces mois de 1854 il est surtout un nouveau Nemrod : il vient d'achever l'écriture de l'épisode du Glaive de La Fin de Satan, qui met en scène Nemrod entreprenant de faire l'ascension du ciel pour affronter Dieu.
8 Ces deux admirables dernières strophes, que seuls des esprits anti-poétiques comme Bellesort ont eu la sottise de juger « délirantes » (J.-R.), prennent tout leur sens dès lors qu'on les réinscrit dans leur contexte génétique, en l'occurrence le Satan de janvier 1854 (cf. M. Milner, Le Diable dans la littérature française, t. II, pp. 363-364). Dans son monologue Satan déplore qu'au chant d'amour qu'il pousse vers Dieu le ciel lui renvoie en écho des aboiements. Six mois plus tard, le poète, avatar dorénavant de Satan, fait taire par ses rugissements ces aboiements (sur le poète lion, cf. III, XIX et III, XXVIII).
9 Les apocalypses du livre sixième ont pour lieux privilégiés les dolmens (cf. VI, III ; VI, XVIII ; VI, XXV), comme on en trouve à Jersey. L'image du dolmen est aussi associée à celle d'une religion archaïque.
10 Ms : 17 avril 1854. J.-R. signalent avec raison que « le muet » est un neutre plutôt qu'un masculin. Il ne peut guère en être autrement, puisque, en ce qu'il ne parle pas, Dieu n'est pas une personne.
11 Ms : pas de date. Ce poème remonte très vraisemblablement à 1846, l'année où Hugo songe à des « Choses de la Bible » (cf. J.-R., Autour des « Contemplations », pp. 131-191 et notamment pour ce qui touche à l'Apocalypse, pp. 171-179). Jean —Jean l'Évangéliste, jamais Jean-Baptiste – est une des grandes figures de l'imaginaire hugolien et l'on pensera autant aux Misérables qu'aux belles pages qui lui sont consacrées dans William Shakespeare (Flammarion, éd. cit., pp. 74-76). On n'oubliera pas non plus le poème Le Cèdre de la première série de La Légende des Siècles.
Le premier vers de ce poème rime à sa façon avec le premier vers du poème précédent : au silence du « muet » correspond la parole du prophète. C'est aussi un écho du poème de saint Jean (Apocalypse, XXII, 8).
12 Cf. Apocalypse, XXII, 11.
13 Cf. Apocalypse, XXII, 20.
14 Ms : 11 Xbre [décembre] 1854. L'inspiration sociale du livre troisième, dont Melancholia porte témoignage, reparaît dans cette pièce, mais sous l'éclairage religieux et métaphysique qui baigne tout le dernier livre des Contemplations.
15 Amalgame de deux références évangéliques : Mt, XXV, 35-40 et Lc, XVI, 21.
16 25-30 avril 1854. Titres envisagés : Le nuage en passant se déchire ; Olympio songe ; macabre ; larmes de nuit.
17 Écrit pendant le décisif printemps de 1854, ce texte constitue avant La Bouche d'ombre un premier bilan des révélations spirites de l'hiver qui vient de s'achever.
18 Scrofuleux : les scrofules sont la manifestation inflammatoire qui « consiste en un gonflement des ganglions lymphatiques » (Littré).
19 Mancenillier : arbre qui passe pour avoir une ombre mortifère. Hugo en a fait un dessin saisissant dans un album commencé en 1843 (B.N., n.a.f. 13350, f. 7, reproduit dans le catalogue de l'exposition Soleil d'encre, Musée du Petit-Palais, 3 octobre 1985-5 janvier 1986, p. 155).
20 Dans les mois précédents Satan était ce prisonnier, enfermé dans le cachot de l'enfer. L'enfermement s'étend maintenant à l'humanité entière.
21 À partir de ce vers le discours du poète sur la mort va être partiellement doublé par le récit d'un enterrement : dans la section IV on assiste au convoi, dans la section VI « le corbillard franchit le seuil du cimetière », dans la section VIII on voit la fosse ouverte et dans la section XI le fossoyeur procède à l'inhumation.
22 Dans Obsession de Baudelaire, ces vers : Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales ; Vous hurlez comme l'orgue ; [...]
23 Première apparition, sous une forme interrogative, de la théorie qui sera exposée dans six mois par la bouche d'ombre : le châtiment des méchants dans l'au-delà se caractérise par une descente dans l'échelle des êtres (A.).
24 Cambyse : roi de Perse, fils de Cyrus, tyran.
25 Laticlave : bande de pourpre que les sénateurs romains portaient sur leur robe ; ici, la robe elle-même.
26 Nemrod : cf. III, XIII, n. 2 ; Sforce : le premier des Sforza, pas le pire des tyrans, semble-t-il ; Macrin : empereur romain, successeur de Caracalla ; Achab : cf. III, XIII, n. 2 ; Phalaris : tyran de Syracuse, tristement célèbre par le taureau de bronze dans lequel il faisait brûler ses victimes.
27 Charles IX : roi de France, coupable de la Saint-Barthélemy ; Constantin : empereur romain, coupable de divers crimes ; Louis XI : cf. Notre-Dame de Paris ; Vitellius : empereur romain goinfre ; Busiris : roi d'Égypte ; Cyrus : roi de Perse ; Égysthe (Égisthe) : assassin d'Agamemnon.
28 Bélus : roi d'Assyrie ; Sylla : dictateur romain.
29 Ces misérables sont des « malheureux » : cf. V, XXI.
30 Exécrables : maudits (latinisme) (J.-R.).
31 Dans la grande séance des Tables du 24 avril 1854, la veille du début de l'écriture de ce poème, le Drame a expressément demandé à Hugo « des vers sur les souffrances des instruments de torture et des quatre clous de Jésus ».
32 Lieu commun chez Hugo, cf. La Pente de la rêverie (Les Feuilles d'automne, XXIX) ; La Vision de Dante (série complémentaire de La Légende des Siècles) ; le chant de la Sibylle (La Fin de Satan) ; le chant du Hibou (L'Océan d'en haut dans Dieu) ; La Trompette du Jugement (première série de La Légende des Siècles) (E. Blewer).
33 Hommes de peu de pleurs : à rapprocher de l'expression évangélique « hommes de peu de foi ».
34 Cf. Apocalypse, XVIII, 8-9.
35 Cf. Apocalypse, XVIII, 18.
36 Cf. Apocalypse, XVIII, 2.
37 Cf. Apocalypse, XVIII, 23.
38 À rapprocher du poème de janvier 1853, La Conscience.
39 Cf. VI, I.
40 Dans son premier état Pleurs dans la nuit s'achevait sur cette strophe, suivie dans le ms. de la date du 28 avril 1854.
41 Deutz avait, pour 100 000 francs, livré à la police la duchesse de Berry, qui tentait de soulever la Vendée en 1832 (A.). Cf. le poème À l'homme qui a livré une femme (Les Chants du Crépuscule, X) (A.) ; Schinderhannes (= Jean l'Écorcheur) : bandit allemand, exécuté à Mayence en 1803.
42 Zénon : Zénon d'Élée, plutôt que Zénon de Clitium ; Pyrrhon : philosophe grec, fondateur du scepticisme ; Spinoza : cf. III, XXX, n. 3.
43 Cf. VI, III.
44 Dans le mythe grec d'Œdipe, le mot de l'énigme, c'est l'homme. Ici c'est Dieu (C).
45 Cf. III, XXX, n. 11.
46 L'araignée (arachnè) est l'animal emblématique de la fatalité (anankè) chez Hugo. Cf., par exemple, dans la première série de La Légende des Siècles le poème Puissance égale bonté.
47 Dans la séance des Tables du 24 avril 1854 le Drame déclarait : « Pardon est le seul mot de la langue humaine qui soit épelé par les bêtes. » Sur le lion, cf. aussi VI, II, n. 5.
48 Ms : 4 7bre [septembre] 1846. À rapprocher de VI, IV.
49 L'aigle est l'animal de saint Jean.
50 Ms : 27 Xbre [décembre] 1854. Dernier poème dans le recueil à être consacré à Claire Pradier, morte le 21 juin 1846 (cf. III, IX ; IV, XI et V, XIV). Entre le titre de V, XIV (Claire P.) et celui-là il y a une minime différence, mais qui porte le sens : « Claire » est maintenant autant un prénom qu'un adjectif, qui joue avec le titre de VI, X (Éclaircie) et, par contraste, avec le titre et le contenu de VI, IX (À la fenêtre pendant la nuit).
51 Épithalame : chant des noces, et, par extension, mariage. Il s'agit du mariage de Claire et de la mort.
52 Cf. V, X (st. 7). À rapprocher surtout, par anticipation, de Booz endormi (première série de La Légende des Siècles, VI).
53 Sur le sens spécial de « revenir », cf. III, XXIII. À rapprocher du vers 3.
54 À noter que Hugo conjugue dans ces vers le verbe « aller » à la première personne du pluriel de l'indicatif futur, alors qu'en VI, II ce même verbe était conjugué, en latin, à la première personne du singulier : « ibo ». Claire sert non seulement d'intercesseur au poète entre la terre et le ciel, mais aussi de guide dans la quête entreprise par le Moi vers l'inconnu.
55 Ms : 29 avril 1854. Par sa date de composition, sa forme strophique et son inspiration ce poème appartiennent à l'inspiration de Pleurs dans la nuit.
56 Cette image de la voûte étoilée, tiare de Dieu apparaît dès Cromwell (III, XVII, v. 3669) (A.).
57 Vagabondes : c'est le sens propre du mot « planètes » en grec.
58 Cf. VI, VI, v : Quelle nuit ! le semeur nié par la semence !
59 Reprise, sous la forme d'une traduction littérale, du motif jobien du « et non ibis amplius » (Jb, XXXVIII, 11). Cf. VI, II, n. 1.
60 Cf. VI, VI, XVI (l'arbre Éternité).
61 Sur Dieu comme œil, cf. le poème de janvier 1853, La Conscience (première série de La Légende des Siècles, I, II).
62 Sur les astres damnés, cf. Inferi (série complémentaire de La Légende des Siècles, VI).
63 Le poème Dieu dans un de ses états devait s'intituler L'Océan d'en haut.
64 Ms : 4 juillet 1855. Cf. VI, VIII, n. 1.
65 Se reporter à VI, IX, n. 9.
66 Se reporter à VI, IX, n. 7 et à III, XXX, n. 11. Dans ce livre des apocalypses Dieu cesse d'être l'œil crevé qu'il était auparavant dans Magnitude parvi, pour devenir principe actif de la vision et de la contemplation.
67 Ms : 20 août 1855.
68 Ms : 4 octobre 1855. Dieu ayant désormais un regard apaisé et serein sur les êtres et les choses (cf. VI, X), ce sont les anges, autrement dit ceux qui sont déjà morts, qui sont chargés d'inspirer au Moi le sentiment de sa propre culpabilité, comme à la fin de La Conscience.
69 Ms : 9 août 1855. Le titre latin invite à rapprocher ce poème de Mors (IV, XVI). Pour des éléments intéressants de commentaire, voir M. Riffaterre, « La poétisation du mot chez Victor Hugo », C.A.I.E.F., 1967, n° 19, pp. 180-181.
70 Cf. M. Riffaterre, art. cit., pp. 193-194 et la discussion p. 291. .
71 Ms : pas de date. Poème à rapprocher des deux grandes pièces Horror et Dolor.
72 Plombs : feuilles de plomb qui recouvrent les toitures.